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Blogres - Page 99

  • Mad Marx

    Par Pierre Béguin

    Karl Marx prédiKarl_Marx[1].jpgsait la fin inéluctable du capitalisme lorsque deux stades de son évolution seraient atteints: d’une part, l’impossibilité pour les marchés de futures expansions; d’autre part, le divorce de l’économie et de la finance, plus exactement l’émancipation de la finance par rapport à l’économie.

    Les notions même de mondialisation ou de globalisation suggèrent que la première condition est en passe d’être remplie. Certes, plusieurs gros marchés émergeants accordent à notre génération un répit important. Peut-être. Mais pour nos enfants…

    En revanche, certains signaux semblent indiquer que la deuxième condition est en passe de devenir effective. En deux étapes. La première, réalisée depuis belle lurette: la mise sous tutelle de la politique par l’économie, ne serait-ce que par les endettements énormes consentis par les Etats et qui ne rapportent pas aux prêteurs que des intérêts en monnaie sonnante; beaucoup de citoyens semblent maintenant avoir compris que le cirque politique fonctionne comme un trompe-l’œil démocratique tout juste bon à donner l’illusion que ceux qui dirigent sont bien ceux qui ont été élus; et si certains pouvaient encore en douter, la crise de 2008 – cette crise déjà terminée pour les financiers et qui n’en finit plus pour les démunis – est là pour leur signifier, de manière particulièrement abrupte, qui commande vraiment. Tous les acteurs de la finance – gestionnaires de fortune, banquiers privées et grandes banques, etc. –, directement responsables de l’appauvrissement d’une bonne part de la population, ont été sauvés à grands coups de milliards puisés dans les caisses publiques. Ce qui a eu pour effet d’affaiblir encore les Etats et, donc, d’augmenter encore leur mise sous tutelle en même temps que leur niveau de pauvreté par des plans de rigueur imposés par ceux là même qui les ont appauvris. Et pour les plus faibles, de les livrer aux usuriers.

    Au tour de la finance de s’émanciper de l’économie réelle pour mobiliser de plus belle à son seul profit les maigres ressources des états affaiblis. Après la Grèce, l’Irlande, soumise elle aussi à des taux impossible à honorer par les marchés obligataires, mais justifiés par un déficit public abyssal de 32% du PIB, dont 20% imputables aux banques (décidément, on ne répétera jamais assez que seule l’incroyable stupidité des banques est plus abyssale encore que les déficits qu’elles contribuent à creuser). Viendront ensuite le Portugal et l’Espagne, nous dit-on, puis l’Italie, la Hongrie, dans un jeu de domino dont on ne sait où il s’arrêtera, s’il s’arrête. Si la Grèce pouvait être montrée du doigt pour sa corruption, l’Irlande en revanche passait pour l’élève modèle du libéralisme européen, celui qui appliquait avec zèle les recettes miracles bien connues de nos amis les libéraux: réduction massive des impôts pour attirer les entreprises et les investissements étrangers, promesses de rentrées fiscales et plein emploi (etc. – tout le monde connaît la chanson). Oui mais… Taux d’intérêt trop bas, immigration trop forte, salaires insuffisants qui ne suivent pas la courbe de productivité, banques qui prêtent à en veux-tu en voilà, bulle immobilière (etc. – là aussi tout le monde connaît la chanson). Bref, après le boom, le boum. La chienlit. Le monde sens dessus dessous, la droite qui demande l’intervention de l’Etat, les états appuyés par les milieux économiques qui lancent des appels émus à la moralisation du capitalisme – effets de manches inutiles tant l’on sait qu’éthique et argent sont comme feu et glace –, appels destinés avant tout à calmer l’ire de la population au moment où on s’apprête à lui faire payer les excès de ceux qui ont gagné beaucoup d’argent sur son dos par leurs excès même (là encore tout le monde connaît la chanson). Sauf que la musique s’emballe et ne suit plus ni partition ni chef d’orchestre. La finance se la joue désormais solo…

    C’est ce que soulignent les dernières réunions des cinq plus grandes économies européennes en marge du G20. Lorsque présidents, chancelière ou premier ministre veulent, au nom des responsabilités engagées, une répartition publique privée pour assumer les coûts du sauvetage du «Tigre celtique» à l’agonie, la riposte financière est immédiate: envol des marchés obligataires, taux usuriers, (etc. – on connaît…). L’ironie de cet affrontement réside dans le fait que, désormais, toute tentative politique d’imposer une réglementation des marchés ou des responsabilités aux investisseurs se retournent contre les pays les plus faibles. Pour les états, vouloir se protéger contre la volatilité des marchés, c’est s’en rendre plus vulnérable encore.

    Il serait urgent, s’il n’est pas déjà trop tard, de dépasser les gémissements, les moralisations inutiles, les pétitions de principe, les menaces. Voici venu le temps des lois, dernière arme du politique. Pour ramener la finance à la raison, la réconcilier avec sa compagne indispensable l’économie, on connaît la seule recette efficace: surtaxer toutes les transactions spéculatives purement financières et sous taxer, voire exonérer, les investissements dans l’économie réelle. La principale mamelle des revenus financiers, la spéculation, ne peut disparaître que si elle n’est plus rentable. Il est vrai qu’une telle loi engendrerait d’autres conséquences désastreuses, à tel point qu’on peut comprendre l’hésitation des politiques, pour autant qu’ils aient encore la liberté d’action.

    Marx aurait-il donc raison, inéluctablement?

    Ces dernières années, l’Argentine, mise en faillite par la corruption de ses politiciens et l’avidité des multinationales, a bradé en Patagonie des terres à des familles très fortunées. Des terres (voire des territoires entiers, certains aussi grands que la Suisse) qui offrent plus d’avantages que les îles d’abord recherchées: ressources beaucoup plus variées, communications plus faciles et, surtout, aucune menace de montée des eaux. La Patagonie semble donc destinée à devenir, pour les grandes fortunes, l’Arche de Noé du futur déluge financier prêt à s’abattre sur notre monde en perdition. Les plus riches l’ont déjà compris, non pas tant par la lecture de Marx que par celle des marchés financiers. Pour les autres, sera-ce la noyade? Ou le retour à une sorte de Moyen Âge, comme l’annonce une littérature et filmographie post apocalyptiques dressant le portrait d’une humanité qui s’étiole ou qui est revenue à l’état de barbarie?

    On pense notamment aux Anges mineurs d’Antoine Volodine, une sorte de Fin de partie où l’humanité, dépourvue d’espoir, de futur, devant un horizon de vide et de saleté, retourne à l’animalité ou chute dans le cannibalisme. Et c’est peut-être l’annonce de cette future Patagonie post diluvienne que nous découvrons dans ce diagnostic impitoyable du narrateur sur l’état de délabrement de nos sociétés modernes: «Devant nous s’étend la terre des pauvres, dont les richesses appartiennent exclusivement aux riches (…), nous avons devant nous leurs valeurs démocratiques conçues pour leur propre renouvellement éternel et pour notre éternelle torpeur, nous avons devant nous leurs machines démocratiques qui leur obéissent au doigt et à l’œil et interdisent aux pauvres toute victoire significative, nous avons devant nous les cibles qu’ils nous désignent pour nos haines avec une intelligence qui dépasse notre entendement de pauvres et avec un art du double langage qui annihile notre culture de pauvres, nous avons devant nous leur lutte contre la pauvreté, leurs programmes d’assistance aux industrie des pauvres, leurs programmes d’urgence et de sauvetage, nous avons devant nous leurs distributions gratuites de dollars pour que nous restions pauvres et eux riches, leurs théories économiques méprisantes et leur morale de l’effort et leur promesse pour plus tard d’une richesse universelle, nous avons devant nous leurs organisations omniprésentes et leurs agents d’influence, leurs propagandistes spontanés, leurs innombrables médias, leurs chefs de famille scrupuleusement attachés aux principes les plus lumineux de la justice sociale, pour peu que leurs enfants aient une place garantie du bon côté de la balance, nous avons devant nous un cynisme tellement bien huilé que le seul fait d’y faire allusion, même pas d’en démonter les mécanismes, mais d’y faire simplement allusion, renvoie dans une marginalité indistincte, proche de la folie et loin de tout tambour et de tout soutien…»

    Après tout, de Marx à Mad Max, seuls deux siècles nous contemplent…

  • Grégoire Müller, Insoumis

    Par Alain Bagnoud

     

    Couverture%20GregoireMullerB.jpgIl y a toujours, dans les journaux intimes publiés, un risque d’exhibitionnisme. Et, en face, chez le lecteur, une envie de voyeurisme, bien sûr. L’auteur, sa femme, ses enfants, ses maîtresses, ses ennemis... On est à l’affût de révélations, de croustillant.

    Ce n’est pas que cet aspect soit absent du journal de Grégoire Müller, mais il est dépassé par la cohérence de l’ensemble et la position de l’auteur, en même temps franche, confiante et pudique. Du coup, le lecteur se retrouve non pas à guetter derrière une porte, mais comme avec un ami qui vous parle, qui vous explique sa peinture, qui ne cache pas ses problèmes, qui s’indigne de la marche du monde...

    Insoumis, le titre est bien choisi. Insoumis, Grégoire Müller l’est dans son existence, dans sa vision du quotidien, dans ses prises de position politiques, mais aussi dans sa conception de l’art. Il ne s’est jamais plié aux dogmes et aux oukases des milieux dominants, qu’il a pourtant fréquentés de près, dont il a fait partie, notamment lors de son séjour dans les milieux de l’art à New York où il a dirigé la revue Arts Magazine entre 1970 et 1972. Il y a noué des relations avec des artistes importants, Rauschenberg, Warhol, Dali, Sol Lewitt, Walter De Maria, Phil Glass, Richard Serra, est devenu un apparatchik de ce milieu.

    Mais pas longtemps. Alors que tout le monde célébrait l’abstraction ou le conceptuel, il a décidé de revenir vers la figure humaine, qui lui a paru être le centre définitif de toute la grande peinture occidentale. La sienne, expressionniste, puis réaliste, fait le bilan de notre époque, une époque de violence, dans des tableaux dont l’ambiance semble souvent sortie d’un rêve – ou d’un cauchemar.

    Il s’agit beaucoup de ça dans son journal, tenu pendan76259.jpgt cent jours entre juillet et octobre: de peinture, de création, et des questions passionnantes qui y sont liées. Mais on y trouve aussi les détails du quotidien: ses relations avec sa femme, les problèmes de ses filles, ses virées, ou le menu de ses repas.

    Grégoire Müller s’est fixé ces 100 jours comme une limite, sans savoir s’il s’agirait tout compte fait d’un carnet personnel ou d’un document destiné à la publication. Son but était de s’interroger sur cette alchimie qu’est la peinture, et de donner un aperçu de sa « façon d’être à l’œuvre ». L’exercice a pris de l’importance au fur et à mesure du temps qui s’écoulait. Il nous livre finalement bien plus. Non pas seulement un journal de peintre, ni un ensemble de fragments et de scènes, qui nous renseigneraient sur les fréquentations, les rencontres et les malheurs de quelqu’un, mais le portrait d’un artiste dans toute sa générosité et sa complexité, qui a pris le parti de résister au malheur, à la soumission et au conformisme.

     

    Grégoire Müller, Insoumis, Cent jours d’une vie de peintre, Journal, L’Aire, 2010

    Publié aussi dans Le blog d'Alain Bagnoud

  • Le Prix de littérature à Jean Vuilleumier

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    par Jean-Michel Olivier

    Voici, enfin, un Prix amplement mérité. Je ne parle pas de L'Interallié, qui est allé à L'Amour nègre (sic). Mais du Prix de Littérature, remis tous les quatre ans, par la ville de Genève, et doté de 40'000 Frs.. Après quelques erreurs de casting (la dernière s'appelait Jean-Marc Lovay), on célèbre enfin comme elle le mérite l'œuvre, exigeante et singulière, de Jean Vuilleumier, l'une des grandes voix de notre pays.

    « Je pourrais parler de consécration, s’il n’était pas si mal venu pour l’intéressé de le dire. » précise l'auteur avec sa modestie coutumière. Depuis Le mal été (l'Âge d'Homme, 1968), Vuilleumier a publié près de trente livres, pour la plupart des romans au titre lapidaire (La Désaffection, L'Écorchement, L'Allergie), qui disent la difficulté d'être et le désir d'une vie plus accomplie. Mais aussi des essais sur son grand frère en écriture, Georges Haldas, et son ombre tutélaire, le genevois Henri-Frédéric Amiel (La Complexe d'Amiel). Vuilleumier excelle aussi dans l'art de la nouvelle (Les Abords du camp, 1987), un genre qui lui convient parce qu'il conjugue rapidité et dépouillement. En outre, Vuilleumier est un poète de premier ordre. Je tiens son recueil Interzones (1984) pour un sommet de prose poétique.

    Son dernier livre, Les Fins du voyage*, rassemble trois nouvelles assez extraordinaires, à l'atmosphère onirique, aux personnages singuliers, un peu perdus, vivant leur vie sans savoir où elle les mène. On pense à Truman Capote, à Carver, à Thomas Mann aussi.

    Ce Prix récompense un écrivain discret, qui fut journaliste à La Tribune de Genève pendant 40 ans, mais aussi chroniqueur apprécié, critique plein d'empathie pour tous les écrivains de Suisse romande.

    Ce Prix de littérature, ainsi que d'autres Prix artistiques, sera remis le 11 mai 2011 au Grand-Théâtre.

  • Un puissant roman sauce chasseur

     

     

     

    par Pascal Rebetez

     

     

    Il y a des semaines gagnées par la grâce. Ces derniers jours, j’ai assisté dans le désordre à la splendide leçon de tennis de Roger Federer, à la fabuleuse victoire du Barça sur le Real, j’ai aussi aperçu deux daguets, jeunes cerfs dévalant une pente en lisière des mélèzes. Vision quasi surréaliste : l’ai-je rêvée ? On dirait un conte. Et puis on se rassure, c’est bien réel, grâce à une autre vision, celle du livre L’Embrasure.

    Son auteur s’appelle Douna Loup, une Genevoise de 28 ans. Bon sang, quel souffle ! C’est bluffant de bout en bout, ça part de la forêt, ça s’en nourrit, ça passe dans les villes comme un renard, dans les usines comme une fouine et puis ça pousse dans l’amour, comme une plante de sous-bois. Ça se lit d’un trait halluciné, c’est beau comme un chant moldave, c’est bon comme un bol de soupe sur des lèvres gercées, toujours en équilibre entre la raison et les réflexes archaïques : c’est du grand art, déroulé cash. L’auteur arrive au tour de force de nous faire aimer le chasseur, de le suivre et d’aimer à notre tour les mystères de la forêt et des êtres au « sang chaud » qui la parcourent et désormais nous habitent.

    Pour notre plus grand bien.

    Douna Loup, L’Embrasure, Le Mercure de France, 2010.   

  • Que désigne ce mot: littérature?

     

     

     

     

    par antonin moeri

     

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    Le narrateur de «La Cour des grands» s’appelle Xavier Chaubert. Moniteur de judo, il rêva d’une carrière de champion international. Zut! Anschwanden lui passe devant le nez. Faudra se contenter des seconds rôles. Xavier décide alors d’écrire sous pseudo des romans de gare qui se vendront par dizaines de milliers. Et voilà que les auteurs suisses sont invités à l’Escapade: quatre jours (dans le nord de la France et à Paris) de lectures, dédicaces, conférences, rencontres, débats. Le rêve!!!!!!

    Le hic, c’est que l’ordinateur s’est trompé: trois auteurs people ont été invités en même temps que l’illustre Montavon qui, lui, fait une «vraie carrière», est auréolé d’une «vraie gloire». Montavon sait ce qu’écrire veut dire, il édite ses livres chez Gallimard, il songe sérieusement au Nobel, il ne peut accepter de signer ses oeuvres à côté de vulgaires pitres de province. Ce mépris, il le manifestera au cours des quatre jours, mais un cataclysme va l’anéantir: la perte du cahier contenant ses derniers poèmes. Chaubert y découvrira une dizaine de poèmes «douloureusement accouchés (...) sur l’approche terrifiante de la mort».

    Il y a, dans ce roman, des moments de délire, des descriptions de repas flaubertiennes, des évocations superbes de corps féminins, d’un rameur sur l’eau (trois pages à couper le souffle), de personnages qui, au fil du récit, deviennent bouleversants, en particulier celui de l’écrivain nobélisable, pathétique avec sa soif de reconnaissance, ses stratégies machiavéliques, sa vanité de paon foireux, son irrémédiable solitude, ses rages enfantines. Il y a une énergie rare dans le geste de Bovard (en dépit de quelques facilités dans la gauloiserie), qui rend palpitante la lecture de ce roman. On tourne les pages comme celles d’ «Europa» de Tim Parks (dont le cadre spatio-temporel rappelle celui de «La Cour des grands»: un voyage en car, qui dure trois jours, de Bologne à Strasbourg avec des intellos qui ne croient plus en rien), on tourne les pages avec une jubilation que l’auteur vaudois sait communiquer au lecteur.

    Est également posée, ici, la question de la littérature, ou plutôt de ce que peut désigner ce mot. Question qu’on peut légitimement poser à une époque où les livres de Marc Lévy valent infiniment plus que ceux de Michon, et où les mémoires de Zidane valent infiniment plus que les nouvelles d’Annie Saumont. A cette question, Bovard ne donne pas de réponse. Il la met «juste» en scène.

     

     

    Jacques-Etienne Bovard: La Cour des grands, Ed.Campiche 2010

     

  • Dubath au Saint-Bernard

    Par Alain Bagnoud

     

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    Pour Jean-Yves Dubath, la ligne droite n’est jamais le plus sûr moyen d’aller d’un endroit à l’autre.

    Il nous promène dans ses livres à la manière d’un Rousseau méditatif, qui herboriserait dans une vaste forêt, choisirait le sentier le plus tortueux mais le plus pittoresque, quitterait à chaque instant sa route pour nous désigner une plante rare ou curieuse, se perdrait, se retrouverait ou presque, pour mieux s’égarer encore, évidemment. Ainsi faite de détours, d’arrêts, de digressions, la flânerie dans les livres de Dubath est ondoyante, sinueuse, divertissante, aventureuse, déconcertante, délicieuse.

    Dubath a déjà publié plusieurs livres. Dans Gainsbourg et le Suisse, notre auteur contait sa rencontre avec le chanteur célèbre. Noël, héros très helvète se passe dans les milieux de la lutte suisse. Gazmend en guerre traite, plus ou moins, de la guerre du Kosovo ou du moins d’un Kosovar nommé Gazmend. (Les deux derniers livres publiés sous le pseudonyne de Jean-Yves Bénévent).

    Après tous ces sujets variés, Jean-Yves Dubath nous revient avec un thème sérieux. Historique. Napoléon Bonaparte.

    Ou plutôt pas tout à fait. Car la mise en scène de Bonaparte et le Saint-Bernard est raffinée: le narrateur, un personnage actuel, est engagé par Monsieur Oth pour donner des leçons particulières à sa fille, et stimuler son goût de l’étude. Il tombe amoureux d’elle, et finit par l’étrangler avec sa cravate.

    Oh, bien sûr, je simplifie! Si vous croyez que Dubath se permet une intrigue claire, linéaire, vous ne connaissez pas notre auteur!

    Le narrateur, donc, pour intéresser Mademoiselle Oth (quand elle est encore vivante), lui parle du passage de Bonaparte au Saint-Bernard. Vous savez, lorsque le consul a traversé les Alpes pour retourner se battre en Italie.

    La vérité historique? La voici, version Wikipédia: « C’est avec la traversée des alpes par l'armée de réserve le 13 mai 1800 que Napoléon intervient dans la deuxième campagne d’Italie, déclenchée par la reprise de Milan par les Autrichiens. Il fallait surprendre les Autrichiens du général Melas et fondre sur eux en profitant de l’effet de surprise. Avec son armée de réserve il passe le col du Grand-Saint-170px-Delaroche_-_Bonaparte_franchissant_les_Alpes.jpgBernard, le corps du général Moncey franchit le Saint-Gothard et le corps du général Turreau se dirige vers le col de Montgenèvre. Le 18 mai, Bonaparte quitte Martigny et se met en route vers le Grand Saint-Bernard. Le 20 mai, habillé d’un uniforme bleu que recouvre une redingote blanche et coiffé d’un bicorne couvert de toile cirée, il monte une mule, et escorté par le guide Dorsaz, il traverse les sentiers escarpés du sommet alpin.

    Du 15 au 21 mai, les troupes gravissent les monts et acheminent des tonnes de matériel et l’artillerie logée dans des troncs d’arbres évidés pour en faciliter le transport. L’artillerie fut retardée au fort de Bard par la résistance des Autrichiens, mais le reste de l’armée fut au rendez-vous de la première bataille importante à Montebello. »

    Tout ceci ou presque, on le retrouve chez Dubath. Mais haché, disposé dans un ordre bien personnel.

    Le texte insiste sur des détails plaisants. Le nombre de bouteilles bues au col: 1172 pour le 16 mai, par exemple. Le nombre de sapins abattus (2037 à 6 francs pièce) et le nombre de mélèzes coupés (3150 à 8 francs 50) pour faire passer l’artillerie à quoi ils servaient de charriot-luge.

    Et puis il y a l’histoire du narrateur et de Mademoiselle Oth! Il pourrait y avoir bien d’autres choses encore. On apprécierait tout autant.

    Car les sujets que choisit Dubath témoignent surtout d’un art: celui qu’a notre auteur de faire de la littérature avec tout.

     

    Jean-Yves Dubath, Bonaparte et le Saint-Bernard, Editions d’autre part

    (Publié aussi dans Le blog d'Alain Bagnoud)

  • Ô terrible jeunesse!

     

     

     

    par antonin moeri

     

     

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    À part ceux de Billie Holliday et de Robert Johnson, je connais très peu le blues. Et puis, les groupes d’amis dans lesquels on se fond, et dont on pourrait avoir la nostalgie quelques années plus tard, je n’en ai jamais connu. J’étais donc mal barré pour apprécier pleinement le dernier roman d’Alain Bagnoud. Il y rappelle les années 80, celles où le héros quitte son village valaisan natal, entre à l’université et découvre la ville, ses bars, ses filles, ses rumeurs, ses lumières, ses odeurs et ses drames. Ce héros est partagé entre un monde rural dont les valeurs le hérissent, mais où une certaine authenticité le séduit et un monde urbain où les perspectives s’élargissent, où une autre langue peut se construire, où le clavier peut s’étendre. Genève n’est pas Paris ni Londres ni New York mais des silhouettes étranges s’y croisent dans certaines pénombres, les richetons y affichent leurs insolentes certitudes, Rastignac peut y nourrir de vraies ambitions.

    Ce qu’il y a de plus étonnant dans ce livre, ce sont les mille et une observations, notations, descriptions de lieux et de personnages. En quoi Bagnoud affirme et développe son talent de romancier. Mais ce qui touche un lecteur de ma sorte, c’est la musique presque lancinante, une forme de nostalgie que le blues doit certainement exprimer, en tout cas celui qui m’est familier, celui de Billie Holliday et, surtout, celui de Robert Johnson qui murmure l’épopée d’un malandrin courant éperdument vers la femme adorée. Et le malandrin de tomber sur les genoux, au comble de l’épuisement, dans un carrefour. Et c’est à genoux, au milieu de ce carrefour, que le malandrin module son chant qui n’a rien de triste mais vous saisit à la base même du tronc.

    Une des trames du livre mène le lecteur dans ce qu’on pourrait appeler une enquête. Stupéfait par la révélation d’un de ses meilleurs amis, dont il admire les dessins et les peintures et qui représente pour lui un modèle dans le domaine de l’art, le narrateur sombre dans ce genre particulier d’abattement que le réel peut nous réserver. «J’ai couché avec un mec», lui a dit cet ami admiré qui, depuis «toujours», aimait les garçons. Le trouble que chacun peut ressentir devant une sexualité autre fait chez le narrateur tomber les barrières de protection que ses représentations avaient, jusque là, maintenues droites.

    Ce que Bagnoud a ressenti dans ces années où tous les possibles semblaient sourire, c’est sans doute ce qu’il a voulu recréer dans un climat d’écriture qu’on n’oublie pas, auquel on voudra revenir et qui fait, dans la lumière des sunlights, résonner les torsions de cordes et les glissandos discordants d’une jeunesse que l’artiste sait préserver. Rimbaud, une fois de plus, avait raison: «On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans».

     

    Alain BAGNOUD: Le blues des vocations éphémères.

    Editions de L’Aire, 2010

     

  • A intolérance, intolérance et demie?

    Par Pierre Béguin

    Le 19 octobre 2010, la chancelière allemande Angela Merkel (sous la pression populaire et à l’approche des élections) décrétait du même coup l’échec et l’enterrement du multiculturalisme. On peut certes douter que l’Etat allemand ait réellement adopté le «multikulti». Le problème s’est posé en réalité depuis que l’ancien ministre Schroeder a décrété la loi du sol, c’est-à-dire depuis que des étrangers mal – ou pas du tout – intégré pouvaient prendre la nationalité allemande. Quoi qu’il en soit, la Première Ministre exige dorénavant des immigrants qu’ils épousent les valeurs allemandes ou qu’ils quittent le pays. Après le revirement des Pays-Bas et des pays anglo-saxon, qui étaient allés les plus loin dans l’application d’une politique multiculturelle (en Angleterre, le multiculturalisme est devenu un mot assimilable à un juron depuis qu’on a découvert qu’il avait «accouché» de terroristes islamistes), la position allemande pourrait sonner définitivement le glas d’un modèle qui a influencé pendant près de quarante ans la politique européenne en matière d’intégration des étrangers.

    Le multiculturalisme a connu son apogée dans les années 90, avant que les attentats du 11 septembre 2001, de Madrid en 2004 et de Londres en 2005 n’amorcent son déclin irrémédiable et n’annoncent le retour au modèle assimilationniste. Un modèle qui, tout autant que le multiculturalisme par ailleurs, a clairement montré ses limites. A l’image de la France…

    Dans le Traité sur lvoltaire[1].jpga tolérance, Voltaire, selon le postulat que la tolérance amène la tolérance, loue les empereurs ou les pays, à commencer par les Grecs et les Romains, qui ont appliqué ce qui pouvait être considéré comme le socle du multiculturalisme, l’acceptation à part entière des autres cultures et religions: «Chez les anciens Romains, vous ne voyez pas un seul homme persécuté pour ses sentiments (…) Le grand principe du sénat et du peuple romain était: "Deorum offensae diis curae; c’est aux dieux seuls à se soucier des offenses faites aux dieux"». Quant aux Grecs, précise-t-il, à part Socrates («C’est le seul que les Grecs aient fait mourir pour ses opinions»), ils avaient «un autel dédié aux dieux étrangers qu’ils ne pouvaient pas connaître». De même, plus proche des Lumières: «Pierre le Grand a favorisé tous les cultes dans son vaste empire; le commerce et l’agriculture y ont gagné, et le corps politique n’en a jamais souffert».

    Bien, mais que se passe-t-il lorsque le postulat est démenti, lorsque la tolérance n’amène pas la tolérance? Voltaire n’élude ni le problème ni les exemples. En Chine: «Il est vrai que le grand empereur Young-tching, le plus sage et le plus magnanime peut-être qu’ait eu la Chine, a chassé les jésuites; mais ce n’était pas parce qu’il était intolérant, c’était, au contraire, parce que les jésuites l’étaient (…) C’en était assez pour lui d’être informé des querelles incessantes des jésuites, des dominicains, des capucins, des prêtres séculiers, envoyés du bout du monde pour prêcher la vérité, et ils s’anathématisaient les uns les autres. L’empereur ne fit donc que renvoyer des perturbateurs étrangers.» Il précise toutefois : «Mais avec quelle bonté les renvoya-t-il! Quels soins paternels n’eut-il pas d’eux pour leur voyage et pour empêcher qu’on ne les insultât sur la route. Leur bannissement fut un exemple de tolérance et d’humanité» (maintenant, c’est encore mieux, en tout cas plus rapide, on a des charters!) Ou encore au Japon: «Les Japonais étaient les plus tolérants de tous les hommes; douze religions paisibles étaient établies dans leur empire; les jésuites vinrent faire la treizième, mais bientôt, n’en voulant pas souffrir d’autres, on sait ce qui en résulta: une guerre civile. Les Japonais fermèrent leur empire au reste du monde, et ne nous regardèrent que comme des bêtes féroces». Quant aux Romains, s’ils n’eurent pas la bienveillance des orientaux, leur cruauté ne fut qu’une réponse à l’intolérance chrétienne. Et si Voltaire ne nie pas les martyrs («Les martyrs furent donc ceux qui s’élevèrent contre les faux dieux»), il précise qu’ils le furent en réponse à leur propre intolérance. Bref, pour le patriarche de Ferney, la sentence est claire: «Je le dis avec horreur, mais avec vérité: c’est nous, chrétiens, c’est nous qui avons été persécuteurs, bourreaux, assassins!».

    Maintenant que les bourreaux et les assassins ne sont plus forcément tous dans le même camp, que la culpabilité et la pénitence (qui furent, comme certains le prétendent, une des racines du modèle multiculturel) ont fait leur temps, le moment semble donc venu pour l’Occident d’affronter ce paradoxe en apparence insurmontable auquel il est confronté dans la sauvegarde de ses valeurs: comment la tolérance doit-elle réagir face à l’intolérance lorsque cette dernière la menace dans ses fondements même? A tort ou à raison, la plupart des pays occidentaux ont livré leur réponse: dès lors que certains groupes ou individus ne jouent plus le jeu de la tolérance, c’est-à-dire dès que la reconnaissance des différences (ethniques, religieuses, etc.) ne peut plus s’exercer dans le cadre d’un projet de société commun et de respect de règles partagées qui transcenderaient ces différences, le modèle multiculturel n’est plus viable. Et la tolérance n’est plus une réponse à l’immigration, encore moins un moyen d’intégration, tout au plus une forme dangereuse d’angélisme. Logique imparable.

    Dans son éloge de la tolérance, Voltaire prend position implicitement sur cette question: l’intolérance – mais est-ce de l’intolérance de ne pas tout accepter? – est une réponse légitime à l’intolérance de l’autre dès l’instant où celle-ci menace les fondements même qui lui donne la liberté de s’exprimer. Ainsi l’empereur chinois a-t-il agi avec grande sagesse en expulsant les jésuites sans les humilier, tout comme les Japonais en fermant leur frontière aux étrangers qui perturbaient l’harmonie de leur territoire. Donc, la tolérance se termine là où commence l’intolérance de l’autre. Une phrase qui n’échappe cependant pas à la vacuité des formules toutes faites: elle ne dit rien, ne résout rien, n’éclaire rien. Quelle est la norme, la référence? Comment juger de l’intolérance de l’autre? Comment estimer son potentiel de nuisance? Comment objectiver sa capacité à phagocyter ma propre existence? Comment faire la part de ma propre intolérance? Avec la radicalité du terrorisme et de l’intégrisme, la réponse est évidente. Mais entre gris clair et gris foncé?

    Pour attendu, logique, légitime que puisse être le durcissement des pays occidentaux face à ce qui menace ses fondements démocratiques, il n’en reste pas moins vrai que notre seuil de tolérance, indépendamment des amalgames, des raccourcis et des préjugés qu’il produit inévitablement, est curieusement dépendant de notre PIB et des crises économiques successives qui ont laminé nos réserves. Et il est évident que la situation économique de l’Allemagne n’est pas étrangère à la déclaration d’Angela Merkel. Tolérant oui, tant qu’on peut se le permettre financièrement. Ou disons plutôt: tant qu’on peut en choisir le bénéficiaire. Les nantis de préférence, une sorte d’immigration sélective en quelque sorte. Donnant donnant. Pourquoi pas? me direz-vous, un peu de pragmatisme est salutaire en ces temps difficiles et qui veut faire l’ange fait la bête. Certes. Aucun pays n’a vocation de devenir l’arche de Noé d’un monde en perdition (ce qui ne justifie pas pour autant le repli identitaire ou les tendances isolationnistes). Mais l’amalgame du sécuritaire et de l’économique, la chancelière allemande s’est bien gardée de l’admettre. Dommage! La reconnaissance de nos propres limites et insuffisances aurait rendu plus crédible le renoncement programmé au modèle multiculturel. Après tout, et Voltaire ne cesse de le répéter, la véritable tolérance ne peut prendre racine que dans l’humilité. Et l’humilité, c’est d’abord de reconnaître puis d’assumer ses imperfections avant d’en accuser les autres, pour imparfaits qu’ils soient eux aussi.

    Le moment fondateur du multiculturalisme est l’adoption, en 1971, d’une charte par le Canada qui décide de se définir par ce modèle. D’un point de vue sociologique, le multiculturalisme qualifie un pays dans lequel réside des groupes qui sont, se perçoivent ou sont considérés comme porteurs de différences culturelles. D’un point de vue politique, c’est un système qui prend en compte les spécificités culturelles des individus avec la reconnaissance officielle de la différence et un Etat qui met en place les structures permettant aux étrangers de vivre leur culture (ou leur religion). D’un point de vue philosophique enfin, il signifie que l’on considère qu’une démocratie favorisant les différences culturelles est moralement supérieure à un modèle qui les nie ou qui les évacue de la sphère publique.

    Qui définit la différence culturelle comme phénomène privé, le concept de citoyenneté étant au-dessus des différences culturelles et s’incarnant dans les valeurs de la République.

     

  • Chasser l'idéologie...

    Par Pierre Béguin

    Décidément, les socialistes n’apprendront jamais. Quand on est stupide…

    L’énorme baffe qu’ils s’étaient prise lors de l’initiative pour une caisse maladie unique (dont, personnellement, je ne crois une seconde qu’elle puisse être une solution) n’a pas suffi. Cette initiative aurait pourtant passé comme une lettre à la poste s’ils n’avaient pas commis la sottise de vouloir l’assortir d’un financement par les impôts. Au lieu de s’en tenir à la première proposition et de gagner cette votation haut la main, ils n’ont pu résister à troquer le pragmatisme contre l’idéologie. Avec la défaite cuisante et attendue qui a sanctionné cette sottise. Eux-mêmes ont d’ailleurs reconnu leur erreur et promis qu’on ne les reprendrait plus.

    Et voilà qu’ils recommencent avec leur nouvelle initiative sur la fiscalité. Au lieu de s’en tenir à une seule proposition – fixer un plancher au rabattement fiscal – qui remporterait certainement l’adhésion du peuple, ils sont rattrapés par leur vieux démons idéologiques: une augmentation de l’impôt sur la fortune à 5% (au lieu du 1% existant) dès deux millions de fortune déclarée. Impossible dès lors de prétendre que seul 1% de la population serait touchée: un smicard ou un retraité qui aurait hérité d’une maison de famille à Genève, par exemple, aurait de grande chance, au prix délirant de l’immobilier, d’être taxé sur sa fortune d’une somme que ses maigres revenus ne suffiraient pas à payer. Cette situation, en réalité, peut concerner beaucoup de monde. Et ce n’est pas un hasard si les débats se focalisent sur la première proposition et occultent allégrement la seconde. Je soupçonne fortement les socialistes de dévier l’attention des citoyens sur un leurre (le plancher fiscal qui ne concerne que quelques cantons et, effectivement, une toute petite minorité) pour faire passer une augmentation d’impôts en relevant fortement la taxation sur la fortune (qui va concerner beaucoup de monde). Mon ami Alain Bagnoud, à lire sa dernière note sur Blogres qui ne prend en considération que la première proposition, me semble s’être laissé prendre au leurre. Du moins, confirme-t-il par son exemple la thèse qu’il défend: avec la maison familiale et les vignes qui l’attendent en Valais, je me demande s’il n’a pas voté contre ses intérêts. Indécrottable idéaliste, Alain! (j’espère que tu prendras cette pique avec humour…) Si certains se laisseront prendre, la plupart ne tomberont pas dans le panneau, comme semble l’indiquer les sondages. Et les socialistes pourraient recevoir une nouvelle baffe pour les mêmes raisons que lors de leur précédente initiative sur l’assurance maladie. Des raisons qu’ils avaient pourtant parfaitement identifiées. Si ce n’est pas de la bêtise…

    L’impôt sur la fortune, s’il déclenche par son appellation même un stupide réflexe anti-riches, est un impôt parfaitement inique, puisqu’il n’est ni plus ni moins qu’une double taxation qui peut se révéler dramatique dans beaucoup de situations de la vie courante, des situations qui ne concernent pas que des riches mais aussi des gens simplement dans la moyenne. Il devrait être supprimé sans autre forme de procès au profit d’un fort relèvement de la TVA sur les produits de luxe. Je me demande d’ailleurs pourquoi les libéraux, si prompts à s’attaquer aux impôts, n’ont pas lancé d’offensive dans ce sens. Je les soupçonne de s’être arrangés avec les socialistes, du genre «on ne s’attaque pas à l’impôt sur la fortune mais vous ne vous attaquez pas à la TVA». Bref, avec les libéraux comme avec les socialistes, on s’attend au pire, on est encore surpris…

    Moi, pour tout dire, je confirme par l’exemple la thèse d’Alain Bagnoud: j’ai voté contre mes intérêts pour l’initiative socialiste. Parce que ce dumping sur l’imposition est dangereux, parce que les arguments mensongers des libéraux m’énervent davantage encore que la sottise – ou la stratégie idiote – des socialistes, et parce que je ne parviens pas à me débarrasser d’un dernier fond d’idéalisme que je sais pourtant stupide et que le cynisme ne parvient pas à contenir. Mais je ne serais pas fâché pour autant que la gauche se ramasse une nouvelle fessée. Dans tous les cas, j’attends sereinement l’issue de la votation: quel que soit le résultat, je serai dans le camp des gagnants. Pour une fois…

     

  • La mort de l'intérêt personnel

    Par Alain Bagnoud

     

    MurBerlin.jpgC’était clair dans les années 90: les idéologies, c’était fini. On avait eu la chute du mur de Berlin l’effondrement du communisme, on se retrouvait avec un mode de fonctionnement qui n’était plus une science des idées mais une nature: le libéralisme.

    L’échange, le marché, le renvoi de tout à la norme financière, l’intérêt personnel, c’était cohérent, évident, normal, nous disait-on. L’homme y tendait automatiquement.

    Avec ça, se développait quelque chose que les moralistes déploreraient: l’individualisme, l’égoïsme. Les hommes semble-t-il, ne pensaient plus qu’à leur profit.

    Eh bien, cette période, c’est terminé.

    Je l’ai déduit en m’interrogeant sur les motivations des électeurs suisses, qui votent systématiquement contre leurs intérêts. Prenons déjà les soutiens aux partis.

    La grande majorité de ceux qui suivent l’UDC, parti d’extrême-droite agrarien, vient du peuple. Or, la politique économique de ce parti les appauvrirait fortement. Même chose avec les électeurs du Parti socialiste: les pauvres, qu’ils défendent, ne votent pas pour eux, et c’est la classe moyenne qui les soutient. Cette classe moyenne, pourtant, serait défavorisée si les principes du PS étaient appliqués en bloc.

    Même chose encore avec les deux initiatives qui seront votées le 28 novembre en Suisse.

    Les derniers sondages montrent que la majorité du peuple va refuser l’initiative populaire «Pour des impôts équitables.» Elle demande l’introduction dans la Constitution fédérale de dispositions minimales concernant les barèmes et les taux d’imposition des personnes physiques, ainsi que l’interdiction des impôts dégressifs.

    Affiche_Oui_initiative_impots_equitables.jpgOr, si je cite les arguments du comité interpartis qui soutient l’initiative: « Seul 1% des contribuables helvétiques – les plus aisés, établis dans les paradis fiscaux de Suisse centrale - seront touchés. Grâce à l’initiative, les 99% restant profiteront d’un allégement de la charge fiscale globale, mais aussi du rétablissement de la justice devant l‘impôt. »

    On retrouve le même paradoxe en ce qui concerne l’initiative dite « sur le renvoi des étrangers criminels » qui exige le renvoi automatique des personnes étrangères condamnées, indépendamment de leur statut et de la gravité de l’acte commis.

    Xénophobe, contraire aux normes fondamentales des droits humains, inapplicable même, cette initiative va, selon les sondages, être plébiscitée par le peuple. Or elle fera de la Suisse la honte de l’Europe et rendra nos rapports avec les autres pays très délicats.

    Conclusion: là encore, les gens votent contre leur intérêt. L’égoïsme, on le voit, c’est terminé. On est bel et bien revenu à cette chose qu’on avait annoncée comme définitivement morte: l’idéologie.

    Et je me demande, tout compte fait, si l’intérêt personnel, ce n’était pas mieux...