Il est des blues heureux
par serge bimpage
Dès l’instant où son ami Dogane - celui qu’il admire entre tous - lui avoue « Je sors du lit d’un mec ! », sa vie bascule du tout au tout. C’est-à-dire sa conception du monde. Enfin, sa manière de le regarder. Désormais de biais, avec un peu de méfiance. C’est-à-dire en se méfiant de sa propre façon de le regarder. Bref, le héros du Blues des vocations éphémères découvre la complexité des choses. Celle-ci heurte de plein fouet son éducation de fils de paysan de montagne valaisan descendu à la ville pour entreprendre des études.
Le choc est plus rude que le sol de ses origines. Il conduit à une révolte à laquelle il ne tient pas vraiment, attaché qu’il est aux siens, à sa terre, à l’authenticité de ses repères. En même temps, comment résister aux sirènes de la ville, à l’enivrement de la rhétorique universitaire ? A la nouveauté désarçonnante des années septante et son lot d’expériences sexuelles, psychédéliques, intellectuelles et artistiques ?
C’est sans doute afin de trouver un compromis que le narrateur décide de devenir artiste. En quoi, il ne sait trop. Les autres lui donnent des complexes. Voilà pourquoi il s’accroche au groupe de musiciens de bal de son village, The Dragon, qui lui permet d’entretenir l’illusion du succès.
Tout le sel de ce troisième et dernier tome de la trilogie autobiographique d’Alain Bagnoud réside dans ces allers-retours entre la ville universitaire et son village natal. Ils constituent la métaphore du doute, douloureux mais sans lequel il n’est point d’intelligence. En malicieux démiurge, il convoque ses personnages complices de cette époque des années soixante-dix pour les laisser se risquer vers leurs certitudes. Le héros timide se borne à prendre des notes en attendant son heure. Et voilà comment le héros devient l’heureux chroniquer de son destin : l’ouvrage se lit d’un trait.
Le blues des vocations éphémères, par Alain Bagnoud. Editions de L’Aire, 204 pages.