humour british
par antonin moeri
Je me souviens très bien. Un comédien qui fait, comme on dit, carrière à Paris, avait lu un texte de Ludwig Hohl que j’avais traduit avec la veuve de ce dernier. C’est après cette lecture étonnante que parut sous les sunlights une araignée d’eau dont je me suis demandé ce qu’elle faisait là. Elle hésita sur ses longues pattes avant de lire un texte qui me fit beaucoup rire (cette lecture apparemment improvisée avait été prévue par la maîtresse des lieux).
Je retrouve ce rire en lisant les textes de Laurence Boissier que les éditions d’autre part viennent de publier, car la dérision et l’auto-dérision dominent le propos. Qui est de raconter le monde, à travers les yeux (par exemple) d’une maman peintre qui conduit sa fille à l’école et son fils à la crèche, va faire un sudoku dans un bistrot puis rejoint son atelier, situé dans un immeuble en rénovation et dans un quartier en pleine restructuration. Elle doit déménager ses toiles. Et voilà que la gamine sort de l’école et le gamin, il faut le chercher à la crèche. Ni une ni deux, les deux gosses montent sur la charrette.
Il est difficile de raconter une histoire de Laurence Boissier, car en fait d’histoire, il n’y en a pas. Tout est dans la manière de narrer les choses, avec une précision d’entomologiste, un humour british et des commentaires inattendus. Une assistante s’assoyant sur le tabouret d’un cabinet dentaire, l’auteur précise «à califourchon sur un tabouret trop haut», et commente «une longue pratique des bars à vins, apparemment». Il s’avère que la demoiselle ne parle pas français. Peu importe, puisqu’elle se sent dans son élément et qu’elle a déjà donné sa démission. Ce personnage, comme tant d’autres, est campé avec tendresse, dans un carrousel qui tourne de plus en plus vite. L’assistante s’est trompée. Elle a confondu les flacons. Le Tricalonium 400 se répand dans les veines de la patiente qui colle sa bouche contre celle du dentiste. «En partant, elle remarque qu’il lui faut remettre son pantalon rouge».
Elliptique, c’est l'adjectif qu’on emploie je crois pour qualifier ce genre de style. Raconter le plus en disant le moins. Mais avec une ironie à froid et un humour «Arsenic et vieilles dentelles» qui font de ces textes de Laurence Boissier un bijou qui devrait être beaucoup plus parlé, comme dit Yves Velan, c’est-à-dire: dont les journalistes culturels devraient parler.
Laurence Boissier: Cahier des charges, éditions d’autre part, 2011