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Blogres - Page 125

  • Un discours de gauche est-il encore possible?



    Par Antonin Moeri


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    Lorsque je vois un politicien à la télé, j’observe attentivement sa manière de fixer la caméra, d’ouvrir la bouche, d’écouter les questions du journaliste. Qu’est-ce qui distingue un homme de gauche d’un homme de droite ? me suis-je souvent demandé. Michela Marzano nous offre quelques pistes de réflexion dans un livre remarquablement écrit « Extension du domaine de la manipulation ». Pour cette philosophe, le dispositif marketing a tellement envahi le monde politique que les anciennes catégories de gauche et de droite ne permettent plus de s’y retrouver.
    Elle compare par exemple la stratégie de Nicolas Sarkozy et celle de Ségolène Royal lors des dernières présidentielles. Pour Nicolas Sarkozy, tout doit être possible, il suffit de vouloir. Il n’y a pas d’obstacles infranchissables dès lors qu’on désire quelque chose. Il répète à l’envi :  « Je crois dans la volonté, dans l’énergie, dans la foi qui soulève les montagnes. Je vous demande de vouloir avec moi ». De projets pour la France, il ne dit rien. Son discours de propagande rappelle celui des nouveaux marchands de bonheur en odeur de sainteté dans les multinationales.
    Pour Ségolène Royal, « le temps de l’imagination et de l’audace est venu ». Elle s’appuie sur le potentiel de chacun qu’elle cherche à motiver en se concentrant sur ses points forts. Elle porte aux nues ces Français qui conquièrent des marchés, qui innovent, qui prennent des risques. Elle fait surtout confiance aux jeunes. Elle entend stimuler l’excellence individuelle. Elle parle d’une formidable énergie que chaque Français pourra dégager quand elle sera élue. Elle présente la France comme une multinationale qui fixera pour chacune et chacun des objectifs clairs et nets.
    Le discours de ces deux politiciens est un discours managérial qui mélange habilement l’affectivité et l’utilité. Ce discours, qui exige l’adhésion immédiate de chacun, est celui des coachs dans les entreprises, ces spécialistes de la manipulation qui se montrent interactifs et chaleureux, attentifs et souriants dans leur effort de convaincre les salariés qu’ils travaillent pour s’épanouir et qu’ils peuvent tous devenir des « winner ».
    La démonstration de Michela Marzano est probante. Effectivement, plus rien (ou presque) ne distingue un discours de droite d’un discours de gauche. Ils sont soumis aux mêmes impératifs. Quant à la pratique ?


    Michela Marzano : Extension du domaine de la manipulation, Editions Grasset 2008

  • Genève et les subprimes

    Par Pierre Béguin

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    Permettre à des gens qui n’ont pas les moyens d’acheter une maison de se l’offrir tout de même en leur avançant l’argent à un taux d’intérêt dérisoire, tout en spéculant sur l’automatisme des plus-values immobilières pour sécuriser ses investissements, ce n’est pas nouveau. A Genève, on l’avait déjà fait dans la seconde moitié des années 80 avec les résultats catastrophiques qui ont marqué le début des années 90 et la crise immobilière. Mais ce qui est très grave, en revanche, pour ne pas dire criminel, c’est de refaire la même chose actuellement sous le prétexte de sauver l’immobilier et, plus généralement, tout le secteur économique. Qu’on annonce comme une bonne nouvelle pour les futurs propriétaires la baisse des taux d’intérêts à des planchers jamais atteints (moins de 2% pour un taux fixe de 3 ans!) est d’une sottise sans nom. Très clairement, nous sommes en train de créer les conditions qui, immanquablement, aboutissent à une crise de l’immobilier et, donc, à une crise de l’économie toute entière. Ni plus ni moins, nous recréons la logique des subprimes à Genève alors que nous nous félicitions, à juste titre, d’avoir retenu la leçon des années 80 et su éviter ce marasme. Le problème n’est pas le taux hypothécaire, mais le prix de l’immobilier qui s’est mis à délirer ces deux ou trois dernières années. Pour suivre depuis longtemps, à titre personnel, les offres immobilières, notamment dans la commune de Plan-les-Ouates, je constate que, actuellement, un appartement se monnaye dans cette région à environ Frs 10.000 le m2, alors que ces coûts n’atteignaient pas Frs 4.000 à la fin des années 90. Rien ne justifie une telle augmentation en une dizaine d’années. Si ce n’est un délire spéculatif que les responsables s’évertuent à nier. Bien sûr, acheter un 5 pièces Frs 1.500.000 à un taux de 1.9%, en utilisant son 2e pilier pour financer les 20% de fonds propres exigés, c’est payer mensuellement Frs 1.900, c’est-à-dire moins que le prix d’une location pour un bien identique. De quoi tenter les naïfs. Mais lorsque les taux hypothécaires, inévitablement, reprendront leur courbe normale, disons autour de 4% (ce qui reste un taux très bas sur ces 50 dernières années), il vous en coûtera alors Frs 4.000 par mois, sans compter les charges de copropriété et le remboursement de la dette (qui, à eux deux, dépasseront les Frs 1.000 par mois). Comme le loyer ne devrait pas excéder le tiers des revenus, il faudrait gagner plus de Frs 15.000 par mois pour assumer un tel investissement. Faites le compte. Il va y avoir de la casse, c’est inévitable.

    Alors baisser les taux pour protéger la clique immobilière genevoise en évitant une baisse logique des prix, et faire croire aux gens, comme je viens de l’entendre au Journal télévisé, qu’il n’a jamais été aussi intéressant d’être propriétaire, relève de la pure inconscience. Une inconscience criminelle: adieu, bien immobilier, 2e pilier, retraite! Bonjour l’assistance! Et ce n’est qu’un début. La Banque d’Angleterre vient de baisser ses taux directeurs à 1.5%, c’est-à-dire au niveau le plus bas depuis sa création en 1694. Et pour la plupart des analystes, ce n’est qu’une étape vers un taux à 0%. Si, officiellement, la mesure ne vise qu’à maintenir l’inflation autour de 2%, il s’agit bien en réalité d’une nouvelle tentative pour renforcer l’économie et accélérer la sortie de la récession. La Banque Centrale Européenne, dont les taux se situent à 2.5%, devrait suivre. Puis ce sera au tour de la Banque Nationale. Ces décisions ne sont pas la marque d’une sagesse mais d’un affolement. La sagesse, c’est d’affronter le problème quand il survient, l’affolement c’est de céder aux mécanismes de fuite pour le contourner. Or, une crise, qu’elle soit personnelle, psychologique et affective, ou collective, économique et immobilière, c’est toujours la conséquence d’un égarement et l’injonction d’un retour à l’essence. Entendez, à l’essentiel. Eviter d’affronter le problème par des mécanismes de fuite exprime une réaction certes humaine mais dangereuse: repousser un problème qu’il faudra de toute façon affronter un jour, c’est se donner l’assurance de l’alimenter, donc de rendre son retour aussi inéluctable que plus douloureux encore. La Fontaine le disait déjà en son temps: «On rencontre sa destinée souvent par des chemins qu’on prend pour l’éviter» (L’Horoscope). Au lieu de laisser des prix surfaits se recentrer d’eux-mêmes, quitte à subir quelques dégâts, on pousse le consommateur, respectivement le propriétaire, à un endettement inconsidéré. Avec des taux hypothécaires proches de 0%, qui ne se laissera pas tenter? Le résultat est aussi prévisible que ses effets seront catastrophiques. Personnellement, je connais des cyniques qui se frottent déjà les mains en se léchant les babines à la vision des bonnes affaires qui se préparent. Si vous êtes comme eux, attendez quelques années avant d’acheter. Et ne vous laissez surtout pas impressionner par les traditionnels arguments sur l’exiguïté du territoire genevois et son exception immobilière. Ces arguments sont du pur recyclage. Ils ont déjà servi tels quels dans les années 80.

    Le plus curieux, c’est que ceux qui encouragent à l’endettement individuel sont les mêmes qui ont peint l’endettement des états comme le diable sur la muraille. Quand on ne remarque même plus les paradoxes les plus évidents, le danger est imminent…

  • Lumière d'août, de William Faulkner

    Par Alain Bagnoud

    cfs_faulkner_sightg_2004.jpgC'est toujours un peu difficile de parler d'un chef-d'œuvre qu'on vient de lire.

    Il suffirait peut-être de le signaler. Dire par exemple que Lumière d'août, de Faulkner, est un chef-d'œuvre. Ça devrait suffire.

    Mais, bon, vous savez ce que c'est. L'envie de bavarder, d'exprimer ses sensations. Et puis c'est un petit exercice de style, de faire un post sur un livre qu'on a aimé.

    On pourrait commencer en expliquant que Lumière d'août est, comme l'indique le quatrième de couverture, la genèse d'un meurtre. Ou affirmer que le livre raconte la quête d'identité d'un orphelin blanc qui a du sang noir dans les veines, d'un mulâtre qui ne sait pas qui il est. Ou constater que deux histoires se mêlent, celle de Christmas, l'assassin, et celle de Lena, jeune fille séduite, engrossée, abandonnée, à la recherche de son amant, et qui découvre dans cette quête un but et une jouissance.

    On pourrait encore conclure que Faulkner fait le portrait d'une société puritaine figée dans ses croyances et ses principes, qui produit des fanatiques et de la haine à gros bouillons. Une société livrée à un Dieu de colère et de vengeance, violemment raciste, vivant sur des principes rudes, lesquels produisent, par surgissement d'opposition, un érotisme désolé.

    Les femmes chez Faulkner sont facilement séduites, ne demandent qu'à tomber dans le péché et à s'avilir. Le sexe est morbide, malsain. Soit il se révèle sans plaisir, violent, soit il tourne en nymphomanie. Sur tout cet univers romanesque court la méfiance de la femme, qui incarne la pulsion irrépressible, mais aussi la douceur, l'amour, la charité, choses que ces hommes rudes et corsetés refusent de tout leur être.

    Lumière d'août est servi par une narration assez classique, pour qui a déjà fréquenté Faulkner. Il n'y a pas ici de grand flux de conscience, de monologues intérieurs constituant le récit comme dans Tandis que j'agonise. Il n'y a pas non plus de jeu excessif avec la temporalité. Ça commence avec le meurtre et l'arrivée de Lena dans la ville, un long flash-back raconte l'enfance et la formation de Christmas, puis on revient à la traque de l'assassin et à son lynchage final.

    Mais le livre n'est pas si simple, quand même. Les non-dits, les points de vue, les idéologies donnent un soubassement et une force à l'histoire. Elle est vue et racontée par les personnages témoins des faits, qui les expliquent selon leur point de vue, d'après leur vision du monde.

    Et comme toujours chez Faulkner, le destin manipule les personnages comme des marionnettes et cet univers pessimiste, tragique, hanté par la faute, s'il est d'une puissance rare et d'une profondeur tragique, n'est pas des plus faciles à habiter.


    William Faulkner, Lumière d'août, Folio

    (Publié aussi dans Le blog d'Alain Bagnoud.)


  • ARTICLE OU PRODUIT?


    Par Antonin Moeri

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    J’ai poursuivi l’enquête. Mon libraire préféré n’était pas à son poste ce jour-là. J’ai tendu une oreille attentive. Un autre libraire disait à son collègue: “- Tu vas lui faire une fiche d’évaluation? - Oui, bien sûr! - Tu seras pas trop salaud!” J’ai alors demandé si la pratique de l’évaluation s’était imposée dans ce commerce comme elle s’est imposée dans les entreprises privées et publiques. “Tout à fait, dit le jeune homme, là je dois évaluer une apprentie, elle vient de commencer, elle a dix-sept ans, je noterai si elle a un bon contact avec les clients, si nous lui apportons quelque chose et si elle nous apporte quelque chose au niveau du travail.”
    Je croyais jusqu’à ce jour que le patron de cette librairie était un post-soixantuitard que l’auto-gestion passionnait. Pas du tout, dit l’employé qui m’avait accordé deux minutes d’attention, il vient de la banque, il applique directement les lois de la finance au flux des produits. Si l’auto-gestion l’a passionné un jour, il ne doit plus savoir très bien de quoi il s’agit.
    Je me suis demandé en quittant l’établissement s’il fallait désormais faire mes commandes de livres ici ou dans la librairie tenue par des gauchistes, sise un peu plus loin sur le boulevard. Dès qu’on lui parle de produits, l’amateur de livres ne se sent pas en territoire ami. J’espère que, dans l’autre librairie, on ne me dira pas: “L’article est arrivé!!!”

  • Intérêt bien compris

    Par Pierre Béguin

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    Quel lien peut-on établir entre l’affaire du porc irlandais (qui suit de peu celle de la vache folle) et les 50 milliards évaporés dans le scandale Bernard Madoff, devenu l’escroc du siècle après avoir été l’icône des marchés financiers selon un schéma maintenant éprouvé (avez-vous remarqué que les médias, véritable boussole qui indiquerait le sud, ont le génie de dresser des lauriers aux futurs escrocs ou pestiférés du système, Werner K Rey, Marcel Ospel, etc?) Réponse: tous les deux mettent à mal le postulat même de l’économie libérale qui veut que l’homo pecuniarius, avant tout rationnel, donc égoïste et calculateur, soit entièrement mû par l’idée de son intérêt bien compris, unique moteur des conduites humaines, et que son sens moral ne réponde qu’aux lois de son intérêt personnel programmées par son code biologique. Si, à la Coop ou à la Migros, ou dans tout autre supermarché, je remplis mon caddy, allègrement et en confiance, de bon nombre de produits dont, par ailleurs, je n’ai pas forcément besoin, ce n’est pas que je postule a priori l’humanité, le sens éthique ou la bienveillance de ces enseignes, mais plutôt leur intérêt bien compris, c’est-à-dire leur égoïsme et leur capacité à calculer au mieux de leur intérêt propre: si elles veulent assurer la pérennité de leur commerce, elles doivent d’abord veiller à conforter ma confiance et, donc, me fournir des produits dont je peux raisonnablement attendre qu’ils ne vont pas m’empoisonner. De même pour les instituts financiers auxquels je vais confier mon argent. Personne ne serait assez naïf pour avoir confiance en son banquier, en dépit des slogans publicitaires qui nous y invitent. En revanche, tout le monde peut logiquement, sans arrière pensée, parier sur sa capacité à calculer au mieux de ses intérêts propres. Et c’est parce que nous croyons à ce fondement égoïste et calculateur qui constitue l’essence même du banquier que, paradoxalement, nous lui accordons notre confiance. Son intérêt est aussi le nôtre. C’est dans ce point de convergence entre nos deux intérêts bien compris que s’élabore la règle essentielle de l’économie de marché et la confiance indispensable à son bon fonctionnement. A tel point que tout bon libéral tient a priori pour suspect les valeurs qui échapperaient à ce dogme réducteur et s’efforce de récupérer dans sa logique, avec une hargne et un cynisme qui tiennent parfois de la pathologie, toute institution qui ne fonctionnerait pas encore sur ce principe. A commencer par l’école républicaine et laïque qu’il s’efforce, en contempteur imbécile, de détruire méthodiquement en y introduisant notamment les notions, aberrantes dans le cadre scolaire, de concurrence et de compétitivité, avec leur logique de supermarché. Et plus largement la notion même d’Etat, réduite, dans l’idéal de la théorie libérale, à un simple agent de la circulation chargé de veiller uniquement à la fluidité du trafic économique. C’est-à-dire à ne surtout pas intervenir quand tout va bien et à intervenir rapidement quand tout va mal (et je m’étonne que beaucoup de monde, actuellement, considère cette logique comme un paradoxe inacceptable alors qu’elle est un fondement même du néo libéralisme). Un agent qu’on aurait d’ailleurs licencié sans autre forme de procès si le marché eût atteint son plein équilibre. Mais le contraire s’étant produit, voilà notre agent investi soudainement d’une mission impossible: gérer le chaos.

    En ce sens, si nous ne pouvons même plus postuler l’intérêt bien compris, c’est-à-dire si la foi dans l’intérêt égoïste n’assure plus la fiabilité du système et la confiance nécessaire à son bon fonctionnement, que reste-t-il du paradigme capitaliste? Et pourquoi ce postulat est-il autant mis à mal dans cette dernière décennie, et plus encore dans cette dernière année, avec un effet d’accélération pour le moins inquiétant? C’est que, précisément, pour assurer son bon fonctionnement, l’économie de marché a besoin de son contraire, à savoir de valeurs désintéressées, d’institutions souveraines, d’une sorte de supra structure morale –  ce que George Orwell appelait la décence commune (common decency) – qu’elle est elle-même incapable d’édifier et qu’elle s’efforce naturellement de détruire parce qu’elle les voit d’abord, dans sa logique étroite – je devrais dire dans son intérêt bien compris –, comme un obstacle à son expansion. Si toutes les professions (juges, enseignants, policiers, infirmières, médecins, etc.) se convertissaient au règne de l’universalité marchande pour fonctionner essentiellement sur le modèle de l’intérêt bien compris, il serait aisé de conclure à l’impossibilité structurelle et anthropologique de toute société capitaliste. En d’autres termes, tant que cette tension entre deux logiques contraires subsiste, tant que les effets inévitablement destructeurs de l’économie de marché sont contenus par des valeurs qui transcendent l’intérêt bien compris et par des institutions qui canalisent le flux économique pour lui donner sens, le système est viable. Mais certains signes portent à croire que nous sommes parvenus au point de rupture. Que l’équilibre est rompu. Que la logique du marché unique, à l’instar des cellules cancérigènes dont elle s’inspire, a corrompu toute résistance et détruit finalement le corps même qui lui assurait son existence. Que la stupide croyance en un marché aux capacités autorégulatrices s’effondre. Que la crise actuelle, loin d’être une crise supplémentaire, signifie la fin de la tendance néo libérale dure aussi sûrement que la chute du mur de Berlin a signifié celle du communisme. Si tel est le cas, il ne nous restera plus, cette fois, dans un premier temps, que la seule logique de l’intérêt bien compris, c’est-à-dire celle du sauve-qui-peut généralisé dont les marchés boursiers, en bon baromètre, se font d’ailleurs l’écho. Avant de reconstruire autrement. Peut-être. Puisse cette crise, pour le moins, – maigre consolation – mettre fin aux litanies libérales imbéciles dont on nous bassine depuis près de trente ans!

    Je vous souhaite une bonne année…

  • La Compagnie des Mots à Carouge

    Par Alain Bagnoud

    compagnie_logo.gifHier au soir, tout Blogres était en sortie.Cinq fiers gaillards. Pierre Béguin, Serge Bimpage, Antonin Moeri, Pascal Rebetez et votre serviteur.
    Nous sortions du Qu'importe à Carouge, un bar à vins branché, enfumé et bruyant,
    avec des clients du genre cadres dynamiques qui veulent montrer que malgré tout, les affaires continuent. Nous nous dirigions vers L'Aigle d'Or (une bonne adresse)  en longeant la rue Vautier. Là où se trouve l'arcade Au bonheur des Mots. Un endroit où plusieurs d'entre nous avaient lu leurs textes.
    Et là, justement, dans l'arcade, plein de gens. On nous a fait signe, nous sommes entrés. C'était la fête. Beaucoup de femmes. Quel accueil! Une ambiance explosive. Tout le monde célébrait la fin de deux séminaires d'écriture.
    Lectures de poèmes, accordéon, conversations, vin. On a eu tout ça, et en plus le sujet de ce papier. Sur La Compagnie des Mots.
    C'est une association dont la responsable est Denise Martin, une grande dame. Depuis 2005, elle œuvre en faveur de la promotion des écrivains romands et encourage l'expression écrite dans la vie personnelle et professionnelle. Elle a organisé de nombreuses lectures d'écrivains (66 à ce jour), des conférences littéraires, des ateliers d'écritures... L'arcade a déjà accueilli 1600 personnes.
    Dans les prochaines activités, on trouve des séminaires. Ecrire une pièce de théâtre, avec le dramaturge et chroniqueur Eugène. Ecrire à Carouge, avec Isabelle Guisan . Qu'ai-je appris dans ma vie? Avec Denise Martin. D'autres encore.
    Les Dimanches des Auteurs, eux, accueilleront Françoise Lieberherr Gardiol, Etienne Barilier, Nicolas Buri ou Silvia Ricci Lempen..
    Donc, on y court.
    Pour tout renseignement, 078 665 64 96, ou www.lacompagniedesmots.ch, ou info@lacompagniedesmots.ch.

    Arcade « Au bonheur des mots », 33 rue Vautier, Carouge

  • Mon plus beau souvenir de lecture

     


    Par Antonin Moeri

     



    hemingway_ernest_large_3-back.jpgLorsque j’avais quatorze ans, un garçon de deux ans mon aîné me fascinait (par deux fois, il avait dû refaire une année scolaire, il dirige à présent la fabrique de cure-dents créée par son père). Non seulement il avait deux têtes de plus que moi, mais il connaissait les femmes (c’est avec un plaisir tout particulier qu’il me racontait ses soirées avec la fille d’un peintre en bâtiments, qu’il me décrivait ses seins volumineux, la courbe de ses hanches, ses petits han han au moment de l’escalade). Un après-midi, ce garçon m’entraîna dans une aventure. Nous ne sommes pas allés à l’école mais dans sa chambre. Nous avons écouté du jazz en buvant du whisky. À l’époque, j’avais lu les romans d’Hemingway et ce fut un peu pour ressembler à l’écrivain américain que je bus verre sur verre de cet alcool qui me brûlait les entrailles. C’est dans le jardin, à l’instant où j’eus lancé la boule de pétanque (qui s’arrêta juste à côté du cochonnet, me racontera plus tard le fils du fabricant de cure-dents) que je me suis effondré. Le garçon ramena mon corps inerte sur une charrette fixée à son vélomoteur. Le coma éthylique dura cinq heures. Le lendemain, j’ai gardé le lit. J’ai alors lu « Les Cosaques » de Tolstoï. C’est mon plus beau souvenir de lecture. Est-ce dû à l’état dans lequel je me trouvais (une situation de rescapé) ou aux personnages, aux descriptions, aux dialogues inventés par le romancier russe ? Franchement, je ne saurais trouver une réponse pertinente à cette question.

  • Politique télescopique

    Par Pierre Béguin

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    Dans un roman fleuve, l’écrivain anglais Charles Dickens développe, par le portrait de la truculente Mrs Jellyby, le concept de philanthropie télescopique (Bleak House, chapter 4, Telescopic philanthropy). Mrs Jellyby est une femme de caractère entièrement dévouée à toutes sortes d’intérêts publics pour autant que ceux-ci prennent naissance le plus loin possible de sa personne physique. Au moment du récit, c’est le continent africain qui remue sa fibre philanthropique, à tel point que «ses yeux ne distinguent rien de plus proche que l’Afrique» (jusqu’à ce qu’un autre problème d’intérêt public, si possible encore plus éloigné, l’attire davantage, précise ironiquement le narrateur). On l’a compris, la philanthropie télescopique, pour le narrateur, n’est qu’une manière de souligner le manque d’empathie de Mrs Jellyby qui néglige ses proches pour des causes aussi lointaines qu’abstraites et, pour Mrs Jellyby elle-même, qu’un moyen de donner bonne conscience à son égoïsme et à son désintérêt de l’humain dès qu’il se frotte concrètement à son quotidien au risque de le perturber. La règle ainsi posée par Dickens est simple: plus une personne exerce sa philanthropie dans la distance, plus elle ne fait que révéler son manque de philanthropie. L’amour pour son prochain, c’est d’abord, et surtout, l’amour pour ses proches.

    J’ai lu Bleak House durant mes études universitaires au département de littérature anglaise. Il y a fort longtemps. Et pourtant, c’est immédiatement à la philanthropie télescopique de Mrs Jellyby que j’ai pensé en lisant les péripéties qui jalonnent la candidature genevoise aux JO d’hiver 2018. Repoussée d’ailleurs en 2022. Avant d’être vraisemblablement fixée en 2034 par la faute de la candidature d’Annecy. Puis remise aux calendes grecques et, pour finir, reléguée aux oubliettes. Nos politiciens, toujours prompts à faire une connerie et à la masquer par une autre, useraient-ils du concept de politique télescopique? Voudraient-ils ainsi diriger le regard du citoyen vers un lointain avenir pour éviter que ledit regard ne se fixât sur leurs incompétences présentes? Et se donner bonne conscience dans l’échec programmé de cette bouffonnerie en imputant le manque de soutien des gens de la rue, du parlement et de Swiss Olympic? Messieurs, soyez sérieux pour une fois! Ce n’est pas un télescope qu’il vous faut, ni même un microscope (on ne vous en demande pas tant), mais simplement une bonne paire de lunettes et une once de bon sens. Avant de penser la faisabilité d’un village olympique de 3500 places (sans empiéter bien entendu sur la zone agricole), concrétisez le développement urbain genevois. Avant de réfléchir aux infrastructures des transports pour un événement planétaire, achetez des trams (puisque vous avez choisi cette voie), améliorez l’offre désastreuse des TPG et repensez le projet CEVA qui, faute d’arrêts stratégiques entre La Praille et les Eaux-Vives, sert avant tout les intérêts des CFF sans empoigner le problème des pendulaires et du trafic genevois que trois flocons suffisent à paralyser d’est en ouest et du nord au sud. Avant de vous gargariser de l’expérience des grands événements acquise durant l’Euro 2008, réglez les conflits que vous avez générés à cette occasion. Bref, gérez les problèmes présents et cessez cette stupide diversion qui ne trompe personne une année avant les élections! Comme la philanthropie, une politique bien comprise est d’abord une politique de proximité. Dans le temps et dans l’espace.

  • Notre Dame du Fort-Barreau, de Jean-Michel Olivier

    Par Alain Bagnoud

    JMO-abe37.jpgDans Notre Dame du Fort-Barreau, Jean-Michel Olivier fait le portrait attachant d'une vieille dame qu'il a bien connue. Jeanne Stöckli-Besançon. Un personnage paradoxal.

    Propriétaire de deux immeubles situés au 29 et au 31 de la rue du Fort-Barreau, dans le quartier des Grottes, à Genève, mais ressemblant à une clocharde. Riche héritière mais fille de pasteur. Cultivant la discrétion, l'effacement, mais la langue bien pendue et proche de ses locataires, veillant sur eux, les protégeant. Aidant ceux qui sont dans le besoin mais ne voulant surtout pas que ça se sache.

    Jean-Michel Olivier a connu Jeanne à la fin des années septante. C'est à l'occasion de la visite d'un de ses appartements qu'il a rencontré cette « petite femme aux cheveux gris coiffés en arrière, un châle mité sur les épaules, les pieds chaussés d'espadrilles légères ». Il a été son locataire, qu'elle venait régulièrement voir, appuyant sur la sonnette du bout du pied pour faire également de ses visites un exercice de gymnastique digne de son excentricité.

    Un lien particulier s'est noué entre eux, dont l'écrivain ne comprendra réellement la nature et l'étendue qu'à la mort de Jeanne, en 96, après qu'elle aura fait don de ses immeubles à la ville de Genève à condition qu'ils soient réservés aux personnes en détresse: mères célibataires, artistes, étudiants, marginaux.

    Il découvrira alors, en pénétrant dans les pièces où Jeanne vivait, un amoncellement d'objets qu'elle chinait, ramenait chez elle, et qu'elle empilait dans des caisses ou des cageots. Ecrous, rivets, ampoules électriques, pyramides de vêtements, paperasses, journaux...

    Et sous le lit de Jeanne, une boîte en carton grande comme une valise qui contient tous les articles de journaux où l'on a parlé de Jean-Michel Olivier, annotés parfois, toutes les cartes postales et les mots qu'il lui expédiait, ainsi que tous les brouillons et les notes de ses textes qu'elle récupérait aux vieux papiers où il les jetait et qu'elle conservait avec dévotion.

    Comme si elle avait voulu ainsi nouer entre eux un lien d'écriture, un lien qui relie ce moment final et celui où l'auteur avait parlé d'elle dans son premier ouvrage, La Chambre noire, rédigé déjà dans cet immeuble de Fort-Barreau où il a écrit presque tous ses livres.

    Un immeuble que Jean-Michel Olivier a situé dans l'Histoire, s'attachant à expliquer sa genèse, le nom de la rue, l'évolution du quartier dans lequel il a été construit. De même, il inscrit le portrait de Jeanne dans la période pendant laquelle il a vécu à Fort-Barreau.

    On voit ainsi passer les années 70, 80, 90, rythmées par les écrits de l'auteur. Une restitution des faits marquants et des ambiances de ces diverses époques qui n'est pas le moindre charme du récit sensible de cette relation.

     

    Jean-Michel Olivier, Notre Dame du Fort-Barreau, L'Age d'Homme

    A écouter: l'émission Presque rien sur presque tout de dimanche prochain, dans laquelle Patrick Ferla reçoit Jean-Michel Olivier et Jean Romain. RSR1, 14 décembre entre 17 et 18 heures. Voir ici.

    (Publié aussi dans Le blog d'Alain Bagnoud.) 

  • Pètche et petchi

    par Pascal Rebetez

     

     

     

    Dans mon chez-moi d’enfance, du côté des mousses et des calcaires (et un peu des Germains !), on disait la pètche pour parler de la neige fondante, cette poix liquide qui mouille jusqu’à l’intérieur des chaussures. Plus largement en Suisse romande, le terme, tout en fondant un tantinet, en perd sa féminité et se transforme en petchi, qui ramasse en un coup de panosse un sens supplémentaire de désordre, d’anarchie, de foutoir.

     

    Pourquoi en ce jour où les élus, ainsi que des actions UBS, tombent comme des flocons pensé-je à l’incroyable polysémie des mots ? et au retour, à leur origine ? Je vais ainsi baguenauder, y compris sur internet ( http://henrysuter.ch/glossaires/patois ) pour y lire que l’argent va toujours à l’argent, ce que nos ancêtres disaient ainsi : « ça pleut toujours dans les grandes gouilles » et quand il fait vilain, que la crise telle un mauvais brouillard aveugle les consciences, on cherche à tout faire pour éviter les beugnes, on y va à la reculette, on a les flopettes, on pétouille, on devient des gnagnious, on se les caille, on cherche avant tout à se mettre à la chotte.

     

    Nos représentants, que nous méritons bien, ont le sens du climat. Qu’on soit pomme avec le bour leur importe peu pourvu qu’on ne les chope pas à chinder dans leur coin.

     

    Et, comme disait l’autre d’avant le 11 septembre, c’est ainsi qu’Allah est grand !