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Blogres - Page 66

  • "Douze nouvelles audacieuses"

     

     

    par antonin moeri

     

     

     

    Les genres thriller, road movie, témoignage et littérature érotique ont le vent en poupe. S’il fallait encourager une jeune femme qui rêve de business littéraire, je lui conseillerais le genre érotique. Avec les «Cinquante nuances de Grey», qui a fait rêver des millions de ménagères sur tous les continents, la sympathique Britannique E.L.James (pseudo) a gagné 95 millions de dollars entre juin 2012 et juin 2013. Ce succès planétaire lui permet d’être l’auteur le mieux payé du monde.

    Avec ses nouvelles «Celle qui fut ligotée et oubliée», une autre Britannique, Tobsha Learner, a défrayé la chronique et conquis un large public (dixit quatrième). J’ai trouvé son livre dans la caisse en bois d’un kiosque de village vigneron (les bénéfices sont envoyés en Afrique pour participer à la construction d’un orphelinat). Ce qui doit plaire aux lectrices de ce genre de littérature, pensai-je, c’est que les personnages ne font pas de chichis, direct au but, ils pensent avec leur peau, moite ou pas, et n’en font pas une histoire, «surtout pas une histoire d’amour». Prenons le personnage féminin de «La chambre d’écoute».

    Assise dans un bus, elle considère les mains hâlées d’un jeune homme qui, lorsqu’elle descend, la suit. Elle se dirige vers une salle de concerts, où son mari, beau Roumain à succès, dirige l’orchestre. Le concert a déjà commencé. Reste la chambre d’écoute, «petite pièce aménagée dans le mur gauche de l’auditorium (...) on s’en sert pour enregistrer les concerts de la BBC». Le chef d’orchestre imagine son épouse assise dans ce cabinet, «la tête inclinée de côté, en train de le regarder».

    La femme du célèbre chef d’orchestre sort de sa mallette un corset de tulle noir. Le jeune homme silencieux retrousse sa jupe. Elle enfile des bas résille. Sur scène, «le quatrième violon examine une aguichante boucle de cheveux blonds dans le cou de la violoncelliste». Le quatrième violon voit, par la fenêtre de la chambre d’écoute, un jeune homme prendre un sein dans sa bouche. Mme Pope (ainsi se nomme la femme du chef d’orchestre) sent la langue de l’inconnu sur son mamelon. Pour l’inconnu (on change de foyer de perception), le large mamelon épanoui a un goût de prune, «des prunes meurtries avec une légère odeur de sel marin».

    Quant à M.Pope, il a l’impression «de chorégraphier un énorme orgasme collectif». Il s’adresse surtout aux femmes dans l’assistance. Pour les plus jeunes, «je destine les triomphants accents de la section des cuivres». Retour au quatrième violon qui voit Mme Pope empoigner le sexe de l’inconnu («un phallus conquérant qui fait du reste du corps une frêle silhouette») et le prendre dans sa bouche. Tout en le suçant, elle voit son mari battre la mesure. Le chef d’orchestre voit les violonistes lever les yeux au lieu de fixer leur partition, alors que l’inconnu mordille le clitoris de Mme Pope. «C’est comme si mon plaisir était le sien». On entend des hurlements de plaisir, le chef se retourne et voit un couple, demi-nu, «pendu à la fenêtre de la chambre d’écoute». Que les lectrices se rassurent. Tout ça n’est qu’un fantasme.

    Tout ça est bien construit: mouvements de caméra, travellings, changements de points de vue, économie de moyens, narration au présent de l’indicatif. De la technique, un vrai savoir-faire. Pour dire quoi? Pas grand-chose sans doute, le but étant de ravir la lectrice, de lui donner ce plaisir tant convoité pour lequel elle a payé. Je me demande pourquoi j’ai acheté (prix très modique) ce livre d’occasion dont il est dit sur la quatrième de couverture: «Subtil et provocant, il explore le désir érotique dans toute sa diversité». Si je l’ai acheté, c’est surtout pour imaginer les frissons parcourant le corps d’une lectrice couchée sur un transat au bord de l’océan, sur le pont d’un paquebot ou dans la chambre climatisée d’un hôtel quatre étoiles, et lisant «Celle qui fut ligotée et oubliée».

     

     

    Tobsha Learner: Celle qui fut ligotée et oubliée, Albin Michel, 1998

  • Le crépuscule des pédagogistes

     

     

     

     

    Par Pierre Béguin

     

     

     

    DIP.PNGLe Collège de Genève sera totalement remanié pour la rentrée 2015, nous apprend la Tribune du 2 septembre dernier (à l’ère de la communication, les enseignants savent désormais qu’ils doivent lire la Julie pour s’informer des décisions du DIP). Il paraît que le Département de l’instruction publique veut mieux former les élèves en leur imposant des choix de matières. Etrange...

     

    Il y a une quinzaine d’années à peine, le DIP disait en substance – et c’était son titre de gloire qu’il claironnait à tous vents – qu’il voulait mieux former les élèves en décloisonnant les vieilles sections et en leur permettant un choix de matières quasiment infini. C’était l’avènement de l’ORRM (la fameuse nouvelle matu) entrée en force contre l’avis de la majorité des professeurs traités alors de conformistes paresseux préoccupés avant tout de gérer leurs acquis indécents. On est heureux d’apprendre que, quinze ans plus tard, on leur donne raison, même si on se garde bien de le dire.

     

    Car c’est bien d’un retour en arrière qu’il s’agit. Avec un futur panel de cinq profils seulement calqués sur les anciennes sections. Le reste n’est qu’une question de vocabulaire: qu’on nomme les nouveaux profils «langues anciennes» (au lieu de classique), « langues vivantes » (au lieu de moderne), « sciences (au lieu de scientifique), etc, les détours lexicaux ou les vaticinations de Charles Beer ne sont là que pour créer l’illusion. Le chef du DIP peut bien parler de recentrage, de juste milieu enfin atteint après l’ancienne hyperstructuration et la récente multiplicité des filières, personne n’est dupe. Après les nombreux toilettages nécessaires de la nouvelle matu, et la réintroduction implorée par les professeurs d’un retour à une forme de hiérarchisation des disciplines (à l’image du fameux total du premier groupe qu’imposait l’ancienne matu), que restera-t-il du modèle genevois de l’ORRM avec le retour des sections? Quasiment rien. Much ado about nothing.

     

    Première constatation: si on avait écouté les enseignants, on se serait épargné beaucoup de palabres, de dépenses et de réformes inutiles. Seconde constatation: cet incessant va-et-vient entre bonds en avant souvent inconsidérés et ridicules retours en arrière – qu’on nomme pompeusement réforme – permet surtout de détourner l’attention. Davantage que de réformes, le collège a besoin de moyens (parent pauvre sous l’ère Charles Beer, on les lui a systématiquement retirés au profit d’autres ordres d’enseignement), et l’école a besoin d’enseignants plus que de cadres administratifs. A force de privilégier les seconds (dernièrement les cent directeurs d’école primaire) au détriment des premiers, le DIP menace de devenir un gros tas de graisse sans muscles.

     

    Un retour en arrière donc qu’il ne faut ni applaudir ni déplorer: ce n’est qu’une énième réforme structurelle. Et il n’y a plus guère que les politiciens et certains cadres pour penser, par incompétence, naïveté ou opportunisme, qu’une réforme structurelle peut, par enchantement, modifier de facto le fond des choses, en l’occurrence le niveau de formation des élèves. Il y aura des pertes, c’est sûr. Quand Jean Romain prétend que le retour à un choix limité de profils mettra fin aux stratégies d’évitement (à savoir une matu au rabais), il a raison. Mais il oublie de préciser que le contraire existe aussi (à savoir une matu survitaminée): j’ai vu de nombreux élèves choisir systématiquement les disciplines et les options les plus exigeantes avec, au final, un diplôme qui additionnait les difficultés des anciennes filières classique et scientifique. Pour une fois que l’école offrait de la nourriture à profusion aux plus doués, il serait regrettable qu’on la leur retire. Mais il y aura probablement des avantages. Quand une réforme va dans le sens de la simplification, j’aurais plutôt tendance à applaudir... même si, dans ce cas particulier, je préfère m’abstenir.

     

    Car il ne faut pas être dupes: cette réforme annoncée du collège ne tient pas à des considérations pédagogiques, elle est de nature purement financière (et Charles Beer ne s’en cache pas, même s’il avance en priorité l’argument de la formation. Dame! on doit bien compenser le coût des cent directeurs, de leur assistant(e) et secrétaire). Elle permettra la suppression de nombreux cours à faible taux de fréquentation, donc très onéreux au prix de revient par élève puisque c’est ainsi qu’on fait le calcul. En regroupant cours, options et élèves, on remplit les salles et on optimise les coûts. Le reste n’est que verbiage destiné à dissimuler les futurs cours à 25 élèves, voire plus si affinités... 

     

    Pour désolant que soit ce choix essentiellement financier, gageons qu’il annonce aussi une bonne nouvelle: le crépuscule tant attendu des «pédagogistes» et de l’influence trop importante de la FAPSE sur l’école genevoise. Vous savez, cette tendance (à l’image de ce que firent Jospin et Allègre en France) d’utiliser les prétendues «sciences de l’éducation» – et la nombreuse armée de naïfs et de cyniques qui vivent de ce mythe – pour imposer des réformes contraires à la fonction traditionnelle de l’école. Tout d’abord en injectant insidieusement dans le quotidien scolaire un jargon spécifique: l’élève devient un «apprenant», le prof un «pourvoyeur d’occasions», le livre un «support visuel» et le rappel en début de cours des éléments clés du cours précédent «la phase de démarrage d’une situation séquentielle où le manager de l’aventure quotidienne de l’apprendre interconnecte le nouveau et le déjà-là». Au début, tout le monde riait dans les salles des maîtres. Avant de comprendre que, derrière la «novlangue», se dressait une nomenklatura qui devait phagocyter l’école pour de longues années avec l’appui des autorités et la volonté des partis, gauche et droite réunies. Comme si la pédagogie était une science qui produisait des lois à la manière d’un physicien dans son laboratoire, et non une pratique qui s’apprenait sur le terrain en se fondant sur des connaissances non pas expérimentales mais empiriques. Tous ceux qui ont enseigné, ou simplement élevé des enfants, savent qu’il s’agit bien davantage d’une affaire d’intuition que de connaissances scientifiques et que, le plus souvent, seule la passion permet de mener à bien une entreprise si délicate. Si donc il est regrettable que les seules considérations financières – malgré les dénégations d’usage – dirigent les réformes de l’enseignement, on peut au moins espérer, après les critiques nombreuses et justifiées qui ont suivi la création du IUFE (Institut universitaire de formation des enseignants) que ces nécessités mettent enfin un terme au délire socioconstructiviste qui a largement empesté l’atmosphère scolaire ces dernières années.

     

    Avant qu’on ne referme la parenthèse de la «matu à la carte», je ne peux m’empêcher de penser à son inauguration en grande pompe dans un collège du centre ville, lors des inscriptions de ces nouveaux collégiens qui, pour la première fois, allaient choisir un profil d’étude personnalisé. «Genève est le seul canton qui permet le «tout partout» (tous les choix dans chaque établissement)» exultait alors dans les médias celui qu’on avait nommé (allez savoir pourquoi?) «le père de la nouvelle maturité». Et notre père qui, en l’occurrence n’était hélas pas aux cieux, de s’installer un peu cabotin derrière un bureau pour enregistrer les inscriptions des nouveaux élèves à la grande satisfaction du journaliste de service et des quelques curieux qui l’entouraient. Après son départ, ou plutôt son retour aux cieux, il nous a fallu près d’une heure pour repérer, tracer et corriger les nombreuses erreurs qu’il avait commises en appliquant un système dont il était censé être le père et auquel, de toute évidence, il n’avait strictement rien compris.

     

    Ainsi en va-t-il de toutes réformes: elles servent d’abord la carrière de celles ou ceux qui les portent sur les fonts baptismaux. Et voilà pourquoi, en dépit de toute logique, on ne demandera jamais leur avis aux enseignants, hors certaines commissions alibis.

     

    Bonne route tout de même à la nouvelle ancienne maturité... et à sa descendance!

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Bingo de Moeri au Théatricul

     

    Par Alain Bagnoud

    Blaise Granget

    Sans doute n'y a-t-il plus aucun lecteur de ce blog qui ignore que la troublante pièce Bingo d'Antonin Moeri est jouée en ce moment. Nous y étions, mercredi passé, le lendemain de la première, pour une représentation magnifique suivie d'un débat avec l'auteur.

    Dans la pièce, Blaise Granget incarne Bobby, un jeune délinquant qui s'est imposé à Antonin Moeri par un biais biographique. Notre auteur avait enseigné à un jeune homme rebelle, soutenu par une mère absolue. Quelques années plus tard, il apprend que cet ancien élève a tué quelqu'un dans une baston. Pour tenter de comprendre le geste, Moeri a créé Bobby,

    Bobby se confesse. Il est dans la cellule d'une prison préventive et parle, à lui-même, ou à un interlocuteur fictif, ou au public d'un théâtre, parce que « ça fera passer le temps, on mourra moins vite, on prolongera jusqu’à l’aube ».

    Nous sommes ainsi mis au courant de sa trajectoire. En gros : père minable viré par la mère, relation incestueuse du fils avec celle-ci, ascolarisation, petite délinquance, élevage de pitbulls, embrouilles avec une bande rivale, baston finale. Ça semble un peu cliché ? Ça ne l'est pas du tout.

    À cause d'abord du langage, du flux verbal qui travaille sur l'oralité, qui recrée un langage imagé, avec des trouvailles, des cocasseries, du rythme.

    À cause ensuite de la densité humaine de Bobby. Moeri le rend complexe, lui met des envies de tendresse et un paradis perdu dans la tête, qui revient de façon récurrente : un voyage en Italie pour voir la famille de son père, quand celui-ci s'entendait encore avec la mère, « la traversée des Alpes, moi sur la banquette de skaï imitation zèbre, j’étais aux anges, mes vieux s’aimaient, en tout cas, ils donnaient l’impression, elle lui faisait des câlins, il grognait comme un matou, je me demandais parfois jusqu’où on irait, si la bagnole tiendrait le coup ... ».

    À cause aussi de l'acteur, remarquable Blaise Granget, d'une animalité et d'une innocence inquiétante, bien dirigé par le metteur en scène Cyril Kaiser. Le jeune comédien qu'on a vu dans un Misanthrope monté à la Fusterie en 2011 ou dans La résistible ascension d’Arturo Ui de Bertolt Brecht, à Vidy, en 2012, compose un personnage candide, énigmatique, complexe, et fait une performance superbe, seul sur scène pendant une heure.



    Théâtricul, Rue de Genève 64, 1225 Chêne-Bourg. Arrêt "Peillonnex"

    du 3 au 15 septembre 2013 tous les soirs sauf le lundi, du mardi au samedi à 19h, dimanche à 17h

    Réservation



  • Retour d'Égypte

    DownloadedFile.jpegMarlène Belilos n'est pas une inconnue. Née à Alexandrie en 1942, elle est obligée de fuir l'Égypte à l'arrivée de Nasser. Puis c'est l'Italie, la France, la Suisse où Marlène, en tant que journaliste, travaille pour les journaux et la télévision romande, dont elle est exclue, à l'époque de Lôzanne bouge, avec quelques autres (dont Nathalie Nath et Michel Boujut). L'affaire, à l'époque, fait grand bruit. Et la TSR, où règne une chasse aux sorcières, n'en sort pas grandie ! Un peu d'enseignement, ensuite. Puis direction Paris, où elle produit des émissions sur TV5 Monde et France-Culture. Et devient, last but not least, psychanalyste…
    Elle nous donne aujourd'hui un petit livre épatant*, qu'on lit avec délectation. Il raconte l'exil forcé du roi Farouk, 32 ans, qui a porté tous les espoirs de liberté du peuple égyptien. Nous sommes le 26 juillet 1952. Farouk embarque sur son yacht, « le Bien Protégé », pour quitter à jamais son pays. Marlène Belilos, 10 ans à l'époque, reconstitue avec douceur et nostalgie cette journée historique : la ville d'Alexandrie où vivait sa famille, le mélange harmonieux des langues et des cultures, les parfums des échoppes d'épices, le marchand d'eau de rose. « L'air sent le sel et il ne pleut jamais… »

    Peu à peu, les choses vont changer. Les étrangers (expats, juifs sépharades, Anglais, Français) ne sont plus bienvenus. Le pays croule sous les dettes et Nasser, bientôt, va nationaliser le Canal de Suez. images.jpegPour la famille Belilos, riche famille juive venue d'Alep, en Syrie, l'heure de l'exil a sonné. « Mon père aussi avait perdu, tout comme Farouk, sinon son royaume, en tout cas son palais. » C'est alors le départ forcé. Pour les plus pauvres, israël. Pour les plus fortuné, l'Europe imaginaire. L'Italie, la France, la Suisse, selon le grand loto des passeports.

    À travers une série de souvenirs, qui sont autant de photographies, tantôt nettes et tantôt un peu floues, Marlène Belilos reconstitue une patrie perdue : l'Égypte de son enfance. La langue est belle et émouvante. Elle trouve les mots justes pour dire la brisure, l'exil, la séparation. C'est la langue du cœur.

    Ce livre lumineux se termine sur l'évocation du plus grand héritage égyptien : l'écriture, qui ressuscite l'enfance, et permet de transmettre l'émotion, les souvenirs, les connaissances. En un mot, ce qu'on a perdu.

    * Marlène Belilos, Le Yacht du roi Farouk, éditions Michel de Maule, 2013.

  • bingo

     

    BINGO

    BINGO au Théâtre


    La pièce BINGO d'Antonin Moeri sera jouée du 3 au 15 septembre au THEATRICUL, Rue de Genève 64, à Chêne-Bourg.


    Vous pouvez réservez vos places sur le site:


    www.theatredusaulerieur.ch


    ou au service culturel MIGROS, 7 Rue du Prince, Genève


    La représentation du 4 septembre sera suivie d'un débat animé par Pascal REBETEZ, avec le metteur en scène Cyril KAISER, le jeune comédien Blaise GRANGET, l'auteur et plusieurs écrivains.


    Monologue d'un délinquant

    inspiré à l'auteur par un fait divers.


    Antonin MOERI

    Voici Blaise, le magnifique acteur qui jouera le rôle de BOBBY

    granget.jpg

     
  • Un taxi pour l'absurde

     

    Par Pierre Béguin

     

    Retour de voyage.

    Aéroport de Cointrin, samedi soir, 23 heures.

    35 kilos de bagages et deux petites filles à moitié endormies. Allez, un taxi et elles seront bientôt dans leur lit! Sauf qu’on est en Suisse et qu’en Suisse il y a des lois, beaucoup de lois. Dont certaines absurdes. Et c’est ce que nous allons démontrer...

    Donc on attend son tour à la sortie de l’aéroport, bien en file, patiemment. Tête de file, enfin! Un, puis deux taxis qui nous passent sous le nez, emmenant des passagers situés pourtant derrière nous. On s’insurge:

    – Je ne peux pas vous prendre, nous lance le chauffeur suivant en montrant du doigt les deux fillettes affalées sur les bagages, je n’ai pas les sièges adéquats, ça me coûterait 100 francs d’amende en cas de contrôle!

    – Et que fait-on?

    – Essayez avec un collègue qui aurait les sièges!

    Sauf qu’un coffre de taxi, c’est fait pour les valises, pas pour entreposer des sièges d’enfants au cas où...

    Dix minutes et une bonne douzaine de refus plus tard, on s’interroge. Prendre le train, puis les transports publics? Sans connexion directe (eh oui!), avec 35 kilos de bagages, deux fillettes qui dorment et dix minutes de marche pour atteindre la maison? Difficile. Autre solution: je garde les filles, ma femme prend un taxi et revient avec la voiture. Environ 50 minutes au final, tout de même... Alors on insiste une dernière fois. Et là, surprise:

    – Moi je m’en fous de cette loi, montez!

    Merci Monsieur le chauffeur de taxi d’ignorer une loi qui, au motif de les protéger, laisse sur le trottoir deux petites filles ivres de fatigue à la sortie de l’aéroport! Oui, mais il y a aussi les gardiens de la fameuse loi... Quelques kilomètres plus loin, contrôle de police. Deux filles qui dorment sur la banquette arrière, la tête posée sur les genoux de leur mère. Et pas de sièges pour enfants!

    – Ça vous fera une amende!

    A mon grand étonnement, le chauffeur garde son calme:

    – Pas de problème, Monsieur l’agent, je suis en tort, je paie.

    Et pendant qu’on lui dresse son procès-verbal en bonne et due forme, il descend de voiture, ouvre le coffre et en sort tranquillement les bagages.

    – Que faites-vous? lui lance le pandore.

    – Je dépose mes clients ici. Je ne peux pas continuer à rouler ainsi en tort.

    – Pas question! lui répond l’agent, vous allez terminez votre course!

    Le chauffeur, toujours très calme:

    – Monsieur l’agent, si vous m’arrêtiez en état d’ébriété, vous ne me laisseriez pas continuer ma route, non? La règle vaut pour les sièges d’enfants. Vous n’avez qu’à amener vous-même ces gens à destination.

    Puis il ajoute avec un soupçon d’innocence feinte:

    – C’est vrai que vous n’avez pas de sièges pour enfants vous non plus...

    L’agent fait mine d’ignorer la remarque, termine son procès-verbal et s’adresse au chauffeur sur le ton le plus officiel:

    – Maintenant vous pouvez y aller. Remettez ces bagages dans le coffre et conduisez ces gens à leur domicile.

    – Je vous ai déjà dit que non. Je vous les laisse! Si un de vos collègues m’arrête plus loin, ça me coûtera de nouveau 100 francs. Très peu pour moi!

    Puis, en ouvrant la porte arrière:

    – Je suis désolé Madame mais je dois vous déposer ici, dit-il à ma femme.

    Cette fois le pandore semble perdre sa contenance de pandore. Il sait que le chauffeur a raison. Mais deux petites filles endormies sur quatre valises à minuit au bord d’une route est une responsabilité qu’il ne s’attendait pas à endosser. Et lui aussi commence à comprendre qu’une loi impraticable sans exception, et édictée par une poignée d’abrutis incapables d’en prévoir toutes les conséquences, vient de placer d’un coup, au beau milieu de la nuit, six personnes dans une situation absurde. Alors il a cette ultime réaction de bon sens:

    – C’est bon pour cette fois, lance-t-il en déchirant l’amende, mais remettez ces bagages dans le coffre et terminez votre course prudemment!

    Et nous, pour une fois, on peut pavoiser: cette histoire vraie – j’en témoigne – n’est pas une Genferei, c’est une Schweizerei. Faudrait tout de même pas imaginer qu’on a le monopole de la connerie, à Genève!

    Quoique...

    Sur le chemin du retour, j’ai pensé à ce film dont j’ai oublié le titre et qui dresse, en quatre tableaux, le portrait de quatre villes, la nuit, au moyen d’une anecdote dont un taxi est le fil conducteur. Si l’on avait voulu inclure Genève dans ce film, nul doute que cette anecdote en aurait fait une peinture particulièrement pertinente.

     

     

     

  • Pierre Yves Lador: Chambranles, embrasures, légumes et enquête

     

    Par Alain Bagnoud

    La rentrée littéraire, inéluctable, apporte cette année dans ses vagues un roman de Pierre Yves Lador, Chambranles et embrasures. Un texte que j'ai lu en priorité pour une raison anecdotique : je venais, cet été, de me plonger dans ses deux derniers livres, (La guerre des légumes et L'enquête immobile.)

    Actualité oblige, commençons par le dernier paru. Chambranles et embrasures, au titre subtilement choisi (on en jugera d'après le contenu), est un roman érotique.

    Son narrateur, ancien chasseur de molécules dans la jungle amazonienne, peut se vouer à la poésie après avoir découvert un remède tiré d'une écorce, médicament dont il touche une partie des droits. Il entend faire découvrir ses œuvres au public. Sa méthode de propagande est hardie : sonner aux portes, réciter ses poèmes, et vendre ses plaquettes aux intéressé(e)s.

    C'est ainsi qu'il arrive chez Eliane, femme « assez imposante », qui habite une maison mystérieuse et lui commande une histoire par semaine, un texte de 4000 signes, inédit, que le poète viendra lire personnellement. Dans cette habitation qui se transforme à chaque visite, dont les portes mènent à des lieux oniriques, le poète vivra toutes sortes de rencontres, Eliane ayant décidé de l'initier à l'érotisme.

    Rien de plus difficile que ce genre. Mais Lador triomphe des écueils naufrageurs. Il réussit à ne pas lasser, chose difficile dans la description de scènes de sexe. Sa méthode : varier joyeusement les situations, les lieux, les contraintes, les partenaires, créant ainsi une suite d'ambiances étranges et de scènes fantasmatiques réussies, qui font la part belle au langage.

    De l'érotisme – quoique en moindre concentration - et de l'ironie, il y en a aussi dans ses deux derniers livres publiés. La guerre des légumes évoque la guerre universelle entre les espèces, particulièrement le chou et l'homme. L'enquête immobile mêle une recherche policière sur le fils d'une marquise et une quête de l'idéal amoureux. D'après les intentions de l'auteur, ce diptyque oppose nature et culture, urbanisation et violence. On voit que Lador ne choisit pas des thèmes ni des sujets ni des histoires simples.

    Mais l'intérêt chez lui est moins dans l'histoire racontée que dans les digressions que se permet l'auteur avec une liberté souveraine. Lador, si vous voulez, est l'anti Joël Dicker. Notre jeune auteur triomphant captive le lecteur avec une intrigue, se préoccupe peu de l'écriture, mais son succès vient, comme le démontrait Jean-Louis Kuffer dans son blog, du fait qu'il pavient à faire voir, à créer des scènes visuelles fortes.

    La manière de Lador diffère complètement, et on ne peut apprécier ses textes si on n'est pas intéressé par la langue. Dans un flux maîtrisé qui fait la part belle aux associations libres, Lador crée des romans encyclopédiques, labyrinthiques, érudits, qui se permettent tous les détours, cheminent dans les sentiers de montagne tortueux plutôt que sur des autoroutes, font la part belle aux figures rhétoriques, syntaxiques, stylistiques.

    Ceux qui veulent une intrigue à rebondissements bien ficelée s'impatienteront. Ceux qui aiment musarder, qui apprécient les cheminements imprévus, qui prennent du plaisir à se confronter à un univers complexe, érudit, aux niveaux de langues variés qui intègrent aussi avec bonheur le lexique suisse-romand, savoureront ces textes.



    Pierre Yves Lador, Chambranles et embrasures, Editions de L'Aire

    Pierre Yves Lador, La guerre des Légumes, Olivier Morattel éditeur

    Pierre Yves Lador, L'enquête immobile, Olivier Morattel éditeur

  • BINGO

    BINGO au Théâtre


    La pièce BINGO d'Antonin Moeri sera jouée du 3 au 15 septembre au THEATRICUL, Rue de Genève 64, à Chêne-Bourg.


    Vous pouvez réservez vos places sur le site:


    www.theatredusaulerieur.ch


    ou au service culturel MIGROS, 7 Rue du Prince, Genève


    La représentation du 4 septembre sera suivie d'un débat animé par Pascal REBETEZ, avec le metteur en scène Cyril KAISER, le jeune comédien Blaise GRANGET, l'auteur et plusieurs écrivains.


    Monologue d'un délinquant

    inspiré à l'auteur par un fait divers.


    Antonin MOERI

    Voici Blaise, le magnifique acteur qui jouera le rôle de BOBBY

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  • Les mauvais livres

    images.jpegIl y a des livres dont on se dit, les ayant lus, qu'il aurait mieux valu qu'ils ne soient pas écrits — ou du moins publiés. C'est le cas de Mauvais génie*, un livre écrit à quatre mains par la comédienne Marianne Dénicourt et la journaliste Judith Perrignon. Pourquoi ce livre ? Marianne Denicourt, que j'ai eu la chance de rencontrer plusieurs fois à Avignon dans les années 80, à l'époque où elle suivait les cours de Patrice Chéreau à l'école du Théâtre des Amandiers de Nanterre, est une magnifique comédienne. Elle a eu, par la suite, une vie tragique : son père est mort des suites d'une longue maladie et son ami, le père de son enfant, est tombé accidentellement d'une fenêtre et s'est tué, alors que Marianne était enceinte. Quelques années plus tard, Marianne Denicourt croise le chemin d'un jeune réalisateur français parfaitement inconnin, Arnaud Desplechins, qui lui donne le rôle principal de ses deux premiers films (La Sentinelle et Comment je me suis disputé (ma vie sexuelle). Deux très beaux films. Puis c'est la rupture. Quelque temps après, Despléchins tourne un nouveau long métrage, qui deviendra Rois et reine, et qui est un chef-d'œuvre. Dans ce film, il puise abondamment dans la vie de Marianne pour créer le rôle de Nora (jouée par Emmanuel Devos), en transformant bien sûr certains faits (le mari se suicide dans le film et le père vit une longue agonie). Se sentant manipulée et abusée, marianne Denicourt décide d'écrire un livre, non seulement pour rétablir la vérité des faits, mais aussi pour se venger. DownloadedFile-1.jpegCela donne Mauvais génie : un règlement de comptes amer et revanchard, où Arnaud Desplechins (Arnold Duplancher dans le livre !) est décrit comme un névropathe, inculte, parano et surtout égomaniaque. Curieusement, le résultat va à l'encontre du projet : les défauts de Duplancher sont, en réalité, les qualités de l'artiste Desplechins, égoïste, manipulateur, certes, se nourrissant des histoires des autres, tel un vampire assoiffé de sang, mais les transformant et les sublimant pour en faire ses films à lui. La conclusion est patente : Rois et reine et un grand film. Mauvais génie un mauvais livre.

    DownloadedFile-2.jpegUn autre livre qui, sans doute, aurait pu rester dans les tiroirs, c'est un recueil d'articles inédits de Nicolas Bouvier. Cela s'appelle : Il faudra repartir**. Le moins que l'on puisse dire, c'est que ces textes, réunis et présentés par François Laut, un spécialiste de Bouvier, sont d'un intérêt inégal. Pour ne pas dire plus. Il s'agit de fonds de tiroir, ainsi que d'extraits du journal de bord de Nicolas. Faut-il vraiment savoir que NB a « écrit une dizaine de cartes, puis dîné près de l'hôtel. Huîtres excellentes. Bien dormi. » ? On en doute. La figure du grand écrivain genevois ne gagne rien à notules anecdotiques qui, le plus souvent, passent sous silence les rencontres importantes.

    En conclusion, dirait Flaubert, deux livres pour rien.

    * Marianne Denicourt et Judith Perrignon, Mauvais génie, Stock, 2005.

    ** Nicolas Bouvier, Il faudra repartir, Voyages inédits, Payot, 2013.

  • BINGO au Théâtre

    La pièce BINGO d'Antonin Moeri sera jouée du 3 au 15 septembre au THEATRICUL, Rue de Genève 64, à Chêne-Bourg.

    Vous pouvez réservez vos places sur le site:


    www.theatredusaulerieur.ch


    ou au service culturel MIGROS, 7 Rue du Prince, Genève


    La représentation du 4 septembre sera suivie d'un débat animé par Pascal REBETEZ, avec l'auteur, le metteur en scène Cyril KAISER, le jeune comédien Blaise GRANGET et des écrivains.


    Monologue d'un délinquant inspiré à l'auteur par un fait divers.


    Antonin MOERI