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marc jurt

  • Les Carnets de Corah (Épisode 83)

    Épisode 83 :  Marc JURT en rêvant : La mémoire résurgente

    Jurt. Mémoire résurgenteSur la toile de fond, les quatre éléments se frottent les uns aux autres, circulant dans la masse épaisse du temps où se profile plus bas, le triptyque de la mémoire résurgente.

    Au centre, un coquillage inoccupé, vidé de sa substance. Abandonné comme les restes d’un festin exquis. L’enveloppe tangible témoigne des époques successives qui ont été nécessaires à sa croissance pour servir de frontière protectrice, de cocon nourricier au vieil hôte des lieux, aujourd’hui enfoui. Il n’y a plus âme qui vive ici ! Seul ce cercueil ouvert parle encore de son passage sur terre.

    Sur l’estampe de gauche, deux cellules s’aimantent sans se toucher comme deux nageuses synchronisées. Peut-être sont-elles cultivées in vitro dans le but de fabriquer un être nouveau ? Un songe ex nihilo, sans racine ni mémoire, qui ressemble à un être artificiel capable d’ondoyer en de souples identités. Le matin, bambou, le soir, huitre perlière.

    À droite, une graminée en chute libre au-dessus d’un massif d’herbes sauvages. L’esprit insoumis se distingue du groupe. Souple comme le roseau, stoïque comme le bambou, il trace sa voie avec fluidité au hasard des rencontres.

    Faut-il se souvenir de son corps, de son esprit créateur et du hasard pour fonder l'avenir ?

    Marc JURT. La mémoire résurgente, 1990. Aquatinte au sucre, pointe-sèche et vernis mou en noir, bleu-vert, bleu-gris et brun sur quatre plaques ; 11,9 x 13,8 cm, 11,9 x 13,8 cm, 11,9 x 13,8 cm et 59, 4 x 46, 1 cm. Catalogue raisonné, n203.

  • Les Carnets de Corah (Épisode 82)

    Épisode 82 :  Marc JURT en rêvant : Poleng II

    JURT-POLENGII.jpegNous sommes ici en territoire sacré : une offrande où se consume un bâtonnet d’encens, un tissu en damier noir, blanc et gris indiquant la présence d’un élan vital et la trace profonde et opaque d’une ouverture fugitive. L’esprit des lieux s’est-il manifesté sous le trait spontané du bambou créateur ?

    Cric crac, esprit es-tu là ? J’entends le souffle de ton transport, l’air peu à peu se densifier. Le vertige s’empare de ma pensée éolienne. Les idées fuient dans le couloir du temps. La vapeur d’encens me connecte à l’imprévisible. Je tiens le bambou trempé dans la noire acrylique. Le geste suspendu à ta force trace confiant une giclée opaque. Il n’a eu droit qu’à un seul essai pour s’accomplir.

    Cric crac, la longue allée noire garde le souvenir de ton passage, poussière de comète, sous le trait si librement exprimé. Quelle force a piloté le geste et inscrit son éclat furtif comme une figure absente ? C’est une source non pas soigneusement attendue, mais miraculeusement accueillie. Comme un don ou une offrande.

    Cric crac, la joie me ravit encore que l’esprit n’est déjà plus !  

    Marc JURT. Poleng II, 1996. Acrylique, pigment, pointe sèche, tissu, papiers Japon et Népal sur bois, 112 x 61 cm.

  • Les Carnets de Corah (Épisode 81)

    Épisode 81 :  Marc JURT en rêvant : L’œil du vent

    JURT-ŒIL.jpeg

    Ceci n’est pas un crâne d’hippopotame.

    Cet animal a le crâne venteux. Il ne grogne plus d’ennui dans l’eau d’une rivière africaine, sa mâchoire est comme verrouillée. L’œil du vent frénétique roule dans l’orbite vide et se cogne à l’arcade sourcilière anormalement plane pour un hippopotame. L’érosion a-t-elle modifié sa morphologie ? Sa mandibule est largement trouée laissant entrevoir par l’œil-de-bœuf, un ciel circulant, agité. Les os sont devenus si poreux, qu’ils ne sont déjà plus une frontière entre la matière et l’esprit.

    Où sont désormais partis ses rêves de pachyderme, ses souvenirs d’amphibien qui n’a connu comme prédateur que l’arme du chasseur ? Sa mémoire de la savane a-t-elle disparu dans l’épaisseur du temps ? Le vide a-t-il ainsi trouvé sa forme caverneuse et osseuse ? Une forme qui ne durera pas tant le squelette s’érode et devient par la force du vent une poussière d’os, pulvérisée au loin. Ne restent que le souffle et cette trace de pointe-sèche sur une plaque de cuivre.

    Quand j’aurai du vent dans mon crâne, que restera-t-il de moi ?

    Marc JURT. L’Œ¡l du vent, 1988. Pointe-sèche et aquatinte au sucre en noir et brun ; 27,7 x 43,1 cm. Catalogue raisonné, no184.

    Note de Marc JURT à propos de L’Œil du vent : « Gravures réalisées à partir de détails observés sur un crâne d’hippopotame. ». Catalogue raisonné, p. 51.

     

  • Les Carnets de Corah (Épisode 80)

    Épisode 80 :  Marc JURT en rêvant : Furia V

    JURT-FURIA V.jpg

    Quel est ce profil à l’orbite immense ? Il vient nul doute d’un passé lointain. Il est d’os et d’ombre. Un irréductible crâne animal, sans regard évidemment, ni chair, s’échauffant presque comme auréolé d’un jaune pâle et tendre. Ses naseaux soufflent une passion incertaine, d’un noir profond qui azure mes craintes. Un signe bien étrange s’exile au milieu du désert  et cavale sous mes yeux !

    Ici, le crâne est le tombeau de l’âme. Ici, l’esprit s’évade furieusement de la carcasse. Le monde gravé de la mémoire, figure absente, fait naître librement l’esprit intuitif.

    J’ai parfois l’impression de sentir la présence d’un disparu. Lequel, je ne sais ! Je le ressens comme un signe de l’autre monde, parallèle. J’en viens à le guetter les jours d’anniversaire. On dirait qu’il s’incarne dans une rencontre fortuite, presque toujours sur l’artère d’une grande ville, Genève ou Toronto. Il est là, le nomade, pressé mais attentif. Il se manifeste de manière incongrue pour se faire remarquer. La dernière fois, il se promenait avec une chaise de cabaret sur les épaules. « Dis, tu veux danser ? ». Une autre fois, il m’a tendu un billet de 50 dollars : « Tiens, tu en auras plus besoin que moi !». Une fois encore, il m’interroge à la sortie du métro : « Dis, tu veux m’épouser ?». Les esprits ne sont-ils pas nos courtisans ?

    Marc JURT. Furia V, 1998. Acrylique, pigment, pointe sèche, papiers Japon et Népal sur toile, 55 x 38 cm.

  • Les Carnets de Corah (Épisode 76)

    Épisode 76 :  Marc JURT en rêvant : Derrière l’écran

    marc jurt,derrière l'écran,six figures dressées,gravure,imprimer

    Deux figures sont ici dressées côte à côte sur la droite du panneau en bois d’écorce de bananier. Elles prennent l’apparence d’une canne de bambou aux nœuds tordus (peut-être un pinceau de calligraphie) et d’une patte articulée et velue (bien que l’extrémité pignochée ait les traits d’un bourgeon d’asperge)*. Mais ne faut-il pas se méfier du monde sensible  ?

    Ce que l’œil saisit et reconnaît ici d’emblée est en fait le décor, soit une série d’estampes travaillées à la pointe sèche sur des plaques de métal, imprimées à l’envers du dessin original, puis collées sur le support. Les figures tiennent leur rang dans un halo de lumière jaune pâle (dont la source est cachée) faisant ressortir avec précision leur relief, leur texture, leur beauté fugitive et trompeuse. La gravure est un art complexe exigeant à la fois une grande maîtrise technique et une torsion de l’esprit, lui faisant anticiper à l’envers ce qu'il veut obtenir à l‘endroit. Le travail réalisé au miroir est un premier leurre, c'est l'écran de l'inversion.

    marc jurt,derrière l'écran,six figures dressées,gravure,imprimerEnsuite, l’image peut être reproduite à volonté comme dans Six figures dressées où l’artiste a repris la matrice, inversé l’ordre d’alignement des figures et en a modifié les couleurs. Ainsi, il crée l’illusion en jouant sur les apparences et en multipliant les possibilités du décor. C'est le deuxième leurre, l'écran de la reproduction.

    À gauche, sous une couche transparente de papier Japon aux fibres de mûrier entremêlées, navigue une ample coulée d’acrylique noire. La pointe du trait explose au hasard de mille éclaboussures. L’écorce lui servant de support à la texture naturelle du bois et la couleur d’une terre de Sienne. Une impression cotonneuse, flexible, légère émane de l’ensemble. C’est l’envers du décor, un élan vital comme une source érectile et libre sous les voiles du réel.

    De la surface (fixée) aux profondeurs (vives), une liaison sauvage brouille les écrans entre technique (raison) et geste (corps). C'est le troisième leurre, l'écran d'une solution de continuité.

    SOURCES :

    Marc JURT. Derrière l’écran, 1997. Acrylique, pigment, pointe sèche, papiers Japon et Népal sur bois, 50 x 70 cm.

    Marc JURT. Six figures dressées, 1997. Acrylique, pointe sèche, ikat, papier Japon sur bois, 50 x 70 cm.

    Note de Marc JURT. « L’observation de la réalité, d’un élément précis est quelque chose de très important. D’ailleurs, je pars toujours d’un élément concret, visible, d’un objet ou d’un paysage pour construire un travail. Ensuite, j’essaie d’en trouver le rythme et la structure interne, la musicalité qui se cache derrière le voile des apparences. Prenons la végétation : ce n’est pas sa beauté visible, apparente, qui m’intéresse, mais sa structure… l’envers du décor, l’énergie qu’elle contient. » Marc Jurt : Entre raison et intuition, 2000, p. 18-19.

  • Les Carnets de Corah (Épisode 75)

    Épisode 75 :  Marc JURT en rêvant : Totem II : la rose des vents

    MARC JURT TOTEM II.jpgMarc JURT crée le mirage par un glissement de mots, il ouvre notre imaginaire en confondant sciemment la rose des vents avec une rose des sables. Il remanie la géométrie étoilée du compas et compose avec différents papiers, un totem en forme de croix. Il abandonne la symétrie des flèches cardinales qui guident les voyageurs, même en pleine nuit, en incarnant le sens et la direction à donner par des pétales minéralisés, desséchés, qui épanouissent leur foisonnement autour d’un axe. L’œil devient captif, entraîné dans une danse secrète*, une spirale hypnotique. Embarqué dans cette transe vertigineuse, le créateur est lui-même envoûté, déboussolé, il navigue à vue. C’est à lui de tracer son parcours dans l'erg. L’artiste est un bédouin qui a pour seule orientation son désir.

    Cette rose minérale, née du désert, a pour origine la cristallisation du sable et du sel quand l’eau s’évapore. Elle fleurit jusqu’à l’éclosion sous l’effet des vents mêlés aux grains de sable. Tant qu’elle n’est pas saisie, elle ne cesse de croître. Elle peut atteindre les 100 kilos ! Elle n’a du végétal que l’apparence, bien que sa formation soit naturelle. Elle est immortelle, quoique friable et vulnérable. Elle est le fruit d’une alliance clandestine entre les éléments, l’effet d’un hasard dans l’obstination des vents. Peut-être sans dessein. À l’image du geste artistique, stimulé par une alliance secrète, entre les signes intuitifs, quelquefois même accidentels, creusant la plaque de traits répétés et ressassés avec obsession comme tendus vers une issue, qui serait en soi une fin.

    *Voir l’épisode 71 « Danse secrète » des Carnets de Corah.

    SOURCES :

    Marc JURT. Totem II, La rose des vents, 1999. Monotype, acrylique, pointe sèche, pigment, papiers Bali et Népal appliqués sur papier Moulin de Larroque, 92 x 76 cm. Épreuve unique.

    Note de Marc JURT sur la série Totem : « Suite débutée en 1999, comportant V numéros à ce jour. Technique : acrylique, différentes techniques de gravure, papiers appliqués sur papier en forme de croix fabriqué par les Moulins de Larroque spécialement pour Marc Jurt. Format : 92 x 76 cm. » Marc Jurt : Entre raison et intuition, 2000, p. 23.

  • Les Carnets de CoraH (Épisode 72)

    Épisode 72 :  Marc JURT en rêvant : Questions et Réponses

    JURT-QUESTIONS REPONSES.jpgDe quoi est fait le réel ?

    Il y a longtemps, dans le bassin méditerranéen, les présocratiques ou philosophes de la nature ont examiné la question sous plusieurs angles et ouvert des perspectives modernes. S’agit-il d’atomes, ces éléments invisibles à l’œil nu qui composent la matière ? Ou les 4 éléments, l’eau, la terre, le feu et l’air, qui en seraient le moteur. À moins qu’il ne s’agisse d’un principe premier, permanent et immuable, à l’opposé de l’éphémère et du mouvement. Aujourd’hui la science a donné sa réponse grâce à ce questionnement qui remonte au temps des Anciens, à cette curiosité et à ce besoin naturel d’aller de l’avant.

    De quoi sont faites les Questions et Réponses de Marc JURT ?

    L’ensemble de cette œuvre impressionne par sa verticalité, ses couleurs brûlantes empreintes d’or comme une coulée de lave cuprique au centre du questionnement. Sommes-nous au cœur de l’énigme et d’une expérience métaphysique  ? Y a-t-il âme qui vive dans cette ligne de fuite ou n’est-ce que rupture dans une solution de continuité ? Une illusion qui me laisse face à moi-même.
    MARC JURT Les 4 éléments.pngLe panneau central, composé d’écorce de bananier, éclate de mille feux donnant l’impression d’une présence jaspée et fugitive comme un leurre alors que les côtés sombres, faits de papier Japon et d’ikat, absorbent presque entièrement la lumière. La toile de fond superpose ainsi les supports fabriqués et naturels donnant du relief et de la profondeur au tout. Au premier plan, les piliers du sanctuaire que sont les pinceaux calligraphiques aux manches de bambou et les épis d’asperges finement pignochés de nuances de beige sur de longues tiges terreuses, se dressent et s’alignent en alternance.

    La remise en question de l’artiste est universelle, sa réponse est une œuvre qui se renouvelle au plus près d’une intuition première, qui est peut-être une fin en soi. Il accouple ainsi l’art à JURT-ASPERGES 1.jpgl’expérience du réel, le pinceau à l’asperge, ce légume royal et printanier, connu pour ses vertus aphrodisiaques, dont la précieuse tige est de « l’ivoire à manger » et son extrémité une « pointe d’amour ». Ce couple singulier est à l’image de l’action productrice (la poïésis) comme d’un échange stimulant et nécessaire à la vie. Mais elle est aussi l’envers de la vie car quand l’artiste crée il ne vit pas.

    Marc JURT. Questions et réponses, 2002. Acrylique, pigment, pointe sèche, papier Japon, ikat, écorce de bananier sur bois, 122 x 61 cm.


    JURT-ASPERGES-HAIKU 2.jpegMarc JURT. 
    Les Quatre Éléments, 1990. Aquatinte au sucre, vernis mou en bleu, rouge, jaune et noir, et gaufrage sur deux plaques, 39,4 x 29,8 cm et 39,4 x 29,8 cm. Catalogue raisonné n200.

    Note de Marc JURT à propos des Quatre Éléments : « Gravures s’appuyant sur le geste, la trace du pinceau et leur mise en rapport avec les éléments travaillés au trait. Juxtaposition et superposition de plaques, couleurs alliées aux divers papiers appliqués. Dialogues, rencontres. » Catalogue raisonné, p. 51.

    Marc JURT. Détail de « Alliance 17 », Les Témoins inaltérables, 1987-1988. Pointe sèche sur papier Arches et papier offset intégrés à du papier coton et lin, rehaussés de gouache blanche, 52 x 98 cm. (Épreuve unique.)

    Marc JURT. Tu te dresses / Tranquille devant ton ombre / Asperge, 1984. Pointe-sèche en noir, 100 x 60 cm. Catalogue raisonné no 141.

    Note de Marc JURT sur cette gravure : « Le titre a précédé la gravure. J'ai tout d'abord composé de petits poèmes en trois vers à la manière de haïkus, puis j'ai réalisé les gravures à la pointe sèche. » Catalogue raisonné, p. 51.

  • Les Carnets de CoraH (Épisode 70)

    Épisode 70 :  Marc JURT en rêvant : Le Couple moderne 

    JURT-LE COUPLE MODERNE.jpg

    Le couple moderne est parfois la rencontre improbable dans un lieu incertain d’un résineux aux branches froufroutantes oscillant entre souplesse et fermeté et d’une tige bien droite, sans chichi, coiffée de larges feuilles qui entrent naturellement dans la danse. L’image au centre témoigne de ce tête-à-tête insolite sur l’île minuscule qui leur sert de terreau fertile où s’entremêlent secrètement leurs racines. Le principal étant souterrain, archipélique, caché du regard.

    Le cliché est suspendu à un fil qui excède le cadre inscrivant cette relation insolite au centre de l’œuvre, en relief, faisant de l’ombre à la ligne de sapins interchangeables, la sylve. C’est peut-être l’image d’un rêve possible dans la masse des songes, l’évocation d’une passion accidentelle ou la possibilité d’une île.

    JURT-ATTIRANCE.jpgEn effet, ces deux êtres, un arbre et un faux, ne sont pas faits de la même essence ni du même bois comme s’il y avait une imposture ou un malentendu dans cette liaison sauvage, un grain de sable fou dans la mécanique amoureuse que le vent fertile anéantit.

    Dans le ménage, j’imagine que le nordique fait l’offrande de sa résine qui produit la poix et l’ambre, parfois une saveur sucrée dans les bonbons, alors que le tropical transforme la sève qui coule de ses fleurs en sirop, produit des fruits charnus et juteux et de l’huile à se gorger. Le duo exulte ainsi sur la ligne de démarcation entre le nord et le sud, aux limites de l’habitat naturel. La jonction est inédite. Ainsi l’élu se distingue-t-il de la forêt ou de la palmeraie, ni complètement ordinaire, ni totalement familier.

    JURT-AIMANTS - copie.jpgIl n’en va pas de même du couple de bambous, célébrés au sein d’une bambouseraie lors d’une bamboula. Ici, les bambous sont cultivés, égaux, respectueux. Ils sont initiés et deviennent des pinceaux qui se cherchent, se guettent, s’attirent. Ils sont faits de la même canne, du même turion. Ils n’ont pas de racine unique, ils ne sont pas identitaires car ils sont rhizomiques. Ils vivent en autarcie, sans dépendre des autres et poursuivent probablement le même rêve : peindre, écrire, créer. Parfois captifs d’un lien serré. Parfois seuls au monde.

     Marc JURT. Le Couple moderne, 1983. Eau-forte et aquatinte en noir; 18,8 x 14,8 cm. Catalogue raisonné, n130.

    Marc JURT. Attirance, 1990. Pointe-sèche et aquatinte en noir rehaussées de gouache blanche ; 12,8 x 9 cm. Catalogue raisonné, n195.

    Marc JURT. Aimants, 1989. Pointe-sèche et aquatinte en noir rehaussées de gouache blanche ; 21,7 x 10 cm. Catalogue raisonné, n193.

    Note de Marc JURT à propos de Couple moderne : « Rencontre nord-sud, sapin-palmier ». Catalogue raisonné, p. 51.

    Note de Marc JURT à propos de Aimants et Attirance : « Roseau pensant — bambou aimant ». Catalogue raisonné, p. 51.

  • Les Carnets de CoraH (Épisode 67)

    Épisode 67 :  Marc Jurt en rêvant : E=cm2

    Marc Jurt, E=mc2E=mc2 : quelle synthèse expéditive pour nommer une œuvre élaborée en trois phases, soit l’expression de trois lettres dont l’une au carré, juxtaposées dans une équivalence ! J’aime le raccourci scientifique, cette manière efficace de symboliser en une ligne, l’infinitésimale complexité des choses. La seule équation suffit pour formuler le cheminement génial d’une réflexion qui mène à l’essentiel.

    Énergie, masse et lumière : trois éléments qui se combinent physiquementpour démontrer que les objets, contrairement à une apparence de fixité, captent en leurs atomes de l’énergie, créant ainsi une force d’inertie à laquelle je me cogne sans cesse. La vitesse de la lumière est le principe extérieurqui permet de rendre compte de cette force. Ainsi un corps au repos est une masse résistante, comme une table de travail, une feuille de papier ou une pointe sèche. Il s’agit donc de travailler ces éléments potentiellement explosifs, de mettre en rapport l’atome infiniment petit et l’espace, le noyau et l’apparence, la graine et l’enveloppe pour que l’œuvre jaillisse. Ainsi, celui qui grave, peint et compose, change l’inertie du monde, en laissant une trace personnelle de son passage.

    Est-ce la formule pleine d’espérance que nous livre l’artiste  ?

    MASSE : Au centre de la gravure, le regard est porté sur ce que l’œil reconnaît d’emblée. Des objets, vraisemblablement, des pierres découvertes au côté d’une tige sèche de bambou. La plante semble arrachée à la vie, vidée de sa substance et abandonnée sur le sable. Seule l’enveloppe laisse encore une trace de son passage. Même les pierres s’usent, s’érodent en grains de sable, disparaîtront un jour sous leur forme visible à l’œil nu. Les êtres vivants finissent par mourir, les minéraux par se transformer au contact des éléments.

    LUMIÈRE : Dans la partie inférieure du tableau, une bande étroite et horizontale comme un cercueil ou une planche d’herboriste, transpose les figures végétales et minérales en formes abstraites qui témoignent de leur origine terrestre.

    ÉNERGIE : Dans la partie supérieure, la spirale emporte l’incruste dans son tourbillon. Elle est l’énergie qui passe de la masse éteinte et morte à la lumière. Est-ce là que retourne le fugitif bambou ? Dans le mouvement circulaire des particules,  la danse de la vie ?

    Marc JURT. E=MC2, 1993. Aquatinte au sucre, aquatinte et vernis mou en blanc et noir sur trois plaques : 49,6 x 37,8, 12,3 x 31,3 et 4 x 46,8 cm. Catalogue raisonné, no219.

  • Les Carnets de CoraH (Épisode 64)

    Épisode 64 :  Marc JURT et Manhattan en rêvant : Tours jumelles, Pan Am et statue de la liberté 

    Marc JURT, Tours jumellesDans la série sur New York des années 80, Marc Jurt ne cesse d’explorer la juxtaposition des thèmes de la ville et de la nature tout en variant son point de vue. Il s’empare des buildings les plus fameux (l’Empire State Building, les Tours jumelles, le Pan Am et la statue de la Liberté), en nous donnant sa vision hippie de la métropole. Immédiatement reconnaissables à leurs formes, ces monuments sont la marque d’un ingénieux savoir-faire au service d’un impérieux désir de verticalité que l'artiste gaine ici d'un camouflage végétal. D’imposantes masses s’élèvent dans le paysage de Manhattan, toujours plus hautes défiant les cieux comme deux tours de Babel. À leurs sommets dans le prolongement des immeubles, deux arbres gigantesques émergent ex nihilo. Ils se touchent, s’enlacent, s’embrasent dans la lumière éclatante. Un funambule ou peut-être un rimbaud des villes se prenant pour King Kong ou Tarzan prendrait de l’altitude et verrait de là-haut enfin à  quoi ressemble le soleil. 

    marc jurt,série new york,dider barbelivien,jean-christophe bailly,tours jumelles,statue de la libertéRien n’est plus puissant ici que la nature. Son pouvoir transfigure, altère, dénature. La métamorphose crache la fumée sans explosifs ni déflagration. Elle sème le flou. Les velléités industrieuses de grandeur et les fortunes investies paraissent soudain dérisoires et largement dépassées par l’énergie de ces arbres qui puisent leur force colossale d’une source spontanée comme tombée du ciel. Les arbres appartiennent au régime de l’autotrophie, comme les plantes, ils n’ont pas à se déplacer pour se nourrir. Ils restent sur place « comme des points de suture entre terre et ciel ». Ils s’acclimatent sauvagement, se déploient sans mesure dans le ciel, deviennent centenaires, millénaires. Alors que nous ne sommes que d’invisibles liliputiens, hétérotrophes et vulnérables, limités dans le temps et l’espace.
    marc jurt,série new york,dider barbelivien,jean-christophe bailly,tours jumelles,statue de la libertéLa statue de la liberté : c'est le premier coup d’œil de la ville, son geste d’accueil aux migrants qui vont bientôt accoster. Liberté, j’écrirai ton nom dans l’écorce de ta couronne, j’explorerai ta ramure de lianes en lianes. Dans le port de New York, tu es le signe fort d’un renouveau après l’interminable traversée. C’est là que débarquent les rescapés, les reviens-y et les globe-trotteurs. Les bâtisseurs, les cols blancs et les faux-monnayeurs. Ceux qui fuient les crises, les attentats et le service militaire. Les artistes, les croyants et les utopistes. Ceux qui veulent graver leur vision d’une bouffée d’oxygène.

     

    • Marc JURT. About New York IV, 1980. Eau-forte en noir  : 29,5 x 15,9 cm. Catalogue raisonné no 73. 
      • Marc JURT. About New York I, 1979. Eau-forte en noir  : 29,7 x 19,9 cm. Catalogue raisonné no 67.
    • Marc JURT. About New York III, 1980. Eau-forte en noir  : 26,7 x 15,9 cm. Catalogue raisonné no 71.
    • Note de Marc JURT sur cette série d'estampes : « Série sur New York. Voyage à New York et documentation photographique. Les proportions des édifices gravés sont respectées. Juxtaposition d'un monde végétal anarchique à une architecture rigoureuse ». Catalogue raisonné, p. 50.