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Blogres - Page 98

  • Robert Caze, écrivain jurassien

    Par Alain Bagnoud

     

    Caze+Martyre+Annil.jpgC'est l'affaire Laure Antoinette Malivert qui m'a conduit à lire les romans de Robert Caze, cet écrivain bien oublié aujourd’hui, mais qu’on présentait à l’époque comme un concurrent de Maupassant.

    On peut trouver facilement certains d’entre eux. Le Martyre d'Annil, et La Sortie d'Angèle, par exemple, ont été republié par la Société jurassienne d'Emulation & Du Lérot éditeur en 2010.

    La Société jurassienne d’Emulation? Ça s’explique très bien.

    Robert Caze, en effet, est arrivé en Suisse au printemps 1873, à 20 ans. Toulousain d’origine mais né à Paris, il fuyait cette ville où il se croyait sous la menace d'une condamnation à mort, parce qu’il avait été secrétaire du délégué aux relations extérieures de la Commune.

    Le 18 novembre de la même année, il se déclare résident de Delémont sous une fausse identité. Marie Robert Alfred de Berzieux. Il travaille pour des journaux radicaux et libéraux, éblouit les Jurassien par sa verve, ses paradoxes, sa bonne humeur.

    En 1875, il est nommé professeur d'histoire, de français et de littérature à l'Ecole cantonale de Porrentruy, où il a pour élève Virgile Rossel, futur auteur d'une œuvre importante qui comprend notamment une Histoire littéraire de la Suisse romande des origines à nos jours (Genève 1889-1891).

    Rossel le décrit comme un pédagogue nul, avec « d'étranges inégalités d'humeur, tantôt camarade et tantôt despote ». Mais passionné et consciencieux.

    Et pour compléter son intégration, bientôt, en 1876, Caze épouse la fille d'un imprimeur qui dirige La Tribune du peuple, journal progressiste.

    Cependant, très vite, des frictions se créent avec la direction de l'établissement scolaCaze(Robert).jpgire. Caze a le goût de la polémique. Il ne peut s'empêcher d'écrire dans les journaux et d’y prendre des positions déconcertantes pour ses ex-amis. Si bien qu'il se met finalement tout le monde à dos et quitte la Suisse en 1880, à la faveur de la loi sur l'amnistie des communards votée par la France le 11 juillet.

    Il reprend alors sa carrière à Paris. Courte carrière: six ans plus tard, il se bat en duel, est blessé au foie. Il en mourra six semaines plus tard.

    Et voilà ce qui amène aujourd'hui la société juratienne d'Emulation à rééditer deux de ses romans. On reparlera d’eux ici, bientôt.

    Précision encore: les détails de la vie de Caze au Jura, je les ai tirés de l'excellente préface qu'Arnaud Bédat et René-Pierre Colin ont donnée à cette édition. Rendons à César...

     

    Robert Caze, Le Martyre d'Annil, et La Sortie d'Angèle, Société jurassienne d'Emulation & Du Lérot éditeur en 2010.

    Publié aussi dans Le blog d'Alain Bagnoud

  • question capitale

     

     

     

     

     

    par antonin moeri

     

     

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    “La chasteté de Clarissa” est une nouvelle excitante pour l’esprit. La protagoniste est une belle rousse âgée de 25 ans, yeux verts, peau très blanche, poitrine opulente. Elle débarque sur une île, dans une station balnéaire où elle devra s’occuper du cottage de ses beaux-parents. Baxter est un type dont la réputation est douteuse. Séduisant, teint bronzé, avare, divorcé deux fois, il couche à droite et à gauche. Clarissa l’intrigue. Il l’emmène sur la plage. Plus belle que jamais, elle entre dans l’eau en frissonnant. “Les pierres sur le cap ont beaucoup grandi”, dira-t-elle. Curieuse remarque. Baxter se demande quelle image cette fille a d’elle-même. Se voit-elle comme une actrice, une nageuse émérite, une héritière? Il dépose un baiser sur ses lèvres. Elle le repousse violemment.

    Une semaine plus tard, elle lui avouera que son mari et sa belle-mère la considèrent comme une sotte, qu’elle a des opinions sur beaucoup de choses mais qu’ils ne la laissent jamais ouvrir la bouche. “Ils passent leur temps à m’interrompre comme s’ils avaient honte de moi”. Clarissa est réduite à un rôle qu’elle voudrait ne pas jouer. Aura-t-elle la force de se révolter en rejetant son mari et la mère de celui-ci? Cheever préfère ne pas répondre. Si Baxter prend la peine d’écouter Clarissa et de lui répéter combien elle est intelligente, c’est qu’il désire coucher avec elle, se dit le lecteur qui posera la question décisive: un libertin avare fait-il le poids à côté d’un propriétaire terrien parti momentanément à l’étranger pour travailler sur un projet grandiose, incontestablement excitant?

     

    Cheever propose au lecteur d’observer la vie qui nous entoure et de trouver une réponse à cette question capitale.

     

     

    John Cheever: Déjeuner de famille. Editions Joëlle Losfeld, 2007

     

     

  • Quatre personnages en quête de gloire

    par serge Bimpage

    Voici quelque temps que Jacques-Etienne Bovard nous a habitués à son regard socio-ethno sur le microcosme helvétique. Son recueil de nouvelles, Nains de Jardin, fut un modèle du genre. A vrai dire, on ne s’habitue pas à la littérature de l’auteur lausannois, tant il nous réserve de surprises et d’audace en son regard affuté.
    La Cour des grands porte bien son nom. En en la dénonçant la prétention, Jacques-Etienne Bovard y entre de plain-pied. De quoi s’agit-il ? D’un voyage littéraire auquel participent quatre misérables auteurs suisses romands. Le narrateur, Xavier, judoka à ses heures, doté d’une inclination littéraire plutôt sportive. Charlène, belle autrice voyageuse, dont l’écriture se cherche autant qu’elle-même. Et Borloz, motard pornographe rédigeant ses romans à la pelle. Tous auteurs de piètres romans de gare mais heureux de leur vie et dépourvus d’arrière-pensées.
    On allait presque oublier la star du voyage : Pierre Montavon, l’Ecrivain, le détestable et admirable vieux maître (devinez qui dans la réalité) autant faisant la pluie et le beau temps de l’édition romande que connu en France. Lequel, en ce périple allant de Strasbourg à Paris à l’invitation d’une association culturelle française, ne cachera pas un seul instant son profond dégoût d’être entouré de si minable équipage.
    De trajets en autobus en stations à l’hôtel en passant par les réceptions et une émission de télévision, chaque participant à cette inopinée promiscuité en sera pour ses frais, cherchant pathétiquement à tirer son épingle du jeu. Propulsés dans le rôle de personnages de romans, les auteurs se voient précipités dans une rude confrontation avec leurs œuvres ainsi qu’avec eux eux-mêmes. La vraie vie est autrement bouleversante que tout ce qu’on peut en dire.
    Il est bien rare qu’un auteur, en particulier suisse, fasse autant rire. Qui plus est, l’humour de Jacques-Etienne Bovard est profond. Entre Albert Cohen et David Lodge, bien au-delà de la simple (et impitoyable) analyse sociologique, il conduit à une métaphysique emplie de poésie. « Et toi, est-ce que tu les reconnaissais ces petits livres aux couvertures lustrées, énergiques, lisses comme des miroirs, où rien pourtant ne se reflétait ? Est-ce que tu te reconnaissais toi-même dans ces titres simples, ces histoires stratifiées, ces personnages toujours les mêmes sous leurs oripeaux de marionnettes ? »
    En un scénario bien ficelé aux rebondissements savoureux, Jacques-Etienne Bovard articule ses marionnettes avec la jubilation et l’amour pour elles des grands auteurs. Très contemporaine, la langue est remarquablement maîtrisée. Et l’éternelle interrogation littéraire, qu’est-ce qu’écrire, qu’est-ce que bien écrire, discrètement présente au travers de ces désopilantes tribulations.  

    La Cour des grands, par Jacques Etienne Bovard. Bernard Campiche éditeur. 307 pages.

  • Germain Clavien : une vie en poésie

    images-2.jpegpar Jean-Michel Olivier

    C’est un livre grave et léger, plein de sagesse et d’expérience, d’émerveillements et de questions, que le dernier ouvrage de Germain Clavien, poète, chroniqueur et auteur de cette longue Lettre à l’imaginaire, dont le vingtième volume, En 2003, Rouvre, a paru en 2008.

    Notre vie* se présente comme une sorte de journal de bord poétique qui s’étend sur une année, d’avril 2009 à avril 2010. Il suit le rythme du soleil et des saisons. Il est plein de bruit et de fureur, de colères, de révoltes, de bonheurs indicibles. Son titre, déjà, est un programme : il s’agit de surprendre la vie qui vient et qui s’en va, avec son cortège de douleurs et de découvertes, de hasards heureux et d’insondables mélancolies. Une vie entière en poésie : De ce qui me tient à cœur/ Et oriente ma vie/J’ai retenu le meilleur/ Et l’ai mis en poésie. On suit le poète sur le chemin de la nature, accompagné de ses animaux tutélaires, le lézard, l’écureuil, le rossignol, en proie aux questions lancinantes : pour qui, pourquoi vivons-nous ? Quel est le sens de notre bref passage sur terre ? C’est dans la nature que le poète retrouve la source de sa parole. « Un poème au matin/ Éclaire une journée » écrivait le philosophe Gaston Bachelard. Clavien s’inspire de cet adage pour creuser la nature et les mots. Chercher l’image juste, le rythme qui colle à l’image, la musique qui donne élan et beauté à la phrase. On retrouve chez lui l’obsession de Livre de Mallarmé : le poète a pour mission de dire la nature et les hommes dans un Livre qui les cernerait au plus près, les contiendrait entièrement. Et ce désir du Livre est d’autant plus profond, chez Clavien, que la mort fait planer son ombre menaçante. « La mort on l’apprivoise/ Mais comment dire adieu/ À de telles merveilles/ Sans que le cœur se serre… »

    Il y a urgence, une fois encore, à dire le monde comme il va, ou ne va pas.

    images-1.jpegCette vie en poésie, Clavien nous le rappelle à chaque instant, c’est notre vie. Comme le monde plein de violence et d’injustices qui nous entoure est notre monde. Non pas un monde tombé du ciel ou venu de nulle part. Mais le monde que les hommes ont façonné à leur image. Un monde souvent déchiré par les guerres ou pollué par les bruits de moteurs (Clavien dédie même un poème aux tristes F/A 18  de l’armée suisse !). Oui, cette terre est celle des hommes. Nous n’en avons pas d’autre. Comme les mots du poète qui la chante sont les nôtres, assurément. Des mots simples et forts, directs et justes. Des mots remplis de sève et d’émotion qui traquent la vie dans ce qu’elle a de plus intense et de plus mystérieux.

    Notre vie est un magnifique chant d’amour, mais aussi un chant d’adieu, qui restera dans nos mémoires.


    * Germain Clavien, Notre vie, poèmes, Poche Suisse, L’Âge d’Homme, 2010.

     

  • Ma nature adore le vide

    Par Pierre Béguin

    désordre.jpgA chaque fois, j’ai la même impression. Ça ne rate jamais! Quand je découvre un intérieur – chez des amis, connaissances ou rencontres fortuites – je me dis que, décidément, je ne voudrais pas y habiter. Pire, je ne pourrais pas y vivre. Ce n’est pas une question de goût. Tous sont dans la nature, c’est bien connu, les bons comme les mauvais. Ni même une question d’ordre ou de désordre. Non! C’est une question d’espace. On dirait que leur nature a horreur du vide. Chaque petit centimètre carré doit être comblé. A tout prix. Par un objet, un meuble, un tapis. J’étouffe dans cette abondance, cette surcharge. Le moindre petit encombrement me paraît souk. J’aime les espaces vides, les pièces dépouillées. Le strict minimum dévolu à l’agencement. C’est à l’occupant de disposer de l’espace, non aux objets de l’envahir. Chez moi, c’est ma croix, ma bannière, mon combat quotidien.

    Même sentiment dans le domaine artistique. Beaucoup ne supportent pas le vide, l’absence de sens. Au point que la quantification du sens devient parfois critère de qualité, de hiérarchisation esthétique. Tenez! personnellement, j’aime le bel canto parce qu’il flatte mon sens auditif et non pas parce que l’auteur ou le metteur en scène a donné du sens aux coloratures; que la plupart des spécialistes s’accordent à dire que les coloratures de Strauss ont un sens alors que celle de Rossini n’en ont pas, par exemple, n’influence en rien mes préférences. Ou si cela devait l’influencer, ce serait en faveur de Rossini. L’ornement esthétique en lui-même me convient, la seule technique du soliste aussi. Qu’il soit capable de chanter un ré bémol aigu à tel endroit suffit à mon bonheur. Que ce ne soient que des voyelles, des sons, des ornements qui n’expriment rien, n’a aucune importance. L’esthétique est au-dessus des significations. Il doit l’être. Atavisme protestant? Ma forme d’esthétisme s’accorde avec le dépouillement. Et je ne comprends pas ces metteurs en scène qui se battent les flancs pour surcharger leur spectacle de significations souvent douteuses qu’ils se gaussent d’avoir trouvées là où d’autres n’avaient encore rien vu. Qu’ils s’effacent! Qu’ils laissent le texte parler, le chant s’exprimer! Qu’ils se contentent de suggérer. Délicatement. Au spectateur, au lecteur de venir habiter le spectacle, d’y mettre du sens, s’il en éprouve le besoin. La démarche contraire est une forme d’impolitesse, de tyrannie, d’esbroufe…

    Mais, me direz-vous, la poésie, précisément, ne se caractérise-t-elle pas, selon la formule de Valéry, par «l’ambition d’un discours qui soit chargé de plus de sens et mêlé de plus de musique que le langage ordinaire n’en porte et ne peut en porter»? Je vous répondrai que, si j’aime Valéry, je n’aime pas particulièrement sa poésie. Je lui préfère celle de Reverdy (je pense à Ronde nocturne, par exemple): du banal, de l’anodin, des espaces vides, en apparence; mais, dans les marges, entre les lignes, suggérés par petites touches délicates, la spiritualité, le mystère, l’irrationnel, la respiration légère de l’au-delà qui se devine dans le dépouillement du quotidien…

    Voire le Tam-tam d’Eden. Car c’est aussi, et surtout, par leur analogie avec ces espaces dépouillés que j’ai aimé le dernier recueil d’Antonin Moeri. Ces nouvelles sont comme un espace qui mettrait le meuble en évidence et où le meuble, judicieusement choisi et disposé, mettrait en valeur l’espace. A l’image d’une pièce dont le visiteur pourrait disposer à sa guise, dont l’agencement ne lui serait pas imposé a priori, elles n’imposent rien au lecteur, elles lui cèdent poliment la place, se limitant au mieux à suggérer des possibles ou même, par jeu, des fausses pistes. Comme ces poèmes avec de grandes marges blanches dont la principale qualité est non pas d’évoquer mais d’inspirer…

    «On rêve sur un poème comme on rêve sur un être» dit Paul Eluard. Et il faut une part de vide pour que le rêve puisse se déployer…

     

     

     

     

     

  • Jean-Edern Hallier, Carnets impudiques

    Par Alain Bagnoud

    A la fin de saJean-Edern Hallier vie, il était devenu très difficile de lire Jean-Edern Hallier (1936-1997). A cause du personnage. Ses provocations, ses interventions médiatiques, son acharnement à faire parler de lui à tout prix, ses mises en scènes, ses attaques contre tous et leurs côtés judas ou donneuse, sa prétention, sa mythomanie, ses airs de certitude paranoïaque, son narcissisme étalé... Il était devenu le clown agaçant du milieu littéraire parisien.

    Puis Haller est mort d'une crise cardiaque sur un vélo tout-terrain, près de la plage de Deauville, en 1997 et on l'a oublié. On peut désormais le relire sans préjugés. Par exemple ses Carnets impudiques.

    Ce journal rappelle qu'avant tout, le personnage avait une langue. Lui préférait le mot style. Je l'avais rencontré à Genève, quand il avait fui la France, se disant persécuté par Mitterand. Nous étions une dizaine de journalistes plus ou moins littéraires et de pigistes à la terrasse du Hilton, au soleil levant, face à la rade et au jet d'eau. Il nous avait fait un excellent numéro, lâchant des insinuations, des demi-aveux, essayant de manipuler les journalistes... Du grand art!

    Tout le milieu de l'époque (86-87) défile donc dans ces Carnets impudiques. BHL, Sollers, Pivot, Debray, Nabe, Bernard Frank, Duras. Jean-Edern a un mot méchant pour chacun. Il se met en scène aussi. On apprend tout sur ses conquêtes, sa sexualité, ses histoires passionnelles, destructrices, son goût d'emmener les femmes aimées au bout du monde. On comprend le personnage et ses outrances, sa fascination du pouvoir, son plaisir hautain de déplaire et son envie d'être aimé, et cette aspiration à la littérature, qui lui fait désirer, plus que tout, la postérité et l’œuvre. Il est parfois brillant, montre une grande culture, s’acharne à porter une tradition et à la dépasser.

    C’est bien, même si on sent toujours un peu de pose en lui. L'envie de sculpter sa statue.


    Jean-Edern Hallier, Carnets impudiques, Michel Lafon


    Ci-dessous: Hallier interrogé sur ses Carnets impudiques par Thierry Ardisson (Dailymoltion)

    Publié aussi dans Le blog d'Alain Bagnoud

  • La fête au Rameau d'Or

    images-1.jpegpar Jean-Michel Olivier

    Ne manquez pas, aujourd'hui, le rendez-vous rituel de la Librairie du Rameau d'Or (27 Bd Georges-Favon). À partir de 16h, vous pourrez y retrouver tous les auteurs suisses publiés cette année par les éditions L'Âge d'Homme. Et ils sont nombreux…

    François Hussy, Antonio Albanese, Georges Ottino, Germain Clavien, Mousse Boulanger, Bernard Antenen, François Debluë, Geneviève Piron, Ferenc Ràkoczy, Bernadette Richard, Uli Windisch…

    À cette occasion, hommage sera rendu à l'immense Georges Haldas (1917-2010) qui vient de nous quitter le 20 octobre dernier. Le journaliste Jean-Philippe Rapp, qui fut son confident et son ami, publie cette semaine Conversation du soir (éditions Favre), un recueil de moments forts sur la vie, la mort, le sens de notre destin et l'état de poésie. Il sera là, aussi, pour saluer la mémoire d'Haldas.

    Jean Vuilleumier, qui vient de recevoir le Prix de Littérature de la Ville de Genève, et Freddy Buache, le grand spécialiste de cinéma, seront aussi fêtés comme ils le méritent.

    On fêtera enfin L'Amour nègre, de votre serviteur, qui vient de recevoir, à Paris, le Prix Interallié. Qu'un auteur suisse soit primé à Paris est un événement rare, qui arrive environ tous les trente ans (Chessex en 1973, Borgeaud en 1986).

    Venez donc boire un verre à la santé d'Adam…

  • Laure Antoinette Malivert: le retour d'une auteure oubliée

    laure1_couleur.jpgRedécouverte d’une œuvre! La revue littéraire Coaltar consacre son dernier numéro à une écrivaine oubliée. Et qui n’est pas sans rapport avec Genève, puisqu’elle a vécu plus de dix ans dans une villa de Conches, où elle est morte en 1919.

    Petite biographie: Laure Antoinette Duparc est née à Lyon en 1853 dans une famille de drapiers. Très vite, elle s’intéresse à la littérature et tranche sur son milieu bourgeois. Sa famille, pour la calmer, lui fait épouser Charles Malivert, banquier plus âgé qu’elle et qui travaille avec la Suisse.

    La jeune femme découvre ainsi ce pays. Elle fait de fréquents séjours sur la Riviera, dans les bains de Champel, Loèche ou Évian, par plaisir ou pour soigner ses nerfs.

    C’est à Montreux, à 21 ans, qu’elle fait la connaissance de Robert Caze, un auteur français, qui a fui Paris après la Commune. Il enseigne la littérature française et l'histoire à l'Ecole cantonale de Porrentruy, écrit pour des journaux de Delémont.

    Cette rencontre provoque l’éveil littéraire de la jeune femme. Les deux écrivains restent liés jusqu’à la mort de Caze, tué en duel en 1886. Puis Laure Antoinette Malivert, établie à Paris avec son mari, ouvre un salon qui s’intéressera vite aux questions liées à l’émancipation de la femme. Enfin, en 1907, veuve et aspirant au calme, elle s’installe à Conches.

    L’étonnant est que cette femme, qui a toujours écrit, dont l’œuvre est étonnante (on en a des exemples dans Coaltar), n’a publié qu’une nouvelle, et traduite en espagnol encore. Elle a paru dans une revue argentine, El Mercurio de América, en 1898.

    C’est grâce à un Argentin, d’ailleurs, qu’on reparle d’elle. Un universitaire, Antonio Caula, auteur d’une thèse sur « La Commune de Paris et les écrivains », a reçu en 2008 une bourse pour une recherche sur Robert Caze. A Genève, il a découvert les écrits de Laure Antoinette Malivert et a contacté la revue Coaltar pour lui proposer un numéro sur cette écrivaine emblématique de la question féminine au XIXème et de la place de la femme dans le milieu des lettres.

    On trouve dans Coaltar des extraits de l’œuvre, une biographie, ainsi que des analyses de Philippe Renaud, Marina Salzman, ou Céline Cerny, qui s’intéressent à la forme des contes, aux figures féminines dans les textes ou au contenu social de l’œuvre de cette écrivaine.

    Une écrivaine « trop originale, trop différente, trop multiple, trop libre », dit l’éditorial de la revue. A découvrir sur http://www.coaltar.net/

     

  • Il est des blues heureux

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    par serge bimpage

     

    Dès l’instant où son ami Dogane - celui qu’il admire entre tous - lui avoue « Je sors du lit d’un mec ! », sa vie bascule du tout au tout. C’est-à-dire sa conception du monde. Enfin, sa manière de le regarder. Désormais de biais, avec un peu de méfiance. C’est-à-dire en se méfiant de sa propre façon de le regarder. Bref, le héros du Blues des vocations éphémères découvre la complexité des choses. Celle-ci heurte de plein fouet son éducation de fils de paysan de montagne valaisan descendu à la ville pour entreprendre des études.
    Le choc est plus rude que le sol de ses origines. Il conduit à une révolte à laquelle il ne tient pas vraiment, attaché qu’il est aux siens, à sa terre, à l’authenticité de ses repères. En même temps, comment résister aux sirènes de la ville, à l’enivrement de la rhétorique universitaire ? A la nouveauté désarçonnante des années septante et son lot d’expériences sexuelles, psychédéliques, intellectuelles et artistiques ?
    C’est sans doute afin de trouver un compromis que le narrateur décide de devenir artiste. En quoi, il ne sait trop. Les autres lui donnent des complexes. Voilà pourquoi il s’accroche au groupe de musiciens de bal de son village, The Dragon, qui lui permet d’entretenir l’illusion du succès.
    Tout le sel de ce troisième et dernier tome de la trilogie autobiographique d’Alain Bagnoud réside dans ces allers-retours entre la ville universitaire et son village natal. Ils constituent la métaphore du doute, douloureux mais sans lequel il n’est point d’intelligence. En malicieux démiurge, il convoque ses personnages complices de cette époque des années soixante-dix pour les laisser se risquer vers leurs certitudes. Le héros timide se borne à prendre des notes en attendant son heure. Et voilà comment le héros devient l’heureux chroniquer de son destin : l’ouvrage se lit d’un trait.

    Le blues des vocations éphémères, par Alain Bagnoud. Editions de L’Aire, 204 pages.

     

  • Tam-tam d'Éden

    Dans un article paru dans le journal Le Temps, Eleonore Sulzer évoque avec beaucoup d'élégance les nouvelles d'Antonin Moeri, parues chez Bernard Campiche Editeur.

     

    Écouter les bruits du paradis.


    Dans Tam-tam d’Éden, Antonin Moeri se fait flâneur et nouvelliste agréablement nonchalant.



    Ce sont des nouvelles, mais un rythme court de l’une à l’autre le long du livre. Antonin Moeri installe une unité de ton, une énergie qui fait écho au titre déroutant de son recueil, Tam-tam d’Éden. Suivons la piste. L’Éden? Serait-ce ce lac Léman et ses bords où se promènent ses personnages? Ce lieu de vignes, d’eaux et de lumière, où ils festoient parfois, comme dans la nouvelle éponyme où l’Éden n’est pas un sage paradis mais bien plus un canaille jardin des délices…
    Tam-tam? Pour le rythme sans doute. Mais aussi pour ces bruits du monde auquel le «nouvelliste» – au sens presque journalistique du terme – semble être sensible. On l’imagine saisissant au vol des phrases lancées sur les terrasses d’été où il sirote un verre, tendant l’oreille, captant, notant mentalement puis brodant, débordant, exagérant, imaginant tout autour. Nulle prétention dans ces textes, mais une sorte de nonchalance de flâneur qui prend le temps de respirer.
    Ces nouvelles sont parfois noires, mais elles s’amusent des caricatures grinçantes qu’elles installent. Et puis, leurs motifs connus, famille un rien bourgeoise, voisins envahissants, se promènent au bord du vide, déjantés, en rupture, trop fous pour être ennuyeux. Si certaines nouvelles sacrifient aux lois du genre en abaissant le couperet d’une chute brutale, la plupart – les plus séduisantes – se terminent en suspens, interrompues tout à coup, comme par caprice, laissant le lecteur continuer la promenade tout seul.
    Il y a un genre de laisser-aller dans ces écrits. Certains y verront peut-être un défaut, une écriture par-dessus la jambe. D’autres y trouveront une énergie, un goût pour le farniente, pour le vagabondage et prendront avec plaisir ces chemins de traverse, même s’ils ne mènent pas forcément quelque part.



    ÉLÉNONORE SULZER
    , Le Temps