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Blogres - Page 135

  • Un ami qu’on ne jette pas impunément par la fenêtre

    « Je ne sais pas pourquoi j’écris tout cela. Peut-être pour rester au plus près de la vérité… » C’est en effet cette recherche qui frappe, dans l’exigeante et intelligente écriture de Catherine Lovey qui, après son premier roman L’homme interdit, nous livre un non moins remarquable polar déguisé avec Cinq vivants pour un seul mort.
    L’enquête importe moins en effet que la quête, chez l’écrivaine valaisanne. « Jeudi dernier, mon ami Markus Festinovitch s’est jeté par une fenêtre. Il visitait un appartement rénové en compagnie de Gabriella. » Tel est le point de départ du narrateur qui s’applique à reconstruire les circonstances de cette mort, survenue en Suisse, dans l’impitoyable milieu des affaires. Or, évitant les lieux communs des romans rivés aux contingences politico-sociales, Catherine Lovey choisit d’explorer l’univers intérieur du narrateur.
    Cherchant donc à élucider le suicide de Markus, le narrateur est désarçonné par ce geste que rien n’annonçait et réalise qu’il ne sait rien de son ami, en dépit de toutes ces années à le côtoyer. Plus il investigue, plus fondent les certitudes et s’agrandit une fissure en lui. Sa quête l’emmène jusqu’en Finlande, elle occupe toute sa vie, il frise la folie.
    J’aime, chez Catherine Lovey, ses phrases précises, banales et denses, chirurgicales qui tissent une intrigue propre à faire découvrir au lecteur – de l’intérieur – le grand complot dont nous sommes tous victimes ; et qui, surtout, l’embarque inéluctablement vers les conséquences à en tirer : le grand danger actuel de la perte de soi, dans un monde où tout est fait pour perdre pied. On ne saurait trop en recommander la lecture.

    Serge Bimpage

    "Cinq vivants pour un seul mort", par Catherine Lovey. Editions Zoé, 187 pages.

     

     

  • Le narrateur contaminé

    91641810.pngPAR ANTONIN MOERI

    Quelqu’un prend la parole. Il veut dire ce qu’il sait de Lola. Un enquêteur indécis, qui ne croit plus à ce que lui rapportent les témoins de l’affaire. En réalité, il entend raconter sa propre version des faits, sa propre histoire de Lol V.Stein. Il évoque le bal où elle s’est mise à hurler avant de s’évanouir, car l’homme qu’elle aimait (dont elle était folle) venait de partir avec une autre. Depuis ce soir-là, Lola s’ennuie à crier. Elle épouse un musicien qui lui fera trois enfants dans une atmosphère de paix retrouvée : routines quotidiennes, soirées entre amis, arbustes bien taillés, soins apportés aux mioches. Dix ans plus tard, la vue d’un couple s’embrassant dans la rue lui donne des ailes : sortir, marcher au hasard, chercher un ailleurs, penser au bal, rebâtir la fin du monde. Alors le roman se construit sous nos yeux. Le doute s’installe. On ne sait plus dans quelle tête se déroule l’histoire. Lola s’allonge dans un champ de seigle pour espionner un couple d’amants et se caresser. Car l’homme qu’elle épie s’appelle Jacques Hold, trente-six ans, assistant à l’hôpital, amant actuel de Tatiana, autrefois la meilleure amie de Lola. Et cet homme est effectivement celui qui raconte l’histoire. Il est à la fois JE et Il. L’incertitude de celui qui profère produit un trouble qui explique peut-être le plaisir qu’on ressent à lire cette enquête amoureuse. Les protagonistes sont également incertains de la destination des mots qui leur sont adressés. Et puis, surtout, le désordre s’est propagé dans le sang du narrateur qui ne pourra plus se contenter de témoigner, d’être spectateur, qui ne pourra plus se contenter de dire avec les autres : « Lol est malade, vous avez vu cette absence… » Le rêve aura contaminé Jacques Hold. Il en aura fait le personnage d’un roman étourdissant de Marguerite Duras, Le ravissement de Lol V.Stein, qui ne demande qu’à être relu, comme s’il se réécrivait sans cesse.

  • L'espérance folle

     Par Pierre Béguin

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     En vagabondant sur la toile, ce qui m’arrive très peu souvent, je tombe sur ces mots sans auteur identifié: «Toi qui sais que les mots pour nous sont des couteaux  Dans les mains de tous les maçons d’espoir,  Les promesses qu’ils nous font depuis des générations  Sont les ombres de nos rêves sur fond de brouillard»

    C’est l’espérance folle…

    L’écrivain, un maçon d’espoir…   Des mots comme des lames tranchantes qui façonneraient le monde…  C’est l’espérance folle…

    Très bien tes coups de gueule sur «blogres», m’a-t-on dit parfois, mais tellement inutiles…

    D’accord tes romans sur la dictature, la torture, le trafic d’organes ou le trafic d’art. Mais tellement inutiles… Un livre peut-il donner sens à la mort d’un enfant? C’est l’espérance folle.  Argent, pouvoir, intérêt, égoïsmes mesquins, absolus sur terre! Quels mots tranchants contre l’acier? C’est l’espérance folle…

    Dans le dernier roman de mon ami et compère de «blogres» Alain Bagnoud (La Leçon de choses en un jour), un promoteur, cynique et sans état d’âme comme il se doit pour ces gens-là, par l’odeur d’une grange alléché, profite d’un enterrement pour faire ses emplettes: «Alors pour les Granges? Dites un prix!» Qui parmi ces paysans montagnards osera s’opposer publiquement à cet homme que l’argent rend si important? L’affaire va être conclue quand, précise le narrateur, le grand-père «soudain inspiré, convoqua un pouvoir dont je connaissais la sagesse mais pas la force et l’autorité.» Les mots contre l’argent. Tradition contre modernisme. Le combat s’engage alors sur la place publique. Combat inégal? Perdu d’avance? Le vieillard bombarde le promoteur de proverbes en patois. L’autre, surpris, vacille. Et c’est l’estocade: «Mieux vaut un bien désert qu’un bien vendu.» Défait, le promoteur s’en va penaud, son panier à emplettes vide. Les mots ont vaincu l’argent. Cette leçon valait bien un livre sans doute. C’est l’espérance folle…

    Et c’est aussi parce que, ce jour-là, il eut la révélation du pouvoir des mots qu’Alain Bagnoud est devenu écrivain. Et qu’il tient un blog. Si la désespérance souvent mène à la plume, la plume souvent est menée par l’espérance.

    «C’est l’espérance folle Qui nous console De tomber du nid Et qui demain prépare Pour nos guitares D’autres harmonies.» Tiens, tiens, Guy Béart! Enterré par les médias! Qui l’a entendu sur les ondes? Aperçu récemment dans les bacs? Vu sur le petit écran? Je l’aimais bien. Fasse qu’il revienne! Que certains rappeurs à la mode lui cèdent leur place pour un petit tour!

    C’est l’espérance folle…

  • Romanciers et écrivains

    Le salon du livre de Genève bat actuellement son plein. Que de visiteurs ! Que d’auteurs aussi ! C’est à vous enthousiasmer. Partout, dans tous les coins, célèbres ou méconnus, assumant de plus ou moins bonne grâce ce petit moment social où ils ont finalement un statut. Plus nombreux que les étoiles du ciel, semble-t-il, ou les grains de sable sur la plage. Des auteurs de tous genres. Des romanciers, des écrivains…
    Romanciers et écrivains ? Je fais évidemment référence à Kundera, dans L’art du roman (voir déjà ici). Il y tentait une distinction entre ces deux espèces.

    D’après lui, l’écrivain aurait une vérité à dire prééminente, préétablie, et quel que soit le genre qu’il utilise (essai, roman, nouvelle), il garderait toujours la même « voix inimitable ». Kundera donnait comme exemple Rousseau, Chateaubriand, Camus, et surtout Sartre.

    Effectivement, que ce soit dans l’essai, la préface, l’ouvrage philosophique, l’article, l’éditorial, le reportage, le roman ou la pièce de théâtre, Sartre, d’une même voix, voulait montrer à chaque fois une partie de cette grande vérité globalisante qu’il avait découverte, qu’on a appelée l’existentialisme, et que je serais bien incapable, et surtout bien ridicule, de résumer ici en une phrase. Par exemple « l’existence précède l’essence » (mais oui, il reste toujours quelques souvenirs du collège).

    Et c’est pour ça peut-être, d’ailleurs, qu’on ne lit plus ses romans ou que ses pièces de théâtre nous semblent si schématiques et si démonstratives.

    Au contraire, le romancier (d’après Kundera) cherche une vérité, « s’efforce à dévoiler un aspect inconnu de l’existence » et pour cela crée des formes différentes, utilise des tons divers, crée des objets distincts. « Il n’est pas fasciné par sa voix mais par une forme qu’il poursuit. » Seraient romanciers Sterne, Flaubert, Proust, Faulkner, Céline.

    Tout de même, la différenciation de Kundera semble un peu douteuse. En tout cas, il y a des romanciers qui ont toujours la même voix inimitable, et qu’on identifie à la première phrase lue. Prenez justement, Proust et Céline. Ceux-là ont leur langue propre, ne cherchent pas à en changer de livre en livre, et si elle évolue, c’est au fil du temps et des transformations des auteurs. Ce qui ne les empêche pas évidemment d’intégrer dans leurs textes des voix autres, celles de leurs personnages, ou des pastiches…

    Et il n’est pas vrai non plus de dire qu’ils se sont cantonnés au roman, même si ce genre leur a donné la célébrité, Les pamphlets de Céline ou Contre Sainte-Beuve de Proust prouvent le contraire, et font partie de leur œuvre, qu’on le veuille ou non.

    Une différenciation plus efficace serait peut-être celle qui séparerait tout simplement bons et mauvais auteurs. Je propose une définition. Le bon auteur trouve une manière personnelle et adéquate de traiter un sujet propre. Le mauvais applique des recettes plus ou moins habilement, et s’il est adroit, on dit de lui : « Mais qu’est-ce que c’est bien écrit ! »

    Ceci dit, que celui qui n’a jamais péché en utilisant des procédés et des trucs jette la première pierre aux autres. Et on ne verra pas beaucoup de cailloux voler.

    Car trois choses lient tous les auteurs. La première est de s’être fait refuser au moins un texte quelque part. La deuxième est de s’approprier tout ce qu’ils peuvent dans les livres qu’ils lisent. La troisième est d’utiliser des chevilles et des conventions.
    (
    Et j’attends de pied ferme ceux qui voudraient me lapider…)

  • Une épopée sans action

    Par ANTONIN MOERI2060840123.jpg


    Je ne sais plus qui disait:”La vocation de l’art est d’interroger et interpréter le monde à sa façon propre”. Peut-être est-ce un universitaire parlant de Proust qui a écrit cela. J’aime beaucoup cette phrase. J’y pensais constamment en lisant les entretiens de Peter Handke avec Peter Hamm (Editions Bourgois). L’auteur de Lent retour y parle d’un”regard bon et actif qu’on pourrait bien appeler un idéal, une manière de laisser-être les autres”. Ce regard ne peut se déployer que dans la solitude, quand le pas se libère et que la joie arrive. Une joie mêlé de douleur qui “renforce l’imagination, le désir ou le rêve, le souvenir, aussi”. Le silence actif de Wittgenstein est alors évoqué.
    Les adultères, les intrigues ténébreuses, les détournements d’argent ou d’avion, les assassinats de banquiers célèbres, les mensonges d’Etat, les déplacements de populations (sauf peut-être dans « Le voyage hivernal ») ou le tourisme sexuel n’ont jamais été le sujet d’un récit de Handke. Les questions qu’il se pose lorsqu’il construit un livre sont celles qu’il se posait, enfant:”Où se termine l’univers? Quand le temps a-t-il commencé? Pourquoi je suis moi? Et toi, et toi, toi?”
    “Ce qui vous saute aux yeux et s’engouffre dans votre nez, ce dont on vous rebat les oreilles tous les jours” ne peut fournir matière à raconter, Handke préfère les marges, le “nebendraussen”. Il compare l’acte d’écrire à “l’acte de descendre dans la cave et de retourner les pommes qui reposent là, pour que le parfum en soit conservé”. Faire apparaître de manière épique le temps, “laisser apparaître le temps dans des catégories sensuelles” fascine l’auteur du Malheur indifférent plus que les événements de la Grande Histoire.
    En lisant ces entretiens, on est frappé par la cohérence d’une existence et d’une entreprise littéraire. Qu’il parle de Franz Kafka, de Thomas Bernhard, de Hermann Lenz, d’Emmanuel Bove, d’Anton Tchékhov ou de Ludwig Hohl, de l’internat catholique où il découvrit les romans de Dickens et ceux de Balzac, qu’il parle de ses premiers succès au théâtre, de l’éclatement de la Yougoslavie, de son installation dans la banlieue parisienne, de son travail journalier, de sa fille, du suicide de sa mère ou des interminables marches dans les forêts slovènes, Handke nous invite à explorer ce moment où “la vie brille vraiment dans toute son ampleur et sa somptuosité”.
    Selon Peter Hamm, qui eut l’idée du portrait filmé dont ces entretiens sont tirés, les livres de son ami Handke sont”une grande tentative pour promouvoir une nouvelle confiance dans le monde”. En tous les cas, Vive les illusions! donne envie de relire l’épopée sans action que représente l’oeuvre de P.H.

  • Symétrie

    Par Pierre Béguin

    Il n’a pas même 5 ans. Il joue dans notre jardin avec nos filles et deux autres enfants. Hier soir, il a dit adieu à son père.

    Maintenant, courant et riant, il pousse le garçon sur un tricycle. Ils font le tour de la terrasse avant d’inverser les rôles et de recommencer.

    Sait-il pourquoi il se trouve chez nous? Pourquoi ses parents ne l’ont pas accompagné?

    Maintenant, ils sont tous les cinq sous la pergola en train d’entasser des coquilles d’escargots qui ont mal résisté à l’hiver. Lui vérifie avec une tige si l’escargot est toujours à l’intérieur.

    Se rend-il compte qu’il vit un moment déterminant de son existence?

    Maintenant, ils sont assis à leur petite table en train de manger des pâtes. «On mange parce que sinon on va pas grandir» s’écrie-t-il d’une voix enjouée quand on lui demande si ça va.

    Réalise-t-il que son père va mourir tout à l’heure, à l’hôpital, d’une maladie incurable?

    Plus tard, nous irons au carrousel. Au lancer de balles, il gagnera une baleine bleue en peluche dont il ne voudra plus se séparer. C’est à peine si l’on distinguera un voile de  tristesse dans son regard.

    A cet instant, son père sera mort…

    Moi, la gorge nouée, les yeux mouillés, je le regarde s’amuser. Et je pense à mes parents, à mes amis qui ne sont plus, à «Tous ceux enfin dont la vie, / Un jour ou l’autre ravie, / Emporte une part de nous» (Lamartine, Pensées des morts). Je pense surtout à notre fils disparu prématurément. 1450208567.jpgEt aussi à ces mots de Ramuz à sa fille qui m’avaient accompagné dans l’épreuve: «Et quand,  parmi tout cela, bien avant tout cela peut-être, la conscience de cette autre mort, celle d’après, interviendra, ce sera le grand vertige devant ce sort, qui est le nôtre, d’avoir à peine commencé qu’on sait déjà qu’on doit finir. Mais moi, te prenant alors sur mes genoux, je te raconterai cette autre mort d’avant et tu seras consolée. Je te dirai: «C’est à cause que tout doit finir que tout est si beau. C’est à cause que tout doit avoir une fin que tout commence. C’est à cause que tout commence que tu as connu le grand émerveillement. Tâche seulement d’être toujours émerveillée. Découvre toujours quelque chose comme en ces premiers jours où tu découvrais tout. Garde ces poings fermés dans l’effort joyeux et dans le courage et le sourire qu’il faut aussi dans le courage. Il y aura toujours les belles fleurs des rideaux et toujours les belles fenêtres. Fais qu’elles s’ouvrent seulement plus nombreuses et que la lumière dedans aille seulement croissant en clarté. Et puis, un jour, l’amour viendra, ce nouvel amour, et tous les amours. Et ainsi tu iras distinguant mieux, sans cesse, sans cesse plus de choses. C’est ainsi que peu à peu la fatigue se fera sentir; tu quitteras le sommet de la courbe, on te remettra au berceau. Mais que ce soit dans la douceur des grandes choses consenties et dans le respect de la symétrie, quand les lointains s’éloigneront, au lieu qu’ils s’avançaient alors, et la lumière s’assombrira: naissance de nouveau, naissance en sens contraire, cercle qu’on referme, retour, mais avec ce même beau calme devant ce qui décroît, s’étant accru par une loi semblable: ainsi on voit sur l’horizon la plus haute de ces montagnes naître insensiblement de la plaine et y redescendre insensiblement.» (C.F. Ramuz, Symétrie, in Adieu à beaucoup de personnages)

  • Salon du livre

    Par Alain Bagnoud

    Prenant place à côté de Noël, Nouvel An, Pâques ou la trinité, repère annuel rythmant le passage du temps, situé à l'orée des beaux jours, aussi attendu que redouté, voici venir le Salon du livre de Genève. La semaine prochaine.
    On y sera. D'abord le mercredi 30 avril, à l'occasion de la sortie du livre Rencontre. C'est un recueil qui marque le trentième anniversaire des Editions de L'Aire. Trente écrivains y évoquent une rencontre marquante de leur vie.
    Parmi eux, des auteurs de Blogres. Serge Bimpage qui nous a fait le plaisir d'y publier un extrait de son texte (voir
    ici). Pierre Béguin dont le titre est émoustillant : « A l'hôtel avec Ornella Mutti ». Olivier Chiacchiari qui parle de Claude Stratz. Votre serviteur aussi.
    La sortie du livre sera fêtée le mercredi 30 avril à 15 heures sur le stand de l'Aire (D11), avec tous les auteurs, et, en invitée spéciale, Ornella Mutti elle-même.
    Et ce n'est pas tout. Chacun signera aussi ses livres individuels.
    Serge Bimpage : mercredi de 16 h 30 à 18 h et samedi 3 mai de 14 h 30 à 16 h 30, D11
    Antonin Moeri : vendredi 2 mai de 16 h à 19 heures, stand Bernard Campiche
    Alain Bagnoud et Pierre Béguin : samedi 3 mai de 16 h 30 à 18 h (avec la présence exceptionnelle d'Ornella Mutti), D11
    Pascal Rebetez, en sa qualité d'éditeur, avec trois de ses auteurs, au stand diffusion Zoé : Claude Inga-Barbey, jeudi premier mai, de 14 à 16 h, Sylvain Boggio, vendredi 2 mai de 14 à 17 heures, Anne-Lise Grobéty, samedi 3 mi de 13 à 15 heures.
    Non, finalement, en dernière minute, on me signale qu'Ornella Mutti ne sera pas là. Venez quand même. 

     
  • Ma rencontre avec Marguerite Yourcenar

    Au bout du fil, la voix du spectre. Profonde, presque masculine, affable : « Venez dans une heure, j’aurai tout mon temps. »
       Je remontais la côte est des Etats-Unis. C’était à mi-hauteur du Main, juste après un repas gargantuesque de lobsters, que m’était revenu à l’esprit l’existence de l’écrivaine, sur la presqu’île de Mounts Deserts. Elle ne figurait pas dans l’annuaire. Je l’avais finalement trouvée sous le nom de son amante et traductrice, Misses Frick.
       Quand je suis arrivé devant « Petite plaisance », bâtisse de bois blanc style ma petite maison au Canada, une vieille femme était en train de congédier sa manucure. Petite, voûtée, affublée d’un fichu jeté à la hâte sur ses épaules, elle ressemblait à ma concierge. Mais à sa seule façon de m’inviter à entrer, un subjonctif imparfait dans la phrase, j’ai su que c’était Marguerite Yourcenar, l’unique, la fille de châtelain belge.
    Elle évoluait, gracile, parmi ses meubles anciens, ses tapis d’orient et ses gravures de Piranèse avec une autorité naturelle, une noblesse et une grâce ataviques. On le sentait immédiatement : aucun effet décoratif, dans ses objets ; chacun d’eux, ramené le plus souvent de l’étranger, faisait sens. Exactement comme ses paroles, choisies selon des critères allant bien au-delà de la seule communication. J’étais face à un sphinx que le soleil lui-même, au zénith, hésitait à déranger dans ses considérations graves.
       Comme je venais d’Europe, elle me demanda avec empressement des nouvelles du continent. En particulier, où en était l’écologie là-bas ; ici, aux Etats-Unis où l’écrivaine militait, la situation était positivement catastrophique. Elle me félicita de voyager, me rappelant la phrase de Maître Eckart qu’elle avait citée dans L’œuvre au Noir :
       «Le monde est une prison. Comment être assez fou pour mourir avant d’en avoir fait le tour ? »
    Elle m’encouragea à lire Michima et à me rendre aussitôt au Japon : là-bas et nulle part ailleurs, selon son expérience, se rejoignaient le dehors et le dedans. Enfin, elle sembla se souvenir que j’étais venu pour elle. Avec un sourire d’iguane, elle s’enquerra : « Que voulez-vous savoir ? »
       Par le menu, elle épancha ma soif juvénile de tout connaître de la vie d’une écrivaine, n’esquivant ou ne méprisant aucune question. Elle me détailla son emploi du temps, m’expliqua comment, dans un avion qui la conduisait au Japon elle avait décidé de « dire bonsoir » à la machine pour revenir à la bonne vieille plume. Hiératique, elle n’en autorisait pas moins son interlocuteur à pénétrer son intimité, consciente qu’elle révélait bien plus qu’elle-même.
       Elle craignait, le mot est faible, mais à tort heureusement, de ne pas disposer d’assez de temps vu son âge pour achever le roman qu’elle avait en chantier, Quoi ? l’éternité. Et nous enchaînâmes le plus naturellement du monde sur la mort qu’elle envisageait avec sa sérénité de sage écologiste, éprouvant même, les yeux tournés souvent vers le portrait de l’empereur Adrien, contre le mur de son bureau, une fascination à l’idée que nos molécules rejoignent le grand cosmos pour s’y fondre éternellement.
       Nous avons eu un unique échange épistolaire. Après réception de l’article, elle m’écrivit pour me remercier de l’« une des meilleures et des plus simples entrevues qui aient été faites avec moi. » Dans une lettre posthume, publiée au Journal de Genève une semaine après sa mort, je lui dis ma tristesse et celle de tant d’autres d’avoir perdu un sphinx qui prédisait aussi bien le passé que l’avenir, ce qui, à ses yeux revenait au même.
    Quand il m’arrive de penser à elle, je l’entends m’avouer son drame d’avoir perdu, deux ans auparavant, sa compagne de toujours, grâce à qui je l’avais rencontrée. Plus elle allait, plus elle réalisait le prix de l’amitié. Surtout, répondant à ma question de savoir quelle était la plus grande difficulté du métier d’écrivain, elle m’avait confié ceci qui me resterait pour toujours :
       « Misses Frick était mon unique lectrice véritable. Elle me lisait avec l’œil complice de l’amie et de la critique. C’est ce qu’il y a de plus difficile à trouver, pour un écrivain: un ami non seulement capable de vous lire - mais de le faire sans arrière pensée, sans concurrence ! Certains écrivains cherchent cela toute leur vie ! Pensez-y, jeune homme si, comme je le pressens, vous deviez écrire. Et puis ceci encore, si je devais avoir raison : Comme romancier, ne haïssez aucun de vos personnages. Aimez-les comme le père que vous en serez, jusqu’au dernier.»

    Serge Bimpage

    (texte à paraître dans "Rencontres", éditions de L'Aire, à l'occasion du Salon du Livre 2008)

  • Où sont les sadiques ?

     

     

    par Pascal Rebetez

     

     

     

     

    J’ai dû rater trois feuilles des œuvres complètes de Peter Rothenbühler. Je ne savais pas que le sadique zoophile, qui avait sévi dans tous les trous punais de la Suisse bucolique de l’été 2005, n’était qu’une vaste fiction, une supercherie, une baudruche pour feuilles de chou, un mensonge.

    Le Courrier de samedi dernier me l’apprend enfin, foi du chef de la police judiciaire neuchâteloise, et je suis atterré. Je l’aimais et m’en étais fait tout un roman de ce détrousseur de biquettes, ce souleveur de levrettes, cet excalibur des bocages, amoureux sans pitié des génisses isolées qu’il tuait après les avoir séduites. J’aimais, comme tout le troupeau ovin des lecteurs crédules, imaginer ce monstre commettre ses forfaits, entre l’étable et la fontaine, s’aidant parfois, pour saillir les juments les plus hautes, d’un véritable botte-cul AOC, et, son impair commis, rejoindre notre troupeau à nous, humains trop humains, jusqu’à guetter sa prochaine proie, peut-être parmi quelques moutons noirs… Brrr, j’en frissonne encore. Eh bien non ! Il n’existe pas. Pures fadaises dues à l’ « effet de contexte », ce phénomène de psychologie des masses qui fait prendre des vessies pour des lanternes. Surtout quand la presse de boulevard s’en mêle et va butiner dans les labours. Cette presse nous ment, nous gonfle, nous méprise et nous piétine. Il n’y avait pas de sadique zoophile en activité en été 2005. Il n’y avait que des charognards à plume, des corbeaux et des lemmings, se ruant tous au précipice, dans le trou punais du spectacle, là où la fange, fût-elle pailletée, cache les vrais enjeux de nos existences.
  • Le sport, quelle plaie!

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     Par ANTONIN MOERI

     

    Je me demande parfois si je suis un être de joie. Et à la question Quels sports pratiquez-vous régulièrement ? je réponds tout de go : vélo, canotage, balade à pied. Quand je roule sur un ruban d’asphalte, je dialogue avec le coq du clocher, les nuages et les cerfs-volants. Quand je rame sur le lac, il m’arrive de croiser un goéland majestueusement posté sur un tronc à la dérive. Je ralentis le mouvement et nous nous parlons. Mais alors, d’où me vient l’extrême dégoût du sport-spectacle ? Je veux parler de ces foules qui s’agrègent autour des stades, des patinoires, des courts de tennis et devant les écrans de télévision, de ces supporters peinturlurés ayant abandonné toute dignité pour gesticuler, grimacer, beugler et vider leur vessie ensemble. En effet, on peut se demander pourquoi le sport-spectacle exerce actuellement une telle emprise sur les esprits. Pour Marc Perelman, lecteur attentif d’Adorno et Horkheimer, le sport-spectacle a envahi toutes les institutions et toutes les couches de la société. C’est le principal sujet de conversation dans les cours de récréation, les familles recomposées, les salles des maîtres, les entreprises, les couloirs du Parlement, les files d’attente des grandes surfaces. L’adhésion massive de la jeunesse à cette nouvelle foi, depuis les années quatre-vingt, étonne l’auteur de Le sport barbare. C’est à un véritable retournement politico-idéologique que nous assistons, à une systématique intégration des populations du globe dont le seul et ultime rêve est de s’éclater au milieu d’une foule. Le sport-spectacle réalise une des promesses de cette mondialisation heureuse dont la chute du mur de Berlin accéléra le processus. Une autre promesse s’étant réalisée dans le tourisme de masse, également caractérisé par la grossièreté, l’inculture, la satisfaction des pulsions les plus basses, l’esprit de horde, l’idolâtrie du muscle, l’apathie, le show idiot et pervers.Le constat lucide et sombre de Marc Perelman vient de produire une étincelle dans mon cerveau. Je vais immédiatement saisir mes rames, poser mon skiff sur le gros bleu du lac et rejoindre le goéland. Car une chose est sûre : le palmipède m’attend sur un tronc qui dérive. Nous parlerons des belles athlètes ukrainiennes échevelées, ongles vernis, appels de reins et déhanchements crânes, slip luisant disparaissant dans les plis de l’aine. Nous n’évoquerons surtout pas la flamme olympique.