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Blogres - Page 94

  • exterminons les vieux!

     

     

     

    par antonin moeri

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    «Chasseurs de vieux» est une nouvelle de Buzzati que le lecteur a envie de «relire trois cents fois», comme dit une journaliste culturelle de la radio romande. C’est l’histoire de Roberto Saggini, un séduisant quadra qui, vers deux heures du matin, arrête sa voiture pour aller acheter des cigarettes. Quand il sort du bar-tabac, une bande de voyous lui tombe dessus. Ce sont des jeunes animés par la haine des vieux qu’ils rendent responsables «de leur mélancolie, de leurs désillusions». Des ados flattés par les journaux, la radio, la télé, le cinéma. Leur slogan: «L’âge est un crime». Roberto s’enfuit entre les roulottes d’une fête foraine. Il cogne durement un des crânes rasés qui se révèle être son propre fils. Il court dans un bois, descend une colline, traverse une rivière, se retrouve au bord d’un gouffre et tombe dans le vide. Cette course folle a tellement épuisé les rebelles que Regora, leur chef, s’est brusquement transformé en vieillard édenté, aux joues flasques et aux paupières flétries. Désormais, c’est lui que poursuivront les cailleras en colère.

    Cette petite fable réserve un rare bonheur de lecture. En effet, je partage avec Regora et ses potes l’idée que les vieux sont répugnants et qu’il faut à tout prix les supprimer. C’est d’ailleurs ce que suggère Théraulaz dans son spectacle: comment peut-on supporter la crasse sénile, les dents qui tombent, le diabète, les cheveux blancs, la prostate enflammée, la ménopause avilissante, l’hypertension déroutante, l’alzheimer, le cancer sournois, l’ulcère douteux, le fibrome sidérant, les céphalées chroniques, les flatulences désobligeantes, l’hémorroïde du désastre, la fistule infamante, le filet de bave au coin de la gueule? Il serait tellement plus simple de placer des containers au coin des rues, dans lesquels on verserait les cadavres de vieux torturés, étranglés ou égorgés au préalable. La municipalité recevrait l’ordre d’acheminer leur contenu vers un gigantesque crématoire.

    On vivrait enfin sur une planète zéro défaut, une planète propre peuplée d’enfants prodiges encensés par les publicitaires, «encouragés à s’imposer de n’importe quelle façon», qu’on pourra remuer devant les caméras et faire parler «avec un vocabulaire jeune, des arguments jeunes, des valeurs jeunes». Ce que raconte Buzzati avec son humour raffiné, Muray le développe, avec l’efficacité guerrière de son style flamboyant, dans «La jeunesse est un naufrage».

    Dino Buzzati: Le K,, Pocket, 1992

    Philippe Muray: Exorcismes spirituels, Les belles lettres, 1997

     

  • Extension des nouvelles tyrannies

    Par Pierre Béguin

    Pour les enseignants, l'Email professionnel s'appelle EDU. Oui, je sais, c'est moche. Mais comme l'Email qu'il désigne l'est aussi, on peut au moins dire que c'est approprié. Moi, EDU, ça me rappelle un des premiers feuilletons que j'ai vu à la télévision dans ma prime enfance: Monsieur ED, le cheval qui parle. Il y était donc question d'un cheval, un vrai, qui parlait, qui riait en découvrant ses gencives, laissant apparaître alors ses énormes dents. Et donc, bien évidemment, celui dans la classe qui possédait la plus belle paire de dents se voyait immédiatement affublé du surnom de Monsieur ED. En général, il le supportait très mal...

    Donc, comme Monsieur ED le cheval qui parle, EDU parle. Ça ne rit pas, mais ça parle. Et ses dents sont acérées. Chaque fois que je consulte l'abominable «boîte EDU» - bien trop souvent pour moi mais pas assez pour mes collègues et mon employeur - une interminable liste de messages en caractères gras, pour bien me montrer que je ne les ai pas encore consultés et que je devrais m'en sentir coupable, défilent sous mes yeux dépités ou irrités selon mon humeur. Les trois quart des messages sont purement informatifs et ne revêtent aucun intérêt. Les autres, noyés dans la masse d'où ma patience doit les extraire, sont urgents. Car telles sont les caractéristiques essentielles d'un Email professionnel: c'est un fourre-tout bordélique à souhait que l'usager doit sans cesse remettre en ordre, c'est inutilement chronophage et c'est une tyrannie quotidienne par l'urgence qu'il impose.

    - As-tu lu le message que je t'ai envoyé sur EDU ce matin?!

    - Comment! Vous n'avez pas consulté votre «boîte EDU» aujourd'hui!

    - T'as oublié la réunion! Pourtant, ça fait deux jours que la convocation figure sur ton Email! Faut consulter ta «boîte EDU» de temps en temps!

    Et ces mots «boîte EDU» provoquent immanquablement le même effet sur mes nerfs que les mots «vin chaud» ou «planter de bâton» sur ceux de Jean-Claude Dusse - les initiés comprendront, les concernés se méfieront, les autres passeront immédiatement au paragraphe suivant...

    C'est comme ça dans les salles des maîtres (et ailleurs aussi, je suppose). Au point que, avant de saluer mes collègues le matin, je leur demande d'abord, narquois, s'ils ont consulté leur «boîte EDU». Eh oui! Ce qu'on demande surtout à un prof, maintenant, c'est de bien fermer sa gueule et de bien ouvrir sa «boîte EDU». Quitte à consacrer une bonne demi-heure quotidiennement à cet appel d'air d'informations dans lequel s'engouffrent surtout les plus inutiles ou les plus polluantes.

    Mais, davantage que la perte de temps, c'est la tyrannie qu'exerce sur l'employé un Email professionnel qui est redoutable. Un copain employé de banque me racontait qu'il n'est pas rare que des messages urgents (entendez: pour lesquels l'émetteur exige une réponse urgente, c'est-à-dire tous) soient envoyés après 20 heures. En cas de non réponse immédiate, on sait que vous n'êtes pas friand d'heures supplémentaires. Et un mauvais point! Un! L'Email, c'est l'œil de Moscou sous l'apparence trompeuse d'une technologie qui devrait - nous dit-on - nous faciliter l'existence mais qui nous l'empoisonne copieusement. Je vous parie que, bientôt - si ce n'est déjà le cas - on va mandater à grands frais des nouveaux spécialistes ès Email qui arriveront à la conclusion que l'employé perd trop de temps inutilement à consulter sa boîte Email. Sont quand même forts, ces spécialistes!

    Que ceux qui ne sont pas d'accord avec moi et veulent argumenter s'abstiennent. Ceci est un billet d'humeur avec toute la mauvaise foi qui en caractérise le genre. Et je ne suis pas d'humeur à être contrarié sur ce point. Que ceux qui s'étonnent qu'un tel sujet soit abordé dans un blog littéraire se rassurent. J'y arrive. Outre à Monsieur ED, et de manière toujours aussi personnelle et subjective, lorsque je dois sacrifier au rituel et que je m'apprête à faire une petite descente à la «boîte EDU», je pense à Houellebecq, et ça me coupe quelque peu mes effets. Plus précisément, je pense à Extension du domaine de la lutte, dont le héros, et ce n'est pas un hasard, est un informaticien désabusé. La vie moderne ne cesse d'étendre son domaine de lutte, elle nous accule dans notre sphère privée qu'elle ronge comme une peau de chagrin, qu'elle noie sous de vaines obligations, qu'elle détruit par de futiles complications. Si l'écriture ne soulage guère, car l'écriture est lutte elle aussi, il nous reste la lecture, prétend Houellebecq. C'est son pouvoir absolu, miraculeux. Nous soustraire du domaine de la lutte le temps d'un livre. Un moment privilégié et une position privilégiée qui nous donne la jouissance de contempler cette lutte absurde sans avoir à y participer.

    Alors faites comme moi: gagnez du temps, supprimez vos messages Email avant de les avoir lus et prenez un livre! Un vrai... Mieux encore, faites comme mon copain Dudu (auquel EDU me renvoie également): prenez votre retraite!

    «Une vie entière à lire aurait comblé mes vœux; je le savais déjà à sept ans. La texture du monde est douloureuse, inadéquate; elle ne me paraît pas modifiable. Vraiment, je crois qu'une vie entière à lire m'aurait mieux convenu.» (Michel Houellebecq, in Extension du domaine de la lutte)

     

  • chaud, le Moyen-Orient!

    IMG (2).jpgReporter, écrivaine et photographe, Laurence Deonna est l’invitée le 4 avril de Serge Bimpage qui préside désormais la Compagnie des Mots. Depuis 45 ans, elle arpente le Proche et le Moyen-Orient et observe d’un œil attentif les révolutions qui couvent dans ces régions. Le rôle des femmes occupe une place essentielle dans ses réflexions. Avec la surprise de Vincent Aubert, comédien. Lundi 4 avril, 18h30, au restaurant de la Mère Royaume,
    4 Place Simon-Goulart (parking à la gare Cornavin). Tél. 078 680 49 53. Entrée libre. Bar. Possibilité de se restaurer après.

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  • Le Quatuor d'Alexandrie: personnages de Lawrence Durrell

    Par Alain Bagnoud

     

    alexandria.jpegVariation des personnages de Lawrence Durrell dans Le Quatuor d'Alexandrie, Prenons Justine. Dans le premier livre (Justine, justement), Darley, le narrateur, racontait leur passion mutuelle. Il la peignait à la recherche de l'amour, de la satisfaction sexuelle, sacrifiant tout à ça.

    Dans Balthasar, deuxième livre, le même Darley découvrait que Justine aimait en réalité Pursewarden, un écrivain comme lui, mais son contraire en tout. Lui-même, Darley, n'aurait été qu'un paravent à la jalousie du mari.

    Dans Montolive, on apprend que Justine en fait a un but tout autre que ceux que les lecteurs avaient pu imaginer jusque là. Elle complote avec son mari Nessim. Lui, copte richissime, a établi un trafic d'armes avec les juifs établis en Palestine pour secouer la tutelle anglaise et fonder un pays. Il l’a conquise en le lui avouant. Le but est de créer des zones minoritaires au Moyen-Orient qui s'opposeront à l'hégémonie arabe et islamiste. Elle, qui est juive, le seconde – et devient peu à peu le cerveau du couple.

    Elle séduit Pursewarden, attaché à l'ambassade, parce qu'il suppute quelque chose sur le complot. La passion que Justine feint pour lui n'est qu'un moyen de le manipuler.

    262.gifMême chose pour l'Anglais Darley. Sa compagne à lui, Mélissa a été entretenue par un homme impliqué dans le trafic d'armes. Si celui-ci a fait des confidences à sa maîtresse, qu'elles ont été répétées à Darley, il devient dangereux. L'amour de Justine a donc pour but de le sonder, de le contrôler.

    Dans la foulée, on apprend incidemment que les journaux intimes qu'elle a donnés à Darley, et sur lesquels il s'est notamment basé pour écrire Justine sont des faux. Ce qui donne une tout autre résonance au premier livre.

    Portrait très différent, donc, de l'héroïne principale du roman, à travers les livres qui le composent. Proust faisait un peu la même chose. Il exposait une première vision d’un personnage, avant de la miner peu à peu, puis de conclure, dans un troisième mouvement, que son impression originelle n’était peut-être pas si fausse.

    Chez Durrell, le jeu se termine de manière un peu différente. Les portraits subjectifs dans les deux premiers livres semblent remplacés par une description objective dans le troisième, puisque celui-ci est raconté par un narrateur omniscient.

    Mais l’oeuvre n'est pas encore terminée. On verra ce qu'il en est dans le quatrième livre, Cléa.

     

  • Pourquoi nous sommes médiocres !

    images.jpegPrenez le train, l'avion, le paquebot! N'ésitez pas à passer les frontières ! Quittez votre fauteuil cossu pour aller respirer l'air du dehors, ailleurs, loin de vos Alpes…

    Où que vous soyez, en France ou en Océanie, à New York ou à Tombouctou, on vous posera toujours la même question (on me l'a posée 300 fois depuis novembre) : y a-t-il de bons écrivains en Suisse ? Et si oui, lesquels ?

    Au début, la question étonne et interpelle. Puis elle consterne.

    — Bien sûr ! dites-vous, l'air offusqué. Et vous commencez à énumérez les Saintes Ecritures : Ramuz (le Z ne se prononce pas), Haldas (le S se prononce), Chessex (le X ne se prononce pas), Bouvier, Chappaz (le Z ne se prononce pas), Corinna Bille, Monique Laederach, etc. Et vous continuez avec les écrivains vivants : Sprenger, de Roulet, Layaz, Bagnoud, Albanese, Kramer, Béguin, Bimpage, Comment, Safonoff, Moeri, etc.

    Au bout d'une heure, votre interlocuteur marque une pointe de lassitude. Il vous coupe la parole.

    — Mais alors, ricane-t-il, pourquoi ne sont-ils pas connus ?

    Bonne question. À laquelle, bon prince, vous prenez la peine de répondre.

    — Si nous sommes si médiocres, si nous n'existons pas à l'étranger, c'est essentiellement pour deux raisons.images-1.jpeg

    1) Malgré tous les efforts des éditeurs, qui sont modestes, les livres d'auteurs suisses sont mal distribués en France. Voire, le plus souvent, pas distribués du tout. Faute de moyens financiers, d'abord. Faute aussi d'aide confédérale ciblée. Pro Helvetia, qui devrait favoriser la diffusion de la littérature suisse à l'étranger, fait très mal son travail. Sur ce plan, c'est un échec complet. Tous les auteurs vos le diront. Les éditeurs itou. Pas de diffusion, pas de ventes, ni de lecture.

    2) Si la litttérature de ce pays est si mal connue hors des frontières, c'est aussi qu'elle est très mal défendue. Par certains journalistes locaux, d'abord, qui l'ignorent ou la boudent, victimes du préjugé selon lequel cette littérature ne peut être qu'ennuyeuse et vaine. Mal défendue, ensuite, par celles et ceux qui, à Pro Helvetia ou dans les journaux de « référence », devraient la soutenir et qui ne font rien, par incompétence ou par paresse. Allez faire un tour, par exemple, au Centre Culturel suisse de Paris et vous serez consterné : hormis les livres d'architecture et de design, il n'y a pratiquement aucun livre suisse à la bibliothèque du CCs ! Impossible de faire connaître une littérature sans passerelles ou passeurs d'exception, tels que furent, en leur temps, Bertil Galland et Vladimir Dimitrijevic. Et ces passeurs, aujourd'hui, n'existent plus. Un gang de fonctionnaires, peu versés en littérature et particulièrement inefficaces ou méprisants, les a remplacés.

    images-2.jpegQue faire alors ? Multiplier les passerelles. Ouvrir des brèches (comme les blogs, par exemple). Briser cette conjuration étrange du silence et de l'incompétence. Le complot triste des éteignoirs. Lire et faire lire les ouvrages qu'on aime.

    Voyager. Traverser les frontières.

    Toujours un livre à la main.

     

     

  • l'art antique du conteur

     

     

    par antonin moeri

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    Dans ses nouvelles, Maupassant fait honneur à l’art antique du conteur. Prenons “La chevelure”, texte publié dans un journal le 13 mai 1884. Un narrateur-témoin se trouve dans la cellule d’un asile d’aliénés, “petite pièce claire et sinistre”. Un médecin lui apprend que le fou “assis sur une chaise de paille” est atteint de folie érotique et macabre. Le médecin soumet à l’attention du narrateur un journal que le “fou” a rédigé.

    Jusqu’à l’âge de trente-deux ans, le “fou” vit tranquillement. Il aime les meubles anciens et les vieux objets. Il imagine les femmes qui ont touché ces vieilleries. Il pleure des nuits entières sur les femmes de jadis, “si belles, si tendres, si douces”. Rôdant un jour dans Paris, il aperçoit un meuble du XVIIe siècle qui le trouble, “l’envahit comme ferait un visage de femme”. Il fait porter le meuble chez lui et trouve une cachette, au fond d’un tiroir, contenant une natte de cheveux blonds. Il se pose mille questions au sujet de cette relique. Après une promenade dans les rues, il reprend la natte pour la humer et la manier. Tous les jours désormais, il ressent le besoin de la palper. Heureux et torturé, il y enfonce ses lèvres, la mord, l’enroule autour de son visage. Une nuit, il l’emporte dans son lit et fait l’amour à cette femme “grande, blonde, grasse, les seins froids, la hanche en forme de lyre”. Il lui fait l’amour toutes les nuits. “Nul amant ne goûta des jouissances plus ardentes!” Il la promène en ville, la conduit au théâtre. “On me l’a prise et on m’a jeté dans une prison”.


    Dans le cabinet du médecin, le narrateur demande si cette natte existe. Le médecin la lui montre en disant: “L’esprit de l’homme est capable de tout”. Le procédé est bien connu: l’écrivain enchâsse un récit dans un autre récit. Maupassant en use très souvent. Ainsi par exemple le grand Allemand tuberculeux, assis sur un banc à Menton, raconte-t-il à un inconnu la nuit passée auprès du cadavre de Schopenhauer et comment le travail de décomposition a fait jaillir le dentier de sa bouche. Carver en use parfois. Ainsi la serveuse Rita, assise dans la cuisine de sa copine, lui raconte-t-elle sa rencontre avec un client obèse, et un représentant en livres scolaires nous rapporte-t-il l’histoire d’adultère que son père lui a racontée une année auparavant, dans le bar d’un aéroport. Maupassant et Carver, comme souvent les grands conteurs, usent de ce procédé efficace pour capter l’attention du lecteur et l’entraîner dans leur métro émotif.

     

  • Yakich et Poupatchée au Théâtre du Loup

    Par Alain Bagnoud

    Affiche, détail / E. Jeanmonod

    Comédie crue, dit l’affiche. C’est vrai. Crue, drôle et également, oui, transcendante.

    Ils sont vilains, solitaires, pauvres et brûlants, Yakich et Poupatchée. Un marieur réussit tout de même à les accoler. Enfin, à les faire s’épouser. Mais le cornichon de Yakich refuse de devenir dur (c’est le langage de la pièce), tellement Poupatchée est laide.

    Les familles hurlent: il faut consommer. Du coup, tout le monde se retrouve au bordel, où une putain devrait exciter le pauvre Yakich et le mettre en état d’accomplir la chose. Raté.

    C’est un autre visage de la femme qui arrive ensuite: une princesse compatissante dans son palais argenté. Trop splendide pour Yakich terrorisé.

    « Quand elles sont laides, il s’évanouit, quand elles sont belles, il pleure. On va où, comme ça ? » Nulle part. Dans les gares et les terrains vagues.

    Mais lorsque tout semble perdu, un tout petit moment de tendresse arrive, et de réussite, presque de fraternité. C’est déjà énorme dans ce monde théâtral très théâtral, désespéré, grotesque, décalé et drôle.

    Humour juif. Hanoch Levin, l’auteur très prolifique et peu optimiste, est israélien, né en 43, mort à 55 ans ans après un cancer des os. Platchki et Ploutchki, les lieux imaginaires de la pièce évoquent irrésistiblement l’Europe de l’est avant la Shoah, les communautés ashkénazes, leurs personnages colorés, leurs accents, leurs rites, mariages et enterrements, leur enfermement aussi.

    Si les personnages pénètrent fugacement dans un château, c’est pour s’apercevoir que cet endroit est exotique. Leur réalité, c’est Platchki et Ploutchki, où tout est laid, âpre, sans espoir.

    Mais Platchki et Ploutchki sont partout, et nous sommes tous Yakich et Poupatchée. Même si, comme eux, nous sommes plus beaux à l’intérieur qu’à l’extérieur, ça ne se voit pas.

    Mais le sommes-nous vraiment? Ce sera notre question de fin. Rédigez un paragraphe argumenté...



    Yakich et Poupatchée, de Hanokh Levin, Texte français de Laurence Sendrowicz.
    Une création du Théâtre du Loup.
    Mise en scène Frédéric Polier.
    Du 22 mars au 10 avril 2011

  • Japon fantomatique

    images-2.jpegpar Jean-Michel Olivier

    L'actualité, parfois, donne à certains livres une résonance particulière. Ainsi le dernier livre d'Olivier Adam, Kyoto Limited Express*, accompagné des magnifiques photos d'Arnaud Auzouy. Ici ce n'est pas le Japon intraduisible de Sofia Coppola, ni celui, bureaucratique, d'Amélie Nothomb. Ni même celui de Nicolas Bouvier ou de Roland Barthes. Adam revisite plutôt le Japon nostalgique de Simon Steiner, héros malheureux du Cœur régulier, roman paru presque en même temps que Kyoto Limited Express. C'est le récit d'une errance et d'une douleur, d'une quête à jamais impossible.

    Simon revient, quelques années plus tard, sur les lieux de son bonheur enfui, quand sa femme et sa fille, Chloé, étaient encore à ses côtés. Nous le suivons dans son errance, admirablement balisée par les images d'Arnaud Auzouy, dans un tel jeu de miroir qu'il paraît impossible, souvent, de discerner lequel, du texte ou de l'image, inspire ou illustre l'autre. Promenade enchantée à travers les forêts, les étangs, les places de jeu, les rives du fleuve. Dérives nocturnes de bar en bar. De temps à autre, sur une barque ou derrière la vitre d'une voiture, passe le fantôme d'une geisha. images.jpegCar tout, dans le livre écrit à quatre mains d'Olivier Adam et d'Arnaud Auzouy, appartient aux fantômes. L'atmosphère, les images, l'air même qu'on y respire. Nous sommes dans un pays marqué par la disparition.

    Dans la vie de Simon, tout a été bouleversé. Celles qu'il aimait ont disparu. Il recherche leurs traces dans ce Japon fantomatique, se laisse entraîner par une fille dans la rue, fait le coup de poing dans un bar. Comment survivre à la disparition ? Et peut-on échapper à sa souffrance ? Les images qui ponctuent le récit signalent une curieuse permanence. Rien n'a changé, semble-t-il, dans cette ville pleine d'ombres et de fantômes, dont les cimetières sont peuplés de petites statues figurant des enfants morts. Les érables rouges sont toujours aussi somptueux. Les temples boudhistes toujours ouverts et mystérieux.

    images-1.jpegOn le voit : ce livre est sans doute prophétique. Comme Simon Steiner, son héros, erre à travers une forêt de fantômes, il nous montre un pays qui, déjà, n'existe plus. Bien sûr, Kyoto n'est pas Fukushima. Mais il est facile d'imaginer ce qu'elle serait après un tremblement de terre ou une catastrophe nucléaire. Les photos d'Arnaud Auzouy en portent témoignage. On dirait que ce livre a été écrit juste avant la catastrophe. Et qu'il garde intacte la trace de ce qui va disparaître. De ce que nous avons perdu.

    *Kyoto Limited Express d'Olivier Adam, photographies d'Arnaud Auzouy (Points Seuil, 158 p.).

  • Aude Seigne, une nomade épatante

    par Pascal Rebetez

     

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    « Bourlinguer », disait l’un, « se perdre au monde » relisait l’autre. Et l’on pensait qu’on en avait fait le tour de ces écrivains voyageurs d’un autre temps, parce qu’on a fait le tour du monde et le tour des bibliothèques et que le cœur est triste d’avoir vu tous les livres sur tous les carrefours de la planète et aussi, en ce qui me concerne, parce que je ne vais plus assez me perdre, me désorienter dans les confins du monde…

    Et un petit livre paraît et le monde redevient nomade et merveilleux. Et on lit avec ravissement, merci Aude Seigne, cette salade de fruits récoltés grâce à la bougeotte existentielle. Et c’est d’une Genevoise de 26 ans ces Chroniques de l’Occident nomade, ces allers et ces ailleurs et le bonheur des départs, et l’ennui des attentes et le besoin de tendresse plus fort au bord de la route que dans le coin du jardin. Alors bien sûr, elle a dans son havresac son Bouvier et son Cingria et on a envie de lui offrir tout Henri Calet pour le bonheur des petites choses entraperçues, ressenties, tous ces petits moments ravis, les joies du laisser-aller jusque dans son corps de jeune amoureuse. Lire-écrire-aimer-voyager, Aude Seigne nous refait le coup de l’ancien paradigme usé comme bien des godasses rangées au placard, mais c’est pieds nus ou en tongues qu’elle parcourt le globe et c’est frais, intelligent, roboratif, ça fait envie d’y aller voir.

    Chroniques de l’Occident nomade, Paulettes éditions, Lausanne, 2011.

  • lecture au tastemots

     

     

    LE VERBE ET LE SWING



    Lectures musiquées au Bourg


    Lausanne, rue de Bourg.


    MARDI 29 MARS


    Bar: 19h

    Début: 21h


    Entrée libre


    INFO

    Tel: +41 21 311 67 53

    Mail: info@le-bourg.ch


    Quatre compères, plus un, jouent de concert sur une trame de mots et de

    notes: deux générations mais une passion commune pour le verbe qui sonne

    et les notes qui parlent.


    En complicité:


    Daniel Vuataz, poète et prosateur vif déjà distingué par plusieurs prix littéraires,

    qui lira des fragments de chroniques urbaines dont le Lausanne d’aujourd’hui est

    le décor.


    Antonin Moeri, 10 livres publiés à ce jour, avec des extraits de Ramdam, son

    nouveau roman très théâtral, qui évoque les tribulations d’un Beur en Suisse

    ordinaire.


    Jean-Louis Kuffer, qui vient de publier son dix-huitième livre, L’Enfant

    prodigue, dont il lira quelques extraits entre autres listes insolentes et vignettes

    érotiques.


    Nicolas Lambert, poète primé lui aussi et musicien pro diplômé de l’AMR,

    maître d’atelier et rompu à toutes les improvisations et autres contrepoints

    malins.

     


    Venez taster !