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Blogres - Page 62

  • Mémoire de mes putains tristes

    Par Pierre Béguin

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    Première évidence: Garcia Márquez a le sens du titre. Mémoire de mes putains tristes ne dépare pas d’autres titres devenus emblématiques, de Cent de solitude à Chronique d’une mort annoncée.

     

    Deuxième évidence: Garcia Márquez a le sens de l’humour. Un humour qui, dans ce petit roman, côtoie sans cesse la tendresse et maintient le récit aux antipodes de la trivialité, en dépit des risques de dérapage inhérents au sujet.

     

    Troisième évidence: Garcia Márquez a le sens de l’accroche: «L’année de mes quatre-vingt-dix ans, j’ai voulu m’offrir une folle nuit d’amour avec une adolescente vierge». La première phrase dit tout. Quel lecteur n’aurait pas envie de continuer? Et quelle lectrice aussi? Allez! Tout romancier le sait: la première phrase est déterminante, elle donne le ton, elle conditionne la suite. Après, c’est comme une source sortie de terre et qui s’écoule... Prenez n’importe quel roman du Prix Nobel colombien et vous aurez cette impression.

     

    Quatrième évidence: Garcia Márquez a le sens de la narration. Construite sur un canevas très mince, l’histoire ne perd jamais de son intérêt, la truculence et la malice des personnages concourent grandement à ce miracle: «La morale est aussi une affaire de temps» avait dit Rosa Cabarcas, la patronne du bordel, au narrateur qui n’avait jamais cédé à une telle invitation: «Tu verras!» C’est tout vu! A quatre-vingt-dix ans, il cède... et demande l’impossible: une pucelle, pour le soir même...

     

    Inutile d’en dire plus. Que celles ou ceux qui n’ont pas encore lu ce petit roman fassent amende honorable. Que les autres, comme moi, le relisent! Les tristes journées de fin d’automne en seront embellies...

     


    Gabriel Garcia Márquez, Mémoire de mes putains tristes, Livre de Poche, 2005

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Janine Massard, Gens du Lac

     

    Par Alain Bagnoud

    Secrets de famille. Celui qui a été confié à Janine Massard il y a quelques années n'a pas dû lui déplaire. Un certificat jauni, daté de 1947 et timbré du sceau de la République française, lui a révélé que « Ami Gay père et Ami Gay fils» (c'est-à-dire son oncle et son grand-oncle) ont aidé les résistants français pendant la guerre. Tous deux, pêcheurs, ont «passé, par bateau, des armes, des médicaments et ravitaillements aux maquisards français» et «aidé des réfractaires, recherchés par la Gestapo, à passer le lac».

    Et personne n'en savait rien. Ces taiseux, gens de fort caractère, ont trouvé tout naturel de risquer leur vie pour une cause juste, puis de s'effacer sans flon-flon ni trompette. Il faut dire également que ces faits d'armes sont restés longtemps passibles de poursuites, avant que ceux qui les ont commis ne soient finalement « amnistiés ». Mais oui.

    C'est la fille d'Ami Gay fils, Josiane, cousine de Janine Massard, qui lui a apporté ce «témoignage de reconnaissance». On connaît l'engagement de Janine Massard, qui a vu dans ce sujet une manière de reprendre les thèmes qui l'intéressent. Aussitôt, elle s'est documentée, a recueilli les confidences et écrit un livre, mi-témoignage mi-roman.

    Ami Gay père et fils sont des hommes libres, qui n'ont pas d'autres maîtres que leur travail et leurs convictions. C'est une époque où la pêche se fait encore à force d'avirons. Dans leurs migrations lacustres, ils croisent des Français de l'autre rive.

    Le contact se fait lors de rencontres au milieu de l'eau. Petit à petit, tout naturellement, les Ami Gay acceptent de passer des médicaments, des armes, puis des juifs. Pas de frontière sur les eaux. Et pas de frontière dans les têtes quand on est comme eux généreux, progressistes et courageux : un courage qui se verra aussi après la guerre, lorsque le fils fondera le parti socialiste et affrontera les notables locaux issus du parti radical dominant.

    Janine Massard, critique sociale, ne pouvait pas non plus passer à côté de la condition de la femme, sujet qui lui tient à cœur. Celle-ci est illustrée par la peinture familiale des rapports entre la femme du fils et sa belle-mère, une terreur. Dans leur relation se dessinent les nœuds de l'exploitation et une prise de conscience tardive.

    Comme on le voit, il n'y a pas d'idéalisme naïf dans ce livre. Janine Massard n'est pas du genre à trouver tous les gens merveilleux. Elle évoque par exemples d'autres passeurs qui se sont enrichis mystérieusement pendant la guerre, et les objets personnels qu'on retrouvait à cette époque flottant au milieu de l'eau.

    Au total, Gens du Lac est donc plus qu'un témoignage. Le livre propose une fresque sociale embrassant plusieurs décennies, une histoire familiale qui évoque la condition passée des femmes, et un bel hymne d'amour au lac Léman.

    Janine Massard, Gens du Lac, Editions Bernard Campiche

  • L'Ami barbare (4)

    par Jean-Michel Olivier

    DownloadedFile.jpegJe me rappelle votre stupeur, Roman, votre stupeur et votre joie, ce jour de novembre 1989, quand le Mur est tombé.

    Nous étions à Moscou, dans l’arrière-boutique de la librairie, fascinés par l’écran de la télévision : sous nos yeux, à des milliers de kilomètres, un petit homme armé d’une pioche creusait un trou dans la muraille qui jusqu’alors coupait le monde en deux. Impossible ! La brèche s’élargissait de minute en minute. Une foule immense, armée de pelles et de marteaux, venait lui prêter main-forte. Les pierres volaient dans tous les sens.

    Bientôt, la brèche fut si large qu’elle offrit le passage à des centaines d’hommes et de femmes massés en longues files joyeuses de chaque côté de la frontière. Les gens se serraient dans les bras. On s’embrassait. On versait des torrents de larmes.

    Vous l’aviez prédit plusieurs fois : un jour, le monde serait réunifié.

    Ce soir-là, devant l’écran lumineux, votre stupeur était profonde et votre joie était celle de la résurrection. La foi sans faille dans le Sauveur. Le mépris des dangers et de la mort. Ce même mépris qui vous faisait chanter, enfant, sous les bombardements nazis, à Pâques : « Ils ne peuvent pas nous tuer. »

    J’étais étudiante en histoire, à Moscou, et je venais souvent me réfugier dans votre librairie. C’est là que nous nous sommes rencontrés. Je cherchais un livre sur Maxime Gorki que je ne trouvais pas. Et, bien sûr, en moins d’une minute, vous avez déniché l’ouvrage dans les travées poussiéreuses de la librairie.

    Quelques instants plus tard, le grand Rostropovitch, que vous n’aimiez pas tellement, s’est installé avec son violoncelle devant la brèche ouverte et il a commencé à jouer une Chaconne de Bach en faisant résonner son instrument comme s’il était accompagné par un orchestre symphonique.

    L’histoire ne se répète jamais : elle avance en musique, insolente et farceuse, et elle nous étonne toujours.

    Quand je suis retournée à Delphica, quelques jours plus tard, on m’a dit que vous étiez en voyage, mais que vous alliez revenir.

    Où étiez-vous, Roman ?

    À Lausanne, enfermé dans votre tanière, devant l’iconostase de votre bureau ? À Genève ou à Belgrade où vous retourniez souvent depuis la mort du maréchal Tito ? À Milan, Bruxelles ou Montréal, dans ces Salons du Livre où vous aimiez monter la garde devant le stand de la Maison et rencontrer des inconnus ?

    Toujours, quand quelqu’un demandait de vos nouvelles, on lui faisait la même réponse :

    « Il va venir. »

    Vous êtes toujours l’homme qui arrive.

  • Achalay – Entre bidonville et communauté

    par Anne Bottani-Zuber

     

     

     

    Il y a un cochon que deux enfants tentent d’attraper, que deux fermiers égorgent puis nettoient avant de le pendre à une corde métallique et il y a la Gringa qui, bien qu’elle doive se rendre à une réunion, décide d’assister à cette scène.

     

    Il y a la señora Fanny qui cueille des roses et qui les place sur le réservoir de la chasse d’eau des toilettes.

     

    Il y a des liens un peu abîmés, un peu distendus entre les enfants de la Communauté de San Andrès et leurs familles restées dans les bidonvilles de Lima, des liens qu’avec l’aide des éducateurs, ils vont certainement pouvoir raccommoder.

     

    Il y a le bruit de l’eau, celle du Canal Madre qui irrigue le terrain où vit la Communauté, une eau qui rafraîchit, qui abreuve, qui irrigue et qui lave, une eau dans laquelle les enfants peuvent jouer. Profiter de cette eau est un don du ciel, un miracle pour ces enfants qui ont vécu dans des bidonvilles.

     

    Il y a des robustes princesses qui manient des échalas en guise d’épée pour faire fuir des chevaliers errants sans cheval.

     

    Il y a des gestes que les jeunes apprennent : scier, poncer, clouer, enfoncer, souder, visser, emboîter. C’est à l’atelier de menuiserie que ça se passe. Et ça permettra peut-être un jour de « réparer le monde ».

     

    Il y a des gestes que font les aînés à la santé précaire. Pour jouer de la musique, faire de la gymnastique, créer des bijoux, des dessins, des sculptures.

     

    Il y a Paco et Fernande, les fondateurs, il y a des bénévoles, des éducateurs, des anciens résidents. Ils parlent de ce projet fou qu’ils ont porté, ou auquel ils ont adhéré, ou dont ils ont bénéficié. Ils parlent de solidarité, de respect, d’amour du travail bien fait, de pédagogie du lien, du plaisir d’aller à l’école, du pain à couper pour huitante personnes, du travail de la terre, des baignades dans l’étang, de l’élevage des lapins. Ils parlent de leurs joies et de leurs difficultés. Ils parlent d’une « utopie réaliste ».

     

    Il y a enfin la Gringa Antoinette Fallet Girardet, une enseignante lausannoise, qui a décidé de prendre un congé sabbatique pour écrire ce livre-mosaïque coloré et poétique. On s’y plonge et on en ressort rafraîchi, ravigoré, nourri. Ce qui se fait là-bas au Pérou avec des enfants, des jeunes et des adultes handicapés, tous issus d’un milieu très défavorisé, nous est utile à nous aussi. Ce livre n’inspire pas la pitié, il fait envie. Il donne des pistes pour construire un monde plus fraternel.


     

    Antoinette Fallet Girardet – Achalay - Entre bidonville et communauté - Editions A la Carte

     

    Pour commande : Antoinette.Fallet-Girardet@hepl.ch

     

  • asphyxie


    par antonin moeri

     

     

    Un auteur (assez sûr de lui) prétend que, dans la bonne littérature, le lecteur respire à pleins poumons un air vivifiant et qu’il se déplace sans entraves dans les contrées les plus ouvertes, les plus vastes, sous un ciel rempli de promesses. Dans la conception de cet auteur (assez sûr de lui et qui trouve le repli colérique, l’angoisse de la mort et l’asphyxie anti-littéraires), l’écrivain autrichien Thomas Bernhard doit se trouver tout en bas de l’échelle. En effet, TB met en scène des personnages qui étouffent, qui sont écrasés, qui pensent sérieusement au suicide dans des huis-clos aux issues triplement cadenassées ou dans des lieux anonymes et hostiles: une maison dont on ne peut s’échapper, un quai de gare, un banc, un asile psychiatrique, un salon de grands bourgeois. Le récit intitulé «Montaigne» se passe dans un château appartenant à des spéculateurs immobiliers sans âme, qui savent agir au moment où les faibles sont le plus affaiblis, qui ont mis au monde des enfants en cédant au génie de l’espèce et qui ont lu Schopenhauer sans rien y comprendre, des gens grossiers qui avalent avec avidité leur soupe et leur viande, qui vident leur verre en faisant entendre un bruit de succion et dont l’unique sujet de préoccupation est l’accumulation infinie du capital. Celui qui est né dans cette famille a dû y rester à cause d’une maladie. Il y a quarante ans qu’il endure la présence de ces gens, leurs odeurs, leurs grimaces, leurs propos. Tous les matins, il doit se rappeler qu’il a été engendré «dans une véritable mégalomanie procréatrice».

    C’est après un repas pris en compagnie de ses bourreaux persécuteurs que le narrateur saisit un livre dans la bibliothèque paternelle et se réfugie dans un coin de la tour. Tout l’après-midi, ses parents l’ont tourmenté avec leurs petites affaires et lui ont reproché d’être la cause de leur malheur. Dès sa naissance et avant de savoir parler, il leur a opposé son regard pénétrant d’enfant méchant, de monstre perfide. Or il n’a pas réussi à leur échapper depuis plus de quarante ans. Seule échappatoire: les livres. Mais entrer dans la bibliothèque est considéré comme un crime par ces spéculateurs sans gêne, sans scrupule, dangereux. Le fils et ses parents ne font que s’accuser des pires maux et, dans cette atmosphère asphyxiante, le recours à Montaigne se révèle salutaire. Le fils ne peut pas voir ses parents comme une mère et un père dignes de ces noms, il s’est donc vite réfugié «dans les bras de son Montaigne». Les géniteurs ont plusieurs fois répété qu’ils lui préféreraient un chien, «car un chien veillerait sur eux et leur coûterait moins cher». C’est donc secrètement que le narrateur va dans la bibliothèque pour y prendre le volume de Montaigne. Il pleure de bonheur en le lisant dans le coin le plus reculé de la tour.

    Ce bref récit publié dans "Die Zeit" en octobre 1982 contient en germe le grand roman de la fin «Auslöschung». En effet, on retrouve dans ce bref récit la situation d’un fils de bourgeois richissimes et obtus qui construit son identité en réaction contre son milieu délétère, en prenant le chemin opposé, c’est-à-dire en contrariant les désirs des parents mufles, pour leur préférer d’autres horizons, pour se laisser guider par les grands esprits. Cette tension entre un univers dont le narrateur ne peut s’affranchir et un univers où, perdant l’équilibre, il peut s’entretenir avec les artistes qu’il aime, cette tension sera le moteur de «Extinction».

     

     

    Thomas Bernhard: Goethe se mheurt, Gallimard, 2013

  • Florian Eglin, Cette malédiction qui ne tombe finalement pas si mal


    Par Alain Bagnoud

    « Roman brutal et improbable », assure le sous-titre. C'est un euphémisme. Gore, punk, trash, anar, détaché, drôle, pléthorique et jubilatoire, voici à peu près ce qui vient quand on veut définir Cette malédiction qui ne tombe finalement pas si mal, de Florian Eglin.

    Je ne serais jamais tombé sur ce livre sans Corinne Desarzens. Elle l'a signalé dans son recueil Dévorer les pages, et le conseille à toute occasion depuis sa sortie toute récente (cet automne). Notamment à une rencontre à la librairie le Rameau d'or où elle présentait son ouvrage. En lisant Florian Eglin, on comprend cet engouement. L'histoire et le style de Cette malédiction qui ne tombe finalement pas si mal sont insolites et remarquables.

    Le narrateur, Solal Aronowicz, commence par assassiner une nonagénaire dans un supermarché en lui passant dessus avec une tracteur pour tondre le gazon. Un beau modèle, à double rotor pour trancher les racines récalcitrantes. En agonisant celle-ci lui lance une malédiction mystérieuse.

    Il n'en a cure et regagne l'Institut dont il est le factotum incompétent, haï, surpayé à cause d'une erreur administrative. Évidemment, c'est pour y glander. Rien d'autre ne l'intéresse que fumer des cigares de luxe, boire des whiskys rares et porter des chaussures princières.

    Ah si, quand même. Ce docteur en littérature, qui avait commencé « une carrière poussive » à l'université avant qu'une supercherie découverte dans un colloque ne l'en exclue, collectionne les éditions rares.

    Après d'autres épisodes sanglants (le syndicaliste de l'institut le cogne et lui pisse dessus, la Séide du directeur charcute des élèves...) ou mystérieux (il reçoit une lettre bizarre qu'il n'ouvre pas) le voilà à Barcelone pour acquérir une édition rare d'Huysmans, Là-bas, roman qui, comme chacun le sait, parle de satanisme et de messes noires...

    Florian EglinLa suite est à la hauteur. L'insupportable, immoral, prétentieux et drôlissime Solal s'ouvre le ventre pour en faire sortir une pieuvre. Une prof de français assez à cheval sur le programme lui mord la nuque. Il perd successivement un œil, un rein, un cœur. Les armes apparaissent. Des élèves sont massacrés... Et plus ça gicle, plus on en redemande.

    L'auteur a composé son roman à partir des textes d'un blog, centré sur le personnage de Solal, nommé Le journal d'un con : le blog de Solal Aronowicz. Il se veut inscrit « dans deux lignées littéraires, l'une classique issue du genre épique et symbolique et l'autre moderne issue des romans d'horreur noirs et ironiques. »

    Il y a un dispositif de roman policier, dans ce texte hénaurme, mais aussi du fantastique, du masochisme, du sadisme, évidemment, et beaucoup de parodie. On rit souvent. On se laisse aussi prendre par le désespoir qui sourd de cette écriture paradoxale, rythmée, précise, jouissive.

     

    Florian Eglin, Cette malédiction qui ne tombe finalement pas si mal, La Baconnière

  • L'Ami barbare (3)

     349057970.33.jpegÀ la Maison, on ne publie pas que des best-sellers.

    Notre spécialité, depuis toujours, c’est d’éditer des livres impubliables. Pas besoin d’aller les chercher à l’autre bout du monde : ils arrivent tout seuls, de la main à la main ou par courrier express. On dirait que les gens se sont donné le mot. Si un type, quelque part, écrit un livre au titre impossible, forcément invendable, c’est vers nous qu’il se tourne à tous les coups. Souvent, il ne prend même pas la peine de faire le tour des autres éditeurs.

    Il se dit : « J’ai écrit un bouquin génial, mais trop pointu, qui n’intéressera personne. C’est donc à la Maison que je dois le donner. »

    Ainsi, au fil des ans, nous avons enrichi notre catalogue avec des titres rares et d’autant plus précieux que personne ne les a achetés, à part quelques esprits pervers ou entichés d’ésotérisme (je ne compte pas la famille, parfois nombreuse, de l’auteur de la chose).

    Aucun écho, nulle part, ni dans Le Provencal, ni dans Le Fanal de Rouen, ni même dans La Gazette d’Amphyon.

    Et pas une seule commande dans les librairies.

    Tu es très fier, pourtant, d’avoir publié en langue serbo-croate cette Histoire du chou (une psychanalyse) de Sébastien Rial dont les invendus occupent une moitié de la cave. De même pour le fameux Indicateur des horaires de trains et de tramwasy à Belgrade et ses environs d’Édouard Sam, un livre introuvable (et pour cause !) dans le monde slave.

    Voici la liste de nos worst-sellers. Les fleurons de notre catalogue. Aucun ne s’est vendu à plus de dix exemplaires.

    —     Les attelages lesbiens, une étude genre, de Justine Meyer.

    —     Destin de la féra (une histoire au long cours) de Marc Bron.

    —     L’âne dans les guerres balkaniques de Slatko Makic.

    —     Tricoter avec des poils de chèvre de Léontine Prince.

    —     Après l’orgie : vers une politique de l’épuisement de Michel Cyprès.

    —     Ces prophètes qui regardent en arrière ou l’éloge du rétroviseur de Dominique Wohlschlag.

    —     Sadisme et boulimie de Dominique Ducroc.

    —     Comment chier dans les bois : une approche écologiquement responsable d’un art perdu de Gabrielle Lescure.

    —     Ce passé qui ne passe pas (une histoire du vomi) de Jean-Luc Legore.

    —     Éloge de la fondue (pour une solution suisse au conflit israélo-palestinien) de Hans Fehr.

    —     Petite histoire de la quenelle de Francis Richard.

    —     Littérature romande et dépression d’Adrien Pasquali.

    —     Le Grand Livre des amours trans de Camille Double.

    —     Les mots et les roses (pour une anatomie du nez) de Michel Foucal.

    —     L’odeur de sainteté (ou la saga des papes constipés) de Bénédicte Duvanel.

  • Soirée littéraire avec Antonin Moeri TULALU à LAUSANNE

     

    Tulalu!?, une association pour la promotion de la littérature suisse romande


    http://tulalu.wordpress.com  

         

    079 791 92 43

     

     

    La dernière rencontre Tulalu!? de l'année aura lieu le 2 décembre prochain.

    Notre association accueillera l'auteur Antonin Moeri au restaurant Le Lausanne-Moudon, à Lausanne.

     

    Au cours de cette soirée, nous découvrirons le dernier ouvrage de l'auteur "Encore chéri", publié chez Bernard Campiche. 

     

    Nous entendrons également un extrait de sa nouvelle érotique "Amore", récemment publiée par les éditions Paulette dans le collectif "Le Dos de la cuiller" (ces ouvrages seront mis en vente après la soirée).

     

    Si vous souhaitez assister au souper avec Antonin Moeri et le comité Tulalu!? à 18h30 au Lausanne-Moudon (souper payant), inscrivez-vous directement auprès de nous. 

     

    La soirée commencera à 20h à l'étage, toujours au Lausanne-Moudon (entrée libre).

     

    La rencontre sera ponctuée d'extraits de textes de notre invité. Ils seront interprétés par les artistes Laurence Morisot, Danielle Goren et Nicolas Bonstein.

     

    En nous réjouissant de vous revoir à cette occasion, nous vous prions de recevoir, Madame, Monsieur, nos meilleures salutations.

     

    Carole Dubuis,

    présidente


  • La claire fontaine, ou Courbet en exil

     

    Par Pierre Béguin

    Courbet.PNG

    Eté 1873. Gustave Courbet doit s’exiler en Suisse. Il cherche un Port d’attache. Jura, Neuchâtel, Genève, Valais. Très vite, ce sera la Riviera vaudoise. Clarens, Montreux, et finalement La Tour-de Peilz, où il s’installe, suivi de son ombre Cherubino Pata – un peintre d’origine tessinoise ayant travaillé dans l’atelier du Maître à Ornans –, dans une maison au bord du lac, la bien-nommée Bon-Port. Il y restera près de cinq ans, jusqu’à son ultime embarquement...

    Exil? En 1871, Courbet siège au Conseil de la Commune qui décide, le 13 avril, d’abattre la colonne Vendôme. Courbet en réclame l’exécution, ce qui le désigne comme responsable. En mai 1873, le maréchal Mac-Mahon ordonne la reconstruction de la colonne au frais du peintre. 323000 francs, selon le devis. Courbet est ruiné, ses biens mis sous séquestre et ses toiles confisquées. Le 23 juillet, il passe la frontière...

    Un exil très actif. Nombreuses invitations et expositions: Vienne, Londres, Etats-Unis. Nombreuses visites de peintres, dont Ferdinand Hodler. La demande en tableaux est tellement importante que son œuvre, maintenant inégale, oscille entre réalisme poétique et trivialité kitsch. Pata peint, ou copie, des tableaux que le maître signe. Difficile dorénavant d’apprécier l’authenticité d’une toile. Mais Courbet se bat. Il obtient de payer dix mille francs par an pendant trente-trois ans. A sa mort, il n’a pas encore payé la première traite. Ces années d’exil, les dernières du Maître, les spécialistes n’en retiennent habituellement que deux choses: Courbet boit, son génie s’est tari. Et pourtant...

    Dans l’excellent livre de David Bosc, La Claire fontaine, cet exil forcé, éprouvé au feu de la Commune, devient une période de joie et de liberté. Courbet rayonne, peint, fait la noce, barbotte ventre en l’air dans les rivières et les lacs, plonge son regard dans la nature, comme délivré enfin de lui-même.

    Une biographie de Courbet? Non! A l’opposé de l’exhaustif, du factuel, de la recherche d’objectivité qui fondent le genre dans la tradition anglo-saxonne, le petit livre de David Bosc s’inscrit dans un pan important de la littérature moderne depuis trois décennies: la fiction biographique. Prenez un personnage historique avéré, de préférence un artiste – un choix qui permet le questionnement sur l’art et l’acte créatif – focalisez sur une période de son existence, mettez-le en scène comme un personnage, supprimez le factuel, les dates et autres signes incontournables de la biographie traditionnelle, mais parsemez le récit de détails véridiques, de manière implicite, comme s’ils étaient déjà connus du lecteur. Et surtout refusez l’omniscience: la biographie doit rester fragmentaire, incomplète, ne focalisez que sur une partie ou une dimension de la vie du personnage tout en revendiquant ses mutilations, ses parts de mystère, et acceptant celles du hasard, des hypothèses. Comme dans un roman, en somme. Car la fiction biographique s’aventure dans ces territoires que la biographie n’explore pas: les bordures, l’intériorité, les zones d’ombre. Elle remet de la chair et de la vie au squelette, elle anime ce qui est figé, elle redonne au personnage une crédibilité que le nouveau roman lui avait contestée, elle permet d’atteindre une vérité que le devoir d’objectivité n’atteindra jamais. Un peu comme ces ruines qu’on aurait partiellement restaurées au plus près de leur grandeur passée, et qui donnent une bonne idée de ce qu’était l’ensemble du site au temps de sa splendeur. La biographie fictive appartient au romancier, non au journaliste. Le Prix Fémina 2012, Peste & Choléra – qui met aussi à l’honneur le pays vaudois – s’inscrit dans cette veine. Personnellement, j’adore...

    Il y a un peu de Pierre Michon dans le livre de David Bosc. Un style. Incontestablement. Et l’on ne peut s’empêcher de voir, dans le paragraphe qui décrit Rimbaud, expulsé de Belgique, franchissant la frontière vers la ferme familiale ce même jour du 23 juillet 1873 où Courbet franchit la frontière suisse, comme une allusion, un clin d’œil à celui qui est un des précurseurs du genre. De toute évidence, La claire fontaine emprunte les mêmes voies que Rimbaud le fils, chemine sur le même sol, sous le même soleil (et avec le même éditeur). Et le lecteur prend le même plaisir à suivre ces deux figures des débuts de l’art moderne dans ces contrées où biographie et fiction se confondent...

     

    La claire fontaine, David Bosc, Verdier, 2013

     

  • Sonia Baechler, On dirait toi

     


    Par Alain Bagnoud

    Avec On dirait toi, la belle Sonia Baechler propose un roman ample, qui couvre plusieurs générations, de l'arrière-grand-mère à la narratrice. En même temps qu'une recherche sur le passé, elle offre le portrait d'un canton qui ressemble à s'y méprendre au Valais.

    Un canton plein de personnages pittoresques, sur lequel la religion met sa marque. « Aux branches de mon arbre généalogique se balancent des curés défroqués, des bonnes sœurs, des sages-femmes, des juges, des violonistes, des travestis, des consacrés, des alcooliques, des vieux fous,  des suicidés, des immolés, des paumés. »

    Beaucoup de monde pour une quête des racines qui mène la narratrice sur la piste de Marie-Adèle et de son destin exemplaire de femme, dans une vallée conservatrice, à la fin du XIXe et au début du XXe. À cette vie redécouverte, retracée, se mêlent les questions de la narratrice, qui scrute le portrait de cette arrière-grand-mère en qui elle se reconnaît. Sa recherche en miroir la pousse à s'interroger sur son identité propre, sur son parcours, et sur le lien qui la noue à la vallée des origines.

    Le projet est englobant, le texte ambitieux. Sa charpente est faite par les poutres de thèmes récurrents : l'ici et ailleurs, le départ, l'enracinement, la femme et la tradition, la lignée. Une recherche constante de littérature se perçoit dans le livre, qui se présente tout à la fois comme une chronique familiale, un roman, une analyse du Valais, un récit singulier et collectif.

    Cette variété a les défauts de ses qualités : de petits problèmes de vraisemblance narratologique.
    Petites inconséquences que ne remarqueront que les esprits vétilleux comme le mien. Le point fort de cet ouvrage est ailleurs. Dans une analyse fine, en profondeur, du Valais dont Sonia Baechler comprend et retrace bien les ressorts : une machine qui enferme, aimée par ceux qu'elle emprisonne.

    Sonia Baechler, On dirait toi, Bernard Campiche Editeur