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  • Pierre Michon, Les Onze

     

    Par Alain Bagnoud

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    Pierre Michon est le plus grand écrivain français vivant.

    A ma connaissance. Car il y en a bien sûr qu'on n'a pas lus, et ils sont nombreux. D'autres qui ne sont peut-être pas publiés, pas encore, qui surgiront plus tard..

    Puis il y a tous ces auteurs que je connais et qui vont se vexer. Michon le plus grand? Et moi? Décidément, je prends bien des risques. Il s'agit de corriger le tir:

    Pierre Michon est l'un des plus grands écrivains français vivants. Comme ça, je suis tranquille.

    Bon, Les Onze, donc, Grand Prix du Roman de l'Académie française. Il n'est que temps, quand on pense qu'Amélie Nothomb l'a eu.

    Les Onze parle d'un tableau parfaitement fictif, qui représenterait les onze membres du Grand Comité du Salut public, et qui aurait été exécuté par un peintre lui aussi parfaitement fictif, Corentin. Ce tableau deviendrait, serait devenu le plus célèbre du monde, et les visiteurs du Louvre passent sans la voir (dans le livre) devant la Joconde pour atteindre la salle où il trône. Ça s'explique: la peinture d'histoire est en effet plus haute dans la hiérarchie des arts que le portrait.

    Aucune référence ne manque à Michon pour inscrire le tableau inventé dans l'histoire des arts et l'Histoire tout court. Des portraits de Corentin dans des tableaux de Tiepolo et de David (un page, un spectateur témoin du Serment duj eu de paume). Douze pages de Michelet dans le chapitre III du seizième livre de L'Histoire de la Révolution française (qui n'existent évidemment pas. Si vous voulez vérifier...)

    Et ça fonctionne. On se laisse prendre au jeu avec délices. Finalement, on voit le tableau comme s'il avait existé, après avoir été renseigné sur la généalogie de Corentin, et avoir assisté à la commande de l'œuvre en nivôse, vers le 5 janvier 1794, dans l'église Saint-Nicolas-des-Champs qui abrite la section des Gravilliers.

    Porté par une érudition sans faille, Michon, interroge l'art et l'Histoire, dans ce moment charnière où le monde bascule. On connaît son envie de viser au sublime. Le sublime, c'est le tableau Les Onze. Ça pourrait être le livre Les Onze.

    Tout s'y emboîte admirablement, dans une langue superbe. Tout est parfait en tout cas pour tout ce qui concerne la culture et les références.

    Car en ce qui concerne le vraisemblable, il y a, m'a-t-il semblé, quelque chose d'un peu artificiel dans la construction du personnage de Corentin. La première partie du livre, donc. Grand-père ingénieur sous Colbert, père écrivain des Lumières, lui-même incarnant le passage entre les deux ères, entre la tradition rococo typique du XVIIIème qu'il a apprise chez Tiepolo et le néo-classicisme de David qu'il adopte à la fin de sa vie, entre la royauté et la révolution... C'est presque un peu trop, comment dire... typé.

     

    Pierre Michon, Les Onze, Verdier
    Publié aussi dans Le blog d'Alain Bagnoud

  • Éloge de l'ennui

     

    Par ANTONIN MOERI

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    “Les gens qui écrivent”, cette formule devait exercer un pouvoir de l’ordre de la fascination sur l’adolescent que je fus. Si je songe aux “écrivains” qui m’ont littéralement envoûté, ce sont les noms d’Artaud, Céline, Genet, Beckett, Walser, Thomas Bernhard, Brecht, Poe, Rimbaud, Lautréamont, Conrad, Melville qui me viennent à l’esprit.
    Lorsque je mangeais avec Georges Haldas au Domingo, ses bretelles me plaisaient, sa voix, son costume noir, son rire et, surtout, ses gestes. Les bras filaient dans tous les sens. L’écrivain vitupérait contre la bêtise crasse, la médiocrité universelle et l’hypocrisie du petit-bourgeois. Il me tenait en haleine en évoquant le journal de Pavese, tel poème de Cavafy, de Giauque ou de Saba, le séjour de Hölderlin dans sa tour et le suicide de Kleist, en me faisant connaître “L’Institut Benjamenta” que Marthe Robert avait traduit en français.
    Et quand nous marchions dans le Parc des Bastions ou le long de l’Arve, l’écrivain d’origine grecque m’encourageait à poursuivre mon effort jusqu’au bac. “Vous ferez ensuite ce que vous voudrez, Tomoto”. Il accordait de longues heures à l’ado perplexe qui disait s’ennuyer sur les bancs du lycée. Songeant à cet ennui qui m’allait si bien, je me demande si cette impression de vide, cette lassitude ne forment pas le terrain permettant à une conscience de s’éveiller.
    C’est une question rhétorique car je suis persuadé que l’ennui est incontournable dans la construction du château de sable. Or ce sentiment est très mal vu en ces temps de bonheur obligatoire. Serait-ce un privilège de classe, comme Chesterton le disait du désespoir?

  • Commentaire de commentaires

    Par Pierre Béguin

     

    Une fois n’est pas coutume, qu’on me permette de revenir sur ma dernière note concernant CEVA. Je remercie tous ceux qui ont pris le temps de déposer force commentaires. Certes, un certain nombre confirme ce que je savais déjà depuis plus de deux ans que «blogres» existe: un blog n’est pas un lieu d’échanges mais de confrontations (et parfois même d’insultes), ni un lieu d’argumentation mais de croyance ou de slogans, ni un lieu de lecture attentive mais un lieu d’interprétation furieuse (et parfois aveugle). Il est vrai que l’anonymat (que par ailleurs je suis tout prêt à soutenir tant qu’il ne verse pas dans l’insulte) permet le relâchement. Et à certains de se faire passer pour des spécialistes. Ainsi, justifier complètement le tracé prévu par des impératifs techniques a quelque chose de proprement hallucinant. Cela revient à dire que nos ancêtres, au début du 20e siècle, auraient prévu en surface le seul tracé possible du Bachet aux Eaux-Vives que la géologie genevoise permettrait de construire en tunnel une centaine d’années plus tard. Plus qu’une coïncidence, un miracle! Tout le monde sait que la raison est politique (comme le dit fort justement Quai 13 dans son commentaire) et non technique.

     

    Ce qu’il y a d’irritant avec CEVA c’est qu’il suffirait de quelques modifications (ou de quelques degrés pour les spécialistes des questions techniques) pour que le projet devienne bon, alors qu’il est, en l’état, franchement insatisfaisant. Les thuriféraires auront-ils la mémoire suffisante pour s’en souvenir dans une décennie? Contrairement aux thuriféraires du stade de la Praille qu’on n’entend plus lorsqu’il faut trouver une solution pressante. Et ma comparaison s’arrête là.

     

    Mais ce qui est encore plus irritant avec CEVA, c’est qu’il s’inscrit dans la méthode de nos politiciens qui veulent passer en force, sans concertation, des projets qui concernent l’avenir du canton. Alors qu’il faut à l’inverse ouvrir la concertation et s’assurer de l’adhésion des citoyens. Comme ce fut le cas à Lausanne pour le métro. CEVA est emblématique de cette épreuve de force quasi systématique de la part de nos autorités et de la mauvaise foi crasse qui l’accompagne. Il y a à peine une année, la plupart des Genevois ne savait même pas ce qu’était CEVA. Et si on vote dans quelques jours, ce n’est pas par souci de consultation…

     

    Irritant aussi est cette volonté de manipuler les votes. Ainsi, par exemple, pour justifiée qu’elle puisse être (on attendra encore longtemps la voie Cottier), la fermeture des différents accès à Troinex par la route de la Chapelle ou la route de Drize quelques semaines avant les votations ne doit rien au hasard. On me fera d’autant moins croire le contraire que ce type de manipulation est assez fréquent. Qu’on se souvienne, avant les votations sur la traversée de la Rade dans les années 90, comment travaux et modification des feux avaient provoqué des embouteillages monstres à la rue de Lausanne (qui n’en avait déjà pas besoin) et ailleurs. Le fait avait été alors clairement et ouvertement dénoncé, ce qui avait peut-être pesé sur le verdict des urnes. Rien n’a changé, et Genève reste désespérément Genève…

     

    PS. Les remarques concernant la police de caractère de mes notes sont tout à fait fondées. Pour tout dire, cette police s’est imposée d'elle-même au moment où La Tribune a changé le moteur et l’interface de son blog. Et mes tentatives pour revenir à ma propre police se sont révélées vaines. Aussi ai-je renoncé – un peu trop rapidement, j’en conviens, car peu intéressé, et très vite énervé, par ce genre de problèmes. De toute évidence, à le lire, mon compère Pascal Rebetez se trouve dans la même situation. Si quelque blogueur de La Tribune pouvait m’indiquer précisément comment procéder pour changer cet état de fait, je lui en serais reconnaissant. Je précise tout de même (en réponse à certains commentaires) que la solution du copier/coller dans Word, qui fut bien évidemment ma première tentative, ne fonctionne pas.

  • Dits du Gisant, de Jacques Perrin

    Par Alain Bagnoud

    41pJ2obJA3L._SL500_SL120_.jpgDits du gisant raconte la chute de Jasper, alpiniste de l'extrême, et sa longue immobilité. Il s'agit d'une sorte de journal intérieur, écrit alternativement à la première et à la troisième personne du singulier.
    Deux coquilles enserrent cette noix. Au-dessous, le quotidien de l'hôpital, la douleur, les interventions, les greffes, les rechutes et les améliorations, tout ça dit sans pathos, sobrement. Au-dessus, les souvenirs, les évocations, les visites, les réflexions philosophiques qui permettent au gisant de tenir, le raccrochent à l'existence et lui donnent ainsi la force d'aller mieux.
    Le livre, souvent sensible, écrit dans une langue poétique et sobre, fait ainsi l'inventaire de ce qui donne un sens à la vie: les rencontres, l'amitié, la culture, le monde du goût. La longue traversée de la douleur et de la renaissance y est une démarche mentale autant que physique. Le texte, cohérent, offre la découverte d'une écriture travaillée, qui tente de saisir l'indicible d'une expérience des limites et propose un trajet spirituel. Notre ami Jean-Michel Olivier a dit, bien mieux que je le pourrais, tout le bien qu'il fallait en penser. C'est ici.
    Il y a pourtant un bémol, ai-je trouvé, non au projet de Jacques Perrin, tout à fait intéressant, mais à sa réalisation. Et cette limite, j'ai commencé à la sentir entre la page 67 et la page 70 de son livre.
    En ces quatre pages, septs vins sont cités: Château-Chalon 1947, Château Margaux 1900, Chateau d'Yquem 1869, Roussane Vieilles Vignes 1995 de Beaucastel, Schoenenburg 2002 de Jean-Michel Deiss, « enfin l'Evangile 1985 et1982, en majesté, dans sa gloire épanouie, le seul Pommerol qui synthétise l'opulence du Pétrus et la légendaire finesse du Cheval Blanc... »
    Et je m'interroge. En quoi est-ce que ça m'intéresse que Jasper, le narrateur, ait bu de si grands crus? NotezJacques Perrin que j'en suis ravi pour lui, mais s'il ne me les fait pas partager, je ne vois aucun intérêt à ce name dropping. Dans ces mêmes 4 pages, Jasper parle aussi d'un « contre-ténor à Venise chantant Ombra mai fu à minuit, un soir brumeux de janvier » ou des heures passées près de Balthus à la Rossinière, il aligne Glenn Gould, René Char, La Callas, Nicolas de Staël, Buffon, Desnos, Martin Heidegger, un « fumet de truffes en gelée à la façon de l'Amphyclès », une « Marinade d'ananas aux truffes »...
    Impressions poétiques, certes, que Jasper a vécues, qu'il se remémore pour lutter contre la douleur. Mais j'avoue que pour le lecteur simplet que je suis, tout ça sonne comme un déballage culturel, qui incite à admirer le monde d'art, de goût et de poésie dans lequel le personnage vit. Celui-ci condescend à l'évoquer en passant, sans insister, avec cette élégance référentielle et élitaire de ceux qui veulent donner envie, mais sans faire partager.
    Chaque citation ou allusion culturelle, celles que je fais autant que celles des autres, a bien entendu deux buts, dont un très louable: se faire valoir en montrant l'étendue de son savoir, et donner envie aux autres de goûter à ces trésors culturels qui nous ont beaucoup apporté en plaisir et en sens. Mais ici, la balance m'a parfois semblé un peu déséquilibrée.
    Non que je veuille des textes pédagogiques et populistes. Mais l'étalage, quand il se fait un peu insistant, a le don de me hérisser. C'est une sensibilité personnelle. Le texte de Perrin a tendance par instants à se clore sur lui-même et j'ai dû alors me forcer pour le continuer, dans ces moments qui convoquent intimement les grands crus, Nietsche, Rilke ou Rimbaud. Jasper prend en effet celui-ci comme modèle ou double.
    Tous deux ont vécu leur saison en enfer, Jasper qui réapprend à marcher se compare à Arthur amputé, la différence étant que Jasper renaît à la fin, et que Rimbaud sans sa jambe meurt.

    Jacques Perrin, Dits du Gisant, Editions de L'Aire

  • CEVA en rade

    Par Pierre Béguin

     

    Je m’interroge. Maintenant que sont avérées les pertes endémiques de l’exploitation du Stade de la Praille, maintenant que des voix s’élèvent sérieusement pour demander la destruction d’un ouvrage de 130 millions dont l’utilité est fortement remise en cause, maintenant que plus personne ne veut assumer les deux millions de perte annuelle d’exploitation, le silence éternel des espaces politiques m’effraie. Alors que, pour réclamer sa réalisation, les élus vociféraient de toute part, remplissant le canton de leurs coutumières jérémiades sur la difficulté de réaliser des grands projets à Genève, fustigeant la frilosité ambiante et la mesquinerie de certains ressortissants grincheux trop repliés sur leurs intérêts, brandissant les pires menaces quant à l’avenir de la ville sur la scène européenne et celui du Servette FC sur la scène internationale, et s’en prenant sans vergogne aux rares personnes (Christian Grobet en tête) qui osaient s’opposer à un projet de toute évidence mal ficelé, aux coûts non maîtrisés (plus du double en finalité!), aux conditions de rentabilités impossibles à remplir mais, bien évidemment, comme nos politiques en ont pris l’habitude, soigneusement cachées au c… de votant. Où sont ces forts en gueule? Que sont leurs thuriféraires devenus? Pourquoi ce silence? Où sont passés ces chantres de la turlute immobilière? Ces Nostradamus de l’économie genevoise? Ces fanatiques de la misère de l’homme sans eux? Ces grands maîtres de la menace et du catastrophisme? Où se terrent ces pleutres? Où vocifèrent-ils maintenant? Ah! là je sais. Suffit d’écouter. Ecoutez… Voilà! Vous les entendez? Vous entendez ces mêmes vociférations, ces mêmes menaces, ces mêmes mensonges, ces mêmes prédictions, ces mêmes critiques sur les mêmes cibles avec les mêmes raisons. Tous unis derrière CEVA! Car si CEVA ne se réalise pas, la menace est claire: plus rien ne se réalisera à Genève, pas même la nouvelle Comédie, comme le prétend sans vergogne un élu socialiste. Pourquoi tant de mensonges? Un peu de sérieux Messieurs! Car ce n’est pas CEVA qui est en cause, ni même, en ce qui me concerne du moins, son coût, à condition toutefois qu’on cesse de mentir à ce propos (chacun sait, à commencer par les défenseurs du projet, que nous dépasserons les deux milliards). C’est son tracé qui pose problème, de loin le plus mauvais qu’on puisse imaginer. Et là, les mensonges et les aberrations pullulent. Prétendre que l’aide de Berne est essentiellement conditionnée par le tracé relève du mensonge éhonté. Rappelons que le projet de liaison Cornavin Eaux-Vives date de plus d’un siècle, qu’au moment où ces discussions prirent un tour sérieux, la Gare qui avait brûlé, devait être reconstruite sur un site encore non déterminé (les Cropettes? Cornavin?) et que l’aide de Genève était requise par la Confédération sur le motif que cette liaison lui était bénéfique. Qui peut prétendre qu’après un siècle la topographie et les nécessités cantonales n’ont pas évolué au point d’adapter le tracé aux conditions actuelles? J’ai bien dit «l’aide de Genève» et non les subventions de Berne. Car c’est là un deuxième mensonge. CEVA n’est pas un projet pour Genève subventionné par Berne, c’est un projet des CFF, appuyé par la Confédération, dont Genève entend profiter au même titre que le Valais profitera du Loetschberg. Et, que je sache, il n’a été demandé au Valais, champion des subventions bernoises, aucune participation. Acceptons cette participation mais exigeons que le projet réponde aussi aux intérêts de Genève et non à ceux des CFF. Si au moins on avait déplacé ce tracé de quelques centaines de mètres pour le faire passer près de l’hôpital et du bâtiment universitaire adjacent (au lieu de ce long couloir de plus de 500 mètres rajouté à grands frais depuis la future gare de Champel, preuve d’ailleurs de l’inanité du tracé actuel), je pourrais encore le soutenir. Et si on y ajoutait un arrêt à la Fontenette et un autre à Rive, j’applaudirais. Car alors CEVA deviendrait vraiment un début de solution pour les engorgements genevois, même s’il s’apparenterait alors davantage à un métro de ceinture, seule solution vraiment efficace. Mais le tracé actuel ne résoudra pratiquement rien. Car c’est là un troisième mensonge, ou une première grosse sottise: on ne peut pas prétendre résoudre un problème de trafic local par une solution qui porte sur le trafic de transit. C’est exactement ce qui s’est passé avec le contournement de Plan-les-Ouates où l’autoroute devait épargner la construction d’une route d’évitement. Résultat? Le centre du village est toujours aussi engorgé, preuve de l’insuffisance de la solution adoptée. Maintenant, l’évitement n’est plus réalisable et l’on parle d’un embranchement autoroutier au sud du village… A cours d’arguments dans une de nos discussions, un politicien a fini par reconnaître que CEVA n’était pas fait pour les Genevois: «Les Genevois ont le tram» a-t-il affirmé. D’accord, mais qu’on le dise clairement. Et qu’on procède logiquement: soit CEVA ne profite pas vraiment aux Genevois et l’on serait en droit de reconsidérer notre participation, soit on l’adapte aux nécessités cantonales. Dans le premier cas, faire assumer par les citoyens un déficit annuel d’exploitation prévu à 32 millions (et qui se révélera bien entendu supérieur à ce montant) relève de la pure escroquerie. A plus forte raison pour un train qui n’est pas fait pour eux. Il n’y a donc aucune raison que les CFF, principaux bénéficiaires du projet, ne l’assument pas. Au demeurant, on est en droit de se demander comment un projet aussi vital pour Genève peut engendrer un tel déficit d’exploitation. Aurait-on déjà prévu des wagons aussi vides que les gradins du Stade de la Praille? Tant il est vrai que les navettes de bus mises à disposition des frontaliers à Veyrier n’ont pas tenu 6 mois, faute d’occupants…

    Au reste, il est surprenant de constater que les certitudes affichées publiquement par certains élus, essentiellement de droite, sur le CEVA se teintent de doute en aparté. De toute évidence, il y a association d’intérêts interpartis: la droite soutient CEVA en contre partie de quoi la gauche s’engage à soutenir la traversée de la Rade, seule véritable jouet de l’entente qui n’a toujours pas digéré l’échec du projet en votation dans les années 90. Pourquoi ne conjugueraient-ils pas leurs efforts pour une fois? Moi, pour tout vous dire, je verrai bien la liaison Cornavin Eaux-Vives Annemasse par une traversée de la Rade. Si la solution du barreau sud aurait, entre autres mérites, celui d’aller chercher les usagers là où ils arrivent vraiment (à Bardonnex) pour les emmener là où ils se rendront en plus grand nombre dans le futur (aux Acacias) – et cela sans prétériter ceux d’Annemasse –, il me semble que, quitte à relier deux points, autant que ce soit par la ligne la plus courte. Elle permettrait enfin une traversée rapide de la ville plutôt que d’opter à chaque fois pour de longs contournements. Songez qu’on se rend plus rapidement à pied de Rive à la Gare, le tram, pourtant nettement plus coûteux, préférant musarder comme à son habitude du côté de la Coulouvrenière. Et Cornavin, par cette liaison directe 90 ans après sa reconstruction, serait enfin une Gare… Mais ne rêvons pas! Le jour où Genève choisira les bonnes solutions, elle s’appellera Lausanne. A propos, il paraît que leur métro fait rames pleines à la satisfaction de tout le monde, qu’ils vont même l’agrandir et qu’ils projettent la construction d’un nouveau stade de… 10000 places. Y a pas à dire, sont moins cons que nous, les Vaudois!

  • C'est celui qui dit qui y est!

    Par Pierre Béguin

     

    Ainsi donc Charles Beer aurait piqué une grosse colère? Il paraît qu’il aurait accusé les militants d’avoir précipité la chute du parti socialiste aux dernières élections…

    Une colère bien inutile tant il est vrai qu’il n’y a vraiment pas de quoi s’énerver d’une défaite socialiste: celle-ci ne changera de toute façon rien au paysage genevois et à son inefficience politique. Une colère toute stratégique aussi, tant il est vrai que, s’il fallait trouver  un responsable à cet échec, Charles Beer s’imposerait comme une évidence. Et notre élu le sait parfaitement. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il s’énerve. Une manière de détourner l’attention et de rejeter sur d’autres une responsabilité qu’il devrait endosser. Tout d’abord parce que Charles Beer n’est pas une locomotive pour son parti. Pour preuve, il est de loin le plus mal élu des conseillers sortants. Nul doute que si Véronique Pürro eût figuré sur la liste des verts emmenée par David Hiler, elle aurait été élue. De même, si Michèle Kunzler eût côtoyé Charles Beer sur la liste socialiste, elle aurait bu la tasse. Ensuite, parce que Charles Beer – et ceux de son parti qui l’ont soutenu – est responsable du choix des candidats, et de l’exclusion des autres prétendants. Je l’ai dit ici même il y a une quinzaine de jours, j’aurais préféré que le parti socialiste (et les autres partis itou) proposassent plusieurs candidats plutôt que ces arrangements détestables. Mais il ne fait aucun doute qu’une liste Charles Beer - Manuel Tornare (politiquement très incorrecte car parfaitement machiste!) aurait permis aux socialistes de conserver leurs deux sièges. Comme quoi les quotas peuvent se révéler à double tranchants! Remarquez, moi, au fond, je n’y tenais pas tant que ça, aux deux sièges socialistes! C’est surtout que je tenais encore moins aux deux sièges libéraux. Au fond, si je propage l’information selon laquelle Charles Beer aurait piqué une grosse colère, c’est pour souligner que, donc, ça se passe comme ça chez nos politiciens… comme dans un préau d’école primaire: c’est celui qui dit qui y est!

  • J’ai fait tout faux

     par Pascal Rebetez

     

    Selon l’ONU et ses experts (ex-pères ?), "la croissance démographique dans le monde est à l'origine de 40 à 60% des émissions de gaz à effet de serre depuis 1820. Une meilleure planification familiale pourrait avoir une influence sur l'évolution du climat".

    Grosso modo, moins on est de fous polluants, plus ont rit, nous dit l'ONU..

    Ne faites plus de gosses, maîtrisez Mesdames vos trompes, coïtez Messieurs en bonne figure interruptive ! Basta pour les objurgations antiques : « Allez et procréez », c’est terminé !

    Qu’attend-on pour distribuer des primes aux inféconds, des semences gratuites aux stériles, des bonus aux séminaristes ?

    Voilà pourquoi nous sommes si pauvres, descendants de fratries pullulantes - pardon la vie, pardon l’atmosphère - voilà pourquoi il nous faut nous repentir de tous ces enfants élevés au bon air frais, avec leurs grands poumons avaleurs d’oxygène - pardon la vie, pardon l’ONU, pardon l’organisation mondiale de la connerie en boîte !

    Pour arriver à un milliard d’individus en moins en 2100, que ne nous imaginez-nous pas une bonne guerre mondiale du tri ? ou un solide virus exterminateur ?

    Mais je sens que je caricature un avertissement qui a son poids de travail scientifique :

    Moins on sera, mieux on vivra. Moins on erre, plus on se serre. Etc.

     

    Père multiple, j’attends mon procès. Je retiens mon souffle.

    Je dois me retirer.

  • Des bienfaits de la littérature

    Par Toto Mo

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    Une nouvelle de Maupassant ne m’a pas laissé indifférent. Il y est question d’un notaire de province aimant la musique. Un jour, Maître Saval décide de monter à Paris pour écouter un opéra de Saint-Saëns. Il entre dans un café fréquenté par des artistes et entend prononcer le nom d’un jeune peintre qui va pendre la crémaillère. Maître Saval a tant admiré l’oeuvre de ce jeune peintre au dernier Salon qu’il aimerait être invité. Arrivé dans l’atelier, le notaire reçoit l’ordre de balayer la poussière, puis d’allonger cinq francs pour acheter des bougies. Finalement, l’amateur de musique sera traité de larbin par une foule d’invités impatients de faire la fête.
    Il y a quelques années, un ami peintre m’a invité chez lui pour célébrer je ne sais plus quoi. Il venait d’acquérir une mince et longue demeure construite le long d’une route. Cet ami avait la chance de connaître quelques propriétaires de galeries dans diverses régions de la Suisse. Il lui arrivait de vendre des tableaux, ce qui ne lui permettait cependant pas d’entretenir une famille. Sa femme avait donc trouvé un poste de secrétaire dans une mairie. Le repas que ces gens m’offraient était un repas froid: salade de carottes et germes de soja, gruyère et pain complet, jus de pommes et eau du robinet servie dans un pot de grès. Je ne me souviens pas des propos tenus autour de la grande table ovale, mais je me rappelle avec précision le clin d’oeil que le peintre adressa à son fils. En arrivant, j’avais distingué derrière la maison un énorme tas de bois. “Il ne va tout de même pas me demander de...” me dis-je en voyant la silhouette dégingandée du fils grandi trop vite revenir une hache à la main. “On avait pensé que tu pourrais nous rendre ce petit service”, dit le peintre en arborant un sourire d’ange.
    Lorsque je m’éloignai de la mince demeure, j’entendis l’artiste dire à son fiston: “C’est une chose que tu n’oublieras pas, Marc-Édouard, il faut savoir utiliser ses amis”. Cette situation n’est pas exactement celle imaginée par Maupassant, mais sa nouvelle “Une soirée” m’a rappelé l’invitation pour célébrer je ne sais plus quoi. Ne serait-ce pas un des rôles de la littérature que de faire rêver en confrontant les expériences, que de remettre en mémoire des lambeaux de souvenirs???

    Guy de Maupassant: Contes et nouvelles, La Pléiade, tome 1, 1974

  • Fiant Luces neve iam extinguantur

    Par Pierre Béguin

     

    «L’homme est resté seul comme créateur de sa propre histoire et de sa propre civilisation; seul comme celui qui décide de ce qui est bon et de ce qui est mauvais (…) Si l’homme peut décider par lui-même, sans Dieu, de ce qui est bon ou mauvais, il peut aussi disposer qu’un groupe d’homme soit anéanti.» Celui qui écrit ces mots n’y va pas par quatre chemins. Il proclame la supériorité des lois divines, leur préséance sur la sphère privée, et rend responsable des pires catastrophes le renoncement de l’homme à désirer le salut pour prix de la recherche de son propre bonheur. Cette solitude de l’homme sans Dieu le conduit aux pires comportements: «qu’un groupe d’hommes soit anéanti». Ce sont les purges, les génocides, Auschwitz. Ainsi donc Les Lumières – car c’est bien des Lumières qu’il s’agit dans l’allusion de la première phrase – seraient à l’origine non seulement du matérialisme des sociétés libérales mais aussi des idéologies du mal, les totalitarismes, le nazisme, le communisme. Le théocrate contempteur des Lumières qui tient ce discours anti-laïc n’est pas un extrémiste virulent justifiant son combat, c’est le Pape Jean-Paul II, bien plus modéré que son successeur, qui rédige son dernier livre Mémoire et identité quelque temps avant sa mort. Preuve que la hiérarchie de l’Eglise catholique n’a pas tout à fait renoncé à sortir le religieux de la sphère privée où le principe de laïcité, issu des Lumières, l’a confiné. Et même si sa position reste bien plus modérée, moins tragique et moins dangereuse que celle d’extrémistes d’autres religions, elle souligne tout de même la volonté des théocrates de ne pas rendre toutes les armes.

    Deux siècles et demi plus tôt, Voltaire, dans le Dictionnaire philosophique faisait «l’histoire du fanatisme et ses exploits»: quinze siècles d’horreur, peuples égorgés, rois poignardés «tyrans, bourreaux, parricides et sacrilèges violant toutes les conventions divines et humaines par esprit de religion». S’il apparente le fanatisme (terme inventé par Bossuet au XVIIe siècle) à «une peste des âmes» qui contamine faibles et ignorants, à «une maladie épidermique» de la religion presque incurable, à part peut-être par l’esprit philosophique qui «prévient les accès du mal», il admet que la raison et les lois se révèlent impuissantes face à des «enthousiasmes» délirants qui se persuadent d’être guidés par L’Esprit saint: «Que répondre à un homme qui vous dit qu’il aime mieux obéir à Dieu qu’aux hommes, et qui, en conséquence, est sûr de mériter le Ciel en vous égorgeant?» demande-t-il.

    Donc, pour les laïcs, les pires atrocités surviennent lorsqu’on place Dieu au centre de la sphère publique; pour les théocrates, les pires atrocités surviennent lorsqu’on exclut Dieu de la sphère publique. Et le pire, c’est que l’Histoire ne donne vraiment raison ni aux uns ni aux autres. Bien sûr, la laïcité s’est profondément enracinée dans nos mentalités et dans nos systèmes politiques occidentaux, au point que nous sommes tous convaincus – moi le premier – que la nouvelle virulence dont font preuve les théocrates de tout poil au tournant des XXe et XXIe siècle est la pire des gangrènes. Voilà pourquoi le problème des minarets ne se réduit pas à savoir s’ils vont concurrencer nos montagnes ou déparer nos vertes prairies. Et s’il ne fait aucun doute que l’Etat de droit, démocratique et républicain, doit leur accorder leur place à côté de nos clochers – il en va du respect de son esprit même – nous devons nous souvenir que les Lumières de la raison ont triomphé du pouvoir clérical non pas seulement par la plume des philosophes mais surtout au prix de beaucoup de sang versé. L’héritage est à prendre au sérieux et exige vigilance et fermeté. Comme le souligne Tzvetan Todorov, chantre des Lumières, dans son livre L’Esprit des Lumières: «Les maux combattus par cet esprit se sont avérés plus résistants que ne l’imaginaient les hommes du XVIIIe siècle; ces maux se sont même multipliés depuis. Les adversaires traditionnels des Lumières, obscurantisme, autorité arbitraire, fanatisme, sont comme les hydres qui repoussent après avoir été coupées, car ils puisent leur force dans des caractéristiques des hommes et de leurs sociétés tout aussi indéracinables que le désir d’autonomie et de dialogue (...) On peut donc craindre que ces attaques ne cessent jamais» Or, justement, le besoin de religion est indéracinable et il ne s’exprime pas toujours dans la tolérance… Veillons donc à préserver rigoureusement le principe de laïcité! A commencer par son application stricte dans nos écoles. Et surtout ne focalisons pas sur de faux problèmes et sur une cible unique – les extrémistes musulmans. On en viendrait à oublier d’autres dangers. Ainsi, les chrétiens fondamentalistes – les créationnistes – continuent sans polémique leur croisade anti-darwinienne par de nombreuses conférences, notamment à Genève et Lausanne. Ils ont déjà imposé leur enseignement dans de multiples universités américaines, ils s’implantent en Allemagne et profitent allégrement de la privatisation de l’enseignement pour se payer des chaires académiques un peu partout. Dans la plus complète indifférence… Et, si l'on en croit le journal Le Temps, dans les colonies de Cisjordanie se développe un fondamentalisme juif emmené par une soixantaine de rabbins dont Itzhak Ginsburg, un rabbin persuadé qu’il existerait un «ADN juif» supérieur à celui des non-juifs. Tiens, ça me rappelle quelque chose! Pas vous? Je me demande ce qu’en aurait pensé Jean-Paul II…

     

    Que les Lumières soient et qu’elles ne s’éteignent plus!

  • Bob Dylan vu par François Bon

    Par Alain Bagnoud

    bob_dylan.jpgFrançois Bon s'attaque à nos mythologies. Il a fait les Rolling Stones et Led Zeppelin. Il va faire Jimi Hendrix. Ici il fait Bob Dylan, ce qui est un moyen pour lui, comme pour ceux qui ont vécu à l'époque où Dylan était Dylan, de se retrouver eux-mêmes et d'esquisser un auto-portrait en utilisant les espoirs, les rêves et les icônes de jadis.

    On apprend effectivement beaucoup sur Bon dans ce livre sur Bob. Peut-être plus que sur Dylan. Tout a été dit sur le personnage. Il n'y a pas de révélation possible mais, chez Bon, une nouvelle manière d'envisager les choses.

    Il retravaille le portrait du génie, un caractère rebelle forcément, dur, calculateur peut-être, en même temps fermé sur lui-même et ouvert aux tendances de l'époque. Ce qui finit par lui donner cette aura planétaire et cette réputation de génie.

    Mais il y a un prix à payer pour tout ça. Ou du moins Dylan en a payé un: la solitude, le mutisme, le never endig tour, les 14 maisons qu'il possède alors qu'il semble vivre dans une caravane posée sur sa gigantesque propriété de Californie...

    Son ambition et son insatisfaction le poussent en avant, le font à chaque fois déplacer les lignes et prendre des virages quand on ne s'y attend pas. Le goût de l'urgence et de l'événement provoqué, dangereux, font qu'il ne répète pas avant un concert ni même avant les disques majeurs, montrant les accords aux musiciens quelques minutes avant de jouer, enregistrant deux prises seulement....

    Mais le travail est antérieur. Dans la formation et l'écriture: apprendre par cœur toutes les chansons de Woodie Guthrie, passer son temps sur des machines à écrire... La lecture, l'influence des poètes ont donné à Dylan des moyens d'expression que n'ont pas les autres folk-singers de l'époque (et ils abondent, on voit chez Bon que Dylan n'est pas une génération spontanée)...

    Cette belle biographie terminée, tout le mystère reste entier. On veut réécouter les disques, on a plongé dans une époque, on a tourné autour d'un personnage sombre, habité, perdu. Décortiquer a posteriori les raisons de telles paroles, les influences de telle musique est possible.

    Mais ce qui échappe toujours, c'est le moment de la décision, et son moteur: ce qu'on appelle la création.


    François Bon, Bob Dylan, une biographie, Le livre de poche

    Publié aussi dans Le blog d'Alain Bagnoud