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Carnets de Corah

  • Les Carnets de Corah (Épisode 86)

    Épisode 86 : Marc JURT en rêvant : L’Observateur

    MARC JURT L'OBSERVATEUR.pngTiens ! D’où nous observes-tu, l’artiste ? De ton fantasque atelier balinais suspendu dans les airs, de ce vaisseau ivre que tu ouvres spécialement à notre regard ?

    Nous y découvrons l’intérieur de la nacelle en bambous qui se balance aux vents comme une drôle de machine à vapeur. C’est ton poste d’observation. Il produit cette nébuleuse qui n’est peut-être qu’un trompe-l’œil, un lieu commun ou un rêve hippie alliant chemise à fleurs, palmiers et invitations au voyage.

    Tu t’inscris dans la vague de brume, tu te mets dans l’abîme. Je vois mieux la pupille dilatée de tes yeux clairement dessinée à travers une paire de jumelles créant ainsi une distance entre nous, une sorte d’écran comme si tu te cachais, espiègle, derrière un masque. Espères-tu voir sans être vu ?

    Où porte ton regard ? vers un avenir qui se dessine dans la nébuleuse du temps ? C’est ici, aujourd’hui, que j’aime te retrouver. Et peut-être nos regards se sont-ils rencontrés.   

    Marc Jurt. L’Observateur, 1981. Eau-forte et aquatinte en noir et bleu ; 27,9 x 19,8. Catalogue raisonné, n93.

    Note de Marc JURT à propos de L’Observateur  : « Autour des différentes maisons dans lesquelles j’ai gravé ». Catalogue raisonné, p. 50.

  • Les Carnets de Corah (Épisode 85)

    Épisode 85 : Marc JURT en rêvant : Daphné

    JURT-DAPHNEXX.jpegIls sont comme deux bambous aimants, côte à côte, noués par un lien plus souple qu’une alliance. Leurs vœux sont ici gravés sur une plaque puis reproduits ailleurs dans l’œuvre à la manière d’un souvenir résurgent de l’artiste ou d’une fête d’anniversaire. Le temps n’a pas de prise sur cette empreinte. Le couple tient miraculeusement debout sans ancrage, se protégeant, dans le creux l’un de l’autre, des pluies célestes. Ils sont captifs et seuls au monde.

    L’image d’Épinal est peut-être belle : ensemble pour la vie ! Mais le réel n’est pas une idée fixe, une promesse à tenir ou un lieu commun. Il a besoin de mouvement, d’absence et de liberté comme une solution de continuité. Couchant leurs désirs sur un papier de Bali sablonneux, les aimants s’écartent sans se repousser, lâchent la bride, nouent d’autres liens, élargissant le cercle. Ils choisissent un nouveau terrain de jeu couleur ocre. Mais ils sont trois à présent. Faudra-t-il tenir compte du tiers-exclu ?

    La rupture avec le réel ouvre ainsi un espace imaginaire qui, avec le temps, trouve une forme d’harmonie et de légèreté bienvenue. L’attache est toujours présente, forte et plus souple qu’une alliance.

    Marc JURT. Daphné XX, 1988. Monotype, pointe-sèche et aquatinte, avec papier Bali appliqué, réhaussés de gouache blanche. Sur papier Népal, 68 x 49 cm. Épreuve unique.

  • Les Carnets de Corah (Épisode 84)

    Épisode 84 :  Marc JURT en rêvant : Feuille inclinable

    JURT-FEUILLE.jpegDeux plans : le réel éphémère et l’imaginaire chronique.

    Une feuille singulière est enroulée au-dessus de son ombre, délicate offrande de la nature qui sèche au soleil, elle est saisie avant sa décomposition. Sa forme abstraite se démultiplie en plusieurs giclées superposées comme autant de paliers. Le regard suit l’élévation. La trajectoire est ascensionnelle, puis retourne vers le réel par les canaux verticaux que sont les deux coulées obscures qui semblent s’écraser au sol tels deux pinceaux qui trempent dans l’acrylique sombre. Le mouvement est circulaire et ouvre un passage entre les deux plans.

    Sur les traces de l’artiste, j’ai visité, à la Bibliothèque de Neuchâtel, le fonds Marc Jurt où sont conservés aujourd’hui ses carnets de notes intimes ainsi que des poèmes qui l’ont accompagné tout au long de sa vie. C’est ainsi que j’ai découvert certains de ses projets, tels que les sacs Migros distribués en 1988 ou les fameuses graines d’Épicure issues d’une collaboration avec l’artisan chocolatier Walder. Sur la boîte de chocolat, j’admire cette Feuille inclinable qui semble nous entraîner dans une expérience synesthésique, en effet, à l’intérieur du coffret, un poème de Jean-Michel Olivier et des chocolats en forme de feuille ou de graine, alliant gingembre et cacao.

    — Viens, s’enthousiasment Martine et Lucinda, allons goûter à ces merveilles ! Vive ce feu d'artifices des saveurs d'une exquise sensualité qui laisse une empreinte  comme un bonheur intense dressant le corps vers un supplément d'âme. Une graine de plaisir qu'Épicure aurait su planter en son jardin!

    Marc JURT. Feuille inclinable, 1996. Aquatinte, pigment, pointe-sèche, papiers Japon, Népal et Vietnam sur bois, 122 x 82 cm. Œuvre reproduite sur les coffrets de chocolat du confiseur-chocolatier Walder à Neuchâtel.

  • Les Carnets de Corah (Épisode 83)

    Épisode 83 :  Marc JURT en rêvant : La mémoire résurgente

    Jurt. Mémoire résurgenteSur la toile de fond, les quatre éléments se frottent les uns aux autres, circulant dans la masse épaisse du temps où se profile plus bas, le triptyque de la mémoire résurgente.

    Au centre, un coquillage inoccupé, vidé de sa substance. Abandonné comme les restes d’un festin exquis. L’enveloppe tangible témoigne des époques successives qui ont été nécessaires à sa croissance pour servir de frontière protectrice, de cocon nourricier au vieil hôte des lieux, aujourd’hui enfoui. Il n’y a plus âme qui vive ici ! Seul ce cercueil ouvert parle encore de son passage sur terre.

    Sur l’estampe de gauche, deux cellules s’aimantent sans se toucher comme deux nageuses synchronisées. Peut-être sont-elles cultivées in vitro dans le but de fabriquer un être nouveau ? Un songe ex nihilo, sans racine ni mémoire, qui ressemble à un être artificiel capable d’ondoyer en de souples identités. Le matin, bambou, le soir, huitre perlière.

    À droite, une graminée en chute libre au-dessus d’un massif d’herbes sauvages. L’esprit insoumis se distingue du groupe. Souple comme le roseau, stoïque comme le bambou, il trace sa voie avec fluidité au hasard des rencontres.

    Faut-il se souvenir de son corps, de son esprit créateur et du hasard pour fonder l'avenir ?

    Marc JURT. La mémoire résurgente, 1990. Aquatinte au sucre, pointe-sèche et vernis mou en noir, bleu-vert, bleu-gris et brun sur quatre plaques ; 11,9 x 13,8 cm, 11,9 x 13,8 cm, 11,9 x 13,8 cm et 59, 4 x 46, 1 cm. Catalogue raisonné, n203.

  • Les Carnets de Corah (Épisode 82)

    Épisode 82 :  Marc JURT en rêvant : Poleng II

    JURT-POLENGII.jpegNous sommes ici en territoire sacré : une offrande où se consume un bâtonnet d’encens, un tissu en damier noir, blanc et gris indiquant la présence d’un élan vital et la trace profonde et opaque d’une ouverture fugitive. L’esprit des lieux s’est-il manifesté sous le trait spontané du bambou créateur ?

    Cric crac, esprit es-tu là ? J’entends le souffle de ton transport, l’air peu à peu se densifier. Le vertige s’empare de ma pensée éolienne. Les idées fuient dans le couloir du temps. La vapeur d’encens me connecte à l’imprévisible. Je tiens le bambou trempé dans la noire acrylique. Le geste suspendu à ta force trace confiant une giclée opaque. Il n’a eu droit qu’à un seul essai pour s’accomplir.

    Cric crac, la longue allée noire garde le souvenir de ton passage, poussière de comète, sous le trait si librement exprimé. Quelle force a piloté le geste et inscrit son éclat furtif comme une figure absente ? C’est une source non pas soigneusement attendue, mais miraculeusement accueillie. Comme un don ou une offrande.

    Cric crac, la joie me ravit encore que l’esprit n’est déjà plus !  

    Marc JURT. Poleng II, 1996. Acrylique, pigment, pointe sèche, tissu, papiers Japon et Népal sur bois, 112 x 61 cm.

  • Les Carnets de Corah (Épisode 81)

    Épisode 81 :  Marc JURT en rêvant : L’œil du vent

    JURT-ŒIL.jpeg

    Ceci n’est pas un crâne d’hippopotame.

    Cet animal a le crâne venteux. Il ne grogne plus d’ennui dans l’eau d’une rivière africaine, sa mâchoire est comme verrouillée. L’œil du vent frénétique roule dans l’orbite vide et se cogne à l’arcade sourcilière anormalement plane pour un hippopotame. L’érosion a-t-elle modifié sa morphologie ? Sa mandibule est largement trouée laissant entrevoir par l’œil-de-bœuf, un ciel circulant, agité. Les os sont devenus si poreux, qu’ils ne sont déjà plus une frontière entre la matière et l’esprit.

    Où sont désormais partis ses rêves de pachyderme, ses souvenirs d’amphibien qui n’a connu comme prédateur que l’arme du chasseur ? Sa mémoire de la savane a-t-elle disparu dans l’épaisseur du temps ? Le vide a-t-il ainsi trouvé sa forme caverneuse et osseuse ? Une forme qui ne durera pas tant le squelette s’érode et devient par la force du vent une poussière d’os, pulvérisée au loin. Ne restent que le souffle et cette trace de pointe-sèche sur une plaque de cuivre.

    Quand j’aurai du vent dans mon crâne, que restera-t-il de moi ?

    Marc JURT. L’Œ¡l du vent, 1988. Pointe-sèche et aquatinte au sucre en noir et brun ; 27,7 x 43,1 cm. Catalogue raisonné, no184.

    Note de Marc JURT à propos de L’Œil du vent : « Gravures réalisées à partir de détails observés sur un crâne d’hippopotame. ». Catalogue raisonné, p. 51.

     

  • Les Carnets de Corah (Épisode 80)

    Épisode 80 :  Marc JURT en rêvant : Furia V

    JURT-FURIA V.jpg

    Quel est ce profil à l’orbite immense ? Il vient nul doute d’un passé lointain. Il est d’os et d’ombre. Un irréductible crâne animal, sans regard évidemment, ni chair, s’échauffant presque comme auréolé d’un jaune pâle et tendre. Ses naseaux soufflent une passion incertaine, d’un noir profond qui azure mes craintes. Un signe bien étrange s’exile au milieu du désert  et cavale sous mes yeux !

    Ici, le crâne est le tombeau de l’âme. Ici, l’esprit s’évade furieusement de la carcasse. Le monde gravé de la mémoire, figure absente, fait naître librement l’esprit intuitif.

    J’ai parfois l’impression de sentir la présence d’un disparu. Lequel, je ne sais ! Je le ressens comme un signe de l’autre monde, parallèle. J’en viens à le guetter les jours d’anniversaire. On dirait qu’il s’incarne dans une rencontre fortuite, presque toujours sur l’artère d’une grande ville, Genève ou Toronto. Il est là, le nomade, pressé mais attentif. Il se manifeste de manière incongrue pour se faire remarquer. La dernière fois, il se promenait avec une chaise de cabaret sur les épaules. « Dis, tu veux danser ? ». Une autre fois, il m’a tendu un billet de 50 dollars : « Tiens, tu en auras plus besoin que moi !». Une fois encore, il m’interroge à la sortie du métro : « Dis, tu veux m’épouser ?». Les esprits ne sont-ils pas nos courtisans ?

    Marc JURT. Furia V, 1998. Acrylique, pigment, pointe sèche, papiers Japon et Népal sur toile, 55 x 38 cm.

  • Les Carnets de Corah (Épisode 79)

    Épisode 79 :  Marc JURT en rêvant : Terra incognita

    MARC JURT-TERRA INCOGNITA.jpg

    Terra incognita

    J’aime cette carte d’un territoire inconnu qui s’offre comme un désert ou un cratère. De ce mont de Vénus pointe un gland touffu, comme une montée de sève. Dans la ligne de fuite, l’horizon s’élève vers son point de mire, un halo unique et vaporeux.

    Coupé du paysage par un cadre blanc, un territoire souterrain s’étend sur deux bandes superposées et horizontales qui débordent de chaque côté. À l’inverse du territoire à explorer avec figure absente, réalisé à la pointe sèche, le monde d’en bas s’inspire du monotype, soit d’une technique d’impression sur plaque à exemplaire unique. À moins que ce ne soit le contraire. Peu importe, deux mondes réalisés grâce aux techniques de la gravure se juxtaposent. L’un figuratif, multiple, exulte et s’élève ; l’autre abstrait, singulier et unique, reproduit sans relâche le projet artistique.  

    Marc JURT nous livre ici sa version de l’origine du monde. 

    Marc JURT. Terra Incognita III, 1994. Monotype, pointe sèche, papier Japon appliqué, rehauts d’acrylique blanc, sur papier Moulin de Larroque, 64 x 92 cm. Épreuve unique.

  • Les Carnets de Corah (Épisode 78)

    Épisode 78 :  Marc JURT en écrivant quelques haikus

    KAYU PISANG.jpg
    KAYU PISANG

     

    Le yin du geste peint

    Le yang de l’orchidée gravée

    Ô bambou créateur !

    L’élan vital

    Comme une trace noire jaillit

    À l’envers du décor

    Sur l’écorce de bananier

    Signe orchidée bambou

    Simulent le vertige

    L’orchidée et les trois pinceaux

    Voici le sujet. Voilà les outils.

    Quel est le signe ? Je ne sais, mais quel style !

     

    DAPHNE 

    JURT- DAPHNE CLXII, 1997.jpg

    Quelle gousse ? Quelles graines ?

    Je ne vois que l’ombre

    Et une giclure rouge comme un sanglot.

     

    Avec le vent

    La cosse de pois est vide

    Sèche matrice

    Poumon ensanglanté

    Kyste énucléé

    Respire-t-il encore ?

    Daphné, papier du lokta toujours vert,

    Boit

    Mes plaies

     

     

     

  • Les Carnets de Corah (Épisode 77)

    Épisode 77 :  Marc JURT en rêvant : Pas de semaine sans traces

    Marc Jurt pas de semaine sans trace

    1-7 octobre

    D’abord il y a l’incruste au bas de l’œuvre, gravée sur une plaque de cuivre à l’envers du dessin ébauché. Elle représente un morceau du réel, une cosse de graines sèche et contractée au-dessus de son ombre en miroir. L’ombre est ici
    stylisée, figurant déjà une étape vers la désincarnation du vivant. Ensuite, trois traits de pinceau mimant la silhouette s’élèvent jusqu’à déborder de la toile comme l’esprit quitte son enveloppe matérielle. Le premier trait est compact et d’une teinte en à-plat presque transparente, les deux autres se diluent dans l’air et se libèrent peu à peu du carcan formel alors que leur éclat gagne en densité. Qui du corps ou de l’esprit est le plus réel ?

    JURT-MAI.jpg

    J’aime le lien (comme une solution de continuité) que tisse l’artiste entre le visible et l’invisible prenant comme point de départ un objet naturel, une semence ou une fève, les emblèmes de promesses à venir, puis suivant l’élan créateur du geste spontané qui mime le réel, dévoile un monde signifiant au-delà du monde sensible (l’envers du décor).

    Marc JURT. « 1-7 octobre », Pas de semaine sans traces : Journal gravé, 1999. Gravure sur papier BFK, 33 x 23 cm.

    Marc JURT. « 7-13 mai », Pas de semaine sans traces : Journal gravé, 1999. Gravure sur papier BFK, 33 x 23 cm.

    Note de Jean-Michel OLIVIER sur la série : « Chaque semaine, durant l’anné 1999, Marc Jurt a produit une gravure, à la fois unique (elle peut se lire de manière autonome) et séquentielle (elle n’est qu’un « moment » dans la série des 52 semaines de l’année). » Marc Jurt : Entre raison et intuition, 2000, [p. 32].