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Blogres - Page 87

  • Comme on méprise un grand artiste

    par Jean-Michel Olivier

    J'ai reçu, l'autre jour, une lettre de mon amie Janine Massard, qui attire mon attention sur un scandale culturel typiquement vaudois. Je me permets de la reproduire telle quelle. Ou comment un théâtre de la place traite l'œuvre d'un artiste de renom...

    images.jpegUn article paru le 22 novembre dans 24 Heures relate un fait divers représentatif d’une petite combine locale mais qui, en bout de course, reflète le mépris dans lequel on tient l’œuvre d’un artiste peintre : la fresque commandée en 1981 à Jean Lecoultre, pour l’inauguration du théâtre de l’Octogone à Pully, a été recouverte de plastique blanc 31 ans plus tard. Sur proposition de la directrice du théâtre, le syndic actuel, M. Gil Reichen, en charge des affaires culturelles, s’arroge le droit de faire recouvrir l’œuvre d’un plastique, sans doute pour être plus en phase avec les préoccupations actuelles ! Et tout cela s’est passé sans avertir l’artiste, qui habite à deux pas du théâtre, et sans en parler davantage aux pouvoirs politiques. Voilà qui rappelle les temps anciens où des « fous de Dieu » enduisaient de chaux les peintures dans les églises, au mépris des messages que les siècles précédents leur avaient transmis.
    Et la démocratie dans tout cela ? Que penser de cette façon d’agir qui s’accorde plus avec un petit esprit iconoclaste qu’avec les droits démocratiques et ceux des personnes ? Et quel mépris vis-à-vis d’un artiste dont l’œuvre a été exposée à la Biennale de Venise et à la Fondation Gianadda ! C’est nier l’action de ceux qui l’ont commandée et payée, comme si elle ne faisait pas partie d’un patrimoine culturel. Ce n’est pas un tag pourtant et Pully possède un musée !    
    Les signataires de cette lettre ont tous présidé l’Association Films Plans-Fixes qui produit des portraits filmés de personnalités de Suisse romande. Un film consacré à Jean Lecoultre figure parmi les quelques 300 titres de la collection : www.plansfixes.ch/films/jeanlecoultre . C’est à ce titre que nous intervenons et nous demandons que l’on veille au respect des droits de Jean Lecoultre en tant que créateur de l’œuvre.
    Janine Massard, Olivier Pavillon, Catherine Seylaz-Dubuis, Jean Mayerat – ancien-n-es président-e-s de Plans-Fixes

  • nabe in forma

     

     

     

    par ANTONIN MOERI

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    Les romans qui se vendent sont souvent des romans dits «historiques». Leur auteur passe des heures, des jours, des semaines, des années à fouiner dans les bibliothèques, les archives et sur la toile pour amasser le plus d’infos sur tel ou tel personnage, pour que le lecteur puisse se dire: l’héroïne est née tel jour à telle heure (et c’est vrai!), elle fut allergique au lait maternel, elle écrasa une grenouille le mardi 24 septembre et fut violentée par son père le samedi 6 juin 19... Marc-Edouard Nabe ne s’embarrasse pas de ce genre de contraintes pour écrire son roman. Il utilise les scoops dont se servent Mlle Internette, Monsieur Figaro et Madame Ferrari pour faire leur beurre: affaire du Sofitel, disparition du Blackberry, arrestation dans l’avion, sortie du commissariat poignets menottés, pénitencier de Rikers Island, arrivée en jet d’Anne, intervention des gros bras du droit américain, caution énorme, la belle demeure du quartier de TriBeCa.

    Le monde entier connaît les images, les commentaires, les récits qui serviront de trame à l’histoire que raconte Nabe. Tout le reste sort de son imagination délirante. Sur la piste du cirque Barnum vont se croiser une richissime Anne Sinclair taraudée par le devoir de mémoire et dont l’ambition est démesurée, un Dominique en bonobo prêt à bondir sur la première demoiselle bien roulée qui se profile à l’horizon, les Dupont et Dupond de la justice «divine», le bouledogue Martine Aubry, «une grande Noire avec d’énormes seins et un visage moche, un air gras et vide, des cheveux lissés au henné, un vrai cheval», description d’une Nafissatou Diallo qui est le seul personnage féminin, dans ce livre, pour qui l’auteur éprouve une véritable tendresse.

    Faire de DSK un singe réduit à des pulsions incontrôlables, bave aux lèvres, faire de lui un mâle désabusé qui ne jouit que dans la transgression de certains tabous et ne semble pas excité à l’idée de mener une campagne pendant un an et de diriger un pays au bord de la faillite, relève d’une caricature un peu grossière. Réduire Anne Sinclair à la petite fille d’un collectionneur de tableaux milliardaire habitée par une seule idée: pousser son Dominique à la plus haute fonction et prête à écraser, pour arriver à ses fins, tout individu qui gênerait l’alpiniste dans son ascension, indique clairement l’intention de l’auteur: faire de cette comédie mondialement connue un carnaval de figures grotesques animées par les instincts les plus bas. Ce carnaval serait le reflet d’un monde staripipolisé qui, à la fois, dégoûte et fascine Nabe. Cet attirance-dégoût lui donne une énergie et un souffle qui dérangent certains virtuistes. Aux autres, je conseille de commander «L’Enculé» sur le site: www.marcedouardnabe.com. (24 euros)

     

  • Dominique Wohlschlag, La Nuit épousée

    Par Alain Bagnoud

    Dominique Wohlschlag, La Nuit épousée, Editions de L’Aire

    Ceux qui fréquentent les Lectures publiques, rue de l’Industrie, ont eu la chance de voir naître La Nuit épousée. C’est en effet à la Galerie, 13 rue de l’Industrie aux Grottes, à Genève (voir www.leslecturespubliques.ch) qu’ont retenti l’un après l’autre les textes qui composent ce recueil.

    Dans ce lieu animé, les auteurs lisent leurs œuvres originales tous les mercredis à 19h00. Les curieux auraient tort de se priver d’y passer. On y fait de belles découvertes, et je connais des auteurs (François Beuchat par exemple), qui y ont trouvé un éditeur.

    Bref, j’avais entendu la plupart des textes de Dominique Wohlschlag. C’est un plaisir de les voir aujourd’hui édités. D’autant plus que, s’ils ont été faits d’abord pour être écoutés, la publication en permet une autre approche.

    La clarté du style et la tension des histoires y jouent sur un arrière-fond parfois labyrinthique et délicieusement vertigineux que la lecture permet d’approfondir. Un exemple. Le premier texte présente un poème de Mallarmé proposé à ses élèves par un vieux professeur:

    A trop d’une aile éphémère

    Narguer l’effroyable orgueil

    De l’aveugle victimaire

    Choir, choir en l’amer cercueil...

    Or on apprend ensuite que ce texte serait d’un élève de Mallarmé, Théodore Saint-Flour, qui aurait influencé son maître. Puis, à la suite d’une explication virtuose qui en décortique le style, les élèves comprennent que c’est encore quelqu’un d’autre qui a écrit le texte, quelqu’un qu’ils connaissent bien.

    Ces jeux de miroir borgésiens sont fréquents dans le recueil. La lettre obscène d’un voyeur est en réalité un poème de l’Atharda-Veda. L’adversaire coriace d’un joueur d’échec se révèle être un poète bien connu que ses admirateurs auront reconnu à ses citations. Etc.

    Ces dispositifs ne sont pas gratuits. Les nouvelles de Dominique Wohlschlag ont une unité intrinsèque: elles interrogent toutes l’alchimie littéraire. Agencées entre elles, couronnées par un texte final qui en fait la synthèse, elles tournent autour de la création et de ses mystères.

    Ecriture de l'Ile de Pâques (rongorongo)On peut citer là-dessus la postface qui dit cela mieux que nous ne saurions le faire: « La figure récurrente de l’interprète, du traducteur, de l’exégète, du philologue voire du pasticheur ou du policier, est celle de l’alchimiste dans son travail sur la materia prima, substance infiniment précieuse et pourtant partout présente, chérie de l’Artiste, méprisée du vulgaire et qui pour l’écrivain n’est autre que la langue. »

    Mais nulle monotonie là-dedans: on est séduit par la variété des personnages, des temps, des lieux et des cultures, par la vivacité des histoires, la relecture des symboles et l’érudition des thèmes (le mythe de la Genèse, La Divine comédie, le poète Horace, les liens entre l’écriture de l’Ile de Pâques et celle de l’antique civilisation de Mohenjo-Daro, etc.).

    Avec La Nuit épousée, Dominique Wohlschlag, traducteur du sanscrit, professeur de latin, collaborateur du Musée d’ethnologie, féru de littérature ésotérique, plus particulièrement alchimiste, et de plus antiquaire (on peut le trouver régulièrement sur son stand du marché aux puces de Plainpalais), rajoute donc une corde à son arc. Un arc apollonien.

     

    Dominique Wohlschlag, La Nuit épousée, Editions de L’Aire

     

  • Jacques-Étienne Bovard, Prix des écrivains vaudois 2011

    952875985.jpgpar Jean-Michel Olivier

    Dimanche dernier, près de la place de la Riponne, l'Association vaudoise des Écrivains (AVE) a remis à Jacques-Étienne Bovard, écrivain et enseignant, son Prix de Littérature. La fête fut belle et chaleureuse. À cette occasion, en tant que président du jury (composé de Simone Collet et de Rafik ben Salah), je fus chargé de faire l'éloge du lauréat.

    Au début des années 90, Jacques Chessex avait pris l’habitude, au grand désespoir de ma femme, de m’appeler tous les dimanches vers six heures du matin. Il aimait faire causette — à l’heure où les oiseaux se mettent à chanter et où certains sortent à peine d’une nuit blanche. Un jour, il me dit qu’il y avait deux écrivains en Suisse romande avec qui il fallait compter : Bovard et moi. J’étais surpris qu’il y en eût un autre ! Mais comme je suis curieux de nature, je suis allé lire les œuvres de ce fameux Bovard.

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  • canapé des confidences

     

     

     

    par antonin moeri

     

     

     

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    Les scènes de cul, c’est pas mon fort. Je m’y suis pourtant essayé. J’ai lu la chose devant un jeune poète talentueux. Il a dit: J’aime ta séquence, c’est pas facile de raconter ça. J’avais adopté le point de vue de Loulia. Je me sentais mieux dans la peau d’une femme pour évoquer le frisson et les organes. Pour raconter ces secondes où tout bascule dans l’inconnu, Eric Holder choisit la crudité du sexe.

    Ainsi voit-on le membre que Youssef exhibe en pleine classe ou accompagne-t-on Francis dans une chambre où celui-ci, tétanisé («il hochait la tête, s’épongeant le front, écoutant avec honte ses propres gémissements»), va jouir «comme il ne jouirait sans doute plus jamais». Charles, 21 ans, découvre l’amour tarifé avec une fausse blonde dont le bébé dort à côté et dont le mari, chauffeur routier, travaille la nuit. «Cambrée, la tête renversée en arrière, les seins tressautant, elle se griffait les flancs. Elle ne s’entendit pas japper son plaisir, des cris rauques qui firent craindre à son partenaire que le bébé se réveillât».

    Dans une des plus belles nouvelles, «Aurore à Paris», une attachée de presse raconte au narrateur comment elle tomba amoureuse d’un petit Polonais roux, avec qui elle vit toujours, 25 ans plus tard. Lors d’un cocktail dans une galerie d’art, Aurore rencontre Joseph, un courtier élégant, superbe Libanais qu’elle décide de s’offrir. Le courtier l’emmène chez lui, où un jeune réfugié lit Baudelaire. Champagne. Elle a aussitôt envie de connaître la vie de Pawel. Le Libanais caresse ses hanches. Pawel lui ôte ses bas, sa phalange glisse dans le sillon de ses fesses. «Elle accepte tout ensemble celui qui dévore sa bouche, son oreille, celui qui se glisse profondément en elle, prenant appui sur l’envers crémeux des cuisses qu’il a repliées sur ses seins». Elle mord Pawel à la bouche. C’est avec lui qu’elle connaîtra l’extase pendant que Joseph se branle, vautré dans un fauteuil.

    Laetitia Bercoff travaille dans le culturel. Elle organise des salons du livre. Elle vit depuis vingt ans avec un homme plus âgé qu’elle, «un ingénieur souvent à l’étranger». Elle a sorti un livre au Seuil. Un employé de la commune, Virgile, lui rend des services: il lui installe le nouveau sèche-linge, soigne son jardin, lui empile des stères dans le bûcher. Un jour, en empilant des tuiles, Virgile tombe sur un nid de guêpes. Deux insectes s’insinuent dans son pantalon. Plusieurs piqûres. Après avoir cherché l’Aspivenin, Laetitia déboutonne le pantalon de l’homme à tout faire. La dernière inflammation se trouve sur le testicule gauche. Fascinée par le membre de taureau, elle ne peut s’empêcher de le gober. Dans la chambre d’amis, elle saisit le gourdin qu’elle veut sentir dans son ventre. Ses jambes à elle, il les écarte, les maintient en hauteur par les talons. «Agenouillé au milieu, il ne remue, à petits coups de ventre, que la pointe dans l’anneau. Il l’élargit par degrés si discrets...» «Elle s’épouvante de ce qui la traverse. Pas au fond, il ne va pas... Si!» Le narrateur trouve Laetitia changée au salon du livre, «sur le qui-vive, rapidement agacée». Quand Laetitia partira en Italie avec son mari, Virgile poussera le cri de Tarzan en levant le pouce.

    La posture qu’adopte Holder dans ces nouvelle est à la fois distante et d’une infinie tendresse. Ces instants où tout bascule dans l’inconnu sont narrés avec une précision d’entomologiste. Jamais le lecteur ne se sent voyeur, mais plutôt entraîné dans un vertige. Ce vertige qu’il a connu quand... «Embrasez-moi» est un livre magnifique de grâce et de légèreté, qui pulse à chaque page, d’une férocité roborative, qu’on a envie d’offrir à ses amis et, surtout, qu’on brûle de relire pour retrouver Cathy, Marie, Blandine, Aurore, Brigit, Pauline et Laetitia. Quel bonheur de pouvoir se dire: ce genre de livre existe!

     

     

    ERIC HOLDER: EMBRASEZ-MOI, Le Dilettante, 2011

     

  • Je m'indigne

    Par Pierre Béguin

    Grand soir.PNGDepuis qu’un homme respectable, à la trajectoire et à l’âge respectables, a lancé ce mot d’ordre respectable sur quelques pages, il est de bon ton de s’indigner.

    - Qu’est-ce que tu fais cet après-midi?

    - Je crois que je vais commencer par m’indigner un petit coup avant d’aller au Starbuck café. Et toi?

    - Oh! moi, je me suis déjà indigné ce matin…

    Mais quand, entassé, comprimé dans le tram 12 réduit curieusement à sa plus simple expression aux heures de pointe et qui se traîne lamentablement à l’image de Genève (Heureux qui comme les Vaudois disposent d’un beau métro… Et dire qu’on nous a refilé le CEVA comme une panacée! Là je m’indigne!) – quand, donc, comprimé dans le tram 12, je vois quotidiennement les indignés des Bastions braver le froid sous leurs tentes – même si, parfois, il n’y a guère que leurs tentes pour braver le froid –, je ne peux m’empêcher de rêver…

    New-York, Madrid, Londres… Bon sang, mais c’est le Grand Soir! L’Internationale de l’indignation grâce à internet. Ça y est! I have a dream… Que les hommes, majoritairement, ont enfin compris que, sur le plan politique, en tant que citoyens, ils ont été privés de tout pouvoir, mais que, sur le plan économique, en tant que consommateurs, ils sont investis d’un pouvoir absolu dont ils n’ont pas encore pris la mesure. Le voilà le Grand Soir! Internet et une bonne organisation font l’affaire. Une concertation, un mot d’ordre sur le net, quelques cibles bien choisies (j’ai des noms! j’ai des noms!), des Banques, des entreprises pétrolières prises en otage d’un boycott international, et en avant la zikmu! D’accord, la révolution par la consommation – ou par le refus ciblé de consommer –, c’est moins glorieux que par les armes, mais c’est diablement plus efficace. Aristophane et Lysistrata revisités à la sauce financière!

    Fin du rêve. Je me suis énervé. Forcément, mes pieds écrasés, mes côtes comprimées, et cette porte qui ne peut plus se fermer, cette voix enregistrée qui répète inlassablement qu’il suffirait de la dégager (et comment faire, pétasse!), ces arrêts qui se prolongent, ces trams trop petits… Ils le font exprès, c’est sûr!

    Voilà! Finalement la rame s’est éloignée des Bastions, tout dou, tout dou, tout dou-oucement, comme semblent nous chanter les vaudois narquois. Passé Plainpalais, je ne suis plus en apnée. Difficilement, je reprends un semblant de respiration. Aux Augustins, j’inspire et expire normalement! Je me calme. Il me reste l’image des indignés sous leurs tentes. A Genève, à New-York, à Madrid… Il paraît qu’ils ne sont pas crédibles, qu’ils n’ont rien à proposer, qu’ils n’ont rien compris aux réalités, qu’ils n’ont pas de leaders, et même qu’un institut américain aurait proposé à Wall Street de lancer une campagne pour manipuler l’opinion publique et ternir leur action moyennant quelques centaines de milliers de dollars. Je vais donc les soutenir à ma manière en citant des indignés célèbres qui, sur leur renommée perchés, tenaient à peu près le même discours qu’eux. Toutefois, j’informe l’aimable lecteur que, pour agrémenter l’énumération, une erreur s’est malencontreusement glissée dans cette liste de citations lucides et prophétiques puisées justement sur internet. Trouvez-la:

    Thomas Jefferson, troisième Président des Etats-Unis de 1801 à 1809: «Les instituts bancaires sont plus dangereux pour nos libertés que de grandes armées. Déjà, ils ont donné naissance à une aristocratie d’argent qui défie et nargue le Gouvernement. Le pouvoir d’émission devrait être retiré aux banques et restauré au Gouvernement et au peuple auquel il appartient (…) Si le peuple américain permet aux banques privées de contrôler l’émission de sa monnaie courante, par l’inflation d’abord et la déflation ensuite, la corporation qui grandira en son sein le privera de ses propriétés à tel point que ses enfants se réveilleront un jour sans foyers sur le continent même que leurs pères ont conquis

    Lord Chief Justice of England en 1875: «L’issue qui s’est précisée de siècle en siècle et pour laquelle, fatalement, tôt ou tard, il faudra livrer une bataille décisive, c’est celle de la Nation contre la puissance bancaire

    Woodrow Wilson, vingt-huitième Président des Etats-Unis de 1913 à 1921: «Le grand monopole de ce pays est le monopole des grands crédits. Une grande nation industrielle est contrôlée par son système financier émetteur de crédits. Le développement de la nation et toutes ses activités sont, par conséquent, entre les mains de quelques hommes qui arrêtent, contrôlent et détruisent toute liberté économique

    William Jennings Bryan, membre démocratique du Congrès des Etats-Unis au début du vingtième siècle: «La puissance financière vit sur la nation en temps de paix et conspire contre elle dans l’adversité. Elle est plus despotique que la monarchie, plus insolente que l’autocratie, plus égoïste que la bureaucratie. Elle dénonce comme ennemis publics tous ceux qui critiquent ses méthodes ou font la lumière sur ses crimes

    William Lyon MacKenzie King, premier ministre du Canada de 1921 à 1930, puis de 1935 à 1948: «Jusqu’à ce que le contrôle de l’émission des devises et du crédit soit restauré au gouvernement comme sa responsabilité la plus évidente et sacrée, toute référence à la souveraineté du parlement ou de la démocratie est inutile et futile (…) Une fois qu’une nation s’est séparée du contrôle de son crédit, les gens qui font la loi importent peu (…) les usuriers, une fois au pouvoir, détruiront la nation.»

    Georges W Bush Jr, quarante-troisième Président des Etats-Unis de 2001 à 2009, immédiatement après les attentats du 11 septembre 2001: «Il est vital de continuer à consommer, à acheter, pour prémunir l’économie contre la menace d’un effondrement

    Cherchez l’erreur, indignez-vous un bon coup… et boycottez les TPG, ça fera de la place!

     

     

  • Antonin Moeri en poche

    Par Alain Bagnoud

     

    Décidément, les écrivains de Blogres vivent une rentrée littéraire active. Après Serge Bimpage, Pierre Béguin et votre serviteur, c’est au tour d’Antonin Moeri de sortir un nouveau livre. Il s’agit d’une reprise en camPoche de deux romans publiés en 1990 et 1991 à L’Age d’Homme, L’Ile intérieure et Les Yeux safran.

     

    Moeri_2007_grand.jpgQuand j'avais lu ces livres, j'avais été frappé par l'originalité de cette voix neuve. L'écriture y est servie par une distance ironique qui rend certains passages d'une drôlerie irrésistible. Elle est précise et joue sur des expressions toutes faites reprises avec ce même tremblement qu'on trouve chez Flaubert lorsqu'il utilise des clichés: un écho de pièce vide fait résonner les mots, empêche qu'on les prenne au premier degré mais refuse le deuxième degré souligné, reste entre deux.

    Dans L’Ile intérieure, Moeri ne découpe pas son texte en paragraphes. Ce n'est pas gratuit, ça donne un rythme et une signification par le refus de hiérarchiser, de dissocier les événements: ils se retrouvent au même plan et concourent ainsi à la description de l'absurdité.

    Le même effet se trouve dans son premier texte publié, prix de la revue [vwa], et dans son premier roman: Le fils à maman (Poche suisse), de même que s'y retrouvent des thèmes et le type de narrateur-personnage: un être falot, pâle, maigre, névrosé. Ici, c'est un acteur raté que handicapent des difficultés respiratoires. Le roman l'oppose à sa sœur, qu'il aime d'une manière ambiguë, musicienne exceptionnelle, pure, privilégiée, active. On y trouve aussi des discours sur l'écriture, sur l'artiste et sa fonction (jeter des perles aux pourceaux, leur dispenser une sorte de luminosité intense) et toutes sortes d'épisodes liés par aucune nécessité autre que l'écriture et la vision singulière du narrateur.

    Ça commence dans une soirée mondaine, prétexte à impairs et présentation du personnage. Puis on voit le frère, la sœur lui propose de partir à Djerba, il y croise quelques personnages singuliers.

    Dans Les Yeux safran, il s’agit d’autre chose. Safran, c'est la couleur de la mort : celle de la mère du narrateur, atteinte d'un cancer, et qui s'éteint petit à petit devant lui tandis que sa peau jaunit. Insomniaque et perdu, le fils s'efforce de capter, avec une extrême attention, les réactions intimes que les souvenirs ou les rêves sur elle provoquent.
    Cette agonie et cette mort provoquent un déclic : le narrateur se met à écrire pour reconstruire son existence.
    Les souvenirs évoquent Louis, l'ami d'enfance qui apprenait à fumer dans une cave, à voler à l'étalage ou à embrasser Caroline. On retrouve les portraits chargés dans lesquels Moeri excelle : un athlétique contrôleur de chemins de fer, « homme aux yeux globuleux d'un bleu transparent fichés aux extrémités d'un visage massif comme des boutons de culotte sur le masque burlesque d'un épouvantail ». Un intellectuel : « Quand on lui demande de décrire ses occupations, il répond en enlevant ses fines lunettes de son auguste nez : je fais de la recherche. Sur quoi tout le monde se tait. La phrase a été martelée avec une telle assurance qu'on se dit : quelle surprenante arrogance de roquet chez cet âne accoutumé au silence ».

    C'est que Moeri, à l’époque, en voulait aux individus plus qu'à la société. Fidèle disciple de Handke et de Thomas Bernhard, il empruntait à ce dernier l'invective et l'indignation. Dans le livre, il s'attache aux personnages, les suit dans l'avion, sur la plage, marchant. Tourne autour des images, recherchant des états de musique et de délire verbal. Pour écrire ensuite, la nuit, en vacances, en altitude, après un grand effort physique, dans des conditions de malaise existentiel et de solitude, des histoires vengeresses.

     

    Antonin Moeri, L’Ile intérieure, Les Yeux safran, romans, CamPoche

  • humour british

     

    par antonin moeri

     

     

     

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    Je me souviens très bien. Un comédien qui fait, comme on dit, carrière à Paris, avait lu un texte de Ludwig Hohl que j’avais traduit avec la veuve de ce dernier. C’est après cette lecture étonnante que parut sous les sunlights une araignée d’eau dont je me suis demandé ce qu’elle faisait là. Elle hésita sur ses longues pattes avant de lire un texte qui me fit beaucoup rire (cette lecture apparemment improvisée avait été prévue par la maîtresse des lieux).

    Je retrouve ce rire en lisant les textes de Laurence Boissier que les éditions d’autre part viennent de publier, car la dérision et l’auto-dérision dominent le propos. Qui est de raconter le monde, à travers les yeux (par exemple) d’une maman peintre qui conduit sa fille à l’école et son fils à la crèche, va faire un sudoku dans un bistrot puis rejoint son atelier, situé dans un immeuble en rénovation et dans un quartier en pleine restructuration. Elle doit déménager ses toiles. Et voilà que la gamine sort de l’école et le gamin, il faut le chercher à la crèche. Ni une ni deux, les deux gosses montent sur la charrette.

    Il est difficile de raconter une histoire de Laurence Boissier, car en fait d’histoire, il n’y en a pas. Tout est dans la manière de narrer les choses, avec une précision d’entomologiste, un humour british et des commentaires inattendus. Une assistante s’assoyant sur le tabouret d’un cabinet dentaire, l’auteur précise «à califourchon sur un tabouret trop haut», et commente «une longue pratique des bars à vins, apparemment». Il s’avère que la demoiselle ne parle pas français. Peu importe, puisqu’elle se sent dans son élément et qu’elle a déjà donné sa démission. Ce personnage, comme tant d’autres, est campé avec tendresse, dans un carrousel qui tourne de plus en plus vite. L’assistante s’est trompée. Elle a confondu les flacons. Le Tricalonium 400 se répand dans les veines de la patiente qui colle sa bouche contre celle du dentiste. «En partant, elle remarque qu’il lui faut remettre son pantalon rouge».

    Elliptique, c’est l'adjectif qu’on emploie je crois pour qualifier ce genre de style. Raconter le plus en disant le moins. Mais avec une ironie à froid et un humour «Arsenic et vieilles dentelles» qui font de ces textes de Laurence Boissier un bijou qui devrait être beaucoup plus parlé, comme dit Yves Velan, c’est-à-dire: dont les journalistes culturels devraient parler.

     

     

    Laurence Boissier: Cahier des charges, éditions d’autre part, 2011

     

  • Don DeLillo, Great Jones Street

    Par Alain Bagnoud

     

    9782742797653FS.gifBucky Wunderlick, une superstar du rock des années 70 en a assez. Il quitte son groupe en pleine tournée, disparaît et se réfugie dans une piaule sur Great Jones Street, New York.

    Les rumeurs commencent à courir parmi ses fans survoltés, orphelins du messie. On le voit un peu partout. Lui reste dans sa chambre à ne rien faire, à regarder passer les heures, à écouter le sourd bruissement du monde, terré entre un écrivain besogneux et une mère qui s’occupe de son fils infirme.

    Crise spirituelle, quête existentielle: Bucky est en pleine déroute. Mais on ne va pas le laisser tranquille, il compte trop pour le marché et se voit rattrapé par l’époque.

    Une de ses ex le rejoint. On stocke chez lui une drogue nouvelle. Son producteur essaie de récupérer des bandes qu’il a enregistrées et qui peuvent changer radicalement la musique. Toutes sortes de personnages issus de la mouvance pop essaient de le manipuler: trafiquants, managers, musiciens, communautés marginales.

    Bucky se laisse faire, ne proteste pas, étrangement passif. Chacun attend quelque chose de lui, tous veulent qu’il se plie à leurs projets sans qu’on sache très bien savoir quel rôle il accepte de jouer dans leurs intrigues.

    images?q=tbn:ANd9GcREFWfK8O-buKcfpcA3Udp7hu0a4eiiXVVGLAzbchS4liDFfpA-C’est une plongée dans la pop culture des années 70. Pas un témoignage, un déchiffrage du monde à travers la drogue, la paranoïa, les intérêts et l’insensibilité, dans l’écriture sourde, virtuose, parfois opaque, aux dialogues fulgurants, qui est la marque de DeLillo

    Gread Jones Street a été publié aux Etats-Unis en 1973, mais il paraît cette année seulement chez Actes Sud. C’est le troisième roman de DeLillo, né en 1936, un des romanciers américains actuels les plus en vue.

     

    Don DeLillo, Great Jones Street, Actes sud

     

  • choses vues

     

     

    par antonin moeri

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    Il a raison Béguin à propos de «Transports». «Une écriture de type behaviouriste qui s’attache aux comportements, aux gestes, à l’extériorité, sans jamais s’aventurer dans l’intériorité des personnages». Je ne sais pas si Bagnoud, comme Hemingway ou Simenon, revendique l’influence de Dashiell Hammett, dont l’écriture sèche, visuelle, désencombrée est un modèle d’efficacité. Dans «Transports», pas d’intrigue, de détective ni de meurtrier, mais un regard posé sur des gens du XXI e siècle, des gens que vous pouvez croiser dans un train de banlieue, une télécabine, un café portugais, un abribus, sur le quai d’une gare ou une terrasse de bistrot. «Des minettes court vêtues et multiculturelles avec des collants noirs, des bijoux en toc». Avec le même détachement sont décrits les personnages sur des affiches publicitaires. «Des hommes et des femmes en slips blancs s’y examinent les jambes avec admiration». Et quand on croise «un islamiste médiatisé interdit d’enseignement parce qu’il prône la lapidation des adultères», on enregistre pareillement la chose. Heureusement, il y a l’humour, qui sauve tout. On ouvre le journal et «on tombe sur une réclame pour se faire raffermir les fesses». Ou bien on imagine comme «il serait agréable de pondre des vers de mirliton et de les entendre déclamer dans une fête. Ensuite on me mettrait une couronne de lauriers en carton et on me proclamerait prince des poètes».

    L’auteur est toujours le témoin oculaire ou auriculaire des faits qu’il relate. Les instantanés du quotidien ne sont jamais perçus par un autre personnage, le souci étant de coller au monde qui nous entoure, cet univers multicolore et divers, où se croisent les puissants et les indigents, les braillards et les déprimés, les Américaines aux doigts manucurés et les papas torchons, les déménageurs et les Chinoises transplantées, les Ethiopiennes à percing et les Asiates en baskets rouges, les jolies petites Kosovares et les intellos sûrs d’eux.

    Pas de narrateur dans «Transports» puisqu’il n’y a pas d’histoire à raconter, à prendre en charge. «J’aimerais n’être plus rien que le regard qui contemple ces chaussures rouges en forme de souris». C’est un foyer mobile de perceptions qui opère comme un charme. Car celui qui voit, entend et sent ne se soucie plus du regard des autres. Son désir: saisir le monde, non pas dans sa volonté, mais dans sa représentation. «J’aimerais percer le mystère des gens grâce à leur apparence». Une énigme dont Bagnoud va essayer de trouver le mot en sortant le carnet de sa poche ou l’ordi de sa fourre, en décrivant ce qu’il voit, ici, là-bas, en notant les vertiges et les moments hors du temps, en se demandant ce qu’écrire veut dire, quelle posture adopter devant les mélèzes somptueux, une immigrée congolaise qui a connu l’esclavage, «une pub de fringues qui fait miroiter des rabais», quel sens donner à tout ça. Pourquoi écrire? A cette question, l’auteur et moi-même ne saurions répondre comme le fit Céline «Pour payer mon loyer», ou comme le fit Viala «Pour bouffer». Alors nous continuerons de prendre des notes, avec «le sentiment que quelque chose peut être sauvé».

    Alain Bagnoud: Transports, L’Aire, 2011