« Relativiser la possession » (09/09/2008)

rebetez1.jpgPAR ANTONIN MOERI


Pascal Rebetez (ou son narrateur) a été cambriolé. Voilà un événement qui offre d’innombrables perspectives. Mais le réel ici décrit me laisse songeur. En effet, quel cambrioleur (j’en ai connu un qui opérait dans le dix-huitième arrondissement de Paris) quel cambrioleur pourrait s’intéresser à des petites toiles de valeur sentimentale ? Sans trouver le commencement d’une réponse à cette question, je me suis demandé si la plupart des êtres humains avaient le don de « relativiser la possession », comme le dit si bien Pascal Rebetez, et si la propriété n’était pas une manière (pour le commun des mortels) de s’inscrire dans un temps, un espace et, par là-même, de donner sens à une vie.
Dans une nouvelle de Raymond Carver, « Soixante arpents », Lee Waite possède un terrain au bord d’une rivière où, régulièrement, il surprend des braconniers. Or Waite a besoin d’argent. Il a une femme, deux fistons et une vieille mère à nourrir. Une idée lui vient. Il pourrait louer cette terre à un club de chasseurs de canards. Il pourrait ainsi gagner mille dollars par année. Il ne la vendrait pas cette terre. Il ne ferait que la louer, cette terre qu’il a directement héritée de son père. Il appréhende la réaction de sa mère endormie sur une chaise. Ses jambes se mettent à flageoler. Il se laisse lentement glisser le long de la paroi  « jusqu’à ce qu’il soit assis sur les talons ». Il dispose ses mains en coupe sur ses oreilles pour entendre le mugissement du vent.
Lee Waite n’a pas le don de « relativiser la possession ». Contrairement à P.R. (ou à son narrateur), Lee est pris dans les mailles d’un filet de pêche qui l’a définitivement fixé dans une identité. Une identité qu’il n’est pas prêt à brader. Mais finalement, un terrain de soixante arpents, dans l’Orégon ou l’Etat de Washington, n’a rien à voir avec les petites toiles de valeur sentimentale.

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