Politique et prédation (31/08/2008)
«Ceux qui savent faire font, ceux qui ne savent pas faire enseignent, ceux qui ne savent pas enseigner enseignent aux enseignants et ceux qui ne savent pas enseigner aux enseignants font de la politique.» (Muriel Barbey, L’Elégance du hérisson, Gallimard, 2006, p. 55)
L’air du temps et les journalistes (c’est parfois pareil) s’accordent pour décrire Martine Brunschwick-Graf comme une femme intelligente doublée d’une excellente politicienne. Ce qui lui a épargné, à ma connaissance, un bilan véritablement critique de son action au gouvernement genevois. Pourtant, si nous devions juger du passage de Martine sur le territoire du DIP, il faudrait bien reconnaître qu’il fut, à maints égards, aussi catastrophique que celui d’une tornade du même prénom. Avec ces paradoxes qui ne cessent de nous interroger: Comment une femme réputée intelligente peut-elle présenter un bilan aussi désastreux? Comment une libérale a-t-elle pu opter, main dans la main avec des reliques de commissaires du peuple, pour des options pédagogiques aussi résolument à gauche? A tel point que Charles Beer, bien que du bord politique opposé, a d’emblée souscrit à toutes les réformes pédagogiques de son prédécesseur.
Ainsi conversions-nous l’autre soir entre amis, justifiant ces paradoxes par la nécessité de tout politicien de composer avec ses adversaires au risque de faire leur politique, lorsqu’une personne émit une autre hypothèse, certes quelque peu calomnieuse mais pas insensée: «Et si l’objectif inavoué de MBG, parce qu’inavouable – ce qu’on appelle la visée perlocutoire –, avait été d’affaiblir sciemment l’enseignement public?» En substance, l’hypothèse se développait en ces termes: en permettant à l’enseignement primaire et secondaire inférieur de devenir un laboratoire de la FAPSE tout en diminuant drastiquement les effectifs sur le terrain, elle mine d’emblée les réformes qu’elle cautionne, (je schématise volontairement mais retenez-en l’esprit) elle crée le désordre à l’intérieur du département, les divisions chez les enseignants et le mécontentement chez les parents d’élèves. Un mécontentement sans risque pour son image, cette grogne – elle le sait – prenant immanquablement pour cible l’affreux gauchiste enseignant avec lequel il faut bien concilier et qui s’est précipité dans le piège avec une touchante naïveté. Au reste, la presse, entièrement dépendante des annonceurs immobiliers au début des années 90, c’est-à-dire des milieux libéraux, s’est alors chargée de faire passer efficacement le message vers l’électeur. «Dans quel but me direz-vous? Simple! Opérer des transferts de charges. Plus les parents sont mécontents, plus ils se tournent vers le privé, et plus le budget du DIP diminue (rappelons-nous que Martine Brunschwick-Graf s’était – à juste titre – vivement opposée à une quelconque baisse d’impôts pour les parents payant un écolage dans le privé, le transfert de charges restant ainsi tout bénéfice). Sachant qu’un élève coûte annuellement environ 14000 Fr au primaire et 22000 Fr au Cycle, le calcul est vite fait: une centaine de transferts de têtes blondes du public au privé par année et ce sont vite des centaines de millions d’économie (en tout plus d’un milliard réalisé au DIP). Avec en prime l’affaiblissement de l’enseignement public et l’enseignant jeté en pâture au citoyen comme méchant responsable. Tout bénéfice, je vous dis!» L’hypothèse a au moins le mérite de surmonter les paradoxes: vu sous cet angle, c’est-à-dire sous l’angle purement politique, le bilan de Martine Brunswick-Graf devient cohérent envers les visées de son parti et son action remarquable d’intelligence stratégique (les écoles privées sont saturées, l’école publique perd du muscle en prenant de la graisse administrative et on parle de mettre les deux en compétition!!!) C’est la faiblesse des démocraties: l’action des élus reste essentiellement politique, elle vise leurs intérêts, leur réélection, mais cet objectif, paradoxalement, peut s’opposer au bien du département dont ils ont la charge, donc, par voie de conséquence, au bien public qui, pourtant, légitime leur mandat. Ainsi, de responsables, se transforment-ils parfois en prédateurs.
Martine Brunschwick-Graf, prédatrice du DIP? Je vous en laisse juge…
21:16 | Lien permanent | Commentaires (10)
Commentaires
Très bonne et juste analyse. MBG (c'est ainsi qu'on l'appelait affectueusement dans les salles des maîtres) pour être intelligente n'en est pas moins machiavélique. Elle a affaibli sciemment le public pour enrichir le privé. On en voit tous les jours les dégâts…
Écrit par : jmo | 31/08/2008
MBG n'est ni une femme intelligente ni une femme politique intéressante! Son bilan au Gouvernement est plus que honteux. Elle a su faire des sales coups - quoi de plus facile quand on a le pouvoir? - mais de là à faire croire que ses talents d'illusionniste sont avérés, il faut tout de même être aveugle!
Elle a affamé les enseignants tout en grossissant les rangs de cadres administratifs, dotés d'une violence "légitimée" par leur fonction, qu'on ne verrait nulle part ailleurs que dans une société où la hiérarchie des valeurs est inversée!
La médiocrité incarnée, elle a simplement dénigré la profession d'enseignant - à ce taux-là, pourquoi maintenir l'école? - pour succomber aux caprices de ses adversaires politiques car très mal élue à chaque fois!
Manier la langue de bois, même le crétin du village en est capable!
Écrit par : Micheline | 31/08/2008
Avec quelqu'un d'intelligent à la tête du DIP, il n'y aurait pas eu d'affaire Hani Ramadan. Elle est entièrement responsable de ce fiasco. Gestion imbécile, incompétence, avec le résultat que l'on sait. C'est vraiment dommage et une grave lacune que les dirigeants (politiques ou économiques [Swissair, UBS, etc.]) ne soient jamais responsables sur leur fortune ou salaire de leur incompétence.
Écrit par : Johann | 31/08/2008
Les cadavres politiques, économiques et humains, on ne les compte plus! Il faudrait lui faire payer pour ses saloperies! Notamment, en imposant de rendre à la république tout ce qu'elle a volé. La merde laissée après son passage, on devrait la lui faire bouffer!
Écrit par : Epictète | 31/08/2008
Le raisonnement de votre ami est tout à fait bancal, cher Monsieur.
En dehors du fait que MBG ne me semble pas capable d'être machiavélique à ce point là et de prévoir à si longue distance, elle ne pouvait pas désirer sacrifier toute une génération d'écoliers genevois
Mais surtout, son seul intérêt politique dans la démarche que vous décrivez aurait été de parvenir, précisément, à un dégrèvement fiscal pour les élèves inscrits dans le privé. Qu'elle a refusé. Ce dégrêvement fiscal était un brouillon de l'actuelle proposition de chèque scolaire et effectivement une bonne partie de l'électorat naturel des libéraux souhaiterait en bénéficier.
Faire faire du chiffre aux Ecoles Privées ne présente en soi aucun intérêt électoral, les patrons d'école privée n'étant pas assez nombreux pour cela.
Quant à réduire les coûts de l'école publique par le nombre d'élèves qui la suivent, et donc potentiellement les impôts, c'est absurde, puisque seuls les enfants de parents suffisament fortunés, donc la clientèle des libéraux, peuvent quitter le public et donc se font avoir en payant pour un service qu'ils n'utilisent pas. Or ils ne sont pas stupides.
Tout cela n'est vraiment que purement rhétorique... Un mot à la mode ces temps, chez les socialistes.
A part ça, l'enseignement privé, d'après les chiffres que vous mentionnez, coûte nettement moins cher, par élève, avec des résultats supérieurs, que le public. Entre autres parce que les profs y sont moins bien payés, mais pas forcément moins efficaces... Et que l'élève, est un client qui paie pour qu'on l'éduque, plutôt qu'un numéro parmi d'autres.
Écrit par : Summer Hill | 01/09/2008
Cher Monsieur Epictète,
Je reviens sur vos dernières lignes et me permets de rectifier : : l’élève n’est pas un client qui paie : ses parents paient et ce détail change tout. Ainsi, s’il est possible que les parents aient le sentiment que les élèves sont moins des numéros au privé que dans le public c’est parce que justement ils paient, parfois très cher et que donc ils se sentent beaucoup plus concernés par la scolarité de leur enfant que dans le public. Ils mettent alors sur leurs enfants une pression que j’ai rarement vue dans le public. D’ailleurs dans le public, dès qu’un parent se conduit comme s’il payait et suit son enfant de près, les résultats sont très bons. Il y a une armée de responsables (le maître de groupe, le doyen, l’assistante sociale, le maître chargé d’assis tance pédagogique etc..)qui aident et guident ceux qui le demandent.
De plus, si récemment certains parents ont pu avoir le sentiment que leurs enfants étaient des numéros, c’est aussi parce que la hiérarchie du Dip et les politiciens ont décidé, pour des raisons d’économie, de gonfler les effectifs des classes, de créer des écoles mammouths, et ceci contre l’avis des enseignants qui ont, dès les années 90, dénoncé les méfaits de ces grandes écoles à 1000 élèves et plus. Une école privée a peu d’élèves. Prenez les petits collèges du canton et demandez aux élèves s’ils ont le sentiment d’être des numéros. En navigant sur les sites web que nos élèves développent, vous verrez que non….et comme je travaille dans deux de ces établissements, je peux confirmer ce sentiment.
L’analyse de l’échec du public dans certains domaines est complexe et la faute ne peut en être rejetée entièrement sur les professeurs. Nombreux sont ceux qui d'ailleurs dénoncent les travers du système. Dans la plus part des cas que je connais depuis 30 ans les directions des écoles sont aussi largement coupables de ne pas faire leur travail de chef de personnel, le DIP de se préoccuper essentiellement de gros sous plutôt que de pédagogie.
Bref, on aimerait bien qu’il y ait UN seul coupable mais malheureusement la situation est toujours plus compliquée... Et encenser le privé ne permettra pas nécessairement de trouver des solutions à la bonne marche de nos établissements publics.
Écrit par : Isabelle | 01/09/2008
@ Summer Hill : votre argumentation un peu facile sur la visée perlocutoire de MBG que vous semblez soutenir ne reflète pas la réalité.
- Sacrifier toute une génération d'écoliers genevois ne lui pose aucun problème de conscience quand on voit son mépris pour l'autre, tout occupée à faire mousser son égo par un plaisir de la parole automatique.
- Gouverner, c'est prévoir! Impossible donc de déduire qu'on ne peut pas savoir à distance! Les conséquences de décisions au plus haut sommet devraient être prévisibles sinon il faut s'abstenir d'endosser une telle charge.
- Le fameux dégrèvement fiscal pour les élèves inscrits dans le privé qu'elle a refusé n'a rien à voir avec le sujet qui nous occupe. Si elle s'y fut farouchement opposée, c'est moins par "éthique politique" que pour s'assurer que les contributions publiques ne diminuent pas. Son slogan fumeux autant que vide "la liberté se paie" ne renforçait qu'un clivage idéologique voulant maintenir "la séparation du privé du public", cher aux discours de circonstance.
- Toutes ces manigances n'ont eu pour but que de vouloir diminuer drastiquement le salaire des profs tout en élargissant l'administratif avec de plus hauts salaires... Est-ce libéral?
@ Isabelle : votre propos n'étant pas dans le sujet, je n'y répondrai qu'en vous précisant que l’échec de l'école publique (c'était mon sujet, d'ailleurs) n'est SURTOUT pas imputable aux profs mais bien évidemment par le manqu de travail de certains directeurs du département qui restent en place tranquillement en continuant de faire du tort au personnel enseignant, donc aux élèves, donc au savoir, etc.
Écrit par : Epictète | 01/09/2008
Les années de plomb du DIP ont été mises sous la houlette de trois femmes : la première était directrice de l’Ecole primaire à Genève, la deuxième, directrice du post-obligatoire, et la troisième, directrice du DIP. A elles trois, elles ont réussi ce qu’aucun homme n’avait réussi avant elles : entièrement détruire l’école genevoise de façon qu’après leur passage, il ne reste rien de grand, de beau ni de juste. Il faut admettre que c’est très fort.
Les choses sont en train de changer un peu, et de changer de telle façon que, de leur action dévastatrice, il ne restera rien, mais alors rien du tout.
D’abord, le primaire envisagé par Jacqueline Perrin est en train de reprendre de la couleur, grâce au peuple genevois et grâce à l’Arle. Sa Rénovation est aujourd’hui au point mort. On n’a pas encore entrepris le virage à 180 degrés que tout le monde attend, mais on a stoppé le train direct vers la sous-culture.
Ensuite, la révision partielle de la Maturité gymnasiale qui entre en vigueur cette année a cassé les reins à la vision mortifère de Marianne Extermann. De sa maturité genevoise, il ne restera plus rien, et dès que nous aurons entrepris (environ dix ans) la révision totale du règlement, on aura oublié jusqu’au nom de cette fossoyeuse socialisante de la culture.
Quant au C.O. enfin, le bébé chéri de Martine Brunschvig Graf, il ne demeurera rien des deux filières A et B, quel que soit le résultat de la votation de cet automne. Je soutiendrai l’initiative pour des sections, mais la vision libérale-libertaire de MBG qui a réussi à mettre à genoux le système scolaire genevois va être battue de brèche.
A elles trois, somme toute, elles auront réussi à faire ce qu’aucun homme auparavant n’avait fait : ne rien laisser qui soit capable de perdurer.
Écrit par : Jean Romain | 01/09/2008
@ Jean Romain : Vous en oubliez encore une! La sacro-sainte Secrétaire générale, MLF, qui de Chavanne à MBG n'avait rien d'autre à offrir que sa parfaite incompétence, sa profonde mauvaise foi, flattant avec flagorneries les différents élus exécutifs pour garder sa place, sa seule préoccupation, du reste!
C'est pas bon du tout, mais alors pas du tout, pour la "cause" des femmes...
Bien à vous.
Écrit par : Micheline | 01/09/2008
Pour enrichir votre documentation, voici ce que disait MBG devant son parti, en octobre 2002, pour expliquer la baisse du coût de l'école depuis son arrivée en 1994 :
"En francs constants, le coût de l'école a
diminué à Genève, le coût par élève aussi. Et l'écart avec les autres cantons s'est
considérablement réduit. Et c'est très dangereux, ce que je vous dis là."
citation du journal Le Courrier, 31 octobre 2002
Écrit par : yves scheller | 01/09/2008