Genève et les subprimes
Par Pierre Béguin
Permettre à des gens qui n’ont pas les moyens d’acheter une maison de se l’offrir tout de même en leur avançant l’argent à un taux d’intérêt dérisoire, tout en spéculant sur l’automatisme des plus-values immobilières pour sécuriser ses investissements, ce n’est pas nouveau. A Genève, on l’avait déjà fait dans la seconde moitié des années 80 avec les résultats catastrophiques qui ont marqué le début des années 90 et la crise immobilière. Mais ce qui est très grave, en revanche, pour ne pas dire criminel, c’est de refaire la même chose actuellement sous le prétexte de sauver l’immobilier et, plus généralement, tout le secteur économique. Qu’on annonce comme une bonne nouvelle pour les futurs propriétaires la baisse des taux d’intérêts à des planchers jamais atteints (moins de 2% pour un taux fixe de 3 ans!) est d’une sottise sans nom. Très clairement, nous sommes en train de créer les conditions qui, immanquablement, aboutissent à une crise de l’immobilier et, donc, à une crise de l’économie toute entière. Ni plus ni moins, nous recréons la logique des subprimes à Genève alors que nous nous félicitions, à juste titre, d’avoir retenu la leçon des années 80 et su éviter ce marasme. Le problème n’est pas le taux hypothécaire, mais le prix de l’immobilier qui s’est mis à délirer ces deux ou trois dernières années. Pour suivre depuis longtemps, à titre personnel, les offres immobilières, notamment dans la commune de Plan-les-Ouates, je constate que, actuellement, un appartement se monnaye dans cette région à environ Frs 10.000 le m2, alors que ces coûts n’atteignaient pas Frs 4.000 à la fin des années 90. Rien ne justifie une telle augmentation en une dizaine d’années. Si ce n’est un délire spéculatif que les responsables s’évertuent à nier. Bien sûr, acheter un 5 pièces Frs 1.500.000 à un taux de 1.9%, en utilisant son 2e pilier pour financer les 20% de fonds propres exigés, c’est payer mensuellement Frs 1.900, c’est-à-dire moins que le prix d’une location pour un bien identique. De quoi tenter les naïfs. Mais lorsque les taux hypothécaires, inévitablement, reprendront leur courbe normale, disons autour de 4% (ce qui reste un taux très bas sur ces 50 dernières années), il vous en coûtera alors Frs 4.000 par mois, sans compter les charges de copropriété et le remboursement de la dette (qui, à eux deux, dépasseront les Frs 1.000 par mois). Comme le loyer ne devrait pas excéder le tiers des revenus, il faudrait gagner plus de Frs 15.000 par mois pour assumer un tel investissement. Faites le compte. Il va y avoir de la casse, c’est inévitable.
Alors baisser les taux pour protéger la clique immobilière genevoise en évitant une baisse logique des prix, et faire croire aux gens, comme je viens de l’entendre au Journal télévisé, qu’il n’a jamais été aussi intéressant d’être propriétaire, relève de la pure inconscience. Une inconscience criminelle: adieu, bien immobilier, 2e pilier, retraite! Bonjour l’assistance! Et ce n’est qu’un début. La Banque d’Angleterre vient de baisser ses taux directeurs à 1.5%, c’est-à-dire au niveau le plus bas depuis sa création en 1694. Et pour la plupart des analystes, ce n’est qu’une étape vers un taux à 0%. Si, officiellement, la mesure ne vise qu’à maintenir l’inflation autour de 2%, il s’agit bien en réalité d’une nouvelle tentative pour renforcer l’économie et accélérer la sortie de la récession. La Banque Centrale Européenne, dont les taux se situent à 2.5%, devrait suivre. Puis ce sera au tour de la Banque Nationale. Ces décisions ne sont pas la marque d’une sagesse mais d’un affolement. La sagesse, c’est d’affronter le problème quand il survient, l’affolement c’est de céder aux mécanismes de fuite pour le contourner. Or, une crise, qu’elle soit personnelle, psychologique et affective, ou collective, économique et immobilière, c’est toujours la conséquence d’un égarement et l’injonction d’un retour à l’essence. Entendez, à l’essentiel. Eviter d’affronter le problème par des mécanismes de fuite exprime une réaction certes humaine mais dangereuse: repousser un problème qu’il faudra de toute façon affronter un jour, c’est se donner l’assurance de l’alimenter, donc de rendre son retour aussi inéluctable que plus douloureux encore. La Fontaine le disait déjà en son temps: «On rencontre sa destinée souvent par des chemins qu’on prend pour l’éviter» (L’Horoscope). Au lieu de laisser des prix surfaits se recentrer d’eux-mêmes, quitte à subir quelques dégâts, on pousse le consommateur, respectivement le propriétaire, à un endettement inconsidéré. Avec des taux hypothécaires proches de 0%, qui ne se laissera pas tenter? Le résultat est aussi prévisible que ses effets seront catastrophiques. Personnellement, je connais des cyniques qui se frottent déjà les mains en se léchant les babines à la vision des bonnes affaires qui se préparent. Si vous êtes comme eux, attendez quelques années avant d’acheter. Et ne vous laissez surtout pas impressionner par les traditionnels arguments sur l’exiguïté du territoire genevois et son exception immobilière. Ces arguments sont du pur recyclage. Ils ont déjà servi tels quels dans les années 80.
Le plus curieux, c’est que ceux qui encouragent à l’endettement individuel sont les mêmes qui ont peint l’endettement des états comme le diable sur la muraille. Quand on ne remarque même plus les paradoxes les plus évidents, le danger est imminent…
Commentaires
Eh oui, la cupidité des gens est sans limite. Tant pis pour la casse, du moment que "eux" s'enrichissent au passage. Nous vivons dans un monde très... moral.
Il faur rappeller que les taux baissant, il faut demander une baisse de loyer à votre bailleur. Cela est encore le cas avant l'entrée de la révision du droit du bail dans 1 à 2 ans.
Renseignez-vous auprès de l'Asloca ou de tout conseiller juridique.
Excellente analyse. Vous décortiquez admirablement bien le mécanisme qui fait que les classes moyennes vont encore une fois tomber dans le piège, renflouer la finance et enrichir les spéculateurs. Le système est bien rôdé. Les riches accumulent l'argent, le perdent un peu quand ils font des conneries et le récupèrent ensuite grâce à des combines comme celle que vous détaillez, les pauvres sont mis sous perfusion pour qu'ils aient quelque chose à perdre et qu'ils restent tranquille, et la classe moyenne est saignée pour financer tout ça malgré elle. Joli système!
Vous démontrez parfaitement la perversité du système. Aux spéculateurs qui se frottent les mains, il faut ajouter l'Etat qui se lèche déjà les babines. Selon le PIC VERT* ,l'administration fiscale prépare un projet de loi pour augmenter la valeur fiscale d'une villa (par ex. actuellement CHF 600.000, demain CHF 1.500.000) pour ensuite prélever une valeur locative abusive.
A titre personnel, j'ajoute que cette plus-value virtuelle relève plutôt de l'escroquerie que d'autre chose. En effet, la propriété du logement est une partie essentielle de la prévoyance. A terme, la valeur locative, qui incorpore un gain fictif au revenu, rendra la maison ou l'appartement que nous habitons financièremnt insupportable. Il appert que la classe moyenne est appelée à disparaître.
*Le PIC VERT est le Magazine de l'Association des propriétaires de villas du Canton de Genève au service de la protection de la qualité de vie et de l'environnement.
Suar ci-dessus, fait une petite erreur ou confusion et comme il se réfère à Pic-Vert, Le Pic-Vert lui répond et aux lecteurs par la même occasion :
L'augmentation de la valeur fiscale d'un immeuble n'a aucune incidence sur la valeur locative qui est déterminée par une loi propre et les statistiques de l'OCSTAT, sur le prix des loyers à Genève au m2, variant avec la taille des logements. L'augmentation de la valeur fiscale n'aura une incidence qu'exclusivement sur la fortune imposable ainsi que sur la taxe immobilière complémentaire. Sur la première, le taux progressif en fonction de la fortune totale du contribuable risque d'augmenter de façon significative puisque souvent la villa représente une part considérable de la fortune personnelle, son fond de prévoyance en quelque sorte, ou un complément de celui-là, en particulier si, à un certain âge, l'hypothèque est largement sinon totalement amortie.
Par ailleurs, la réflexion de M. Beguin est tout à fait pertinente. Les fonds propres doivent être au moins de 30 % de la valeur d'acquisition sinon de construction. Plus le prix du marché est élevé, plus la partie des fonds propres est importante. Ceux qui comptaient sur la permanence de leur poste de travail, voire des deux revenus, vont se confronter tôt ou tard aux charges d'amortissement et d'intérêts qui dépasseront la capacité de leurs liquidités. Les exemples fournis par M. Beguin sont également très pertinents. Nous ne sommes pas à des lieux des subprimes. Les banquiers ne considéraient pas jusqu'à maintenant qu'il y avait "bulle spéculative immobilière à Genève" et sont repartis, comme dans les années 90 pour des prêts à hauts risques. A quand la débâcle qui a vu l'UBS prendre en une fois 5 milliards (peanuts aujourd'hui) d'amortissements de dettes irrécupérables sur les hypothèques.
Comme nul n'est prophète en son pays, j'ose espérer que "la crise" des subprimes genevoise sera de faible ampleur !
Oops, désolé Suar, ce n'est pas vous qui avez fait la petite erreur, mais M. Peter König, avec qui j'ai déjà correspondu pour corriger une erreur qui est commune parmi les propriétaires.
La confusion entre la valeur locative et la valeur fiscale des immeubles.
Je profite de ce commentaire pour compléter l'information de Pic-Vert ci-dessus par l'indication des taux d'impôt sur la fortune.
Chacun pourra ainsi faire un calcul de comparaison entre la valeur fiscale de sa villa aujourd'hui telle qu'elle s'ajoute aux autres éléments de la fortune, estimer celle qui pourrait s'ajouter si une formule proche de la valeur vénale venait à être choisie comme "élément de la fortune". A l'aide de ces taux qui sont progressifs, la différence d'impôt sera facile à calculer :
Taux d’impôts sur la fortune : 1'000'000 = 0,27%, 1'500'000 = 0,27%, 2'000'000 = 0,36%, 3'000'000 = 0,57%, 4'000'000 = 0,67%, 5'000'000 = 0,74%, taux maximum au-delà 0,80%
La taxe immobilière complémentaire est pratiquement de 1 pour mille de la valeur fiscale de l'immeuble et du terrain.
Pic-Vert travaille avec la CGi et l'AGEDEC à déterminer un mode de calcul imposé par la nouvelle loi qui ne provoquera pas une injustice tombant sur des "contribuables captifs" et une crise de liquidité pour ceux qui ont fait de la construction de leur villa ou de leur PPE un élément important de leur prévoyance n'ayant pas de deuxième pilier digne de ce nom.