Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Blogres - Page 130

  • Botellon Stadium

    Par Pierre Béguin

     

     praille5[2].jpg

    Ainsi donc, comme l’a annoncé la presse début septembre, le stade de la Praille se retrouve en situation d’insolvabilité. Et cette enceinte sportive, devisée à moitié prix par des politiciens et entrepreneurs et vendue aux citoyens au prix fort comme indispensable au rayonnement de Genève, en devient la verrue qui fait rire les Vaudois, des Vaudois qui ne manquaient déjà pas d’occasions de nous prendre, à juste titre, pour des rigolos, quand ce n’est pas pour des imbéciles – dernier exemple en date, un métro du futur contre un projet CEVA datant de 1912. Je ne sais pas pour vous, mais moi dont la famille est genevoise depuis deux siècles, je commence sérieusement à envisager une demande de naturalisation vaudoise, neuchâteloise ou, pourquoi pas, jurassienne, et même suisse allemande s’il le faut (non, pas valaisanne, faut tout de même pas exagérer!) pour m’épargner le poids du ridicule que me font porter malgré moi, par leur incurie, politiciens et autres pseudo notables dont l’ego est inversement proportionnel à l’intelligence (logique me direz-vous, l’un ayant précisément comme première conséquence d’étouffer l’autre).

    Pour en revenir au stade, chacun y va de ses solutions pour sortir des chiffres rouges et, surtout, du ridicule. Michael Drieberg, patron de Live Music Production, propose de changer l’affectation de l’enceinte: plus de football («Je trouve surréaliste que tout tourne autour du foot») et de faire jouer Servette, vu ses résultats, dans un petit stade, la Fontenette par exemple (Servette à Carouge, ce serait au moins drôle!); plus de pelouse («C’est sans doute cela qui coûte le plus cher; après chaque concert, la pelouse est changée. Sans pelouse, on pourrait facilement organiser plus de concerts, des discos géantes»); moins de tribunes («Il n’y a pas d’accès pour les semi-remorques. Nous devons louer une grue pour installer les infrastructures»). Donc, pour rentabiliser le stade de foot, plus de foot, plus d’équipe de foot, plus de pelouse pour jouer au foot, moins de tribunes pour regarder le foot. Mais au fait, j’y pense, au vu de ce constat – pardonnez ma naïveté –, n’eût-il pas été plus intelligent de ne pas construire de stade de foot?

    Bon, le mal étant fait, il va falloir trouver une solution à cette mélasse typiquement genevoise. Permettez-moi une modeste proposition. En ce qui concerne Servette, pourquoi ne pas construire un petit stade aux Charmilles? Au moins, c’est dans son quartier et il paraît qu’il existe un projet de parc public, de la grandeur d’un stade justement, dont la réalisation tarde. Peut-être est-il encore temps? Quant au stade de la Praille, personnellement, je pense que cette enceinte constituerait un lieu idéal pour organiser un grand botellón. Tout y est! Infrastructure et logistique. Coup double: la jeunesse, la joie, l’ambiance, le délire, l’ivresse, les débordements – comme dans un stade de foot donc – y trouveraient enfin leur place et la ville pourrait ainsi résoudre un problème qui menace de devenir lancinant. On pourrait même organiser un match contre Barcelone, une rencontre totalement illusoire s’il s’agissait de foot.

    Fini le Stade de la Praille, au nom banal et inconnu hors frontières. Place au nouveau Botellón Stadium! Une première mondiale. La Une assurée dans tous les pays! Quel rayonnement pour Genève!

  • Balthus à Gianadda

    Par Alain Bagnoud

    251-100ansbalthus014.jpgJe suis donc allé voir, comme beaucoup de gens, l'exposition que la fondation Gianadda a montée pour les 100 ans de la naissance de Balthus.
    Eh bien autant le dire tout de suite: si Balthus n'est en tout cas pas le peintre de génie que certains réfractaires à l'art moderne célèbrent, il n'est pas non plus le nullard absolu que d'autres voient en lui.
    Bien entendu, c'est un mauvais peintre. Sa technique est lacunaire, il est incapable de représenter le mouvement, ses personnages et ses poses sont artificiels, etc.
    Mais il parvient justement à utiliser ses faiblesses pour en faire quelque chose. Il connaît ses limites et il porte son travail ailleurs que sur l'art pur et son rapport à l'histoire contemporaine. Sur la représentation. Les mises en scène. Les ambiances.
    C'est, en fait, un peintre à idées. Un peintre littéraire.
    Il sait évoquer ces moments lourds de l'adolescence, ces après-midis de dimanche interminables où l'ennui vous pousse vers le fantasme et l'envie de l'érotisme. N'ayant pas beaucoup d'imagination, il repique des scènes ou des thèmes classiques et chargés. Les chats et leur symbolisme. La confrontation entre des jeunesses nues et des vieilles femmes qui les contemplent ou qui les parent. Les portraits de fillettes plus ou moins dévêtues, entre innocence et perversité, à ce moment de l'éclosion de la sexualité qui fait qu'elles ne maîtrisent pas encore les codes de la séduction et qu'elles en laissent voir trop. D'où ce parfum de scandale si utile pour sortir un peu du lot.
    Ce sont des trucs, mais Balthus les maîtrise bien.
    C'est ainsi (et grâce à un travail de toute sa vie pour sculpter sa propre statue, établir des relations et se faire passer pour ce qu'il n'était pas - voir là-dessus Le Paradoxe Balthus, par Raphaël Aubert, La Différence, 2005) qu'il est devenu le peintre préféré de ceux qui n'aiment pas la peinture.

    Balthus, Fondation Gianadda , Martigny, jusqu'au 23 novembre
    (Publié aussi dans Le blog d'Alain Bagnoud.)

  • La Cour au QuARTier des Bains

     

     

    par Pascal Rebetez

     

     

     

     

    Quelqu’un m’a dit qu’il fallait y être absolument ce soir, que c’était le nouveau rendez-vous des connaisseurs, de ceux qui savent, que ceux qui possèdent y étaient tout aussi bien que ceux qui désirent se vendre ou même, ceux qui récoltent les miettes, les badauds qui prennent ici un verre, là un petit canapé.

    On m’a parlé de QuARTier des Bains, cette opération conjointe de vernissage des galeries d’art contemporain de notre cité. Oups, flottent au vent de l’annonce publicitaire quelques oriflammes du plus mauvais goût ! Le logo ressemble, traits et couleurs, à celui, défunt, de Radio Jura Bernois qui, en 1980, n’était déjà pas une réussite. Mais la laideur et le mauvais goût sont « tendance ».  Et ça se vend. Vive le bling-bling, les sourires compassés, les coupes de champagne et ces nouveaux clients russes qui trouvent dans l’investissement artistique une occasion de blanchir leurs milliards si honnêtement gagnés. Alors, on (et j’entends par « on » autant les artistes, les faiseurs que les galeristes et autres marchands de rêve) on leur prépare, à ces clients fortunés, cette « gentry » inespérée ce à quoi ils s’attendent, pour la décoration autant que pour les coffres de banque : du prêt-à-porter artistiquement emballé, puisqu’on n’achète plus que de la signature, et que je cite, et que je transpose, et que je gougougnaffe d’importance, avec, toujours, ce sourire putassier de ceux qui croient encore, l’espace d’un instant, qu’ils sont les maîtres du monde parce qu’on leur fait croire qu’ils sont les maîtres de la mode.

    Je n’irai pas à cette parade du snobisme branché, je préfère relire, en m’esclaffant vraiment Les Précieuses Ridicules.

  • Du blog comme exutoire

    Par Pierre Béguin

     Mon billet de lundi dernier m’a coûté un détour à jeun un peu trop matinal à mon goût du côté de Radio Cité. Pascal Décaillet s’étonnait – faisait semblant de s’étonner – de la violence de certains propos, comme de celle d’autres blogs que je n’ai pas lus, à l’encontre de Charles Beer. Qui, j’en conviens, a aussi, mais pas uniquement, le tort d’être là au mauvais moment. Je m’explique.

    Dans un billet sur ce même blog, daté du 17 mars et intitulé Le Silence de la mer, j’avais exposé largement les raisons de cette colère. Personne, dans notre chère République, n’a vraiment pris la mesure de la grogne, de la rancœur, de l’amertume, du dépit, du découragement, voire, pour certains, d’un besoin urgent de quitter cette galère, qui règnent parfois dans une salle des maîtres face aux difficultés croissantes du métier et à l’absence de soutien et de reconnaissance de la part de la hiérarchie ou des politiciens, pour ne pas dire de l’opinion. Je parle essentiellement de cette tranche d’âge qui a connu la grande rupture des années 90. Qui se souvient qu’en ce temps-là, enseignant était une maladie plus honteuse encore que joueurs du Servette aujourd’hui? Jamais profession ne fut plus vilipendée. La droite libérale, portée par le vent de la pensée unique, tirait à boulets rouges sur ces sales gauchistes privilégiés et paresseux (deux mois de vacances et sécurité de l’emploi, le scandale absolu!) responsables de tous les maux de la République et, bien entendu, de l’énorme déficit de fonctionnement qui commençait à miner la santé de l’Etat (non, non, je vous assure, banquiers, entrepreneurs et milieux immobiliers n’y étaient pour rien! C’était la faute des profs répétaient inlassablement les journaux dont la santé financière dépendait, elle, uniquement des annonceurs… immobiliers). C’était l’époque où une collègue, incrédule devant ce déchaînement de mépris, envoyait au courrier du lecteur un article intitulé Je suis enseignante, dois-je me soigner? C’était l’époque où l’on pouvait lire, étalé en gros titre sur les manchettes des journaux, la ferme détermination de Martine Brunschwig-Graf, véritable dame de fer et héroïne de la patrie, de dompter les enseignants, plus féroces alors que feu les tigres du cirque Knie. C’était l’époque où l’on disait aux enfants que, s’ils ne travaillaient pas à l’école, ils seraient profs, et où l’on s’est étonné plus tard que ces mêmes enfants pussent manquer de respect à leurs maîtres, par ailleurs responsables d’un laxisme intolérable susceptible d’engendrer cet irrespect. C’était l’époque où des enseignants, qui tentaient, par la voie syndicale, d’expliquer leur position au public dans un grand quotidien genevois s’étaient vus refuser une pleine page payante sous la pression des annonceurs (d’où, plus tard, le choix du Courrier comme porte-voix). C’était l’époque où, lâchés par leur hiérarchie (un abandon qui fut perçu comme une trahison aux traces aujourd’hui encore indélébiles), méprisés par une partie de l’opinion publique, vaincus par les politiques, privés de toute forme de reconnaissance, de participation et de revendications ou égarés dans des commissions alibis par leurs dirigeants, les enseignants devinrent en quelque sorte les refoulés de l’inconscient cantonal tourmenté alors par les conséquences désastreuses de son délire spéculatif. Non, je vous l’assure, je ne verse ni dans l’emphase ni dans le lyrisme!

    Le temps et l’oubli ont passé par là. Mais beaucoup d’enseignants, je le sais, n’ont rien oublié. Le 450e anniversaire du Collège de Genève, prévu en 2009, devrait être l’occasion rêvée pour revisiter ce passé et en permettre la catharsis. Une occasion à ne pas rater. Quiconque veut comprendre  le climat actuel doit aussi faire acte de mémoire. Comme devra le faire quiconque occupera la charge de ministre de l’éducation s’il entend l’exercer dans un climat apaisé. Je l’ai déjà écrit dans l’article cité en introduction, une des grandes erreurs de Charles Beer, indépendamment de ses options, fut de n’avoir pas compris cette attente, bien qu’il mît deux ans à prendre le pouls du corps enseignant. N’avoir pas compris que, dans la réclusion de leurs écoles, certains se sont forgé une image sublimée de leur profession qui n’attendait qu’une ouverture pour se manifester et compenser la rancœur d’une longue exclusion. Un blog, d’une certaine manière, c’est une forme d’ouverture. L’exutoire tant attendu. D’où, peut-être, la violence de certains propos. Des propos qu’il faudrait avoir l’intelligence de décoder avant de les condamner. Bientôt, par les blogs, les journaux online, chacun participera à l’information. Une nouvelle donne qui condamne d’ores et déjà toute politique du silence  comme celle menée par le DIP ces dernières années (l’affaire du plagiat d’un Travail de Matu, qui fit grand bruit dans les journaux, en fut, pour qui en connaît les dessous, un exemple édifiant). Si tout se savait, désormais, pour le meilleur ou pour le pire, tout peut se dire. A chaud. Inutile de brandir un quelconque devoir de réserve quand il est si facile de le contourner. Aux politiciens et dirigeants de s’adapter.

    Du blog comme exutoire. Et celui qui, du responsable politique au citoyen, considérerait ce postulat avec hauteur et dédain, pensant qu’il s’agit là d’un défoulement à peine digne d’un préau d’école primaire, n’aurait strictement rien compris à ce que je viens d’écrire…

  • Mutisme ou logorrhée

    PAR ANTONIN MOERI3580805.jpg





    Les personnages de Carver ont de la peine à s’exprimer. Souvent, ils n’accèdent pas à la parole. Ils aimeraient tellement parler que l’émotion, la honte ou la violence les paralyse. Le narrateur de « Cathédrale » est si perturbé par l’arrivée d'un ami aveugle qu’il ne sait plus quoi dire. « Je voulais dire quelque chose à propos du vieux canapé. Je l’avais aimé ce vieux canapé. Mais je ne dis rien ». Un autre personnage se penche au-dessus d’un poêle, il veut dire quelque chose, mais ne sait pas quoi. « Il savait qu’il ne savait pas ».
    Ou alors, les personnages de Carver veulent à tout prix communiquer avec l’autre. Ils essaient par tous les moyens de capter son attention et se lancent dans des histoires sans fin pour évoquer un souvenir significatif, un malaise persistant ou une expérience, peut-être banale, mais à leurs yeux si pleine de sens. C’est le cas d’une serveuse dans la nouvelle intitulée « Obèse ». Elle boit un café chez sa copine Rita. Elle lui dit qu’elle a été fascinée, un soir, par un client énorme. Elle demande à Rita d’imaginer la monstruosité de ce type qui a commandé une salade César, un potage, plusieurs portions de pain et de beurre, des côtes d’agneau, une pomme de terre à la crème, un pudding avec de la sauce anglaise et une glace à la vanille avec une larme de sirop de chocolat.
    Rita essaie de comprendre où veut en venir sa copine qui dit :  « Je cherchais quelque chose. Mais quoi ? Ça j’en sais rien ». Toujours est-il que la serveuse avait été très attentive : ce gros monsieur la troublait. Ce n’est pas sa monstruosité physique qui la bouleversait, mais plutôt ce qu’elle pouvait partager avec lui. Elle aimerait devenir énorme comme lui. Les autres employés n’y comprenaient rien, ils raillaient le « phénomène de foire ». Quand elle rentrera avec son cuisinier de mari, celui-ci lui parlera en riant des gros qu’il a connus dans sa vie. Elle se demandera comment serait son ventre si elle était enceinte. Quand il lui fera l’amour, elle aura le sentiment d’être formidablement grosse. Rita trouve cette histoire marrante, mais elle ne comprend toujours pas ce que sa copine veut lui dire. « Elle est assise là et elle attend, en se tapotant les cheveux du bout des doigts ».
    Ou bien les personnages n’accèdent pas à la parole, ou bien ils cèdent à un besoin compulsif de raconter ou d’invectiver et, dans les deux cas, un sentiment de malaise gagne le lecteur. La position de repli, la distance qui permettrait de trouver les mots pour exprimer les émotions, ce détour est interdit à des personnages englués dans l’urgence et l’immédiat. Or c’est précisément la détresse, tant économique que spirituelle, qui intéresse l’écrivain de Clatskanie (État d’Oregon). La vie des intellos bobos n’a jamais eu « d’impact émotionnel durable » sur lui.RaymondCarver.jpg

  • Politique et prédation suite et fin

    Par Pierre Béguin

     

    requin[1].jpgJe le jure, j’avais décidé de parler d’autre chose. Mais la récente actualité – un débat, vendredi dernier au 7-8 de Radio Cité – m’incite à revenir une dernière fois sur ce sujet.

    La création par Charles Beer d’une centaine de postes de directeurs dans l’enseignement primaire (avec la centaine de secrétaires en bonus et les cinq super directeurs dont les postes n’ont pas même été mis en concours) est, du point de vue pédagogique, tout à fait incompréhensible, pour ne pas dire d’une incroyable sottise: avec trois neurones et une once de bon sens, n’importe qui comprendra que, vu le manque de moyens, il eût été plus rentable pour l’efficacité de l’enseignement de renforcer le personnel sur le terrain (alors que, en réalité et malgré les dénégations de l’intéressé, pour financer ces postes, on a une nouvelle fois ponctionné les forces vives). Décision aberrante au plan pédagogique, et délire technocratique fort coûteux: alors que les anciens inspecteurs avaient près de 80 classes sous leur responsabilité, les nouveaux directeurs n’en ont qu’une vingtaine dans leur placard doré. Quatre fois moins de travail pour une paie bien supérieure! Le paradis! Merci qui?

    Mais Charles Beer, ne l’oublions pas, n’est pas un pédagogue, loin s’en faut, c’est un politicien. Ses décisions ne sont donc pas pédagogiques mais politiques. Et sur ce plan, force est de reconnaître que celle dont nous parlons se justifie pleinement: une centaine de directeurs choyés, couvés, invités à des repas, bref à la solde du chef pour appliquer une politique que la population a refusée clairement et pour soutenir une réélection qui, finalement, seule compte. Gageons que l’élu quittera alors le Département de l’Instruction Publique qui ne l’intéresse guère pour un autre moins exposé. A cette fin, qu’il laisse derrière lui un marasme n’est qu’un dommage colatéral. De même, c’est dans cette seule logique politique qu’il faut comprendre l’incroyable silence de la droite libérale (elle pourtant si prompte d’habitude à s’en offusquer) face à ces dépenses aussi somptuaires qu’injustifiables.

    De plus en plus, nos démocraties font la part belle à la prédation politique (avec G. Bush, les républicains américains ont poussé très loin cette logique). Certes, nous n’en sommes pas là à Genève (encore qu’avec le scandale de la BCG, nous avons fait un grand pas dans cette direction…) Mais force est de constater que, dans le domaine politique, les plus intelligents tirent les ficelles et évitent désormais de s’exposer, seuls les seconds couteaux, à quelques rares exceptions, montent au créneau. Et leur première préoccupation est d’y rester, par tous les mensonges. La plupart du temps, leur action est inutile, parfois même elle est désastreuse pour les départements dont ils ont la charge, toujours elle coûte très cher au peuple (les actuels conseillers d’état à Genève sont, à une ou deux exceptions, des représentations quasi emblématiques de ce postulat). Et pourtant, le citoyen continue de placer ses attentes dans le politique comme on attend l’amour ou Godot. Parce qu’il faut bien croire – en l’occurrence en l’idéal démocratique (moi-même qui vous écris sur le ton de la dérision, il m’arrive de croire en François Longchamp pour sauver le DIP, c’est vous dire si je rêve!)

    Une chose est sûre: depuis vingt ans que ce département subit les attaques de ses prédateurs politiques, depuis vingt ans que les partis en font le siège et qu’ils s’acharnent à grands coups de bélier sur les portes de l’Institution pour en laisser entrer le clientélisme, on se demande parfois comment l’édifice tient encore debout. Peut-être faudra-t-il un jour se résoudre à en remercier les enseignants? Mais faites vite! La génération résistante part en retraite. L’hallali est proche. Le DIP tel que vous l’avez connu aura bientôt cessé d’exister et le retour sur terre sera rude pour la plupart des citoyens. Nantis mis à part…

     

     


  • Millénium, de Stieg Larson

    Par Alain Bagnoud

    Qu'est-ce que j'ai fait, donc, cet été? Eh bien, la même chose que des milliers de gens. J'ai lu Millénium.
    Cette trilogie policière due à Stieg Larson, dont vous avez forcément entendu parlerMillénium, même si vous ne l'avez pas ouverte. Vous connaissez aussi sans doute la triste histoire de l'auteur. Journaliste d'investigation dans un magazine anti-fasciste qu'il a créé, Expo, il écrit ces polars et annonce triomphalement à son amie qu'il a assuré avec ça leur retraite. Il a à peine le temps de rendre les manuscrits à son éditeur qu'il fait une crise cardiaque et qu'il meurt.
    Les livres sont des succès mondiaux, mais comme il n'a pas fait de testament en faveur de sa compagne, elle est censée ne rien toucher, tout devant aller à la famille de l'auteur ou, selon d'autres sources, à une fédération de travailleurs communistes. Bon, il y a des tractations en cours, je vous passe les détails, vous les trouverez sur internet et dans la presse.
    Millénium, donc. Dans les trois gros livres (plus de 600 pages chacun), on trouve les mêmes personnages principaux. Un journaliste vedette, Blomqvist, la quarantaine, super fort, super intègre, super beau, qui plait super aux femmes et fait super peur aux méchants, et qui est surnommé d'ailleurs super Blomqvist. Il travaille dans un magazine appelé Millénium. Magazine dirigé par sa maîtresse, Erika, mariée à un artiste tout à fait partageur.
    Blomqvist a pour co-vedette Lisbeth Salander. Elle aussi est super. En apparence, c'est une jeune femme tatouée, piercée, presque anorexique, qui semble avoir 15 ans même si elle en a plus de 20. Elle est quasiment autiste, semble retardée mentalement, est sous tutelle. Mais le lecteur ne tarde pas à apprendre qu'en fait, c'est une génie de l'informatique, une hacker de génie, qui à la fin du premier livre a détourné 2 milliards de dollars.
    En faisant équipe avec le journaliste qui est dans une mauvaise passe, elle réussit également à démasquer un violeur et tueur en série et à retrouver une femme disparue depuis plus de quarante ans.
    Pour le plus grand plaisir, il faut le dire, du lecteur captivé, qui peine à refermer le livre.

    Stieg Larson, Les hommes qui n'aimaient pas les femmes, Millénium 1, Actes sud

    (Publié aussi dans Le blog d'Alain Bagnoud
  • « Relativiser la possession »

    rebetez1.jpgPAR ANTONIN MOERI


    Pascal Rebetez (ou son narrateur) a été cambriolé. Voilà un événement qui offre d’innombrables perspectives. Mais le réel ici décrit me laisse songeur. En effet, quel cambrioleur (j’en ai connu un qui opérait dans le dix-huitième arrondissement de Paris) quel cambrioleur pourrait s’intéresser à des petites toiles de valeur sentimentale ? Sans trouver le commencement d’une réponse à cette question, je me suis demandé si la plupart des êtres humains avaient le don de « relativiser la possession », comme le dit si bien Pascal Rebetez, et si la propriété n’était pas une manière (pour le commun des mortels) de s’inscrire dans un temps, un espace et, par là-même, de donner sens à une vie.
    Dans une nouvelle de Raymond Carver, « Soixante arpents », Lee Waite possède un terrain au bord d’une rivière où, régulièrement, il surprend des braconniers. Or Waite a besoin d’argent. Il a une femme, deux fistons et une vieille mère à nourrir. Une idée lui vient. Il pourrait louer cette terre à un club de chasseurs de canards. Il pourrait ainsi gagner mille dollars par année. Il ne la vendrait pas cette terre. Il ne ferait que la louer, cette terre qu’il a directement héritée de son père. Il appréhende la réaction de sa mère endormie sur une chaise. Ses jambes se mettent à flageoler. Il se laisse lentement glisser le long de la paroi  « jusqu’à ce qu’il soit assis sur les talons ». Il dispose ses mains en coupe sur ses oreilles pour entendre le mugissement du vent.
    Lee Waite n’a pas le don de « relativiser la possession ». Contrairement à P.R. (ou à son narrateur), Lee est pris dans les mailles d’un filet de pêche qui l’a définitivement fixé dans une identité. Une identité qu’il n’est pas prêt à brader. Mais finalement, un terrain de soixante arpents, dans l’Orégon ou l’Etat de Washington, n’a rien à voir avec les petites toiles de valeur sentimentale.

  • Mamco

    Par Alain Bagnoud

    2_ombre.jpgLa chose la plus amusante, au musée, ce sont les guides. Les guides vivants, je veux dire, ceux qui se tiennent dans les salles à disposition du visiteur, comme il y en a au Mamco http://www.mamco.ch/ lors des journées portes ouvertes. Un louable effort pédagogique pour expliquer, convaincre.

    J'y étais mercredi soir, en famille.

    Donc on visite, on regarde les pièces, on apprécie ou moins, c'est selon (je vous conseille le cycle Philippe Ramette (voir l'illustration), Gardons nos illusions : beaucoup d'humour, d'absurde, des photos drôles et hardies, des sculptures parfois inquiétantes...)

    Finalement, on se retrouve devant une chose qui intrigue mon fils, quatorze ans et assez curieux de tout. C'est un socle de béton avec un pilier en acier boulonné sur lequel sont pendus trois sacs de cuir genre punching-ball en Y. Il me pose des questions, je ne sais que répondre.

    - Je vais demander au guide, dit-il.

    Je soupire, je tente de le retenir. Trop tard. Une sémillante personne est déjà là, avec un écriteau « guide volant ».

    « Alors, dit-elle, c'est un socle de béton avec un pilier boulonné sur lequel sont pendus trois sacs en cuir. Le Y des sacs peut faire penser aux chromosomes, le cuir à des punching-ball, il y a des sangles donc ça évoque un peu le sado-masochisme... » Et de continuer à décrire longuement ce que nous avions fort bien vu.

    Nous réussissons enfin à l'interrompre.

    - Ce sont donc deux oeuvres différentes? Le pilier et les sacs en Y.

    - Non, c'est une oeuvre qui veut confronter le pilier et les sacs en Y, le cuir et l'acier, le béton au-dessous... violence... contraste... etc.

    Inarrêtable. On y parvient quand même.

    - Mais il y a deux titres d'oeuvres, au mur.

    On lui montre les notices. « Pilier », et, séparé, au-dessous « Y ».

    - Ah, dit-elle, je ne savais pas.

    Elle regarde de nouveau et explique:

    - J'ai toujours vu les piliers et les sacs ensemble.

    Puis indémontable:

    - Donc, il s'agit en fait d'un assemblage. Il y a deux oeuvres : le pilier, le béton, et puis le cuir, violence, punching-ball, sangles, mais l'artiste les a rassemblées, pour que les sacs en Y questionnent la verticalité du pilier, lequel, sur son socle de béton... Etc.

    Allez au Mamco. Si vous ne vous intéressez pas aux oeuvres, parlez aux guides (ou plutôt écoutez-les). Leurs performances sont tout à fait étonnantes. Une interrogation constante des oeuvres et de leurs rapports au commentaire. Une oeuvre d'art en soi.

    (Publié aussi dans Le blog d'Alain Bagnoud

  • Mes stances à un cambrioleur

    par Pascal Rebetez

    Sans rime, sans pathos non plus, à l’instar de Brassens, j’ai perdu quelques magnifiques choses hier soir, disparues par l’opération délictueuse d’un malandrin. J’ai été cambriolé ! A part le téléphone portable de mon frère, on ne m’a pris que des petites toiles, une de belle valeur marchande, trois autres plus sentimentales et quelques remarquables coupelles antiques de provenance forcément douteuse.
    Rage ! L’artiste amateur a dédaigné, comme de vieilles semelles, les manuscrits qui sommeillaient dans mon bureau, il a balancé au sol quelques ouvrages originaux dont certains signés par quelques belles plumes littéraires, il s’est soucié comme de colin-tampon de mes carnets intimes, n’y voyant que vaticinations d’atrabilaire sans aucune valeur marchande. Dois-je dire que le bougre a visé juste ? Ce dépouillement que j’appelle de mes vœux, cet allègement métaphysique, mon voleur d’hier soir me l’impose et me convoque dès lors à relativiser la possession. Tout ce qu’on possède nous possède ? Merci, monte-en-l’air, de m’avoir ainsi un petit peu libéré. On n'est jamais si bien servi que par surprise.