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Du blog comme exutoire

Par Pierre Béguin

 Mon billet de lundi dernier m’a coûté un détour à jeun un peu trop matinal à mon goût du côté de Radio Cité. Pascal Décaillet s’étonnait – faisait semblant de s’étonner – de la violence de certains propos, comme de celle d’autres blogs que je n’ai pas lus, à l’encontre de Charles Beer. Qui, j’en conviens, a aussi, mais pas uniquement, le tort d’être là au mauvais moment. Je m’explique.

Dans un billet sur ce même blog, daté du 17 mars et intitulé Le Silence de la mer, j’avais exposé largement les raisons de cette colère. Personne, dans notre chère République, n’a vraiment pris la mesure de la grogne, de la rancœur, de l’amertume, du dépit, du découragement, voire, pour certains, d’un besoin urgent de quitter cette galère, qui règnent parfois dans une salle des maîtres face aux difficultés croissantes du métier et à l’absence de soutien et de reconnaissance de la part de la hiérarchie ou des politiciens, pour ne pas dire de l’opinion. Je parle essentiellement de cette tranche d’âge qui a connu la grande rupture des années 90. Qui se souvient qu’en ce temps-là, enseignant était une maladie plus honteuse encore que joueurs du Servette aujourd’hui? Jamais profession ne fut plus vilipendée. La droite libérale, portée par le vent de la pensée unique, tirait à boulets rouges sur ces sales gauchistes privilégiés et paresseux (deux mois de vacances et sécurité de l’emploi, le scandale absolu!) responsables de tous les maux de la République et, bien entendu, de l’énorme déficit de fonctionnement qui commençait à miner la santé de l’Etat (non, non, je vous assure, banquiers, entrepreneurs et milieux immobiliers n’y étaient pour rien! C’était la faute des profs répétaient inlassablement les journaux dont la santé financière dépendait, elle, uniquement des annonceurs… immobiliers). C’était l’époque où une collègue, incrédule devant ce déchaînement de mépris, envoyait au courrier du lecteur un article intitulé Je suis enseignante, dois-je me soigner? C’était l’époque où l’on pouvait lire, étalé en gros titre sur les manchettes des journaux, la ferme détermination de Martine Brunschwig-Graf, véritable dame de fer et héroïne de la patrie, de dompter les enseignants, plus féroces alors que feu les tigres du cirque Knie. C’était l’époque où l’on disait aux enfants que, s’ils ne travaillaient pas à l’école, ils seraient profs, et où l’on s’est étonné plus tard que ces mêmes enfants pussent manquer de respect à leurs maîtres, par ailleurs responsables d’un laxisme intolérable susceptible d’engendrer cet irrespect. C’était l’époque où des enseignants, qui tentaient, par la voie syndicale, d’expliquer leur position au public dans un grand quotidien genevois s’étaient vus refuser une pleine page payante sous la pression des annonceurs (d’où, plus tard, le choix du Courrier comme porte-voix). C’était l’époque où, lâchés par leur hiérarchie (un abandon qui fut perçu comme une trahison aux traces aujourd’hui encore indélébiles), méprisés par une partie de l’opinion publique, vaincus par les politiques, privés de toute forme de reconnaissance, de participation et de revendications ou égarés dans des commissions alibis par leurs dirigeants, les enseignants devinrent en quelque sorte les refoulés de l’inconscient cantonal tourmenté alors par les conséquences désastreuses de son délire spéculatif. Non, je vous l’assure, je ne verse ni dans l’emphase ni dans le lyrisme!

Le temps et l’oubli ont passé par là. Mais beaucoup d’enseignants, je le sais, n’ont rien oublié. Le 450e anniversaire du Collège de Genève, prévu en 2009, devrait être l’occasion rêvée pour revisiter ce passé et en permettre la catharsis. Une occasion à ne pas rater. Quiconque veut comprendre  le climat actuel doit aussi faire acte de mémoire. Comme devra le faire quiconque occupera la charge de ministre de l’éducation s’il entend l’exercer dans un climat apaisé. Je l’ai déjà écrit dans l’article cité en introduction, une des grandes erreurs de Charles Beer, indépendamment de ses options, fut de n’avoir pas compris cette attente, bien qu’il mît deux ans à prendre le pouls du corps enseignant. N’avoir pas compris que, dans la réclusion de leurs écoles, certains se sont forgé une image sublimée de leur profession qui n’attendait qu’une ouverture pour se manifester et compenser la rancœur d’une longue exclusion. Un blog, d’une certaine manière, c’est une forme d’ouverture. L’exutoire tant attendu. D’où, peut-être, la violence de certains propos. Des propos qu’il faudrait avoir l’intelligence de décoder avant de les condamner. Bientôt, par les blogs, les journaux online, chacun participera à l’information. Une nouvelle donne qui condamne d’ores et déjà toute politique du silence  comme celle menée par le DIP ces dernières années (l’affaire du plagiat d’un Travail de Matu, qui fit grand bruit dans les journaux, en fut, pour qui en connaît les dessous, un exemple édifiant). Si tout se savait, désormais, pour le meilleur ou pour le pire, tout peut se dire. A chaud. Inutile de brandir un quelconque devoir de réserve quand il est si facile de le contourner. Aux politiciens et dirigeants de s’adapter.

Du blog comme exutoire. Et celui qui, du responsable politique au citoyen, considérerait ce postulat avec hauteur et dédain, pensant qu’il s’agit là d’un défoulement à peine digne d’un préau d’école primaire, n’aurait strictement rien compris à ce que je viens d’écrire…

Commentaires

  • Excellente analyse, mon cher Pierre! Je me permettrai d'ajouter une phrase à méditer, tirée de L'élégance du hérisson : « Ceux qui savent faire font ; ceux qui ne savent pas faire enseignent ; ceux qui ne savent pas enseigner enseignent aux enseignants ; et ceux qui ne savent pas enseigner aux enseignants font de la politique. »

  • Bonjour !
    Il me semble que nombreux sont celles et ceux qui n'ont, en effet, pas encore compris l'importance de cette nouvelle forme d'information - libre ! - désormais véhiculée par les blogs et le net.
    Ils auront tout loisir d'y réfléchir après des élections, par exemple.

    :o)

  • Bonjour,

    Très bon texte, effectivement !

    Pour comprendre une situation actuelle, il semble logique de décortiquer et de comprendre aussi ce qui l'a créée, en amont !

    Rien n'arrive sans rien, dit-on !

    Le chaos scolaire que l'on constate aujourd'hui a pris racine il y a 2 ou 3 décennies déjà, il s'est installé tout doucement, de rénovations en changements, pour innover, pour rendre plus moderne ce qui n'avait pas forcément besoin de l'être... ( comme les fameux "math modernes" et les calculs "en base" des années 80 dont j'ai eu la malchance de subir, alors que ma soeur, 4 ans plus tard, y a échappé...Allez savoir ...)

    Aujourd'hui, le constat douloureux est là, bien palpable, bien réel et certains essayent malgré tout de se voiler la face et de sauver encore quelques meubles...

    Sincérement, être enseignants aujourd'hui n'a rien d'une planque et, malgré d'anciens problèmes rencontrés avec certains profs pour ma part et plus récemment pour mes enfants, je leurs tire mon chapeau et admire leurs courages d'exercer un tel métier au service des jeunes.

  • Jamis lu une analyse aussi fine du phénomène muet en question! Bravo et merci.

    En revanche, Beer n'a pas le tort d'être là au mauvais moment: il n'a pas su prendre la balle au vol, pas entendu, pas voulu voir (aveuglé par son arrognace et son incompétenc crasse dans beaucoup d'affaires) alors qu'il avait un boulevard devant lui! La situation idéale, quoi, pour un vrai changement, surtout (oh, cadeau!) suite à la votation du 24 septembre 2006... ne serait-ce que pour montrer qu'il se distinguait de la mygale libérale précédente, qui, juste en passant, ne valait pas un clou malgré l'illusion donnée. Aussi, lui reste-t-il à réparer ses fautes graves mais ne lui faites pas de cadeau car il ne vous en fera pas non plus: le profil prédateur reste somme toute le seul à se frayer un chemin. Gardons un zeste de morale (ce qui manque cruellement à ce type) et ne tombez pas dans la gueule du loup!

  • Btavo pour cette analyse percutante! J'aimerais reprendre la belle image de la "mygale libérale" qui a fait illusion. Nos "chers" politiciens sont (presque) tous des illusionnistes qui mériteraient à eux seuls un chapitre dans "Le Prince" de Machiavel.

  • Cher Peter,

    Chers tous,

    Ne galvaudons pas Machiavel, qui attendait chez les politiques du cynisme, certes, et le dédain de la morale, certes aussi (les meilleurs présidents américains ont aussi été les plus immoraux), mais à condition qu'ils soient efficaces. Malheureusement, dans notre république, c'est le carriérisme et la stupidité de type marketing qui l'emportent. Nous avons des dirigeants souvent à notre échelle : microscopiques.

    Tout le monde semble avoir gobé ce principe qui ne vaut, au fond, que pour la prostitution - je le dis avec un grand respect par ailleurs des prostituées - : savoir se vendre. Nous manquons évidemment de Clemenceau, de de Gaulle, de vrais politiques authentiquement incarnés.

    Mais rien ne nous empêche à notre tour - après tout, nous sommes bien des citoyens, la chose politique est notre propriété commune - à nous organiser pour changer les choses. La fondation de l'ARLE (j'en fus), puis le vote historique du 24 septembre 2006 sur les notes en sont une preuve, qu'on l'approuve ou non par ailleurs.

    Les citoyens auront bientôt l'occasion, grâce à l'initiative 134 lancée par le Réel, auquel j'appartiens, de mettre fin au capharnaüm absolu du cycle d'orientation (voir notre site reseau-reel.ch).

    Je peux même vous fournir un scoop : Charles Beer, qui a hérité de la mygale (et pas de la mygale laïque, pour le coup !), et n'a pas fait tout ce qu'il aurait fallu faire pour améliorer les choses, c'est un truisme hélas de le dire, sait parfaitement, en dépit des manoeuvres de sa garde rapprochée et de ses conseillers en communication, que le Cycle va mal depuis 30 ans, et je crois savoir assez bien que, quel que soit le résultat des votations du 30 novembre et du printemps 2009 (une initiative débile venue de ceux qui précisément ont détruit patiemment l'école depuis 15 ans), il espère qu'enfin une décision interviendra.

    Mais pour que cela soit, c'est aux citoyens qu'il faut s'adresser, et non aux institutions et à leurs responsables, devenus autistes.

    Avant tout, luttons contre le fatalisme qu'on cherche à nous inoculer partout : nous sommes nous-mêmes, non seulement les profs éventuellement, mais avant tout comme citoyens, les créateurs de nos institutions, et l'école en est une.

    Et surtout merci 3000 fois à Pierre Béguin pour cette chronique exacte et profonde, de ce qu'ont vécu depuis quinze ans nombre d'enseignants. L'histoire du lynchage des profs exigeants et responsables reste à écrire. Ce sera très, très instructif. Et assez long...

  • @ Yves Scheller : sachez que j'ai énormément de respect pour votre Iniiative 134. J'ai eu l'occasion d'en parler autour de moi (alors que la plupart croyaient au contre-projet beeriste) et pour information le MCG a fait part dans son Journal de son appui pour cette initiative, comme il s'était battu jusqu'au bout au Parlement contre la création de la garde prétorienne pour des vues d'ambition personnelle.

  • Merci pour cette analyse! Je fais partie de ceux qui ont vécu ce que vous décrivez.

    Durant ces deux dernières décennies l'autisme de notre hiérarchie, le carriérisme de certains et l'angélisme pédagogique d'autres ont fait de notre cycle d'orientation et de notre école primaire des "lieux de vie" et ils en ont écarté tout ce qui pourrait les apparenter d'un lieu de travail.
    Faisant la promotion systématique de l'élève au centre et rendant la vie de plus en plus dure aux profs qui continuent à enseigner avec rigueur et exigence, le DIP a fait perdre aux élèves et à leurs parents des repères indispensables.
    L'emploi d'arguments d'ordre affectif a supplanté l'analyse rationnelle des situations scolaires des élèves et achevé le processus de culpabilisation des enseignants. Toute situation d'échec est à priori suspectée d'être d'origine relationnelle: le "bloquage", le "courant qui ne passe pas" sont les diagnostiques à la mode. Le manque de travail, s'il est évoqué parfois, prudamment, est présenté comme une manifestation du malaise intérieur et jamais comme le choix bien plus prosaïque d'en faire le moins possible. L'élève au centre est par définition victime de l'incompréhension de ses profs, qui sont , eux, les responsables de ses mauvaises notes!
    C'est comme cela que des adoléscents de plus en plus incultes, soutenus par des parents de plus en plus désemparés réclament des orientations et des promotions de plus en plus irréalistes. Promotions qui se soldent, on le sait, par des catastrophes retentissantes au postobligatoire!
    La hiérarchie a laissé cette tendance se développer au fil des années et elle persiste dans cette voie!
    Pour preuve, la cohorte de psychologues qui est prévue par le contreprojet à l'initiative 134 et qui serait censée faire réussir tout le monde!
    L'illusion du "tout est encore possible tout le temps" avec les passerelles et le redoublement promotionnel complètent le navrant tableau de cette "création" qui est le fruit d'incompétences et de rapports de force politiques conjugués.
    Nous avons lancé l'initiative 134 "Pour un cycle qui oriente" après avoir fait le constat de l'impossibilité de faire entendre notre voix à l'intérieur de l'institution. Le 30 novembre, les citoyens pourront, comme ils l'on fait le 24 septembre 2006, donner un signe clair à Monsieur Beer et faire changer de cap à l'école obligatoire.

  • pas mal d'idées en commun !!!
    ET
    pour Jmo : bravo , tout à fait d'accord avec votre commentaire .

    pour kali : d'accord aussi ! mais que diriez-vous si vous habitiez en France ? en tout cas , j'aimerais que tous les parents aient votre fair-play !

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  • "et ceux qui ne savent pas enseigner aux enseignants font de la politique. »

    Est-ce une allusion à Pierre Weiss?

  • Bien vu, Johann! Souvenons-nous comme il a traité (avec sa femme) les dossiers scolaires, allant où le vent mène l'opinion populaire, etc. L'opportunisme n'a pas son égal!

  • Récemment j'ai eu une longue conversation avec un ami enseignant (non, ce n'est pas Yves Scheller). D'après ce que j'ai compris, Charles Beer veut "manager" l'Ecole publique comme une entreprise privée, avec évaluation permanente, objectifs à réaliser, etc. Tout pour saper l'autorité des enseignants en donnant davantage de pouvoir d'un côté aux directeurs et de l'autre aux élèves et aux parents. (Voir le cas tout récent de l'enseignante congédiée du jour au lendemain sans cause clairement établie à ce jour.) Et comme si la qualité des enseignants et de leur enseignement n'était pas connue des directions. Que ce soit par l'intermédiaire des collègues, des élèves ou des parents, les directions sont parfaitement au courant de ce qui se passe dans leur établissement. Mais il faut bien trouver un moyen d'embêter les enseignants vu qu'ils sont déjà tellement privilégiés, privilégiés au point d'être dégoutés de leur métier, démoralisés, démotivés. La preuve, il y aurait quantité d'enseignants qui prendrait leur retraite anticipée dès la soixantaine. Quel privilège! Honte à ceux qui sont responsables de cette situation!

    Autre usine à gaz selon mon ami: les conseils d'établissement... Mais là je laisse la parole à d'autres, sauf pour dire qu'encore une fois c'est l'autorité des enseignants qui me semble sabotée. (Et pourquoi pas aussi des conseils des usagers de TPG, de l'hôpital, des clients de Swisscom, de la Poste, des CFF, etc. Mesure genevoise électoraliste, voir populiste, non?)

  • "et pas de la mygale laïque, pour le coup !"

    Peut-on en savoir plus?
    C'est vrai que sa décision de licencier Hani Ramadan a été un coup de maître. Un coup d'esbrouffe bien sûr, vu le résultat.

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