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Lettres

  • Josette Bauer, femme fatale en cavale (Pierre Béguin)

    par Jean-Michel Olivier

    Unknown-2.jpegPierre Béguin aime les affaires au carrefour du droit, du fait divers et de la littérature. Il s'était déjà penché sur l'affaire Jaccoud, qui défraya la chronique judiciaire dans les années 50, et en avait tiré un très bon roman, Condamné au bénéfice du doute*, couronné par le Prix Édouard-Rod en 2016. Ensuite, il s'était inspiré d'un fait divers colombien, mêlant trafic d'organes et guerre des gangs, pour nous donner un roman baroque, Et le mort se mit à parler**. Aujourd'hui, il réinvente, à la suite d'une enquête minutieuse, la fameuse « affaire Josette Bauer », dont certains Genevois se souviennent encore.

    Le résultat ? La Scandaleuse Madame B.***, un roman sulfureux et détonant, très au-dessus de ce qui se publie d'ordinaire en Suisse romande.

    detective-n-740-du-02-09-1960-josette-bauer-rehabilitation-de-pierrre-jaccoud-1007653656_ML.jpgRappelons les faits : en 1957, Josette Bauer, une jeune femme genevoise qui aime les fêtes et la belle vie, se voit accuser de complicité dans le meurtre, assez atroce, de son père. Ce n'est pas elle qui l'a tué, mais son mari, Richard Bauer, un homme très faible, mais amoureux, pris à la gorge par ses soucis financiers. A l'heure du meurtre, Josette se trouve dans une boite de nuit de Rolle en train de faire la bamboula avec son amant. Josette n'a pas tué, mais très vite elle va devenir, aux yeux des jurés et des journalistes, l'instigatrice du meurtre, celle qui a incité son mari à tuer son père. Après une longue enquête, dont Béguin reconstitue minutieusement chaque détail, le couple est arrêté. Le mari passe aux aveux. Déjà condamnée par la vox populi, Josette écope de plusieurs années de prison. Elle sera emprisonnée en Suisse alémanique et purgera, en détenue modèle, la presque totalité de sa peine. Pourquoi « presque » ? Eh bien, à quelques mois de sa libération, Josette s'évade !

    La plus grande erreur de sa vie, avoue-t-elle. Mais aussi le début d'une fantastique épopée…

    Pendant plusieurs années, on perd la trace de la « scandaleuse Madame B. ». Josette vit en cavale, se fait refaire le visage (l'opération de chirurgie esthétique, réalisée clandestinement à Paris, tourne à la boucherie), vit d'expédients. Béguin suit cette femme ordinaire au destin extraordinaire à la trace, comme s'il vivait dans son ombre. L'Algérie, puis l'Espagne : autant d'étapes d'une cavale douloureuse. A chaque fois, dirait-on, l'histoire se répète : alors qu'elle tâche de refaire sa vie dans le milieu de l'équitation (elle a toujours eu la passion des chevaux), Josette est obligée de fuir, en perdant tout à chaque fois, comme si un destin funeste s'acharnait sur elle.

    On retrouve sa trace aux États-Unis, en Floride plus précisément, dans les années 60, où l'audacieuse Genevoise est arrêtée, avec son complice, alors qu'elle transporte, cachés dans son corset, deux kilos d'héroïne. Nouveau procès (expéditif). Nouvelle condamnation. Unknown-3.jpegJosette — qui entretemps a changé d'identité et s'appelle maintenant Jean Baker ! — conclut un marché avec la police américaine à qui elle livre les noms de plusieurs trafiquants de drogue européens — des gros bonnets qui forment le fameux réseau de la French Connection (rien que ça!). Une fois encore, Josette s'évade pour recommencer sa vie ailleurs, dans l'anonymat et la clandestinité. L'histoire n'est pas finie. Elle connaîtra encore bien des rebondissements. Mais j'en ai déjà trop dit…

    Le roman de Béguin est écrit à deux voix. Deux styles. Deux rythmes différents. La voix du narrateur, factuelle et sûre d'elle-même. Et la voix suraiguë, un peu flûtée,  très vite reconnaissable, de l'écrivain américain Truman Capote qui se passionne pour cette affaire. Deux styles, donc, deux voix et deux rythmes. Tandis que le narrateur fonce et enchaîne les faits sur un rythme soutenu, la voix de Truman Capote marque une pause, un temps de réflexion, une méditation sur le destin de Josette et l'œuvre à venir (car Capote rêve d'écrire LE grand livre sur l'affaire Bauer, un livre qui établira définitivement son génie d'écrivain). images.jpegC'est le tour de force de ce livre que de faire alterner ces deux voix si différentes, chacune allant sa propre allure. Le narrateur décrit les faits, comme un policier ou un historien, et Capote les éclaire, les interroge, les passe au scanner de son propre regard. Réussite absolue. Pour nous faire entendre la voix de Capote, Béguin nous livre une partie (inventée) de sa correspondance. Capote écrit à ses amis, nous fait part de ses soucis de santé et tient au vitriol la chronique de ses sorties mondaines. C'est un délice que de le suivre à travers le monde (Capote voyage beaucoup) et de croiser au fil des pages Jackie Kennedy, les Rolling Stones, la famille Agnelli et quelques autres people

    __multimedia__Article__Image__2020__9782226444974-j.jpgAvec La scandaleuse Madame B., Pierre Béguin nous donne sans doute son meilleur livre, le plus abouti, le plus inventif et le plus ambitieux. Il place la barre très haut et relève brillamment le défi de raconter le destin extraordinaire d'une « petite » Genevoise, insouciante et délurée, dont la vie est une perpétuelle fuite en avant — une tentative désespérée de se sauver. Car au cœur du roman de Béguin, il y a la question du crime et de la rédemption. Peut-on se racheter d'un crime que l'on n'a pas commis ? (Josette a toujours nié est coupable du meurtre de son père) ? Comment refaire sa vie ? A-t-on droit à une seconde chance ? Et au droit à l'oubli ?

    Pierre Béguin brasse toutes ces questions et laisse le lecteur décider par lui-même du verdict de cette scandaleuse affaire.

    * Pierre Béguin, Condamné au bénéfice du doute, roman, Bernard Campiche éditeur, 2016.

    ** Pierre Béguin Et le mort se mit à parler, roman, Bernard Campiche 2017.

    *** Pierre Béguin, La scandaleuse Madame B., roman, Albin Michel 2020.

  • Quand Josette Bauer fascine Truman Capote...

    par Corine Renevey

    download.jpgAprès deux récits autobiographiques, bouleversants d’humanité, Jonathan 2002⁠1 et Vous ne connaîtrez ni le jour ni l’heure⁠2, Pierre Béguin se tourne vers les grandes affaires criminelles qui ont secoué les tribunaux à la fin des années 50 : « l’affaire Pierre Jaccoud » avec Condamné au bénéfice du doute⁠3 (prix Édouard Rod 2016) et « l’affaire Josette Bauer » avec la Scandaleuse Madame B.⁠4 Il y a des points communs dans ces deux dossiers : Genève la calviniste où sont jugées ces affaires, le sentiment d’une justice défaillante et des histoires de mœurs qui ne pardonnent pas. Ironie du sort, les deux détenus se retrouvent dans le même quartier pénitentiaire de l’Hôpital cantonal en 1961 où ils commencent une idylle. Il n’en faut pas moins à l’auteur pour mener l’enquête et nous embarquer dans une aventure passionnante.

    gettyimages-162760844-612x612.jpgAvec l’affaire Bauer, Pierre Béguin ne manque pas d'audace. S’il fait la chronique détaillée d’une enquête aux multiples rebondissements qui nous entraîne sur les pas d’une femme en cavale après son évasion de prison, de la France où elle a des contacts avec la French Connection, en Algérie où elle se retrouve en pleine révolution, jusqu’aux États-Unis où elle sera arrêtée pour trafic d’héroïne, puis protégée par la justice américaine après avoir livré quelques têtes du réseau jusqu’à la demande d’extradition, l’auteur ajoute à son récit une perspective imaginée de toutes pièces bien qu’elle soit absolument vraisemblable.
    Il s’agit d’une abondante correspondance de l’auteur américain, Truman Capote, qui aurait lui aussi succombé aux charmes de la Genevoise. C’est là qu’on touche au sublime. Pierre Béguin se met dans la peau de celui qui, avec De sang-froid, a inventé le roman-vérité et nous livre par le biais de lettres adressées à quelques destinataires privilégiés, une bluffante démonstration du genre. 

    En effet, lors d’un séjour dans son chalet de Verbier où il s’ennuie à fendre l’âme : tout n’est que neige, montagnes et solitude, Capote tombe sur l’affaire Bauer au moment où une certaine Paulette Fallai se fait pincer le 31 août 1967, à la descente d’un paquebot à Fort Everglades en Floride avec 30 livres de drogue. Du jamais vu! Le fait divers le détourne provisoirement de son chef d’œuvre proustien, Prières exaucées, une critique de la haute société new-yorkaise, qu’il est en train d’écrire. Screen-Shot-2019-11-19-at-11.57.24-AM.pngCapote pense tenir sa « sorcière des Délices » : « plus j’apprends à connaître cette femme, plus elle ne cesse de m’étonner, de me fasciner. Cette absence de culpabilité, ce sans-gêne : elle ne se reproche rien parce qu’elle ne s’interdit rien (p. 160) ». Quel romancier pourrait résister à une telle héroïne d’autant plus qu’il a une illumination : Bauer est lesbienne. « Les hommes, elle les manipule, elle les tient par la queue, mais sa véritable sexualité la porte ailleurs… Josette avec sa réputation de mangeuse d’hommes, ne pouvait pas, dans leur logique de mâles, appartenir à un autre bord. Mais à moi, on ne me la fait pas ! (p. 170-171) » Josette Bauer le fascine tant par son caractère déterminé : « avec une telle énergie, elle serait capable de faire voler un fer à repasser ! » que par une blessure commune : l’indifférence d’une mère dont ni l'une ni l'autre ne se remettra.

    gettyimages-1174323159-612x612.jpgSeul un auteur américain de cette trempe, homosexuel et amateur de crimes, c'est du moins ce dont il est convaincu, peut transposer ce faits divers en roman-vérité. C'est grâce à Katherine Graham, directrice du Washington Post, surnommée affectueusement Kay-Kay dans sa correspondance, qu'il obtient tous les renseignements et documents possibles car il se refuse à inventer le moindre détail. « Pour moi, le mot « vérité » est comme un dé lancé sur la table d’un casino : j’y joue tout, mon œuvre et ma vie ! (p. 177) ». Il ébauche ainsi sa Madame B(ovary), le salut qu’il attendait pour le sortir de la torpeur dans laquelle le succès planétaire de De sang-froid l’avait laissé.  

    Avec une maîtrise sans relâche, Pierre Béguin alterne récit abondamment documenté et correspondance fictive, truculente de trouvailles linguistiques, de drôleries et d’images insolites. La vérité prend ainsi une forme baroque, multipliant les points de vue comme autant d’effets de réel qui donnent à ce roman, une liberté de ton étourdissante et jubilatoire. À lire absolument.

     

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    1 Jonathan 2002, Vevey (CH), Éd. de l’Aire, collection l'Aire bleue, 2013 [© 2007].

    2 Vous ne connaîtrez ni le jour ni l’heure, Paris, Philippe Rey, 2013.

    3 Condamné au bénéfice du doute, Orbe (CH), Bernard Campiche, 2016.

    4 La Scandaleuse Madame B., Paris, Albin Michel 2020.

     

  • George Steiner, professeur et tyran

    par Jean-Michel Olivier

    Unknown-1.jpegPour tous les étudiants (et surtout les étudiantes) George Steiner, qui vient de disparaître, aura laissé des souvenirs ambivalents, pour ne pas dire mitigés. C'était un professeur exceptionnel, d'une large érudition, charismatique, mais également injuste, excessif, familier des débordements de toute sorte. 

    J'ai eu la chance de suivre ses cours où il faisait régner une terreur souvent palpable — surtout sur la gent féminine (sa misogynie n'était un secret pour personne). C'était un lecteur incomparable de Shakespeare, de John Donne, des poètes romantiques anglais. Par rapport à la modernité (Barthes, Foucault, Derrida) c'était un résistant farouche et pas un cours ne se passait sans qu'il décoche de nouvelles flèches contre ces « penseurs français » qui n'avaient rien compris à la littérature et qui, d'ailleurs, par leur style abscons, restaient incompréhensibles.

    Unknown-2.jpegGeorge Steiner, professeur singulier et brillant, était l'électron libre du Département d'Anglais. Lors des examens, ses dérapages étaient célèbres : mauvaise humeur, crise de colère, insultes. Au point qu'un jour, assaillis par les plaintes des étudiants (et surtout des étudiantes), on décida d'encadrer George Steiner par tout le staff du Département pendant les examens qu'il faisait passer ! 

    Aujourd'hui, bien sûr, cela ne passerait plus. Mais à l'époque, à la fin des années 70, c'était monnaie courante. La terreur qu'il faisait régner pendant ses cours, George Steiner n'a plus pu l'imposer aux étudiants qui passaient devant lui lors des examens. Car les autres professeurs (Taylor, Blair et Poletta, entre autres) le remettaient à l'ordre dès que le grand érudit dérapait! L'effet était assez comique ! Et pour l'étudiant que j'étais, qui s'était préparé à être interrogé par un ou deux professeurs, la surprise était totale en voyant tous ces grands esprits se déchirer entre eux…

    Unknown.pngDe cet intellectuel controversé, médiatisé par Bernard Pivot dans Apostrophes, il faut lire et relire certains livres qui offrent le meilleur de sa pensée.
    C'est là, dans l'érudition et la réflexion critique, que George Steiner est le plus stimulant — malgré sa résistance à toute la modernité philosophique et littéraire. Il reste donc ses livres, et c'est beaucoup !

  • Fanny fatale (Pedro Lenz)

    par Jean-Michel Olivier

    « Les Suisse s'entendent bien, parce qu'ils ne se comprennent pas. » Si cette devise convient parfaitement au monde politique, elle est encore plus juste pour le monde de la littérature. On se connaît rien (ou presque) des auteurs alémaniques et tessinois ; et cette méconnaissance est totalement réciproque : les Suisses allemands ne connaissent rien de la littérature romande, très peu traduite, et encore moins de la littérature du Tessin…
    C'est un tort, bien sûr. Pour lire un auteur alémanique, quand on ne maîtrise pas sa langue, il faut un traducteur, et c'est là que, souvent, le bât blesse : beaucoup d'écrivains d'outre-Sarine écrivent non en « hoch deutsch » (en bon allemand, comme on disait au CO!), mais en dialecte. Ce qui rend leur langue à la fois savoureuse, singulière et intraduisible…

    pedrolenz-danielrihs_T8B2184.jpgC'est le cas de Pedro Lenz (né à Langenthal en 1965) qui écrit en « bärntütsch ». Heureusement, il a trouvé en Ursula Gaillard une traductrice qui a su restituer la saveur et la vivacité du dialecte parlé. Cela donne un roman épatant, La Belle Fanny* (Di schöni Fanny), qui a toutes les qualités d'un grand livre. 

    Unknown-1.jpegTout se passe à Olten où un petit groupe d'artistes (peintres, musiciens)  fait la connaissance de la belle Fanny, une jeune femme indépendante, libre de corps et d'esprit, qui pose comme modèle pour les deux peintres du groupe (Louis et Grunz). Et bien sûr, dès que le narrateur, écrivain en mal d'inspiration, la rencontre, le bien-nommé Jackpot, c'est le coup de foudre immédiat, irréversible et sans remède (there is no cure for love, chantait Cohen). À partir de cet instant, Fanny devient une énigme et une obsession que Jackpot veut à tout prix élucider. Il poursuit son enquête parmi ses amis, noue des liens rapprochés avec la donzelle qui, bien sûr, est comme l'Aar qui traverse la ville, insaisissable et fuyante comme un serpent…

    pedro lenz,la belle fanny,éditions d'en-bas,ursula gaillard,roman,dialecteLe roman fait la peinture d'un milieu marginal, fêtard, buveur de chasselas ou de rouge italien, fort en gueule et extraordinairement attachant. C'est la force de Lenz d'insuffler vie et chaleur à ses personnages condamnés aux marges de la société (mais très heureux de l'être). Son talent, aussi, si rare dans la littérature suisse, c'est de savoir raconter des histoires avec saveur. On rit à toutes les pages de cette Belle Fanny, même si le rire est quelquefois mélancolique. 

    Pedro Lenz réussit un roman vibrant de vie. Il a une voix singulière, une écriture personnelle (le roman est écrit presque entièrement en dialogues), des thèmes qu'il creuse au fil des pages. Bref : un univers bien à lui qu'on quitte avec regret, une fois le livre refermé.

    Une heureuse découverte.

    * Pedro Lenz, La Belle Fanny, traduit par Ursula Gaillard, éditions d'En-Bas, 2019.

  • L'amour au-delà de la mort (Daniel de Roulet)

    par Jean-Michel Olivier

    images.jpegOn connaît le rapport ambivalent que Daniel de Roulet entretient avec  son pays : relation d'amour-haine qui est au cœur de plusieurs de ses livres. Le peintre Ferdinand Hodler, dont on célèbre cette année le centenaire de la mort et à qui de Roulet adresse une série de belles lettres, cristallise parfaitement cette ambivalence. D'abord peintre d'histoire et d'allégories, célébré par la droite patriotique (Christophe Blocher est le plus grand collectionneur de ses toiles) Hodler est considéré par de Roulet comme un « peintre helvétique et besogneux »*. On craint alors le pire. Heureusement, tout va changer avec la rencontre d'une belle Parisienne, Valentine Godé-Darel, qui va devenir son modèle, puis sa maîtresse, et donner un élan nouveau — et pour tout dire moderne — à sa peinture. 

    Que s'est-il donc passé ? 

    De Roulet mène l'enquête à Paris, puis à Genève et à Vevey (où séjourne Valentine). Il reconstitue sous nos yeux la vie du peintre, fils de paysans bernois, marqué par la mort, l'acharnement au travail, le désir de reconnaissance. Influencé par des artistes comme Albert Anker, Alexandre Calame et Gustave Courbet, le Hodler de la première époque peint des allégories, des scènes symboliques (son célèbre tableau La Nuit fait sensation au Salon du Champ de Mars en 1891 à Paris). 92px-Fernidand_Hodler_-_The_Woodcutter_-_Google_Art_Project.jpgIl célèbre les hallebardiers suisses ou les bûcherons, images du labeur et de la force. Il y a quelque chose d'épique dans ses peintures murales marquées par l'influence du peintre français Puvis de Chavannes.

    images-1.jpegC'est alors qu'il rencontre Valentine : le fils de paysans bernois tombe amoureux d'une mondaine parisienne (par ailleurs, également peintre). Elle lui sert de modèle, puis décide de le rejoindre en Suisse. C'est peu dire que Hodler va la portraiturer sous tous les angles, dans toutes les lumières, sous toutes ses coutures. On compte plus de 100 toiles et plusieurs centaines de dessins de Valentine, à la fois objet et sujet d'un amour fou.

    Unknown-1.jpegDe Roulet suit pas à pas leur histoire, le premier rendez-vous, les escapades amoureuses. Pour les dire, il retrouve les mots les plus justes, et parfois les plus simples : on dirait que la force que célébrait Hodler dans ses premières toiles s'est muée en passion amoureuse, une passion inquiète et obsessionnelle. Parlant de Hodler, de Roulet parle aussi de lui-même, bien sûr, car le peintre bernois est lié de près à son histoire familiale, ce qui rend le propos encore plus fort et plus percutant. Il y a un véritable enjeu dans ces lettres adressées à un peintre célèbre qu'on ne connaît peut-être pas assez.

    Et puis survient la maladie. Une maladie violente et incurable : Valentine souffre d'un cancer des ovaires. À compter de ce jour, Hodler multiplie les visites, à Vevey, puis à Lausanne, au chevet de son amoureuse. Il prend toujours avec lui ses pinceaux et ses crayons. images-3.jpegIl va faire de Valentine non l'objet de sa peinture (pas de vol, ni de viol dans sa démarche), mais le sujet d'une lutte à mort contre la mort. Il va peindre l'agonie de sa maîtresse, non en voyeur, mais en témoin et en exorciste. Il va peindre la vie et l'amour jusqu'à ses ultimes limites. La limite de ses forces. C'est pourquoi ces portraits de Valentine, images de la souffrance et du combat, sont si bouleversantes. Daniel de Roulet rend parfaitement compte de cette lutte à mort (et perdue d'avance) contre une maladie implacable.


    images.jpegPendant toute l'agonie de Valentine, entre deux visites à sa maîtresse, Hodler va peindre le Léman comme aucun peintre ne l'avait peint jusque-ici. Compositions à l'équilibre parfait. Harmonie sans pareille des bleus et des blancs, le lac étant le miroir du ciel encombré de nuages. Ces tableaux sublimes forment une sorte de contrepoint à l'agonie de Valentine. images-2.jpegDans les deux cas, une obsession de l'horizontalité : la mort de sa maîtresse, qui avance à pas de loup, et la sérénité du lac, comme une eau dormante. Une consolation. Une méditation. Le contraste est frappant. Les deux séries de tableaux apparaissent comme les deux faces d'un diptyque. 

    Il y aurait encore beaucoup à dire sur ce petit livre foisonnant et précis, qui touche juste, par son style et son adresse. Ces lettres sont belles, parfois savantes et érudites (on y apprend beaucoup de choses sur la vie de Ferdinand Hodler), toujours touchantes. Elles rendent compte, à leur manière, d'une relation qui a bouleversé non seulement la vie de deux êtres humains, mais également l'histoire de la peinture. Hodler, qui va mourir deux ans après Valentine, ne s'est jamais remis de la perte de sa maîtresse.

    Rappelons que Ferdinand Hodler est à l'honneur du Musée Rath, à Genève (près d'une centaine d'œuvres), et du Musée d'Art de Pully. Deux expos à ne pas manquer !

    * Daniel de Roulet, Quand nos nuits se morcellent, Lettres à Ferdinand Hodler, Zoé, 2018.

     

  • Autour de L'Ami barbare (entretien avec Valérie Debieux)

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    par Jean-Michel Olivier

    Valérie Debieux est chroniqueuse, traductrice (on lui doit la traduction du dernier roman de Jon Ferguson, Les Joyaux de Farley, Olivier Morattel éditeur) et écrivaine. Elle anime La Galerie littéraire, un site remarquable, consacré exclusivement à la littérature contemporaine. J'ai eu le plaisir de répondre à ses questions.

     

    Valérie Debieux : Jean-Michel Olivier, en votre œuvre, tout comme en votre dernier ouvrage «L’ami barbare*» (Editions de Fallois/L’Âge d’Homme), vous semblez apprécier les romans polyphoniques, cela est-il dû à votre passion pour la musique ?  

    Jean-Michel Olivier : Très probablement. La musique m’accompagne depuis toujours. Dans un roman, me semble-t-il, tout commence par un visage et une voix. C’est du moins ce qui m’apparaît en premier. Je vois le visage de quelqu’un et aussitôt j’entends sa voix. Ensuite, les visages et les voix se multiplient. Il faut organiser tout ça pour éviter la cacophonie ! Mais j’aime entremêler les voix (j’ai toujours été fasciné par la polyphonie des voix bulgares que j’écoutais, enfant, à la radio). images.jpegDans L’Ami barbare, c’est grâce à ces polyphonies qu’on peut atteindre, peut-être, la vérité de Roman Dragomir : chaque voix apporte un éclairage différent, un autre point de vue, une autre perspective. La vérité d’un être est insondable. Mais on peut éclairer ses ténèbres…

    Valérie Debieux : Qu’est-ce qui vous a incité à écrire au sujet de la vie de Vladimir Dimitrijevic alias Roman Dragomir ?

    Jean-Michel Olivier : Dimitri était un ami, fidèle, mais insaisissable. Nous avions beaucoup de divergences (politiques, surtout). Mais aussi des passions communes : le football, les femmes, la littérature. images-6.jpegPar la vie qu’il menait, vagabonde et aventureuse, sa mort était pour ainsi dire inscrite dans les astres. Chacun savait qu’il ne pourrait mener éternellement cette vie de romanichel (comme il disait lui-même). Pourtant, sa mort violente, en juin 2011, a plongé tout le monde dans la stupeur. Ensuite, il y a eu la cérémonie funéraire orthodoxe qui m’a beaucoup impressionné. Et l’émotion m’a poursuivi longtemps. C’est elle qui m’a poussé a écrire le roman. Exorciser cette émotion. Rendre justice à ce personnage complexe — tellement méprisé à la fin de sa vie. Mais aussi faire son procès, si j’ose dire. Car tous les personnages du livre s’avancent à la barre des témoins, représentée par le cercueil ouvert qui leur fait face, comme s’ils étaient au tribunal.

    Valérie Debieux : Quel est le trait de la personnalité qui vous a le plus marqué en celle de Vladimir Dimitrijevic ?

    Jean-Michel Olivier : C’était un homme écorché vif, un exilé perpétuel, souvent en proie à des émotions contradictoires. Sa pente naturelle l’inclinait vers les écrivains de droite. images-2.jpegPourtant, la plupart de ses proches (Haldas, Cherpillod, Claude Frochaux) étaient des gens de gauche ! Il avait besoin de cette dialectique pour avancer. Et d’ailleurs le catalogue de l’Âge d’Homme (4000 titres : ce qu’il nommait son œuvre) l’atteste. Il y a bien plus d’écrivains de gauche, ou en tout cas progressistes, que d’écrivains de droite. Un autre trait de caractère, c’est sa passion. Pour publier un livre, il écoutait d’abord son cœur, ses émotions de lecture. Il décidait très vite de publier tel ou tel auteur. Et son flair était incomparable. Aux premières pages d’un texte, il savait si on avait affaire à un écrivain véritable, ou à un simple « faiseur».  

    Valérie Debieux : Le monde de l’enfance est très présent dans votre œuvre. L’adulte n’est-il, selon vous, que la résultante de l’impression des images perçues durant l’enfance ?

    Jean-Michel Olivier : L’enfance est un vivier d’images et d’émotions vivaces dans lequel chacun est libre de puiser — et de se ressourcer — à sa guise. Il est inépuisable. La force de ces images et de ces émotions, c’est qu’elles sont premières. Rien ne les a précédées. Et elles servent de moule ou de matrice aux images et aux émotions à venir. C’est pourquoi elles sont si importantes.

    Valérie Debieux : Enfant, que lisiez-vous ?

    Jean-Michel Olivier : Avant la Bibliothèque verte et les aventures de Bob Morane (toujours persécuté par l’affreux Monsieur Ming !),images-3.jpeg j’ai de la peine à me rappeler mes lectures d’enfant. Cela a vraiment commencé dans l’adolescence. Des romans, bien sûr, des histoires policières, mais aussi beaucoup de BD. Je me souviens d’avoir passé la frontière chaque semaine en vélomoteur pour aller acheter le journal Pilote en France voisine (car il sortait deux jours plus tôt qu’en Suisse !). images-7.jpegEnsuite, il y a eu la poésie. Rimbaud, Verlaine, Lautréamont. Sans oublier les romans de Boris Vian, que j’adorais.

    Valérie Debieux : Pour avoir pu imaginer les «parts manquantes» de la vie de votre grand-père, photographe d’origine italienne, dans votre magnifique ouvrage «L’enfant secret», comment qualifieriez-vous le lien qui vous unit à lui ?

    Jean-Michel Olivier : Les liens familiaux sont toujours mystérieux, car ils ne sont pas choisis. Il n’est pas facile d’aimer les gens de sa famille ! Son père, sa mère, ses frères (ces sentiments mêlés et équivoques donnent lieu, d’ailleurs, à toute une littérature psychanalytique). Les relations avec les grands-parents sont plus faciles, plus apaisées. images-4.jpegMais la part d’ombre est bien sûr importante. J’ai peu connu mon grand-père, qui était photographe du Duce, à part quelques vacances passées ensemble en Italie. Il ne m’a jamais montré ses photos, par exemple, ni parlé de son époque « mussolinienne » (ce qui m’aurait passionné). Après, il faut imaginer tout ça. Briser les silences. Éclairer les zones d’ombre qui entourent chaque être humain. Mais le lien avec cet homme qui aura eu plusieurs vies (secrètes) était très fort. Et il ne s’est jamais défait.

    Valérie Debieux : Vous avez de multiples passions, la littérature, le football, la peinture, la musique et l’art en général. Si, en référence à votre ouvrage «La Vie mécène», vous aviez à disposition une forte somme d’argent, quel genre de mécène seriez-vous ?

    Jean-Michel Olivier : L’écrivain américain Paul Auster raconte que lorsqu’il est à court d’inspiration, il imagine un homme qui marche dans la rue et trouve une valise pleine de dollars ! Après, les idées viennent toutes seules… Mais moi je serais bien embêté ! J’essaierai d’aider les artistes en herbe, les jeunes écrivain(e)s, par exemple, à sortir du ghetto suisse-romand. Pour cela, il faut des moyens importants pour faire connaître leur travail au-delà des frontières, le grand problème (non résolu) étant la diffusion, ou plutôt le pouvoir exorbitant des diffuseurs. Mais vous me donnez des idées…

    Valérie Debieux : Dans votre ouvrage, «Notre Dame du Fort-Barreau», vous rendez hommage à une personnalité genevoise peu ordinaire, Jeanne Stöckli-Besançon, fille du pasteur Théodore Besançon qui fit construire plusieurs immeubles à vocation sociale dans le quartier des Grottes à Genève. images-5.jpegJeanne, de nature modeste, discrète et effacée, a aidé tous les nécessiteux. Vous qui l’avez connue, quelle leçon de vie retenez-vous d’elle ?

    Jean-Michel Olivier : Au fond, toutes les vies méritent d’être mises en lumière, même les plus secrètes, les plus silencieuses, les plus dédaignées. Ce qui reste d’un homme ou d’une femme, c’est une voix, un visage : une légende. J’essaie de raconter cette légende. Dans le cas de ma « petite Jeanne » — qui est morte il y a exactement 20 ans — ce ne fut pas facile, car tout, dans sa vie, visait à l’effacement. Elle ne parlait jamais d’elle, ni de ses parents, ni de son mari (à se demander s’il existait). Elle était tournée vers les autres, elle les accueillait, elle les écoutait. C’était sa vocation — héritée sans doute de son père pasteur. C’est une de ces « vies minuscules » dont parle si bien Pierre Michon. La leçon qu’elle m’a donnée est une leçon d’humilité, de générosité et aussi de liberté. Elle possédait près de 60 appartements au centre-ville de Genève, ce qui n’est pas rien, et elle vivait comme une pauvresse, sans se soucier du regard des autres, sans écouter les conseils de sagesse ou de prudence qu’on lui donnait ! En m’accueillant chez elle, elle m’a permis de me consacrer à l’écriture. Elle a joué un grand rôle dans ma vie. Mon livre est une modeste tentative de lui rendre justice.

    Valérie Debieux : Tout comme l’éditeur Claude Frochaux, qui a été le bras droit de Vladimir Dimitrijevic, pensez-vous que les dernières lignes d’un roman préfigurent celles de l’œuvre à venir ?

    Jean-Michel Olivier : Rien de plus juste, ni de plus mystérieux ! On termine un roman, on pense en avoir fini avec ses personnages, son histoire, ses décors, et le roman se poursuit en nous, à notre corps défendant, dirait-on. La dernière image du Voyage en hiver (1994) est un grand bateau qui s’approche de la rade de Genève. Et ce bateau (qui s’appelle L’Esprit de vengeance !) revient aux premières pages du livre suivant, Les Innocents (1996) ! Bien sûr de manière inconsciente ! L’écriture — sa source, son élan — est toujours souterraine. Il suffit d’écouter sa voix. Les mots remontent à la surface comme s’il y avait une mémoire engloutie quelque part. C’est un phénomène très étrange… 

    Valérie Debieux : Avez-vous déjà pensé à écrire une pièce de théâtre relative à Voltaire ou à Jean-Jacques Rousseau ?

    Jean-Michel Olivier : Oui, en fait j’ai écrit une nouvelle sur la dernière nuit de Jean-Jacques Rousseau (« Le Dernier mot »), nouvelle que j’ai adaptée au théâtre. Le texte a été lu sur plusieurs scènes, mais jamais encore monté.

    Valérie Debieux Vous avez reçu le «Prix Interallié» pour votre ouvrage «L’Amour nègre». Est-ce que ce Prix a changé quelque chose dans votre vie d’écrivain ?  

    Jean-Michel Olivier : Un grand Prix parisien offre beaucoup de visibilité à un auteur et à son livre. Par exemple, en ce qui me concerne, on a pu trouver L’Amour nègre pendant toute une année sur les présentoirs des librairies, en Suisse comme en France ou en Belgique, entre Michel Houellebecq et Virginie Despentes ! amour.nègre.jpegC’est une chance unique pour le livre de trouver ses lecteurs. En outre, il y a eu près de 500 articles sur le livre (je me souviens encore d’un compte-rendu dans Le Courrier du Vietnam !) et des reportages sur toutes les chaînes de télévision. Bien sûr, avec cette soudaine renommée, la pression monte énormément. Mais j’avais déjà publié 20 livres avant L’Amour nègre et je savais que j’allais continuer à écrire.

    Valérie Debieux Depuis 2006, vous dirigez la collection «poche» auprès de la Maison d’édition de L’Âge d’Homme. Quels sont vos critères de sélection ?  

    Jean-Michel Olivier : En fait, j’ai dirigé la collection Poche Suisse entre 2006 et 2012. Il s’agissait de mettre en valeur les trésors souvent peu ou mal connus de la littérature suisse. J’ai essayé aussi de publier des inédits et des œuvres de jeunes auteurs. Hélas, la nouvelle direction de l’Âge d’Homme a supprimé une grande partie des collections et mis sur la touche ceux qui les dirigeaient. C’est dommage. Le monde du livre traverse une crise sans précédent. Mais le livre de poche, à mon sens, va occuper une place déterminante dans la nouvelle économie du livre.

    Valérie Debieux On peut dire que vous n’aimez pas les «zones de confort» en matière d’écriture. Existe-t-il encore des thèmes que vous souhaiteriez aborder dans vos futurs écrits ?  

    Jean-Michel Olivier : Comme j’aime faire ce qui ne se fait pas, j’aime écrire ce que l’on n’écrit pas. C’est une manière de débusquer les faux-semblants et de chasser les illusions. Et notre époque — qui est celle de la communication de masse et des nouvelles technologies — est particulièrement propice aux illusions. Je ne suis pas un adepte de la théorie du complot, mais il faut bien admettre que la part d’ombre qui entoure les hommes augmente en exacte proportion des flots de lumière qu’on projette sur eux ! Et puis j’aime bien faire tomber des statues de leur socle (c’est mon côté iconoclaste !) et remettre les choses en perspective. Quant aux thèmes à traiter, ils sont légion : politique, religion, dictature économique, mondialisation, lubies alimentaires… J’aime l’idée qu’un livre nous ouvre les yeux sur la réalité, qu’il dénonce un mensonge ou une imposture.

    Valérie Debieux Je vous laisse le mot de la fin…

    Jean-Michel Olivier : Le livre le plus important est toujours le prochain. Le mien parlera des femmes et du petit monde littéraire d’aujourd’hui. Il contera l’histoire d’un écrivain qui vit seul avec son chat, au bord du lac Léman, mais est environné — voire harcelé ! — par des femmes qui lui veulent toutes du bien ! Ce sera un roman plus léger que le précédent. Quand on demandait à Voltaire de parler de son travail, il disait simplement ceci : « Je fais la satire du genre humain. » En toute modestie, je prends cette formule à mon compte. 

    Entretien mené par Valérie DEBIEUX

    * Jean-Michel Olivier, L'Ami barbare, de Fallois-l'Âge d'Homme, 2014.

  • Bref éloge des salons*

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    par Jean-Michel Olivier

    Au commencement, il y a le désir ; s’il n’y a pas de désir, il n’y a pas de commencement.

    En 1986, je lance, avec deux amis proches (Anne de Charmant et Frank Fredenrich) une revue culturelle : SCÈNES Magazine. Le désir était fort. Et un peu inconscient. Il n’y avait pas, en Suisse romande, de magazine exclusivement consacré à l’actualité artistique. Le pari était fou. Il tient toujours, 30 ans plus tard.

    La même année, Pierre-Marcel Favre et quelques autres (dont l’éditeur Vladimir Dimitrijevic) lancent à Genève le premier Salon du Livre et de la Presse. C’est un pari risqué. images-3.jpegÀ l’époque, il suscite des sourires gênés ou des remarques acerbes. La Suisse est un petit pays : qui cela peut-il bien intéresser ? On n’aime pas, chez nous, les têtes qui dépassent. Et, au Salon du Livre, il y a beaucoup de têtes qui dépassent…

    Lors de l’inauguration, je m’en souviens, les stands n’étaient pas si nombreux (et beaucoup étaient vides). Les journaux de la place, qui avaient accepté de jouer le jeu, occupaient les postes les plus en vue. Avec SCÈNES Magazine, nous avions un emplacement stratégique. Cela nous permit de présenter notre toute nouvelle revue à une foule de lecteurs, plus ou moins curieux, dont une grande partie s’abonnèrent sur-le-champ (c’est au Salon du Livre que la revue recrute le plus de nouveaux abonnés). Pour moi, ce fut également l’occasion de croiser, au carrefour des allées, des écrivains que je rêvais de rencontrer, comme Antonio Tabucchi, Pascal Quignard, Jacques Chessex, Alexandre Zinoviev, Pascal Bruckner, Bouthaina Azami (photo ci-contre) images-2.jpeget tant d’autres. De ces rencontres inopinées, autour d’un verre de vin ou d’une tasse de café, est née une amitié qui dure encore...

    Au fil des ans, le Salon s’est transformé. Des journaux ont disparu (Le Journal de Genève et La Suisse). D’autres sont apparus (Le Temps). Il a pris, peu à peu, des allures de grand souk — ce qui a découragé certains visiteurs qui s’y rendaient chaque année. Trop de bruit ! Trop de remue-ménage ! Les livres aspirent à la solitude et au silence de la lecture.

    Lieu de rencontre, d’échange et de débats, le Salon du Livre est devenu indispensable. Pour les éditeurs, qui peuvent exposer leurs livres. Pour les auteurs, qui peuvent rencontrer leurs lecteurs (s’ils le souhaitent). Pour les journalistes, qui voient se rassembler, à cette occasion, tout le petit monde littéraire, dispersé aux quatre coins de la francophonie. Pour le public, enfin, c’est-à-dire vous, moi, qui peut se retrouver autour d’une passion commune pour la littérature.

    * Ma contribution au magnifique ouvrage édité par Isabelle Falconnier et Adeline Beaux à l'occasion du 30è anniversaire du Salon du Livre de Genève.

     
  • Les plaisirs du dimanche soir (Jérôme Garcin)

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    par Jean-Michel Olivier

    Qui mieux que Jérôme Garcin — qui dirige sa petite troupe de critiques  depuis 26 ans — était mieux placé pour parler du Masque et la Plume ?  Personne, évidemment. Dans un livre chaleureux, bourré d'humour et d'émotion, Garcin nous fait pénétrer dans le coulisses de cette émission, devenue culte, qui réunit tous les dimanches soirs, sur France-Inter, des centaines de milliers d'auditeurs. Les coulisses et les secrets, de fabrication comme de longévité : il est très rare qu'une émission culturelle ait une vie aussi riche et mouvementée…

    images-4.jpegNos dimanches soirs* prend la forme d'un abécédaire où Garcin nous entraîne à sa suite, épelant les diverses facettes d'une émission, imaginée il y a soixante ans par le poète Jean Tardieu, qui ne devait parler, à l'origine, comme son titre l'indique, que de théâtre et de littérature. Animée, au départ, par François-Régis Bastide et Michel Polac — l'eau et le feu —, elle s'ouvrit ensuite au cinéma (ah ! les prises de bec entre Jean-Louis Bory et Georges Charensol !), puis à la musique et à la télévision. Et l'aventure, qui ne devait durer qu'une saison, se prolonge encore aujourd'hui, avec d'autres acteurs, pour notre plus grand plaisir…

    Car Le Masque et la Plume, qui devait être une sorte de salon littéraire, assez proustien, se transformera bientôt en plateau de théâtre, avec ses comédiens, son velours et ses ors, sa mise en scène, ses coups de gueule et de sang, etc. Et Garcin, qui de son propre aveu n'était pas fait pour ça, dirigera bientôt sa petite troupe de comédiens-critiques de main de maître, et la baladera aux quatre coins de l'Hexagone. img_5959.jpgThéâtre, tribunal ou jeux du cirque ? Certains apprécieront ce joyeux brouhaha, où les piques et les saillies sont toujours de rigueur, d'autres se fâcheront tout rouge (tel Patrice Leconte) à force d'être éreintés par ces mauvaises langues qui ne résistent jamais à faire un bon mot, surtout s'il est méchant…

    Garcin nous brosse une série de portraits attachants, où les morts côtoient les vivants (même s'ils sont de plus en plus nombreux). Il fait revivre avec brio les fantômes qui ont prêté leur voix à l'émission. Dans cet exercice — de mémoire comme d'admiration — Garcin excelle, comme il a excellé dans l'hommage rendu à son frère jumeau, Olivier**, images-3.jpeget comme il vient de le faire dans le livre magnifique qu'il a consacré à Jacques Lusseyran***, « l'aveugle clairvoyant », rescapé des camps de la mort et grand résistant. 

    Chaque dimanche soir, en ouverture de l'émission, Garcin a pris l'habitude de lire à l'antenne des extraits du courrier reçu pendant la semaine. Il cite dans son livre des lettres extraordinaires, drôle, cocasses, émouvantes. Souvent, dans ces lettres, celui qui prend la plume avance masqué ! Les pseudonymes fleurissent, comme les jeux de mots et les canulars. Le Masque et la Plume a été l'une des premières émissions « participatives », comme on dit aujourd'hui. Et Jérôme Garcin, comme à l'ensemble de sa troupe de saltimbanques, rend un hommage vibrant aux millions d'auditeurs qui écoutent fidèlement l'émission en France comme en Allemagne, au Canada comme en Antarctique…

    * Jérôme Garcin, Nos dimanches soirs, Grasset, 2015.

    ** Olivier, Folio, 2011.

    *** Le Voyant, Gallimard, 2015.

  • Le Jardin des muets (Trieste)

    par Jean-Michel Olivier

    images.jpegIl y a, près du port, un parc public appelé le Jardin des Muets.

    En partant de la ville, on descend vers la mer. On tourne à droite après la Poissonnerie, puis on remonte en direction de l’église San Giusto. Mais on ne va pas jusque-là. On entre dans un parc immense et silencieux que peu de gens connaissent. Il y a des frênes aux belles fleurs écarlates et des arbres de Judée.

    Mais ce qui fait le charme de ce jardin secret, c’est le silence qui y règne. Un silence de lecture ou de mort. C’est là que je venais lire ou écrire, loin des bruits de la ville, quand j’étais au lycée. On n’est jamais seul quand on lit un bon livre. On converse en silence avec les ombres. On voyage dans le temps et l’espace du rêve. On vit des aventures qui vous emportent au bout du monde ou vous font visiter votre ville, comme si elle était étrangère.

    Je voulais vous montrer ce jardin, Romano, c’est le jardin de mon enfance, mon refuge et ma joie.

    Un jour, était-ce fin avril ou début mai, je ne sais plus, nous quittons de bonne heure la librairie et nous longeons le Grand Canal. Un peu partout, les acacias en fleur sont déjà couverts d’hirondelles.

    Trieste est une ville de l’été et l’été, ici, commence au début mai et finit en octobre.

    Je cueille une branche de mimosa, je vous la donne et vous la respirez longuement, les yeux fermés, comme si vous récitiez une prière. Vous avez toujours été sensible aux fragrances, et celle-ci vous transporte.

    images-3.jpegOn croise alors Umberto Saba, son béret sur la tête et la pipe à la bouche. Il est appuyé sur une canne.

    Vous êtes impressionné, Romano, face au poète silencieux qui vous regarde avec ses yeux de bronze.

    Plus loin, il y a Italo Svevo, sa grosse moustache et son nœud papillon, qui semble regarder ailleurs, toujours, vers l’horizon brumeux. Un mauvais plaisantin a aspergé son buste images-4.jpegde peinture rouge. Alors on jurerait qu’il a reçu un coup de hache ou de marteau sur la tête.

    Vous cherchez Ezra Pound, le poète maudit. Il est caché derrière un cèdre noir, tout au bout de l’allée, dos au cimetière. Regard fou, cheveux en broussaille, moustache et barbichette mal taillées. Le Paradis, voilà ce que j’ai tenté d’écrire. Mais le Paradis du poète s’est brisé quelque part entre Venise et Trieste, la prison et l’asile psychiatrique. images-5.jpegLui qui considérait le sexe comme un sacrement et n’acceptait pas que l’Église touche l’argent destiné aux artistes et aux philosophes, il a fait vœu de silence depuis qu’on l’a accusé de trahison…

    Au détour d’une allée, je vous montre le buste d’un illustre anonyme. Ses cheveux noirs sont coiffés en arrière et collés sur son crâne avec de la brillantine. Il a une partition de piano sous le bras. Sa petite moustache lui donne un air joyeux. Détaché des réalités du monde. C’est mon grand-père Heinrich. Heinrich Peter Buchacher. Musicien amateur et photographe du Duce. Je lui lance un baiser de la main.

    Je vois que vous cherchez quelqu’un, Romano, dans cette crypte à ciel ouvert. Mais vous ne l’avez pas trouvé…

    « Et Trieste ! Ah Trieste a mangé mon foie ! »

    La nuit tombe déjà. Les portes du jardin vont bientôt se fermer. Il faut quitter le colloque des bustes.

    Mais vous n’écoutez pas et vous m’entraînez par la main.

    images-6.jpegDerrière une allée de cyprès, au milieu d’une pelouse, face à la mer qu’on entend murmurer, il y a un homme debout, son chapeau de guingois sur la tête, un bandeau de pirate sur l’œil gauche, une petite moustache, appuyé sur une frêle canne en jonc.

    « Ah ! Le voilà… »

    Vous approchez du poète irlandais qui a vécu et écrit ses plus belles pages dans cette ville, celui qui a réinventé l’odyssée quotidienne d’un petit juif de Dublin à la table des cafés de Trieste, entre deux leçons particulières d’anglais et ses cours de l’école Berlitz.

    « James Joyce ! »

    Il semble cligner de l’œil, nous inviter à boire avec lui un verre de pur malt et sourire de cette farce qui fait de lui un écrivain académique, coulé dans le bronze, lui qui n’a cessé de bouger, comme vous, Romano, l’exilé, l’étranger constamment au début de son histoire…

    Dans la vie, vos héros sont des artistes !

    J’entends des pas dans l’allée. Je vous prends par le bras, mais vous ne voulez pas partir.

    Vous êtes un étranger, Romano, arrivé clandestinement en Italie avec de faux papiers ! Vous risquez d’être arrêté, jeté en prison, refoulé dans votre pays…

    Deux carabiniers, en grande conversation sportive, débouchent de l’allée. Ils ne nous ont pas vus. J’empoigne votre bras et nous disparaissons sous les branches du cèdre. Je colle ma main sur votre bouche.

    Les pandores poursuivent leur ronde. Ils ne regardent pas autour d’eux. Ils continuent à s’engueuler. Qui va gagner le match de dimanche entre la Triestina et l’Inter de Milan qui occupe la tête du championnat d’Italie ? Est-ce que l’Inter va jouer avec Bruno Masta et Fulvio Nesti ? Dans ce cas, les Triestins n’ont pas l’ombre d’une chance…

    Je sens que vous avez envie d’ajouter votre grain de sel.

    Heureusement que les carabiniers sont loin !

    Leurs voix se perdent dans l’air du soir.

    Vous embrassez ma main et je vous laisse faire. Vous embrassez mon bras, mon cou, mes seins. Je ne fais rien pour arrêter votre fougue. Nous nous laissons glisser sur la pelouse, dans la nuit parfumée. Nos baisers n’ont pas de fin. Notre désir non plus.

    Joyce nous regarde en clignant des paupières. 

  • Opération Tandem à Casablanca

    par Bouthaïna Azami

    le360_fw_img_31021.jpgDans le cadre des tandems organisés par le Salon du livre de Genève et le Salon de Casablanca, j'ai eu le bonheur de dialoguer, ce dimanche 15 février, avec Jean-Michel Olivier, Prix Interallié 2010. Une plume et un univers dont on a le sentiment de ressortir grandi.

    Jean-Michel Olivier est reconnu pour être l’un des plus grands écrivains suisses de sa génération. Né à Nyon, il vit depuis trente ans à Genève où il se partage entre son activité d’enseignant et l’écriture. Auteur d’une vingtaine d’ouvrages, essais, livres autour de la photographie et de l’art contemporain, romans, Jean-Michel Olivier a reçu, en 2010, le Prix Interallié pour son romanL’amour nègre. Un roman qui, me confiera-t-il lors d’une rencontre dans le cadre du Salon du livre de Casablanca, marque un tournant dans sa carrière pour être très différent de ses précédents écrits.

     

    De La Dame du Fort-barreau à L’amour nègre

    Avec L’Amour nègre,  Jean-Michel Olivier quitte en effet la Suisse et, notamment, sa ville de Genève, son quartier des Grottes qui vous prend par la main et vous mène, dans Notre dame du Fort-barreau, à la rencontre de Jeanne. Jeanne, cette «sublime mendiante», «les cheveux en bataille, les bas mités, le châle qui part en filoche» mais qui a «cette flamme dans (les) yeux». Cette flamme, bouleversante, qui irradie de cette lumière émanant de ces être rares qui ont renoncé au monde sans pour autant cesser d’aimer les hommes. Qui ont renoncé au monde pour mieux aimer les hommes. images-8.jpegEt Jeanne, je l’ai croisée aussi. Nous avons de temps à autre échangé un sourire, quelques mots, dans ce quartier où j’ai vécu durant trente ans, comme Jean-michel Olivier, que j’ai dû certainement croiser aussi, sur cette fameuse rue du Fort-Barreau ou dans les ruelles de ce village des Grottes où tout le monde se retrouve finalement, dans les mêmes lieux, les mêmes cafés... Mais il aura fallu ce Salon du livre de Casablanca pour que la rencontre se fasse vraiment. Et l’univers de l’écrivain m’a d’autant plus touchée que la plume est juste; incisive, certes, mais sans jamais sombrer dans le pathos, car elle trempe dans cette encre dont seuls les Suisses ont le secret: une plume d’un amour et d’une générosité uniques qui se déprend de soi pour se prendre à l’autre, s’éprendre de l’autre. Se prendre à Jeanne qui va les bas troués, livrée à la cinglante bise genevoise; Jeanne sur laquelle d’aucuns se retournent comme sur une miséreuse «folle» et qui,en réalité, est la propriétaire de deux immeubles dans lesquels elle accueille ceux qui n’ont pas de lieu et parfois pas même lieu. Jeanne, qui fera visiter au narrateur,  qui n’est autre que Jean-Michel Olivier lui-même, un appartement dans lequel il s’installera comme dans un sanctuaire, tant la rencontre avec cette «fée» le prendra dans l’âme et la chair. Un sanctuaire, «Un oratoire» gorgé de mémoires à présent absentées qu’il traque, armé de son Nikon, tant elles hantent l’espace, imprègnent les murs. «Un oratoire» car, ces mémoires des lieux, Jeanne vient désormais lui en livrer les secrets, elle qui lui rend à présent visite chaque jour, s’annonçant d’un discret coup asséné à la porte de «la pointe du pied». Ainsi, elle lui racontera qu’un certain Vladimir Illitch –«Lénine, vous voulez dire?»- avait passé là «une soirée mémorable».

     

    Jeanne? «Une fée», «une amie». Pour d'autres, enfin pour ceux que ça arrange: «une folle». Comme pour ces épiciers qui la rabrouent, l’humilient en public tandis qu’elle cherche dans son porte-monnaie les pièces pour payer ses courses. Scène, prenante, à laquelle assiste, pétrifié, l’auteur-narrateur: «Pas un mot, pas un geste pour vous, Jeanne, qui m’avez tout donné. J’écoute et je reste impuissant, prisonnier de mon lamentable silence. Je disparais dans ce désert d’hommes et de femmes confondus dans une même lâcheté. La lâcheté des groupes et des troupeaux, des meutes de chiens.»       

    Et le narrateur d’entrer alors dans une culpabilité insurmontable, qui l’exilera de lui-même. Serait-il désormais de ces hommes, ces femmes, qui lui soulèvent le cœur? Non, car il a une conscience. Une conscience qui le ronge, à présent, au point de l’acculer au suicide. Tentative avortée par une femme qui le tirera des eaux du fleuve dans lequel il s’était jeté et se fera, après une aveugle nuit d’amour avec le narrateur, une sorte de vertigineuse métaphore de l’acte d’écrire. Un corps-à-corps où l’écrivain se perd, guidé comme malgré lui par une «vérité » qui le consume, dans laquelle il s’annihile comme pour mieux renaître à lui-même. Et ce livre qui vous invite, dès la page de couverture, à vous saisir de la main en heurtoir plantée dans la page bleutée pour frapper, de la pointe des doigts fondus à d’autres doigts, à la porte fermée sur d’édifiants émois.

     

    L’Amour nègre

    Quittons la Suisse. Pour mieux, finalement, y revenir. Jean-Michel Olivier s’en va, dans ce roman prenant, suivre les périples de Moussa, né «dans un village coincé entre la mer et un volcan éteint», en Afrique; né d’un père qui «avait dix épouses et une kyrielle d’enfants. C’était le seul et meilleur moyen qu’il avait trouvé pour ne pas travailler. Il passait ses journées sous l’aloès. Avec une calebasse remplie de vin de palme. (…) Le soir, il titubait d’une case à l’autre et distribuait des volées de Bambou».  Dès les premières lignes, c’est un couperet qui s‘abat sur le lecteur. Le décor est planté, saisissant de violence.

    images-9.jpegBientôt, Moussa, vendu par son père contre un téléviseur à écran plat, sera rebaptisé Adam par sa famille d’adoption. Nouvel homme promis au Paradis? Pas vraiment. Objet pour son père, Adam poursuit son destin de «nègre». Et nous ne sommes pas là dans la «négritude», digne et rebelle, d’un Aimé Césaire. Mais dans les acceptions les plus viles de ce mot «nègre». «Une insulte», dira Jean-Michel Olivier. Bien plus que cela, une violence, une absence dans le déni, un déni originel condamnés à des murs, ou barreaux, assassins, contre lesquels il s'en va se fracasser irrémédiablement se fracasser, aussi "blin-bling" soient-ils.

    L’Amour nègre?  L’amour de consommation, de substitution, l’amour-objet avilissant. Le nouvel Adam chutera dans les paradis artificiels d’Hollywood, ceux de Brad Pitt et Angelina Jolie auxquels l'auteur fait allusion. Et Moussa n’y trouvera pas sa place et passera de main en main, de pays en pays, dans un livre subdivisé en chapitres comme autant d’expériences cumulées du démembrement, de la dissolution de soi qui n’aura finalement d’autre alternative que de se faire siens les préjugés qui l’accablent et qu’il trimballe dans sa peau.

    Une vertigineuse dénonciation de cette nouvelle ère de la mondialisation négatrice et de la consommation à outrance qui ne fait qu'exacerber, de façon d'autant plus outrancière qu'elle revêt, sournoise, l'habit de l'hôte philanthrope. 

    Photo © Copyright : Brahim Taougar-Le360