L'Ami barbare (3)
À la Maison, on ne publie pas que des best-sellers.
Notre spécialité, depuis toujours, c’est d’éditer des livres impubliables. Pas besoin d’aller les chercher à l’autre bout du monde : ils arrivent tout seuls, de la main à la main ou par courrier express. On dirait que les gens se sont donné le mot. Si un type, quelque part, écrit un livre au titre impossible, forcément invendable, c’est vers nous qu’il se tourne à tous les coups. Souvent, il ne prend même pas la peine de faire le tour des autres éditeurs.
Il se dit : « J’ai écrit un bouquin génial, mais trop pointu, qui n’intéressera personne. C’est donc à la Maison que je dois le donner. »
Ainsi, au fil des ans, nous avons enrichi notre catalogue avec des titres rares et d’autant plus précieux que personne ne les a achetés, à part quelques esprits pervers ou entichés d’ésotérisme (je ne compte pas la famille, parfois nombreuse, de l’auteur de la chose).
Aucun écho, nulle part, ni dans Le Provencal, ni dans Le Fanal de Rouen, ni même dans La Gazette d’Amphyon.
Et pas une seule commande dans les librairies.
Tu es très fier, pourtant, d’avoir publié en langue serbo-croate cette Histoire du chou (une psychanalyse) de Sébastien Rial dont les invendus occupent une moitié de la cave. De même pour le fameux Indicateur des horaires de trains et de tramwasy à Belgrade et ses environs d’Édouard Sam, un livre introuvable (et pour cause !) dans le monde slave.
Voici la liste de nos worst-sellers. Les fleurons de notre catalogue. Aucun ne s’est vendu à plus de dix exemplaires.
— Les attelages lesbiens, une étude genre, de Justine Meyer.
— Destin de la féra (une histoire au long cours) de Marc Bron.
— L’âne dans les guerres balkaniques de Slatko Makic.
— Tricoter avec des poils de chèvre de Léontine Prince.
— Après l’orgie : vers une politique de l’épuisement de Michel Cyprès.
— Ces prophètes qui regardent en arrière ou l’éloge du rétroviseur de Dominique Wohlschlag.
— Sadisme et boulimie de Dominique Ducroc.
— Comment chier dans les bois : une approche écologiquement responsable d’un art perdu de Gabrielle Lescure.
— Ce passé qui ne passe pas (une histoire du vomi) de Jean-Luc Legore.
— Éloge de la fondue (pour une solution suisse au conflit israélo-palestinien) de Hans Fehr.
— Petite histoire de la quenelle de Francis Richard.
— Littérature romande et dépression d’Adrien Pasquali.
— Le Grand Livre des amours trans de Camille Double.
— Les mots et les roses (pour une anatomie du nez) de Michel Foucal.
— L’odeur de sainteté (ou la saga des papes constipés) de Bénédicte Duvanel.