Saga Le Corbusier (16/12/2009)
Par Tomoto
En 2006, Echenoz nous donnait un étonnant livre intitulé Ravel. Avec une écriture un peu maniérée, élégante, épurée, l’auteur mettait en scène un compositeur dont la petite taille, les complets, les pyjamas et les eaux de toilette le fascinaient. J’avais trouvé très beau ce petit livre tout en me demandant à quel genre il appartenait. Echenoz avait retenu quelques éléments de la bio de Ravel et il en faisait un objet littéraire singulier.
Le livre de Nicolas Verdan qui vient de sortir chez Campiche m’y fait penser. Cette fois, c’est un architecte qui fascine l’auteur: Charles-Edouard Jeanneret, dit Le Corbusier. On le voit entrer dans la mer dont on retirera son corps sans vie et, dans une adresse que je trouve réussie, le narrateur parle à l’oreille du célèbre artiste, évoquant les heures significatives de son existence: voyages aux Indes, en Algérie, aux États-Unis, au Liban, au Brésil, pays où il allait mettre en oeuvre ses projets.
“Taillant votre crayon, vous cherchez le bon angle... Vous mesurez, vous calculez, vous trépignez d’impatience, les lunettes embuées par la sueur du front”. On voit les premières automobiles dans les rues d’Athènes. Puis on voit les officiers nazis dans les rues de Paris. Verdan nous montre alors un Corbu stratège mû par une seule considération, celle de son intérêt bien compris, un as de la combinazione libéré des préjugés et de la morale boutiquière, qui traverse les années noires avec habileté, n'oubliant jamais l’objectif à atteindre mais ne voulant pas voir ce qui se passe à Drancy en mars 1943, sachant se rapprocher des “résistants” au moment opportun.
Nicolas Verdan nous montre surtout un créateur habité par son “démon”, allant chercher auprès des négresses, des danseuses et des putains cette inspiration dont il aura besoin pour concevoir et réaliser ses projets les plus audacieux. En effet, le descendant des Cathares dévore la vie avec une énergie et une sensualité qui laissent songeur. Ce sont alors parmi les plus belles pages du livre: odeurs de citron, de iode et d’anis. L’origan, la tomate et le poivron. Le chant des cigales. Le poisson grillé que le lecteur de Don Quichotte et de Zarathoustra partage avec les amis du Cap-Martin.
Dans son “Ravel”, Echenoz nous présentait, avec une maîtrise incroyable et dans une langue inimitable, un papillon qu’on voudrait fixer dans une boîte. Il esquissait le profil d’un génie insaisissable. Verdan nous fait plutôt entrer dans un nid de flammes, dans un bouillonnant chaudron de rêves, de fantasmes, de pulsions, de désirs et d’ambitions qui justifient, à mon avis, ce titre magnifique: Saga Le Corbusier.
Nicolas Verdan: Saga Le Corbusier, Edition Campiche, 2009
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