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Blogres - Page 131

  • Les sirènes des Grisons

     desarzens.jpgUn régal, cette réédition des Sirènes d’Engadine par Corinne Desarzens ! C’est à New York qu’elle entendit le mot Grisons pour la première fois, de la bouche d’un sculpteur qui provenait de là-bas. Dès la première page, le lecteur, à qui semble s’adresser l’auteure par un « tu » de confidence, est embarqué dans la découverte. Franchis les tunnels, les cols et les villages : l’Engadine ! « Quelque chose de festif se répand. La neige sent la pastèque. Les maisons te sautent contre et chaque plante, chaque marche, chaque éclat de granit, chaque couleur est très là. » Avec le talent d’aventurière qu’on lui connaît, Corinne Desarzens plonge corps et âme – elle apprend même le romanche – au cœur de l’étrange vallée où toilettes se dit secret. Avec des accents de malicieuse curiosité qui ne vont pas sans rappeler Bruce Chatwin, l’écrivaine nous présente avec une rare poésie à ces sirènes qui ne se montrent qu’à ceux qui sont prêts à partir avec elles.
    Serge Bimpage
    Sirènes d’Engadine, par Corinne Desarzens. CamPoche, éditions Campiche, 79 pages.

     

  • Les silences du passé

    PAR ANTONIN MOERI







    858856351.jpgDresser le portrait de son père est un exercice redoutable auquel je ne me suis jamais essayé. Il m’arrive d’y songer, mais les mots me manquent. C’est une défaillance que je devrai… Oui… Un jour peut-être. Par quoi commencer ? En attendant de résoudre ce problème mathématique, je lis « La Reconstitution » de Serge Bimpage, paru à L’Aire bleue en 2007. Dès les premières pages lues sur un banc public, je suis captivé. Nulle emphase dans l’évocation de cet homme  « travailleur », silencieux, qui avait cinquante ans lorsque le petit Serge (« le chef-d’œuvre ») vint au monde. Un enterrement discret, une brusque décomposition familiale, quelques objets pour apprendre à se souvenir : une photo, une collection de timbres, « Le Père Goriot », un couteau militaire, des bulletins scolaires, « L’Or » de Blaise Cendrars, un compte-rendu de Tribunal de Police, des documents notariés, des coupures de presse signalant l’existence d’un grand-père qui pratiquait des avortements clandestins dans son arrière-boutique.
    Comment peut-on se révolter contre un père irréprochable, qui travaille beaucoup, un père bienveillant, charmant, drôle, généreux, enthousiaste mais responsable, farouchement optimiste ? Pour comprendre sa non-révolte, Serge Bimpage convoque quelques souvenirs. La seule activité sociale que le tapissier-décorateur s’autorisait se résumait à une virée au bistrot où il amusait la galerie. Il n’avait pas d’amis, n’invitait personne à manger, détestait affronter l’opinion d’autrui, fuyait la moindre perspective de conflit, craignait qu’on décelât « quelque faille dans la famille qu’il avait tant peiné à construire ». Ce qu’il aimait chez les juifs, c’était leur volonté de préserver une culture, « une mémoire qui leur permettait de garder vivant l’espoir d’une terre promise ». Or cet homme ne parlait pas ou très peu. Ce qu’il est convenu d’appeler culture le gênait. Il ne se sentait à l’aise que dans l’action, l’effort, le TRAVAIL. « Il fallait toujours faire quelque chose, déplacer et se déplacer, entreprendre ».
    C’est ce silence que veut déchiffrer le narrateur, c’est cette loi du père qu’il entend débusquer en ramenant à la surface quelques gestes, mimiques, effluves, postures, démarches : le rasage matinal, la randonnée en montagne, l’attifement pour le bal masqué, l’exhibition du biceps, la cigarette abandonnée sur l’établi, « l’abjecte et pourtant délicieuse odeur des cabinets après son passage », les grands signes à la fenêtre quand le petit Serge part à l’école. Mais pourquoi fallait-il à tout prix « ne pas lui faire de peine » à ce facétieux patriarche ? C’est dans son rapport à l’argent que l’auteur va trouver un élément de réponse, car si l’artisan travaillait comme un forçat, c’était avant tout pour payer une dette, expier une faute.
    Un compte-rendu de Tribunal de Police révélera un grave accident de circulation dans lequel le pater familias fut impliqué et où furent tués les deux occupants de l’autre voiture. Ce drame et ses conséquences, le tapissier-décorateur le portera toute sa vie sans pouvoir l’évoquer à son fiston chéri. Ce fiston chéri à qui cette ultime découverte permettra de reconstituer le trajet d’un père inquiet, travaillé par une idée qui n’avait rien à voir avec l’image qu’il voulait donner de lui-même.

  • Politique et prédation

    Par Pierre Béguin

    «Ceux qui savent faire font, ceux qui ne savent pas faire enseignent, ceux qui ne savent pas enseigner enseignent aux enseignants et ceux qui ne savent pas enseigner aux enseignants font de la politique.» (Muriel Barbey, L’Elégance du hérisson, Gallimard, 2006, p. 55)

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    L’air du temps et les journalistes (c’est parfois pareil)  s’accordent pour décrire Martine Brunschwick-Graf comme une femme intelligente doublée d’une excellente politicienne. Ce qui lui a épargné, à ma connaissance, un bilan véritablement critique de son action au gouvernement genevois. Pourtant, si nous devions juger du passage de Martine sur le territoire du DIP, il faudrait bien reconnaître qu’il fut, à maints égards, aussi catastrophique que celui d’une tornade du même prénom. Avec ces paradoxes qui ne cessent de nous interroger: Comment une femme réputée intelligente peut-elle présenter un bilan aussi désastreux? Comment une libérale a-t-elle pu opter, main dans la main avec des reliques de commissaires du peuple, pour des options pédagogiques aussi résolument à gauche? A tel point que Charles Beer, bien que du bord politique opposé, a d’emblée souscrit à toutes les réformes pédagogiques de son prédécesseur.

    Ainsi conversions-nous l’autre soir entre amis, justifiant ces paradoxes par la nécessité de tout politicien de composer avec ses adversaires au risque de faire leur politique, lorsqu’une personne émit une autre hypothèse, certes quelque peu calomnieuse mais pas insensée: «Et si l’objectif inavoué de MBG, parce qu’inavouable – ce qu’on appelle la visée perlocutoire –, avait été d’affaiblir sciemment l’enseignement public?» En substance, l’hypothèse se développait en ces termes: en permettant à l’enseignement primaire et secondaire inférieur de devenir un laboratoire de la FAPSE tout en diminuant drastiquement les effectifs sur le terrain, elle mine d’emblée les réformes qu’elle cautionne, (je schématise volontairement mais retenez-en l’esprit) elle crée le désordre à l’intérieur du département, les divisions chez les enseignants et le mécontentement chez les parents d’élèves. Un mécontentement sans risque pour son image, cette grogne – elle le sait – prenant immanquablement pour cible l’affreux gauchiste enseignant avec lequel il faut bien concilier et qui s’est précipité dans le piège avec une touchante naïveté. Au reste, la presse, entièrement dépendante des annonceurs immobiliers au début des années 90, c’est-à-dire des milieux libéraux, s’est alors chargée de faire passer efficacement le message vers l’électeur. «Dans quel but me direz-vous? Simple! Opérer des transferts de charges. Plus les parents sont mécontents, plus ils se tournent vers le privé, et plus le budget du DIP diminue (rappelons-nous que Martine Brunschwick-Graf s’était – à juste titre – vivement opposée à une quelconque baisse d’impôts pour les parents payant un écolage dans le privé, le transfert de charges restant ainsi tout bénéfice). Sachant qu’un élève coûte annuellement environ 14000 Fr au primaire et 22000 Fr au Cycle, le calcul est vite fait: une centaine de transferts de têtes blondes du public au privé par année et ce sont vite des centaines de millions d’économie (en tout plus d’un milliard réalisé au DIP). Avec en prime l’affaiblissement de l’enseignement public et l’enseignant jeté en pâture au citoyen comme méchant responsable. Tout bénéfice, je vous dis!» L’hypothèse a au moins le mérite de surmonter les paradoxes: vu sous cet angle, c’est-à-dire sous l’angle purement politique, le bilan de Martine Brunswick-Graf devient cohérent envers les visées de son parti et son action remarquable d’intelligence stratégique (les écoles privées sont saturées, l’école publique perd du muscle en prenant de la graisse administrative et on parle de mettre les deux en compétition!!!) C’est la faiblesse des démocraties: l’action des élus reste essentiellement politique, elle vise leurs intérêts, leur réélection, mais cet objectif, paradoxalement, peut s’opposer au bien du département dont ils ont la charge, donc, par voie de conséquence, au bien public qui, pourtant, légitime leur mandat. Ainsi, de responsables, se transforment-ils parfois en prédateurs.

    Martine Brunschwick-Graf, prédatrice du DIP? Je vous en laisse juge…

  • Paris Hilton, prêtresse et reine

    Par Alain Bagnoud

    paris_hilton_tout_en_or_dans_le_desert_du_mojave_reference.jpgJ’en connais que la popularité de Paris Hilton laisse pantois. Mais qu’a-t-elle fait ? (disent-ils.) Hériter d’une fortune ? Mettre ses vidéos de sexe sur le net ? Participer à des émissions de téléréalité ? Qu’a-t-elle réalisé pour devenir la personne la plus connue de la planète avec le Christ, Bouddha et quelques autres ?

    J’ai une réponse. Paris Hilton, elle aussi, est un personnage liturgique. Peut-être pas une déesse, mais une prêtresse. Nous sommes dans les bancs, elle sur l’autel médiatique, c’est une sorte de messe et nous la regardons dans sa fonction sacrée : consommer. Consommer des objets, des produits de luxe, des services, des hôtels, de la mode, des transports en hélicoptère et en jet privé, des hommes…

    C’est sa fonction rituelle. Elle est l’interface entre le fidèle et le sacré. Entre le consommateur et la Consommation.

    Comme, jadis, le Roi dont parle Sartre dans Saint Genet comédien et martyr : « Il mange avec une générosité inlassable. » Et la foule est admise à le regarder bâfrer.

    Le Roi, Paris Hilton, tout du même. Ceux qui détruisent devant nous les produits que nous créons, et que nous admirons pour ça.

    Appartenir à cette catégorie privilégiée n’est pas à la portée de n’importe qui. Il faut deux critères pour y être admis. (En tout cas si on en croit Sartre.)

    D’abord être . Issu d’une lignée qui a formé le goût de l’aliment ou du luxe (les Bourbons, les Hilton).

    Ensuite, avoir le droit divin de consommer. C’est-à-dire être désigné. S’il est évident que c’était par Dieu jadis, quand on se trouvait dans une société théocratique, de nos jours, en démocratie, ce sont les médias qui donnent l’onction.

    Cependant c’est en même temps aussi un peu plus compliqué que ça. Paris Hilton n’est pas seulement une prêtresse. Elle est aussi un produit sacré, incarnant la Consommation, je l’ai dit, donc pourvue de Sa présence réelle. Une hostie, consommée par ses admirateurs.

    Et, donc, bientôt absorbée, détruite.

    Mais il y en aura d’autres après… Elles attendent déjà.

    (Publié aussi dans Le blog d'Alain Bagnoud.) 

  • Avant que les feuilles tombent…

     

     

    Par Pascal Rebetez

     

     

    Deux signes ce matin qui parlent de la rentrée davantage qu’un calendrier ou que les cours hurlantes des écoles : la rosée sur la selle de mon vélo, signe indubitable que, malgré l’étoilé de la nuit, de l’eau vaporise l’aube avant que feuilles tombent et neige s’épande.

    L’autre, très genevois, ou mieux « plainpalaisien », c’est le village du cirque sur la plaine qui a surgi, tel un bolet annuel.

    D’un côté, la nature, imperturbable, cyclique, dans l’arrogance  du « malgré nous » et de l’autre, les us et coutumes, le spectacle, la fête, le cirque, la sciure et son goût de sapin… qui est aussi le rappel de notre nature humaine, si mortelle et, par là même, si précieuse…

    Bientôt les vendanges, la Saint-Martin : l’automne est la plus belle des saisons, comme le rappelle avec force et pertinence Eric Reinhardt, dans son roman Cendrillon paru à la pellée littéraire dernière, qui est aussi l’histoire d’un jeune trader, dont le cours de la vie, comme les bourses, tombe dans le puits sans fond de la voracité.

    Il faudrait toujours lire les romans une année après leur parution. Si l’automne est toujours là, c’est qu’ils sont bons. Sinon, au-delà de la frénésie de la nouveauté, les feuilles nous tombent…
  • Le ventre mou de l'école




    images.jpegDans le cadre des discussions sur l’avenir du Cycle d’Orientation à Genève, une enseignante nous a fait parvenir ce billet qui pourrait susciter un débat contradictoire.
    A.M.


    Par Nadine Frochaux






    J’ai entendu un philosophe dire à la radio que le cycle d’orientation était « le ventre mou de l’école publique genevoise ». Ce propos a retenu mon attention, car il reflète une réalité que je connais bien. J’ai enseigné l’année passée dans une classe du C.O. où il était difficile d’organiser le travail, d’exiger un minimum d’écoute, de donner des devoirs à domicile et, par conséquent, d’évaluer les performances des élèves qui composaient cette classe.
    A ces difficultés s’ajoutait une conception des droits de l’enfant pour le moins étrange, puisque chaque élève qui rencontre des problèmes majeurs dans les apprentissages peut remettre en question la pédagogie, c’est-à-dire la manière de travailler des profs. Ce qu’il est convenu d’appeler « le psycho-social » s’impose alors et encourage l’adolescent à se considérer comme une malheureuse victime du système. D’alléchantes perspectives lui sont offertes car, ne supportant pas la moindre contrainte, il lui est permis de développer de subtiles stratégies pour faire reconnaître son droit.
    Ainsi suis-je entrée un jour dans la classe où je devais donner mon cours. Les chaises étaient sur les tables. Un élève du groupe en fit tomber une. Comme c’était la troisième fois que cela se produisait, j’ai pris le carnet de communication où j’ai noté que Killian avait, pour la troisième fois, fait tomber une chaise avec fracas. Killian (14 ans) contesta aussitôt ma version des faits. Il s’en est plaint auprès de sa mère qui a aussitôt appelé la direction de l’établissement.
    Je fus convoquée dans un bureau où une responsable m’apprit que Killian contestait ma version des faits et que, par conséquent… J’ai imaginé un instant la Cour de Justice, où le présumé coupable doit venir à la barre avouer sa faute. En effet, intervenir auprès d’un adolescent est désormais considéré comme une faute, une faute commise par une enseignante qui doit certainement être paranoïaque ou frustrée sur le plan sexuel, rencontrer des problèmes familiaux ou digestifs, friser la crise de nerfs, avaler des anti-dépresseurs et, last but not least, ne pas assez aimer les adolescents refusant toute forme de contrainte.

  • Voyez la différence

    Par Pierre Béguin

     

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    Un ami qui travaille dans une banque privée de la place me faisait part l’autre jour de son étonnement professionnel à l’observation des traditionnelles transhumances estivales: tous les directeurs, fondés de pouvoir, personnel du back office, middle office et front office partent en vacances sans que personne ne voie la différence sur le fonctionnement de la banque. Tous sauf un: l’huissier. C’est le seul poste qui doit absolument être repourvu pendant l’absence de son titulaire sous peine de paralyser l’établissement…

    J’ai enseigné dans un collège où, pendant presque une année, il n’y avait plus de directeur. Personne n’a vu la différence. J’ai enseigné dans un collège où, pendant presque une année, il n’y avait plus d’huissier. Tout le monde a vu la différence.

    Et pourtant, dans le but, soi-disant, d’améliorer le fonctionnement d’une structure, on renforce systématiquement sa hiérarchie et on coupe à sa base. Ainsi, la rentrée scolaire draine ses inévitables alluvions de directeurs qui se déposent un peu partout comme autant de barrages au courant d’eau vive. Cette année, l’école primaire fait particulièrement fort: une centaine de directeurs et 5 super (!) directeurs. A part Charles Beer et les quelques inspecteurs devenus directeurs qui gagnent plus pour travailler moins, personne ne verra la différence sur l’efficacité du système. Mais comme il faut bien prendre à Pierre ce qu’on donne à Paul, la conséquence directe est évidente : toujours moins d’enseignants en proportion du nombre d’élèves. Là par contre, tout le monde voit la différence. Merci qui? Allez, répétez-le pour vous en souvenir dans une année lors des élections. Là, on verra peut-être la différence. Quoique…

    Je sais, vous vous demandez quel est le rapport entre la photo d’en-tête et le contenu de ce billet. Simple contre-exemple: elle figure au sommet, elle ne sert à rien, et pourtant, sur l’impact et l’efficacité de cet article, là, je vous assure, on voit la différence…

  • Foot et identité

    Par Alain Bagnoud

    1196279758.jpgEurofoot encore. C'est fini et bien fini, certes. Mais il me reste quelques questions, pour avoir observé tous ces fans de foot, tous ces adultes enroulés dans des drapeaux, portant le maillot de leur équipe, roulant dans des voitures qui arborent les emblèmes d'un pays. Le phénomène était d'une telle ampleur qu'il y avait de quoi s'interroger.

    Un retour au nationalisme ? Evidemment non. Ce n'étaient pas les vertus d'un pays que proclamaient tous ces gens, c'était leur identité. Identité dans le sens identique, et pas singulier.

    C'est que, dans cette société post-moderne qui impose l'individualisme, qui détruit le lien social, qui impose à cause du marché une masse d'éléments constitutifs à chacun, liés à ce qu'il croit être ses goûts et sa personnalité, et qui sont en fait les caractéristiques du consommateur qu'il est et que le marché suscite, il est impossible désormais que les gens se sentent liés profondément, qu'ils considèrent qu'ils appartiennent à un groupe homogène avec sa culture propre, comme c'était le cas jadis. (« Jadis » que d'ailleurs je ne regrette aucunement, croyez-moi !)

    Aussi, perdus dans une masse de ces caractères qui les constituent hétérogènes, différents malgré eux, isolés, et ayant la nostalgie du lien, les supporters de foot sélectionnent une caractéristique simple dans l'ensemble de ce qui les constitue. Une origine, un drapeau, une nostalgie ou un exotisme. Ils retrouvent grâce à ça la fusion, le lien social, l'agglomération. Rassemblement, essai de transe, vibration commune, sentiment d'être fondu dans un groupe symbolisé par l'équipe.

    Un petit moment collectif. Et le lendemain, on retourne à son gentil rôle d'individu consommateur !

     

  • La peur du père

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    PAR ANTONIN MOERI




    Quand Yves Velan distingua mon premier texte dit littéraire en accordant à son auteur une jolie somme d’argent, il évoqua le sentiment de peur qui domine dans Journal-Fiction. A l’époque, je n’étais pas conscient de ce que j’écrivais. Les phrases se sont imposées dans l’obscurité d’une chambre sans que je maîtrise quoi que ce soit. Or le sentiment de peur dont parlait Velan peut, je crois, déclencher l’écriture, comme d’autres sentiments moins avouables telles la répulsion, la hargne, la colère, la haine, la jalousie ou une discrète insoumission.
    A la question Pourquoi a-t-on peur? Kafka essaie de répondre dans sa Lettre au père en décrivant minutieusement un sentiment d’insuffisance, de nullité qu’il éprouve devant « la santé, l’appétit, la puissance vocale, le don d’élocution, le contentement de soi-même, la ténacité, la présence d’esprit » d’un père vengeur, d’un géant tyrannique qui exige le respect. Cette force de la nature provoque chez le fiston une perte de confiance, l’instabilité, l’indécision, une nervosité inhabituelle, un désir de fuite, des tremblements, des bégaiements et, in fine, le mutisme.
    Cependant, rédigeant cette lettre, Kafka se rappelle avoir vu son père somnoler au magasin, contempler la pluie qui tombe délicatement sur les pavés, adresser des sourires à certaines personnes, réprimer un sanglot, se faufiler discrètement dans une pièce. Ces souvenirs font pleurer l’auteur. Ils le font pleurer de bonheur. En persistant dans l’activité d’écrire, Kafka semble avoir éprouvé une joie qu’il savait communiquer dès qu’il lisait des passages du Procès à ses amis. On raconte que, lors de ces séances, il riait à gorge déployée.
    Aujourd’hui encore, je me demande pourquoi les textes de l’écrivain pragois n’exhalent pas ce pessimisme irrévocable, ce désespoir incurable qui devraient les caractériser et pourquoi le sentiment d’échec et de nullité qu’éprouvent ses personnages ne déprime pas le lecteur mais, au contraire, l’aiguillonne. C’est peut-être du côté de l’humour qu’il faut chercher une réponse, un humour particulier, source de créativité, et qui n’a rien à voir avec l’ironie des professionnels de l’imagination.

  • Les 50 oeuvres qui comptent en Suisse romande

    Par Alain Bagnoud

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    Saviez-vous qu’Alexandre Adler avait écrit un SAS ? Oui, Alexandre Adler lui-même, « l’ancien soviétologue diplômé de Libération, l’ex-éditorialiste associé au Monde ». Le titre de son polar est alléchant. Ça barde à Bandahar.
    Un roman chroniqué dans Les 50 œuvres qui comptent en Suisse romande, publié par La distinction, revue de critique sociale, politique, littéraire, artistique, culturelle et culinaire fondée en 1987.

    On y trouve d’autres livres qui ont passé parfois inaperçus. Par exemple le peu connu L’envers des choses, de Michel Tournier qui « nous relate les amours fraternellement incestueuses et les tribulations érotiques de deux jumeaux vrais de l’aristocratie éphésienne du IIème siècle après J.C. ». Ou un Dan Brown inconnu. L’auteur a en effet retrouvé dans ses tiroirs, après le succès du Da Vinci Code, un manuscrit plus ancien, Sous le mystère des flots, parlant de l’Atlantide. Ou un recueil des éditoriaux de Michel Danthe, lorsqu’il assumait la direction de Construire avant celle du Matin dimanche…
    Non, là, vraiment, je le sens, vous n’y croyez plus. C’est trop. Vous ne vous laisserez pas piéger plus longtemps !
    Bien sûr, ce sont des faux. Des recensions d’ouvrages qui n’ont pas existé. Ce dont se fait une spécialité La distinction, qui place dans chacun de ses numéros la chronique d’un livre imaginaire.
    Se moquant de ces bibliothèques idéales, ces dix ouvrages les meilleurs de l’année, ces 100 livres qu’il faut avoir lus, brocardant ses têtes de turc avec un humour irrésistible, La distinction a fait l’œuvre salutaire de réunir 50 de ces lectures en recueil.
    Ce qui vous permettra de tout savoir sur L’amant du Hei-Lung-Kiang de Marguerite Duras ou des traductions que l’éminent pissoir-poète Oskar Freisinger a fait de quelques articles de Paul Ricoeur, annotées par le médiatique curé François-Xavier Amherdt ( L’herméneutique philosophique de Paul Ricoeur et son importance pour l’exégèse biblique)… 

    Les 50 œuvres qui comptent en Suisse romande, La distinction, Editions Faim de siècle & Cousu muche