Genève et les subprimes (11/01/2009)

Par Pierre Béguin

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Permettre à des gens qui n’ont pas les moyens d’acheter une maison de se l’offrir tout de même en leur avançant l’argent à un taux d’intérêt dérisoire, tout en spéculant sur l’automatisme des plus-values immobilières pour sécuriser ses investissements, ce n’est pas nouveau. A Genève, on l’avait déjà fait dans la seconde moitié des années 80 avec les résultats catastrophiques qui ont marqué le début des années 90 et la crise immobilière. Mais ce qui est très grave, en revanche, pour ne pas dire criminel, c’est de refaire la même chose actuellement sous le prétexte de sauver l’immobilier et, plus généralement, tout le secteur économique. Qu’on annonce comme une bonne nouvelle pour les futurs propriétaires la baisse des taux d’intérêts à des planchers jamais atteints (moins de 2% pour un taux fixe de 3 ans!) est d’une sottise sans nom. Très clairement, nous sommes en train de créer les conditions qui, immanquablement, aboutissent à une crise de l’immobilier et, donc, à une crise de l’économie toute entière. Ni plus ni moins, nous recréons la logique des subprimes à Genève alors que nous nous félicitions, à juste titre, d’avoir retenu la leçon des années 80 et su éviter ce marasme. Le problème n’est pas le taux hypothécaire, mais le prix de l’immobilier qui s’est mis à délirer ces deux ou trois dernières années. Pour suivre depuis longtemps, à titre personnel, les offres immobilières, notamment dans la commune de Plan-les-Ouates, je constate que, actuellement, un appartement se monnaye dans cette région à environ Frs 10.000 le m2, alors que ces coûts n’atteignaient pas Frs 4.000 à la fin des années 90. Rien ne justifie une telle augmentation en une dizaine d’années. Si ce n’est un délire spéculatif que les responsables s’évertuent à nier. Bien sûr, acheter un 5 pièces Frs 1.500.000 à un taux de 1.9%, en utilisant son 2e pilier pour financer les 20% de fonds propres exigés, c’est payer mensuellement Frs 1.900, c’est-à-dire moins que le prix d’une location pour un bien identique. De quoi tenter les naïfs. Mais lorsque les taux hypothécaires, inévitablement, reprendront leur courbe normale, disons autour de 4% (ce qui reste un taux très bas sur ces 50 dernières années), il vous en coûtera alors Frs 4.000 par mois, sans compter les charges de copropriété et le remboursement de la dette (qui, à eux deux, dépasseront les Frs 1.000 par mois). Comme le loyer ne devrait pas excéder le tiers des revenus, il faudrait gagner plus de Frs 15.000 par mois pour assumer un tel investissement. Faites le compte. Il va y avoir de la casse, c’est inévitable.

Alors baisser les taux pour protéger la clique immobilière genevoise en évitant une baisse logique des prix, et faire croire aux gens, comme je viens de l’entendre au Journal télévisé, qu’il n’a jamais été aussi intéressant d’être propriétaire, relève de la pure inconscience. Une inconscience criminelle: adieu, bien immobilier, 2e pilier, retraite! Bonjour l’assistance! Et ce n’est qu’un début. La Banque d’Angleterre vient de baisser ses taux directeurs à 1.5%, c’est-à-dire au niveau le plus bas depuis sa création en 1694. Et pour la plupart des analystes, ce n’est qu’une étape vers un taux à 0%. Si, officiellement, la mesure ne vise qu’à maintenir l’inflation autour de 2%, il s’agit bien en réalité d’une nouvelle tentative pour renforcer l’économie et accélérer la sortie de la récession. La Banque Centrale Européenne, dont les taux se situent à 2.5%, devrait suivre. Puis ce sera au tour de la Banque Nationale. Ces décisions ne sont pas la marque d’une sagesse mais d’un affolement. La sagesse, c’est d’affronter le problème quand il survient, l’affolement c’est de céder aux mécanismes de fuite pour le contourner. Or, une crise, qu’elle soit personnelle, psychologique et affective, ou collective, économique et immobilière, c’est toujours la conséquence d’un égarement et l’injonction d’un retour à l’essence. Entendez, à l’essentiel. Eviter d’affronter le problème par des mécanismes de fuite exprime une réaction certes humaine mais dangereuse: repousser un problème qu’il faudra de toute façon affronter un jour, c’est se donner l’assurance de l’alimenter, donc de rendre son retour aussi inéluctable que plus douloureux encore. La Fontaine le disait déjà en son temps: «On rencontre sa destinée souvent par des chemins qu’on prend pour l’éviter» (L’Horoscope). Au lieu de laisser des prix surfaits se recentrer d’eux-mêmes, quitte à subir quelques dégâts, on pousse le consommateur, respectivement le propriétaire, à un endettement inconsidéré. Avec des taux hypothécaires proches de 0%, qui ne se laissera pas tenter? Le résultat est aussi prévisible que ses effets seront catastrophiques. Personnellement, je connais des cyniques qui se frottent déjà les mains en se léchant les babines à la vision des bonnes affaires qui se préparent. Si vous êtes comme eux, attendez quelques années avant d’acheter. Et ne vous laissez surtout pas impressionner par les traditionnels arguments sur l’exiguïté du territoire genevois et son exception immobilière. Ces arguments sont du pur recyclage. Ils ont déjà servi tels quels dans les années 80.

Le plus curieux, c’est que ceux qui encouragent à l’endettement individuel sont les mêmes qui ont peint l’endettement des états comme le diable sur la muraille. Quand on ne remarque même plus les paradoxes les plus évidents, le danger est imminent…

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