Les cycles
Par Tomoto
La tante d’une amie et sa soeur ne quittaient pas leur sac Longchamp. Elles étaient fières de parader dans les rues de Lausanne, de Londres ou de Téhéran avec, pendu au bras, le fameux sac en toile qu’on peut plier pour le rendre plus petit et le transporter plus facilement. Les tantes de cette amie naviguaient dans un monde qu’on pourrait dire bourgeois. En tous les cas, le rêve de ces filles de paysans était d’en faire partie. La maroquinerie de luxe représentait par conséquent l’objet du désir. Elles mettaient tout en oeuvre pour obtenir l’objet qui leur conférerait le statut tant convoité. Ce qu’on peut comprendre, s’agissant de femmes ayant appris à laver le linge au lavoir, à traire les vaches et à confectionner le boudin.
Ma fille fréquente un cycle de quartier sensible. Elle étudie le latin dans une classe composée presque exclusivement d’adolescentes. Depuis quelques semaines, elle rentrait au domicile la mine renfrognée, répondait agressivement à mes questions. Elle préparait avec moins d’ardeur ses auditions au Conservatoire Populaire. Il a fallu “parler” avec elle, comme disent si bien les parents bobos. Je les ai entendues, elle et sa mère, conférer à voix basse au salon ou dans la cuisine. Je me suis demandé quel pouvait être le sujet de ces longs échanges.
Quand je vis, un jour, ma fille arriver, le fameux Longchamp au bras, je compris pourquoi elle avait retrouvé le sourire. Toutes mes copines en ont un, dit-elle. Oui, pensai-je, toutes les copines du cycle de quartier sensible possèdent un sac esthétiquement correct pour y glisser leurs classeurs d’anglais, de gym et de cuisine.
L’Histoire se reproduit-elle en se singeant elle-même, comme disait Marx? Dans l’univers de la compétition mondialisée, il n’est pas seulement nécessaire d’innover. On peut également recycler.
était francophobe. C’est d’ailleurs aussi parce qu’il était francophobe qu’il a poussé la provocation jusqu’à préférer Genève à Paris. Et à s’y faire enterrer.

Par Alain Bagnoud

ristiques étonnantes, les rives du lac Léman sont un haut lieu historique des rapports tendus entre le pouvoir politique et les écrivains. Quelques dizaines d’années et quelques dizaines de kilomètres séparent le patriarche de Ferney de la matriarche de Coppet. Tous deux exilés, tous deux frénétiquement actifs, tous deux diablement efficaces, tous deux «aubergistes de l’Europe», Voltaire et Germaine de Staël ont fait trembler le pouvoir parisien du bout de leur plume, narguant par les mots l’Ancien régime et l’Empire. Voltaire trouve un renouveau de vie, une seconde jeunesse, dans sa joie à combattre, avec une incroyable fureur ce qu’il nomme l’infâme – la superstition et le fanatisme. Bien sûr, le vieux patriarche n’a rien du redresseur de torts, l’impératif moral reste chez lui secondaire. Son engagement est en réalité toujours dirigé contre l’adversaire obsédant sur lequel il multiplie les coups. En ce sens, il choisit soigneusement ses combats. Que ce soit, par exemple, dans l’affaire Calas ou celle du chevalier de la Barre, il saisit l’occasion où la cause de la justice se conjugue étroitement avec sa haine de l’Eglise. Il n’en reste pas moins que la capitale du monde intellectuel devait pour un temps coïncider avec la région où vivait l’être le plus prompt à réagir et le plus habile dans l’escrime du langage. Quant à Mme de Staël, qui polarisait à Coppet les espoirs déçus des royalistes et des républicains, son activisme fit dire à Napoléon: «Sa demeure à Coppet était devenue un véritable arsenal contre moi; on venait s’y faire armer chevalier.» Tous les Genevois devraient faire le pèlerinage dans ses deux châteaux dont l’intérêt est aussi immense que fut leur rayonnement vers la fin du 18e et le début du 19e siècle.