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Du côté de chez Voltaire

Par Pierre Béguin

Entre autres caractévoltaire2[1].jpgristiques étonnantes, les rives du lac Léman sont un haut lieu historique des rapports tendus entre le pouvoir politique et les écrivains. Quelques dizaines d’années et quelques dizaines de kilomètres séparent le patriarche de Ferney de la matriarche de Coppet. Tous deux exilés, tous deux frénétiquement actifs, tous deux diablement efficaces, tous deux «aubergistes de l’Europe», Voltaire et Germaine de Staël ont fait trembler le pouvoir parisien du bout de leur plume, narguant par les mots l’Ancien régime et l’Empire. Voltaire trouve un renouveau de vie, une seconde jeunesse, dans sa joie à combattre, avec une incroyable fureur ce qu’il nomme l’infâme – la superstition et le fanatisme. Bien sûr, le vieux patriarche n’a rien du redresseur de torts, l’impératif moral reste chez lui secondaire. Son engagement est en réalité toujours dirigé contre l’adversaire obsédant sur lequel il multiplie les coups. En ce sens, il choisit soigneusement ses combats. Que ce soit, par exemple, dans l’affaire Calas ou celle du chevalier de la Barre, il saisit l’occasion où la cause de la justice se conjugue étroitement avec sa haine de l’Eglise. Il n’en reste pas moins que la capitale du monde intellectuel devait pour un temps coïncider avec la région où vivait l’être le plus prompt à réagir et le plus habile dans l’escrime du langage. Quant à Mme de Staël, qui polarisait à Coppet les espoirs déçus des royalistes et des républicains, son activisme fit dire à Napoléon: «Sa demeure à Coppet était devenue un véritable arsenal contre moi; on venait s’y faire armer chevalier.» Tous les Genevois devraient faire le pèlerinage dans ses deux châteaux dont l’intérêt est aussi immense que fut leur rayonnement vers la fin du 18e et le début du 19e siècle.

En 1994, durant les nombreuses célébrations du tricentenaire de la naissance de Voltaire, je m’étais rendu à Ferney pour visiter le château, ignorant alors qu’appartenant à des privés, il n’était pas ouvert au public en dehors des quelques visites prévues spécialement pour la circonstance. J’insistai, espérant un passe-droit. Je me souvenais qu’à la fin des années 70, alors jeune étudiant, je passais des fins de semaine chez une petite amie grenobloise dont les parents possédaient, au Pont de Claix, la maison de Stendhal. J’y retrouvai, pareilles à leur description par le romancier, l’allée d’arbres (Ah! l’épisode de la gifle!) et, surtout, la fameuse bibliothèque annotée de la main du maître. J’éprouvai alors une jubilation un peu infantile à évoluer dans un décor connu des amateurs de littérature et dont je pouvais nourrir la légitime impression qu’il m’était strictement réservé. J’aurais voulu ressentir la même sensation chez Voltaire. Rien n’y fit. Les portes restèrent aussi closes qu’elles le furent, des années plus tard, à Milly, chez Lamartine, dont le descendant, vieux garçon original, considérant mes filles, l’une dans une poussette, l’autre debout dans un équilibre précaire, craignit qu’elles ne perturbassent l’ordre séculaire de la célèbre demeure. Je dus me contenter, dans une dépendance, de goûter le vin du domaine, par ailleurs assez insignifiant.

Le château de Voltaire, racheté par la ville de Ferney, est maintenant un musée ouvert au public. Il était temps! Un des grands mérites de cette visite, c’est de nous montrer un autre Voltaire. Non pas cette nature susceptible et vulnérable, à l’amour propre toujours en éveil, qui confie sa renommée à des genres littéraires périmés (il croyait porter le genre épique et la tragédie à leur perfection), et qui gaspille une bonne partie de son énergie et de son génie à d’éphémères triomphes sur d’infimes adversaires ayant osé attenter à sa réputation de grand poète ou à la splendeur de son auguste personne. Non. Nous voyons davantage de Voltaire ce qui fait finalement sa grandeur au-delà d’une gloire littéraire peut-être trop facilement accordée: ce qu’il a accompli avec ou sans sa plume «à d’autres fins que le pur plaisir de la lecture» disait Paul Valéry. Et puis, avouons-le franchement, la visite fut épicée par les propos du guide, excellent au demeurant mais si pénétré de l’esprit de Voltaire envers Genève qu’il ne pouvait s’empêcher de mêler aux commentaires historiques ses propres opinions sur «les voisins protestants» du vieux patriarche, voire de s’incarner dans les rancœurs que le philosophe nourrissait à l’encontre d’une ville qu’il jugeait, dans une lettre à d’Alembert, peuplée de «prédicants sociniens». Une manière de rappeler que le problème ne date pas d’aujourd’hui et que les Genevois n’ont pas le monopole des stupides humeurs atrabilaires transfrontalières, même si notre guide, en la circonstance, bénéficiait d'une syntaxe et d’un lexique autrement plus élaborés que les éructations udécéistes.

Au retour du printemps, faites le détour par Ferney, non sans avoir préalablement, si ce n’est déjà fait, visité «l’endroit de la terre qui ressemble le plus à l’Eden», selon les termes dont Voltaire désignait sa résidence des Délices… avant ses démêlés avec Genève.

 

Commentaires

  • Que de nostalgie stérile, pauvre Monsieur Béguin, avez vous besoin de faire référence aux morts pour assoir votre confiture ?
    Etes vous un spécialiste de Voltaire, certes non, en voyant toute cette concupiscence vous y perdez son essence !
    Bref, aucun intérêt dans cette lecture, aucune surprise, aucune acidité, rien que de la haine de vous !

  • Prédicants sociniens, ce n'est pas forcément injurieux, je pense. Il s'agit de renvoyer au libéralisme de Genève, ainsi qu'à son manque de foi en les symboles mystiques du christianisme médiéval. Mais Voltaire était dans le même cas. L'ironie vient surtout du terme "prédicants". Il renvoie peut-être au caractère plus social que mystique de la religion protestante, à comparer de la catholique, à laquelle il était habitué. Mais lui-même n'était pas mystique. Ce qui devait le gêner, finalement, c'est le rigorisme d'alors vis à vis des arts, et qu'on jugeât que l'épopée et la tragédie étaient des genres païens qui prétendaient représenter par des figures et des acteurs les puissances célestes. Même si Voltaire ne croyait guère en celles-ci, il avait gardé le vieux style qui consistait à les représenter pour en tirer du plaisir. Il faut admettre que sur le plan du style, il doit encore beaucoup à François de Sales, par exemple : il est très imagé. Il restait classique et imitateur de l'Antiquité latine.

  • (J'ajoute que dans l'article "Théiste" du "Dictionnaire philosophique", Voltaire montre que pour lui, le vrai acte religieux est de faire le bien et de défendre la justice; il ne s'opposait pas à la religion catholique en particulier, mais à toutes les religions particulières qui préféraient leur doctrine à cette justice, Dieu même, pour le théiste, dit-il, étant forcément juste: "Le théiste ne sait pas comment Dieu punit, comment il favorise, comment il pardonne; car il n’est pas assez téméraire pour se flatter de connaître comment Dieu agit; mais il sait que Dieu agit, et qu’il est juste." Il ne faut pas faire de Voltaire un être seulement épidermique, je pense. Il disait encore, du théiste: "Faire le bien, voilà son culte; être soumis à Dieu, voilà sa doctrine.")

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