Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Politique télescopique

Par Pierre Béguin

 dickens[1].jpg

Dans un roman fleuve, l’écrivain anglais Charles Dickens développe, par le portrait de la truculente Mrs Jellyby, le concept de philanthropie télescopique (Bleak House, chapter 4, Telescopic philanthropy). Mrs Jellyby est une femme de caractère entièrement dévouée à toutes sortes d’intérêts publics pour autant que ceux-ci prennent naissance le plus loin possible de sa personne physique. Au moment du récit, c’est le continent africain qui remue sa fibre philanthropique, à tel point que «ses yeux ne distinguent rien de plus proche que l’Afrique» (jusqu’à ce qu’un autre problème d’intérêt public, si possible encore plus éloigné, l’attire davantage, précise ironiquement le narrateur). On l’a compris, la philanthropie télescopique, pour le narrateur, n’est qu’une manière de souligner le manque d’empathie de Mrs Jellyby qui néglige ses proches pour des causes aussi lointaines qu’abstraites et, pour Mrs Jellyby elle-même, qu’un moyen de donner bonne conscience à son égoïsme et à son désintérêt de l’humain dès qu’il se frotte concrètement à son quotidien au risque de le perturber. La règle ainsi posée par Dickens est simple: plus une personne exerce sa philanthropie dans la distance, plus elle ne fait que révéler son manque de philanthropie. L’amour pour son prochain, c’est d’abord, et surtout, l’amour pour ses proches.

J’ai lu Bleak House durant mes études universitaires au département de littérature anglaise. Il y a fort longtemps. Et pourtant, c’est immédiatement à la philanthropie télescopique de Mrs Jellyby que j’ai pensé en lisant les péripéties qui jalonnent la candidature genevoise aux JO d’hiver 2018. Repoussée d’ailleurs en 2022. Avant d’être vraisemblablement fixée en 2034 par la faute de la candidature d’Annecy. Puis remise aux calendes grecques et, pour finir, reléguée aux oubliettes. Nos politiciens, toujours prompts à faire une connerie et à la masquer par une autre, useraient-ils du concept de politique télescopique? Voudraient-ils ainsi diriger le regard du citoyen vers un lointain avenir pour éviter que ledit regard ne se fixât sur leurs incompétences présentes? Et se donner bonne conscience dans l’échec programmé de cette bouffonnerie en imputant le manque de soutien des gens de la rue, du parlement et de Swiss Olympic? Messieurs, soyez sérieux pour une fois! Ce n’est pas un télescope qu’il vous faut, ni même un microscope (on ne vous en demande pas tant), mais simplement une bonne paire de lunettes et une once de bon sens. Avant de penser la faisabilité d’un village olympique de 3500 places (sans empiéter bien entendu sur la zone agricole), concrétisez le développement urbain genevois. Avant de réfléchir aux infrastructures des transports pour un événement planétaire, achetez des trams (puisque vous avez choisi cette voie), améliorez l’offre désastreuse des TPG et repensez le projet CEVA qui, faute d’arrêts stratégiques entre La Praille et les Eaux-Vives, sert avant tout les intérêts des CFF sans empoigner le problème des pendulaires et du trafic genevois que trois flocons suffisent à paralyser d’est en ouest et du nord au sud. Avant de vous gargariser de l’expérience des grands événements acquise durant l’Euro 2008, réglez les conflits que vous avez générés à cette occasion. Bref, gérez les problèmes présents et cessez cette stupide diversion qui ne trompe personne une année avant les élections! Comme la philanthropie, une politique bien comprise est d’abord une politique de proximité. Dans le temps et dans l’espace.

Commentaires

  • Pourquoi, la "faute d'Annecy" ? Annecy est le chef-lieu d'un territoire qui a des pistes de ski. Elle a historiquement obtenu ce statut en intégrant dans ses murs les princes dont Genève ne voulait pas. D'ailleurs, rien n'empêchera les Genevois d'assister à des épreuves qui de toute façon devaient se dérouler ailleurs qu'à Genève même, pour l'essentiel. Genève s'est construite autour de sa bourgeoisie. C'est aussi un choix.

    Pour le CEVA, il semble plus dur à avaler que le TGV vers Paris, qui est pourtant bien plus loin qu'Annemasse. Mon impression est que l'image de Paris est meilleure, chez les Genevois, que celle de la Haute-Savoie. Cela rejoint un peu cette philanthropie théorique, s'exerçant plus avec des gens lointains et imaginés que des gens qu'on est amené à rencontrer souvent en réalité.

  • Excellent, mon cher Pierre, je savoure chacun de tes billets! Quel plaisir…

Les commentaires sont fermés.