Par Pierre Béguin
Je m’interroge. Maintenant que sont avérées les pertes endémiques de l’exploitation du Stade de la Praille, maintenant que des voix s’élèvent sérieusement pour demander la destruction d’un ouvrage de 130 millions dont l’utilité est fortement remise en cause, maintenant que plus personne ne veut assumer les deux millions de perte annuelle d’exploitation, le silence éternel des espaces politiques m’effraie. Alors que, pour réclamer sa réalisation, les élus vociféraient de toute part, remplissant le canton de leurs coutumières jérémiades sur la difficulté de réaliser des grands projets à Genève, fustigeant la frilosité ambiante et la mesquinerie de certains ressortissants grincheux trop repliés sur leurs intérêts, brandissant les pires menaces quant à l’avenir de la ville sur la scène européenne et celui du Servette FC sur la scène internationale, et s’en prenant sans vergogne aux rares personnes (Christian Grobet en tête) qui osaient s’opposer à un projet de toute évidence mal ficelé, aux coûts non maîtrisés (plus du double en finalité!), aux conditions de rentabilités impossibles à remplir mais, bien évidemment, comme nos politiques en ont pris l’habitude, soigneusement cachées au c… de votant. Où sont ces forts en gueule? Que sont leurs thuriféraires devenus? Pourquoi ce silence? Où sont passés ces chantres de la turlute immobilière? Ces Nostradamus de l’économie genevoise? Ces fanatiques de la misère de l’homme sans eux? Ces grands maîtres de la menace et du catastrophisme? Où se terrent ces pleutres? Où vocifèrent-ils maintenant? Ah! là je sais. Suffit d’écouter. Ecoutez… Voilà! Vous les entendez? Vous entendez ces mêmes vociférations, ces mêmes menaces, ces mêmes mensonges, ces mêmes prédictions, ces mêmes critiques sur les mêmes cibles avec les mêmes raisons. Tous unis derrière CEVA! Car si CEVA ne se réalise pas, la menace est claire: plus rien ne se réalisera à Genève, pas même la nouvelle Comédie, comme le prétend sans vergogne un élu socialiste. Pourquoi tant de mensonges? Un peu de sérieux Messieurs! Car ce n’est pas CEVA qui est en cause, ni même, en ce qui me concerne du moins, son coût, à condition toutefois qu’on cesse de mentir à ce propos (chacun sait, à commencer par les défenseurs du projet, que nous dépasserons les deux milliards). C’est son tracé qui pose problème, de loin le plus mauvais qu’on puisse imaginer. Et là, les mensonges et les aberrations pullulent. Prétendre que l’aide de Berne est essentiellement conditionnée par le tracé relève du mensonge éhonté. Rappelons que le projet de liaison Cornavin Eaux-Vives date de plus d’un siècle, qu’au moment où ces discussions prirent un tour sérieux, la Gare qui avait brûlé, devait être reconstruite sur un site encore non déterminé (les Cropettes? Cornavin?) et que l’aide de Genève était requise par la Confédération sur le motif que cette liaison lui était bénéfique. Qui peut prétendre qu’après un siècle la topographie et les nécessités cantonales n’ont pas évolué au point d’adapter le tracé aux conditions actuelles? J’ai bien dit «l’aide de Genève» et non les subventions de Berne. Car c’est là un deuxième mensonge. CEVA n’est pas un projet pour Genève subventionné par Berne, c’est un projet des CFF, appuyé par la Confédération, dont Genève entend profiter au même titre que le Valais profitera du Loetschberg. Et, que je sache, il n’a été demandé au Valais, champion des subventions bernoises, aucune participation. Acceptons cette participation mais exigeons que le projet réponde aussi aux intérêts de Genève et non à ceux des CFF. Si au moins on avait déplacé ce tracé de quelques centaines de mètres pour le faire passer près de l’hôpital et du bâtiment universitaire adjacent (au lieu de ce long couloir de plus de 500 mètres rajouté à grands frais depuis la future gare de Champel, preuve d’ailleurs de l’inanité du tracé actuel), je pourrais encore le soutenir. Et si on y ajoutait un arrêt à la Fontenette et un autre à Rive, j’applaudirais. Car alors CEVA deviendrait vraiment un début de solution pour les engorgements genevois, même s’il s’apparenterait alors davantage à un métro de ceinture, seule solution vraiment efficace. Mais le tracé actuel ne résoudra pratiquement rien. Car c’est là un troisième mensonge, ou une première grosse sottise: on ne peut pas prétendre résoudre un problème de trafic local par une solution qui porte sur le trafic de transit. C’est exactement ce qui s’est passé avec le contournement de Plan-les-Ouates où l’autoroute devait épargner la construction d’une route d’évitement. Résultat? Le centre du village est toujours aussi engorgé, preuve de l’insuffisance de la solution adoptée. Maintenant, l’évitement n’est plus réalisable et l’on parle d’un embranchement autoroutier au sud du village… A cours d’arguments dans une de nos discussions, un politicien a fini par reconnaître que CEVA n’était pas fait pour les Genevois: «Les Genevois ont le tram» a-t-il affirmé. D’accord, mais qu’on le dise clairement. Et qu’on procède logiquement: soit CEVA ne profite pas vraiment aux Genevois et l’on serait en droit de reconsidérer notre participation, soit on l’adapte aux nécessités cantonales. Dans le premier cas, faire assumer par les citoyens un déficit annuel d’exploitation prévu à 32 millions (et qui se révélera bien entendu supérieur à ce montant) relève de la pure escroquerie. A plus forte raison pour un train qui n’est pas fait pour eux. Il n’y a donc aucune raison que les CFF, principaux bénéficiaires du projet, ne l’assument pas. Au demeurant, on est en droit de se demander comment un projet aussi vital pour Genève peut engendrer un tel déficit d’exploitation. Aurait-on déjà prévu des wagons aussi vides que les gradins du Stade de la Praille? Tant il est vrai que les navettes de bus mises à disposition des frontaliers à Veyrier n’ont pas tenu 6 mois, faute d’occupants…
Au reste, il est surprenant de constater que les certitudes affichées publiquement par certains élus, essentiellement de droite, sur le CEVA se teintent de doute en aparté. De toute évidence, il y a association d’intérêts interpartis: la droite soutient CEVA en contre partie de quoi la gauche s’engage à soutenir la traversée de la Rade, seule véritable jouet de l’entente qui n’a toujours pas digéré l’échec du projet en votation dans les années 90. Pourquoi ne conjugueraient-ils pas leurs efforts pour une fois? Moi, pour tout vous dire, je verrai bien la liaison Cornavin Eaux-Vives Annemasse par une traversée de la Rade. Si la solution du barreau sud aurait, entre autres mérites, celui d’aller chercher les usagers là où ils arrivent vraiment (à Bardonnex) pour les emmener là où ils se rendront en plus grand nombre dans le futur (aux Acacias) – et cela sans prétériter ceux d’Annemasse –, il me semble que, quitte à relier deux points, autant que ce soit par la ligne la plus courte. Elle permettrait enfin une traversée rapide de la ville plutôt que d’opter à chaque fois pour de longs contournements. Songez qu’on se rend plus rapidement à pied de Rive à la Gare, le tram, pourtant nettement plus coûteux, préférant musarder comme à son habitude du côté de la Coulouvrenière. Et Cornavin, par cette liaison directe 90 ans après sa reconstruction, serait enfin une Gare… Mais ne rêvons pas! Le jour où Genève choisira les bonnes solutions, elle s’appellera Lausanne. A propos, il paraît que leur métro fait rames pleines à la satisfaction de tout le monde, qu’ils vont même l’agrandir et qu’ils projettent la construction d’un nouveau stade de… 10000 places. Y a pas à dire, sont moins cons que nous, les Vaudois!