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Ça nous énerve

  • BHL et moi

    par Jean-Michel Olivier

    bhl-1978.jpgJ'ai rencontré BHL en 1979, dans des circonstances particulières et peu glorieuses — pour lui. Le ministre de l'éducation de Giscard, René Haby, avait rédigé une loi (la « Loi Haby ») qui, au prétexte d'ouvrir les lycées à tout le monde, voulait supprimer les cours de philosophie des classes terminales. Bien sûr, la révolte avait grondé. Sous l'impulsion de quelques-uns (Jacques Derrida, Vladimir Jankélévitch, François Chatelet et d'autres), des Etats Généraux de la philosophie s'étaient tenus à la Sorbonne en juins 1979. Jeune étudiant (je n'avais pas 26 ans), j'y avais assisté et participé. 

    Tout se passait bien jusqu'au moment où BHL, accompagné de ses groupies, avait fait irruption dans l'auditorium et avait essayé de s'emparer du micro. Des étudiants s'étaient interposés. Et j'ai vu Derrida — par ailleurs, ancien prof de philo de BHL — furieux, descendre de l'estrade et faire le coup de poing avec l'intrus. Derrida, ancien gardien de but de foot, n'eut aucune peine à renvoyer le philosophe à la chemise blanche dans les cordes ! 

    Et bientôt ce dernier sortit sous les huées de l'assemblée et on ne le revit plus…

    Pourtant, j'ai fait l'effort de lire ses livres. Certains, d'ailleurs, sont excellents (La Pureté dangereuse). Je me suis même fait violence pour aller le trouver chez lui, Boulevard Saint-Germain, dans son modeste appartement de 300m2. J'y ai été accueilli par deux serviteurs en turban (des Sikhs) et, tandis que j'attendais dans le salon, j'ai pu entendre les vocalises d'Arielle dans la pièce d'à côté. Je l'ai donc rencontré deux fois et interviewé pour le journal La Suisse et le mensuel SCENES Magazine. Il m'a fait l'impression d'un beau parleur, une sorte de moulin à vent capable d'aborder tous les sujets, sans en connaître aucun. Mais la rencontre fut tout à fait charmante. J'eus même droit à une tasse de thé et à quelques biscuits.

    Cela s'est gâté, quelques années plus tard, lors de la guerre dans les Balkans. BHL, ignorant tout de l'histoire de ces pays et de la géopolitique, prit d'emblée fait et cause pour les « sécessionnistes » (Croatie, Bosnie, etc.), gagnant à l'occasion son premier point Godwin en traitant les Serbes de nazis, et en comparant Milosevic à Hitler (depuis, il en a gagné des millions). Il oubliait (ou faisait semblait d'oublier) que les Serbes s'étaient battus férocement contre les Nazis, qu'ils avaient été arrêtés, torturés, exécutés, tandis que les fameux Oustachis croates étaient les fidèles séides des Allemands, dévolus aux basses œuvres. Mais passons. En envenimant un conflit complexe et très émotionnel, en diffusant de fausses informations, en pratiquant systématiquement le mensonge, BHL a fait beaucoup de mal aux uns comme aux autres.

    images-2.jpegJe ne m'étendrai pas sur son rôle catastrophique dans le conflit libyen : on le connaît et d'autres ont analysé son influence néfaste (voir dossier du Monde diplomatique ici). Mais BHL aime fréquenter les grands de ce monde. Il croit pouvoir les convaincre, les aider, changer le cours de l'histoire. Au mieux, on l'écoute avec un sourire en coin. Au pire, il engendre des crimes et des injustices sans fin. Demandez aux Libyens ce qu'ils pensent de BHL, cet homme qui a précipité leur pays dans le chaos, fait assassiner son président, et semé, pour longtemps, les graines de la discorde entre les tribus du désert.

    Là encore, on ne compte plus les mensonges, les images truquées, les discours délirants d'un homme qui s'est mis en tête de sauver le monde, alors qu'il cherche seulement à se sauver lui-même. 2746601178.jpgLe plus étrange, c'est qu'on le prenne encore au sérieux, tandis que chacun est au courant de son imposture (en 1978, Jacques Derrida, dont BHL a toujours cherché à se faire aimer, le traitait déjà d'imposteur). Mais s'il faut reconnaître une qualité à BHL, c'est bien la persévérance (certains diraient l'obstination).

    Je n'ai jamais revu BHL, sinon croisé furtivement en 2010, lors de la réception du Prix Interallié que j'ai reçu pour L'Amour nègre (de Fallois-l'Âge d'Homme). Il l'avait obtenu en 1988 pour Les derniers jours de Charles Baudelaire (Grasset), un très beau roman. Il connaissait tous les jurés ; je n'en connaissais aucun. On ne s'est pas parlé. 

    Depuis, je ne sais pas ce qu'il est devenu. 

    Quelqu'un a-t-il de ses nouvelles ?

  • Mort de L'Hebdo : colère et mépris

    par Jean-Michel Olivier

    images-3.jpegCe qui arrive aujourd'hui à L'Hebdo (une catastrophe) est arrivé déjà à de nombreux journaux romands. Faute d'argent, le quotidien La Suisse a cessé de paraître en 1994. Le prestigieux Journal de Genève, comme son concurrent Le Nouveau Quotidien (lancé par Jacques Pilet pour torpiller le premier) a disparu en 1998 — pour se muer, tant bien que mal, dans le journal Le Tempsimages-5.jpegOn se souvient également de l'hebdomadaire dimanche.ch, disparu lui aussi trop tôt. Tous ces journaux (à l'exception du dernier, propriété du groupe Ringier) appartenaient à des patrons romands (Jean-Claude Nicole pour La Suisse ; la famille Lamunière pour Le Nouveau Quotidien).

    images-6.jpegCe qui est différent, aujourd'hui, c'est que tous les journaux et hebdomadaires romands (sauf quelques-uns comme La Liberté ou Le Courrier) sont la propriété de grands groupes zurichois (Tamedia), voire allemands (Ringier appartient à la galaxie Springer). Autrement dit, toute l'information que nous « consommons » chaque jour est tributaire du bon vouloir de quelques décideurs de Zurich ou de Berlin. Cela s'est confirmé lundi avec la mort de L'Hebdo, fleuron de la presse romande, mort décidée depuis le QG Springer à Berlin, et programmée sans doute depuis longtemps. Le prochain sur la liste, semble-t-il, c'est Le Temps, dont les jours sont comptés.

    images-7.jpegComment en est-on arrivé là ? Pourquoi la Suisse romande a-t-elle vendu pareillement son âme (car les journaux sont l'âme d'une région) à des groupes de presse situés à mille lieues de ses préoccupations, et obéissant à la seule loi du profit ? La responsabilité des grands patrons de presse romands est ici engagée. Et quand on voit le résultat — un désastre —, il y a de quoi être en colère…

    images-8.jpegPourquoi personne, en Suisse romande, région apparemment prospère (sic!), ne s'est-il levé pour reprendre le flambeau ? Pourquoi ce silence et cette indifférence embarrassée ? Comment peut-on supporter cette situation d'extrême dépendance face à Zurich ou à Berlin qui gèrent leurs navires, de loin, au gré de leur caprice ? N'est-ce pas le signe — comme le suggère l'écrivain Daniel de Roulet — d'un mépris profond pour la Suisse romande, qui ne sera jamais que la cinquième roue du char ?

    Il est temps, je crois, de se poser ces questions. Et ces questions sont de plus en plus urgentes, si l'on considère les difficultés de la presse aujourd'hui. Car il en va de son avenir. C'est-à-dire du nôtre aussi.

  • Les mauvais livres

    images.jpegIl y a des livres dont on se dit, les ayant lus, qu'il aurait mieux valu qu'ils ne soient pas écrits — ou du moins publiés. C'est le cas de Mauvais génie*, un livre écrit à quatre mains par la comédienne Marianne Dénicourt et la journaliste Judith Perrignon. Pourquoi ce livre ? Marianne Denicourt, que j'ai eu la chance de rencontrer plusieurs fois à Avignon dans les années 80, à l'époque où elle suivait les cours de Patrice Chéreau à l'école du Théâtre des Amandiers de Nanterre, est une magnifique comédienne. Elle a eu, par la suite, une vie tragique : son père est mort des suites d'une longue maladie et son ami, le père de son enfant, est tombé accidentellement d'une fenêtre et s'est tué, alors que Marianne était enceinte. Quelques années plus tard, Marianne Denicourt croise le chemin d'un jeune réalisateur français parfaitement inconnin, Arnaud Desplechins, qui lui donne le rôle principal de ses deux premiers films (La Sentinelle et Comment je me suis disputé (ma vie sexuelle). Deux très beaux films. Puis c'est la rupture. Quelque temps après, Despléchins tourne un nouveau long métrage, qui deviendra Rois et reine, et qui est un chef-d'œuvre. Dans ce film, il puise abondamment dans la vie de Marianne pour créer le rôle de Nora (jouée par Emmanuel Devos), en transformant bien sûr certains faits (le mari se suicide dans le film et le père vit une longue agonie). Se sentant manipulée et abusée, marianne Denicourt décide d'écrire un livre, non seulement pour rétablir la vérité des faits, mais aussi pour se venger. DownloadedFile-1.jpegCela donne Mauvais génie : un règlement de comptes amer et revanchard, où Arnaud Desplechins (Arnold Duplancher dans le livre !) est décrit comme un névropathe, inculte, parano et surtout égomaniaque. Curieusement, le résultat va à l'encontre du projet : les défauts de Duplancher sont, en réalité, les qualités de l'artiste Desplechins, égoïste, manipulateur, certes, se nourrissant des histoires des autres, tel un vampire assoiffé de sang, mais les transformant et les sublimant pour en faire ses films à lui. La conclusion est patente : Rois et reine et un grand film. Mauvais génie un mauvais livre.

    DownloadedFile-2.jpegUn autre livre qui, sans doute, aurait pu rester dans les tiroirs, c'est un recueil d'articles inédits de Nicolas Bouvier. Cela s'appelle : Il faudra repartir**. Le moins que l'on puisse dire, c'est que ces textes, réunis et présentés par François Laut, un spécialiste de Bouvier, sont d'un intérêt inégal. Pour ne pas dire plus. Il s'agit de fonds de tiroir, ainsi que d'extraits du journal de bord de Nicolas. Faut-il vraiment savoir que NB a « écrit une dizaine de cartes, puis dîné près de l'hôtel. Huîtres excellentes. Bien dormi. » ? On en doute. La figure du grand écrivain genevois ne gagne rien à notules anecdotiques qui, le plus souvent, passent sous silence les rencontres importantes.

    En conclusion, dirait Flaubert, deux livres pour rien.

    * Marianne Denicourt et Judith Perrignon, Mauvais génie, Stock, 2005.

    ** Nicolas Bouvier, Il faudra repartir, Voyages inédits, Payot, 2013.

  • De plus en plus en fort!

    Par Pierre Béguin

    ‘Sont décidément très fort à La Tribune! Déjà qu’ils avaient inventé le critique littéraire gratuit. Plus un article sur la littérature romande dans la Julie depuis belle lurette. C’est inutile et ça coûte cher. Nous, sur Blogres, voilà cinq ans qu’on fait le travail gratuitement. Et consciencieusement. Contrairement à la version papier, semble-t-il.

    Car dans l’édition du 20 août, surprise! En première page, on apprend que «Catherine Safonoff signe le meilleur livre de la rentrée romande». Moi, j’aime bien Catherine Safonoff, et je ne doute pas que son dernier roman soit excellent. Mais de là à établir un tel pronostic, par ailleurs tout à fait absurde, alors qu’à cette date seuls deux ou trois livres de la rentrée romande se trouvaient en librairie, que la plupart ne sont même pas encore imprimés, c’est très fort. La Tribune aurait-elle inventé dans la foulée le journaliste infaillible qui prédit l’information? Pas très professionnel, pour le moins. A tout bien considérer, on préfère La Tribune quand elle ne parle pas de littérature...

    Au fond, les blogs de la Julie semblent plus crédibles que sa version papier. En matière de critique littéraire du moins. Une bonne occasion pour rappeler que Blogres entame sa sixième année d’existence et que ses six représentants, eux, servent la littérature (romande entre autres) avec un peu plus de compétences et de rigueur. En plus, c’est gratuit!

    Au plaisir de vous accueillir pour une nouvelle saison! Nous aurons certainement l’occasion de reparler du livre de Catherine Safonoff. Sérieusement, cette fois...

     

  • Ô Banques indépendantes, répétons vos accents, vos libres chants!

    Par Pierre Béguin

    immobilier.PNGIl était temps d’intervenir!

    L’utilisation systématique du 2e pilier pour financer les fonds propres en vue d’une acquisition immobilière constituait un double danger: elle attisait la bulle et elle détournait le 2e pilier de sa fonction essentielle. Déjà sérieusement menacés dans leur fonctionnement même, les fonds de prévoyance ne pouvaient en plus servir à alimenter la spéculation.

    Mais la véritable hérésie a été d’autoriser ce «détournement de fonds». A l’origine de cette décision insensée, rappelons qu’on trouve les milieux immobiliers et bancaires, comme de bien entendu, soutenus par le parti libéral, comme de bien entendu.

    Début des années 90. La bulle immobilière vient d’exploser sous la gestion irresponsable des banques, comme de bien entendu. Avec, pour conséquence ultime sur le contribuable, les faillites des banques cantonales (presque trois milliards à Genève, on ne se lasse pas de le répéter à l’heure de l’amnistie générale). Pour se protéger dorénavant, les entreprises du bâtiment obtiennent du législateur ce qui va s’appeler l’hypothèque légale, et les banques imposent à l’acheteur un apport de 20% de fonds propres. Logiquement échaudé par le cataclysme immobilier de la fin des années 80, tout le monde se protège, construit ses garde-fous, comme de bien entendu. Sauf le futur propriétaire, plus que jamais livré sans défense aux appétits d’un milieu dont la voracité, elle, est sans limite. Problème: comment relancer l’immobilier tout en imposant des contraintes à l’achat d’un bien? Réponse des milieux concernés: en permettant l’utilisation légale, quasiment incontrôlée, du 2e pilier comme fonds propres. Ou comment soigner un mal qu’on a stupidement provoqué par un remède pire que le mal lui-même. Dans notre logique actuelle de l’inconscience et du sauve-qui-peut, voyez-vous beaucoup de gens prévoyants autour de vous? Moi pas. Oui, il était temps que la Confédération s’en inquiète, sous peine de devoir entretenir des hordes de démunis ayant perdu veaux, vaches, cochons et retraite dans l’aventure immobilière, à l’image de ces quartiers résidentiels américains dévastés par la crise des subprimes. N’en déplaise aux bons libéraux, toute déréglementation aboutit inévitablement à une catastrophe. C’est une règle. Quand les hommes vivront de sagesse, il n’y aura plus de problème. Mais nous nous serons morts, mon frère...

    Les prix ayant déjà explosé, il était donc temps d’intervenir avant que les taux hypothécaires ne remontent! Car ils finiront inévitablement par remonter (la décision du Conseil fédéral pourrait même l’annoncer par anticipation). Et pourtant... Cette décision, pour évidente qu’elle soit, aurait dû s’accompagner d’une seconde décision, aussi nécessaire que logique: la suppression de la valeur locative du bien immobilier et de tout abattement de la dette hypothécaire (du moins d’un montant limité de cette dette) à l’imposition. Comment lutter contre l’endettement insensé de certains individus si l’on maintient des dispositions fiscales qui encouragent l’endettement? Cette double opération fiscale (addition de la valeur locative aux revenus et soustraction de la dette hypothécaire) est aussi absurde que dangereuse et je m’étonne que cette disposition perdure. Renseignement pris, il paraît que la majorité des partis politiques penchaient pour sa suppression (à part peut-être Mme Thatcher... je veux dire le parti libéral), mais que cette volonté (?) s’est heurtée aux intérêts des Banques et des Assurances pour qui le marché hypothécaire constitue un agréable matelas. Dans ce pays, on n’y coupe: banques et assurances sont à la Suisse ce que JR Ewing est à Dallas. Un univers impitoyable dont la santé et les intérêts sont inversement proportionnels à ceux des citoyens.

    Il était donc temps d’intervenir. Et l’on peut par la même occasion se réjouir du bon sens populaire qui s’est récemment opposé dans les urnes à l’initiative épargne-logement, toujours issue des mêmes milieux (on enrichit banques et assurances, on appauvrit l’Etat, à l’image du 3e pilier). Mais je crains que la finalité n’en soit pas pour autant modifiée. «L’oligarchie bancaire» – comme dirait quelqu’un qui a surtout eu le tort d’avoir raison avant tout le monde – conserve sa toute puissance. Et l’on peut compter sur elle pour générer ses marasmes périodiques. Il en va de son fonctionnement, pour ne pas dire de sa santé.

    Je vois venir bon train les commentaires:

    Et ces pauvres milieux immobiliers déjà bien ébranlés par Franz Weber, que vont-ils devenir? Et ces pauvres citoyens condamnés à ne jamais accéder au statut enviable de propriétaire? Certes.

    Mais l’accession à la propriété doit-elle se faire au péril de la communauté? Peut-on même parler de propriété lorsque 80% du bien appartient à la banque? (A ce propos, on se souviendra que Mme Thatcher a muselé certains syndicats en soutenant leur accession à la propriété: dès qu’on a quelque chose à perdre, on s’la coince!) Et puis moins de demande agira aussi comme un frein raisonnable à la folie des prix immobiliers. Dans tous les cas, il faut se faire une raison: Genève, par son exiguïté même, ne sera jamais un canton de propriétaires. Et l’exil peut avoir ses charmes. Moi, je suis de plus en plus sensible à ceux de la Gruyère...

     

  • Quatre cent mille entartés

    Par Pierre Béguin

    entarté2.PNG«Victime d’attentats pâtissiers /Ah! Qu’est-ce qu’il nous a fait marrer /Le philosophe des beaux quartiers /La chemise blanche en décolleté»

    Si les nombreux entartages de BHL ont fait se marrer Renaud, il faut bien admettre que celui de Martine Calmy Rey fut beaucoup moins comique. Moi, je serais plutôt d’accord avec notre ex Ministre pour affirmer que le pauvre type, dans ce cas, c’est davantage l’entarteur. D’ailleurs, à tout prendre, politicienne pour politicienne, entartée pour entartée, j’eusse préféré que la crème en badigeonnât une autre (c’est un avis personnel). Mais c’est d’autres cibles plus judicieuses qui auraient dû attirer la tarte. S’il le veut, je lui fournis même la pâte et la crème avec les noms. La responsabilité politique de Mme Calmy Rey est peut-être engagée, pas sa responsabilité pénale.

    Si, donc, je condamne le geste mal centré, je comprends néanmoins le ressentiment qui l’a guidé. Car dans l’affaire de la BCG, c’est près de quatre cent mille citoyens qui ont été salement entartés, voire pire. Et plutôt deux fois qu’une, la seconde par une parodie de justice à la Beaumarchais (tiens! justement, on donne Le Mariage de Figaro au théâtre; la fameuse scène 15 de l’acte III pourrait faire rire jaune les genevois). On avait beau s’y attendre, ça fait quand même mal par où ça doit passer (cf. mes articles des années précédentes sur le sujet: Dépannage et copinage et Le Silence des agneaux). A 7000 francs la tarte, ça fait cher le litre de lait. Décidément, tout fout le camp!

    Si la rapidité est la meilleure amie d’une bonne instruction, celle de la BCG fut un modèle de lenteur et d’incompétence. Quand la Justice révèle ainsi son impéritie, on peut toujours craindre des réactions citoyennes déplacées. Tant qu’elles se limitent aux tartes à la crème, ce n’est pas trop grave. Mais à considérer le délitement de Genève ces dix dernières années, je redoute des dérapages plus sérieux, opportunément préparés par la logorrhée de certains partis politiques.

    En attendant que le pire arrive (et le pire arrive toujours un jour), maintenant que l’histoire de la BCG est close, qu’elle a rejoint dans l’Histoire cantonale l’affaire Medenica et celle des tours de Plan-les-Ouates pour contribuer à la renommée de Genève en tant que République bananière, comme Renaud, «je fais un rêve»:

    «J’veux des entarté.PNGentarteurs par milliers /J’vais moi-même apprendre le métier /C’est pas les cibles qui vont manquer»

    Alors Messieurs les futurs entarteurs: Des tartes, des tartes, oui mais de la BCG!

     

     

     

  • Féminisme ou féminocratie?

    Par Pierre Béguin

    feminisme.jpgUne collègue écrivain – pardon! écrivaine –, peu après la création de «Blogres» à propos d’une note sur les quotas, m’envoyait un mail dans lequel elle précisait notamment: «Je reste rêveuse en lisant la composition de votre groupe de Blogres… Grands dieux, m’imaginerais-je qu’un beau jour vous vous êtes réunis et vous avez décrété: "pas de femmes parmi nous !" (…) Eh oui, même dans votre esprit progressiste, le masculin reste la norme».

    Aïe! me suis exclamé tout de go, voilà «Blogres», à peine né, déjà symboliquement investi par les féminocrates du pouvoir oppresseur du phallus, cette hydre toujours insidieusement renaissante. Voilà «Blogres», par la composition essentiellement masculine et vigoureuse de ses membres, réduit à l’incarnation d’une association misogyne reléguant la femme au rang d’éternelle victime de l’ordre phallocratique, lequel devrait être à tout prix être éradiqué, mis à bas, anéanti. Voilà cinq ou six copains réunis par le même goût des belles lettres assimilés à d’affreux primates aveuglés par leur libido dominandi en train de se gratter les burnes au réveil tout en se demandant s’ils allaient consacrer leur journée à chasser le cerf, à sabrer la gueuse ou à envahir la Pologne.

    Certes, il faut bien l’admettre, nous incarnons les quatre piliers de l’ordre dominant: l’intellectuel mâle blanc hétérosexuel. Mais tout de même. Je me suis donc interrogé. Un groupe d’homme peut-il encore exister sans être a priori et par définition suspect? Serait-il coupable-né par décret féministe? Devrait-il se dissoudre dans le féminin ou, par un «juste» retour de manivelle – la fameuse «discrimination positive» qui constitue le nouvel oxymore du fémininement correct – s’y soumettre entièrement pour obtenir sa grâce et gagner sa rédemption?

    Puis, très vite, je me suis désintéressé de la question, conforté par une coupable impression dont – je l’avoue – j’ai par moments peine à me départir à la lecture de certains propos féministes radicaux: que l’on abandonne trop souvent la réflexion à des personnes qui semblent vivre les rapports homme-femme sur un mode problématique, un peu comme si on confiait la rubrique gastronomique à des anorexiques. Oui, je sais, c’est là l’ultime parade du macho qui ne sommeille jamais vraiment! J’en demande humblement pardon.

    Pour prouver ma bonne foi et requinquer dans les cieux internautes les étoiles ternies de «Blogres», mais loin de l’opportunisme gluant des féminolâtres et des tartufes de plateaux télévisés toujours prompts à confesser leur honte d’être des hommes (j’ai les noms!), j’ai décidé de consacrer une suite de billets à la littérature «féministe», accompagnés d’une bibliographie élémentaire pour inciter des lecteurs (trices) novices en la matière à mieux comprendre la genèse et les tendances actuelles de cette noble cause. Une cause que «Blogres» ne pouvait décemment continuer à passer sous silence sans être désigné, à juste titre cette fois, bastion phallocrate et livré à la vindicte de légions furibondes estampillées doubles chromosomes X. Mes compagnons de plume et d’agapes, qui ne sont pas impliqués dans cette démarche, me remercieront certainement de leur avoir sauvé les choses!

    A demain donc, si vous le voulez…

  • Joyeux Noël et mangez des pommes!

    Par Pierre Béguin

    Pommes.jpgAinsi donc la Banque centrale européenne (BCE) a décidé de rendre l’argent moins cher en réduisant son principal taux directeur à 1%, le plus bas jamais atteint historiquement. Comme, dans le même temps, les agences de notation (américaines) s’efforcent d’abaisser la note des pays européens (même celle de l’Allemagne!), c’est donc une excellente nouvelle pour le système bancaire privé qui pourra emprunter moins cher et prêter plus cher. Il est vrai qu’après tous leurs excès et leurs âneries, leurs nécessités en recapitalisation sont (sous?) estimées à 114 milliards d’euro. Il faut bien aider les plus riches!

    Mais c’est surtout une très mauvaise nouvelle pour le citoyen lambda qui doit donc s’attendre à travailler plus, à gagner moins, à voir sa retraite diminuée et ses aides supprimées (que voulez-vous mon bon Monsieur, c’est le naufrage, les banques et la finance d’abord!) Voilà pourquoi, toujours dans le même temps, les chefs d’Etat européens s’agitent en de multiples réunions de la dernière chance, non pas pour faire contrepoids, mais pour accréditer dans l’esprit du citoyen sa pauvreté galopante.

    Y pas à dire, c’est vachement bien rôdé comme système! Parvenir à faire croire que, pour soigner les excès du libéralisme, il faut encore plus de libéralisme, c’est un peu comme prescrire une bouteille de whisky au déjeuner à un patient auquel on aurait diagnostiqué une cirrhose. Et parvenir à faire croire aussi que la crise est une fatalité, c’est pas mal non plus, alors qu’une once de bon sens commanderait que la Banque centrale intervienne directement et massivement sur le marché de la dette publique au lieu d’engraisser des intermédiaires qui ne contribuent qu’à aggraver le problème. Il faudrait changer un règlement, nous rétorque-t-on. Comme si les gens en charge des règlements n’en promulguait ou n’en modifiait aucun quand cela les arrange! On le sait pourtant depuis très longtemps. Voyez par exemple William Lyon MacKenzie King (premier ministre du Canada de 1921 à 1930, puis de 1935 à 1948) que je citais déjà dans un blog précédent: «Jusqu’à ce que le contrôle de l’émission des devises et du crédit soit restauré au gouvernement comme sa responsabilité la plus évidente et sacrée, toute référence à la souveraineté du parlement ou de la démocratie est inutile et futile (…) Une fois qu’une nation s’est séparée du contrôle de son crédit, les gens qui font la loi importent peu (…) les usuriers, une fois au pouvoir, détruiront la nation.» C’est exactement ce qui est en train de se passer!

    Bon, me direz-vous, on peut toujours s’indigner! Mais pour cela, il faudrait faire semblant d’ignorer que la notion de citoyen n’est plus qu’un leurre, qu’elle a été depuis belle lurette réquisitionnée par la finance. Nous ne sommes plus que des animaux machines programmés pour consommer, des «ressorts» disait la Fontaine du courtisan. Alors à quand l’Internationale du consommateur, notre unique planche de salut?

    En attendant, on peut toujours manger des pommes ou lire en Livre de Poche, voire les deux pour les moins démunis. Alors joyeux Noël et bonne année!

     

  • Comme on méprise un grand artiste

    par Jean-Michel Olivier

    J'ai reçu, l'autre jour, une lettre de mon amie Janine Massard, qui attire mon attention sur un scandale culturel typiquement vaudois. Je me permets de la reproduire telle quelle. Ou comment un théâtre de la place traite l'œuvre d'un artiste de renom...

    images.jpegUn article paru le 22 novembre dans 24 Heures relate un fait divers représentatif d’une petite combine locale mais qui, en bout de course, reflète le mépris dans lequel on tient l’œuvre d’un artiste peintre : la fresque commandée en 1981 à Jean Lecoultre, pour l’inauguration du théâtre de l’Octogone à Pully, a été recouverte de plastique blanc 31 ans plus tard. Sur proposition de la directrice du théâtre, le syndic actuel, M. Gil Reichen, en charge des affaires culturelles, s’arroge le droit de faire recouvrir l’œuvre d’un plastique, sans doute pour être plus en phase avec les préoccupations actuelles ! Et tout cela s’est passé sans avertir l’artiste, qui habite à deux pas du théâtre, et sans en parler davantage aux pouvoirs politiques. Voilà qui rappelle les temps anciens où des « fous de Dieu » enduisaient de chaux les peintures dans les églises, au mépris des messages que les siècles précédents leur avaient transmis.
    Et la démocratie dans tout cela ? Que penser de cette façon d’agir qui s’accorde plus avec un petit esprit iconoclaste qu’avec les droits démocratiques et ceux des personnes ? Et quel mépris vis-à-vis d’un artiste dont l’œuvre a été exposée à la Biennale de Venise et à la Fondation Gianadda ! C’est nier l’action de ceux qui l’ont commandée et payée, comme si elle ne faisait pas partie d’un patrimoine culturel. Ce n’est pas un tag pourtant et Pully possède un musée !    
    Les signataires de cette lettre ont tous présidé l’Association Films Plans-Fixes qui produit des portraits filmés de personnalités de Suisse romande. Un film consacré à Jean Lecoultre figure parmi les quelques 300 titres de la collection : www.plansfixes.ch/films/jeanlecoultre . C’est à ce titre que nous intervenons et nous demandons que l’on veille au respect des droits de Jean Lecoultre en tant que créateur de l’œuvre.
    Janine Massard, Olivier Pavillon, Catherine Seylaz-Dubuis, Jean Mayerat – ancien-n-es président-e-s de Plans-Fixes

  • Une occasion manquée

    images-3.jpegOn l'attendait, avec un peu d'angoisse et beaucoup d'impatience, ce volume consacré à la Suisse dans la prestigieuse collection Découvertes-Gallimard. Et il est arrivé. Pas tout de suite, d'ailleurs, puisqu'il est seulement le 573e de la collection ! Il est signé François Walter, un professeur d'histoire moderne et contemporaine à l'Université de Genève depuis 1986.

    Ne boudons pas notre plaisir : l'iconographie, comme d'habitude, y est très soignée ; la mise en page, magnifique ; le texte parfaitement mis en valeur. En bon disciple de la « nouvelle histoire suisse », François Walter déconstruit habilement tous les mythes fondateurs : le pacte de 1291, antidaté, ne serait qu'un document rédigé après coup pour édifier le mythe de la Confédération. Guillaume Tell, bien sûr, n'a jamais existé. Quant aux exploits guerriers des premiers Suisses, ils ne sont qu'« une construction idéologique » visant à donner une base identitaire à la future Confédération. Cela dit, même si l'auteur raffole des clichés de la « nouvelle histoire », il ne passe pas pour autant sous silence les innombrables conflits, traumatismes, voire antagonismes religieux (la guerre du Sonderbund) auxquels la Suisse a dû faire face, et  qu'elle a réglés à sa manière, c'est-à-dire plutôt bien. Comme il n'oublie pas de mentionner, plus loin, certains épisodes peu glorieux de l'histoire contemporaine, tel le fameux tampon J apposé sur les passeports des ressortissants juifs, que l'auteur qualifie de « capitulation morale ». Comme il n'oublie pas de dénoncer « les compromissions avec l'économie de guerre nazie », « les fréquentations douteuses des régimes corrompus » ou encore la complaisance à accueillir des fonds soustraits au fisc, etc.

    On le voit : l'auteur adhère à cette image peu reluisante de « pays crapule », si largement diffusée à l'étranger qu'elle en est devenue un stéréotype!

    Plus intéressante est la partie du livre consacrée à l'importance du paysage, autre élément constitutif de l'« identité suisse » (qui, comme chacun sait, est un mirage !). Ici François Walter fait montre d'une connaissance certaine de l'imagerie helvétique : lacs, montagnes, forêts, glaciers. images.jpegDont tout le monde vante l'inexprimable beauté. Signe, sans doute, d'une Nature encore intacte, proche de sa pureté originelle. Vantées par les premiers touristes anglais au XIXe siècle, ces « beautés naturelles » attireront, plus tard, le tourisme de masse vers les stations de sports d'hiver, transformant la Suisse en pays de cartes postales.

    images-4.jpegTout n'est pas à jeter, sans doute, dans ce petit livre où l'on retrouve toutes les finesses, mais aussi toutes les naïvetés de la « nouvelle histoire suisse. » Un bémol, cependant : l'absence, quasi totale, mais effarante, de la culture (au sens large) qui s'est développée dans ce pays. Quelques noms d'écrivains, jetés ici ou là (Rousseau 1712-1778), à la sauvette, mais jamais développés, ni interrogés. Aucune mention de Georges Haldas, de Nicolas Bouvier, de Corinna Bille ! Idem pour Albert Cohen ou Denis de Rougemont, grand penseur de l'Europe. Les mêmes lacunes s'appliquent à la peinture, à la musique ou encore à l'architecture, complètement oubliées dans ce panorama de cartes postales. De telles lacunes étonnent, surtout chez un professeur d'Université.

    Quand on se rappelle les chroniques savoureuses de Louis Gaulis (La Suisse insolite, Mondo) ou de Nicolas Bouvier (L'Art populaire en Suisse, Zoé), on regrette que ce livre n'ait pas été confié à un écrivain. Par exemple à un Jean-Louis Kuffer, grand bourlingueur devant l'Eternel, qui excelle dans l'art du portrait, de l'analyse fine, du regard amoureux. Cela aurait donné un livre non seulement de savoir, mais aussi — et surtout — de saveur. Mais l'occasion est manquée…

    * François Walter, La Suisse au-delà du paysage, Découvertes-Gallimard, 2011.