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Blogres - Page 92

  • L'acte manqué (et réussi) de DSK

    images.jpegL'affaire est simple : vous avez un homme riche, brillant, marié à l'une des femmes les plus célèbres de France. Un homme de scène et de pouvoir. Directeur du FMI et grand stratège de la finance mondiale. En outre, le favori des sondages pour l'élection présidentielle française de 2012. Un homme à qui tout réussit…

    Et que fait ce Surhomme ?

    Il se laisse prendre dans une affaire sordide avec la femme de chambre d'un grand hôtel new yorkais ! Noire, pauvre et sans doute au-dessus de tout soupçon…

    Y a-t-il une raison logique à ce comportement ?

    Certains parlent d'addiction sexuelle, de désir tyrannique, d'« instinct du violeur ». DSK serait un monstre déguisé en représentant de la gauche caviar. Un malade. Un psychopathe. Cela arrange beaucoup de monde, à gauche comme à droite. Même les plus navrants, comme Holenweg ou Brunier. Rien n'est plus faux, bien sûr.

    D'autres parlent de complot, orchestré par on ne sait quel rival satanique. Sarkozy (qui se frotte les mains) ? Ségolène Royal (qui a beaucoup de mal à cacher la joie que lui donnent les images de DSK menotté) ? Marine le Pen (qui savait tout avant tout le monde) ? La CIA ? Feu Ben Laden (paix à ses cendres) ? On le voit : la théorie du complt ne tient pas une seconde…

    A moins que…

    Et s'il ne s'agissait pas d'un complot extérieur ? Si l'ennemi ne venait pas du dehors, mais du dedans ? Autrement dit : et si DSK l'avait fait exprès ? Sans le vouloir, bien sûr. Si quelqu'un, en lui, avait décidé de mettre un terme à cette mascarade? La mascarade du premier de classe, du mari exemplaire, du dirigeant inspiré. Du futur Président. Voilà pourquoi, inconsciemment, il a si bien réussi son acte manqué. « Mon royaume pour une pipe ! » suppliait l'homme qui voulait échapper à la comédie politique. Poser le masque de l'imposteur. Et qui a tout perdu. C'est la moindre des choses.

    Au grand bonheur de son inconscient.

  • Lettre ouverte cybernétique au Rédacteur en chef de la Tribune de Genève

    par Pascal Rebetez

     

    Cher Pierre Rütschi,

    Pourquoi n’y a-t-il plus ni recension ni critique de livres dans la TdG ( ou quasi plus, ne jouons pas sur les exceptions) ? Vous me répondrez qu’il n’y en a plus besoin puisque le blog de la TdG s’en charge, entre autres dans Blogres, chroniques régulières de la vie littéraire que quelques « plumitifs » alimentent régulièrement, sans barguigner sur la gratuité de leur geste. Ils sont payés en retour, dira-t-on, par un supplément de visibilité que la vanité des auteurs eux-mêmes considère comme émolument suffisant : la gloire n’a pas de prix, certes. Mais un doute toutefois me taraude : celui de servir, otages involontaires, de caution à une politique délibérée d’évidage culturel dans la version « papier » de la TdG.

    J’aimerais, bien sûr, être rassuré par vous sur ce point précis, afin de continuer avec plaisir de participer au succès de votre espace démocratique.

    J’aimerais surtout, en tant qu’auteur et en tant que lecteur – je ne parle même pas de l’éditeur !-, que votre organe redonne aux livres une petite chance d’exister grâce aux comptes-rendus, voire aux critiques de vos journalistes qui, par ailleurs, font un admirable travail dans les domaines du cinéma, du théâtre, de la danse et de l’art contemporain.

    Recevez, cher Pierre Rütschi, mes plus soucieux messages.

  • nouvelle épistolaire



    par antonin moeri

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    «Pourquoi, mon petit chou?» («Why, Honey?») est la seule nouvelle épistolaire de Carver. Une femme a reçu une lettre d’un inconnu qui a retrouvé sa trace. Une femme qui a déménagé et fait mettre son numéro sur la liste rouge parce qu’elle a peur. Elle voit des espions devant son actuel domicile, reçoit des coups de fil anonymes. Elle craint son fils qui l’a terrorisée pendant des années et qui est devenu célèbre. En écrivant à cet inconnu, elle voudrait savoir comment il a déniché son adresse (à elle) et pourquoi il veut obtenir des informations sur ce fils qu’elle a élevé seule et qui l’a tellement fait souffrir.

    Un fils sournois, qui piquait des crises de rage, qui introduisit un pétard dans le cul d’une chatte pour la faire exploser, qui prétendait gagner 80 dollars alors qu’il n’en gagnait que 28, qui mentait systématiquement, qui s’est acheté à 18 ans une voiture, un fusil et un couteau de chasse. Un jour, la mère trouve dans le coffre de cette voiture une chemise pleine de sang. Le fiston prétend qu’il a saigné du nez. Un autre jour, il agresse sa mère, croyant qu’elle l’espionne. Pour excuser son dérapage, il lui montre la dissertation qu’il est en train d’écrire sur les rapports entre le Congrès et la Cour suprême. Elle lui demande pourquoi il ne lui dit jamais la vérité. «Pourquoi, mon petit chou?» Il lui ordonne alors de se mettre à plat ventre devant elle. Cette nuit-là, le futur homme d’État quitte définitivement sa mère. Il obtiendra un prix pour sa brillante dissertation. Il se serait engagé dans les Marines et aurait fréquenté une université. Elle ne le reverra qu’à la télé ou dans les journaux. Il ne répondra jamais aux lettres de sa mère mais sera élu gouverneur.

    Le lecteur se demande qui est cet inconnu qui a retrouvé la trace de la vieille maman terrorisée. On pourrait imaginer un journaliste voulant faire un scoop sur l’homme politique, ou un détective menant une enquête sur une sombre affaire de blanchiment, d’abus de biens sociaux ou de meurtre. Ou un beau-frère révolté par le sort réservé à sa soeur, celle qui aurait épousé le futur gouverneur. Ou un homme voulant informer une mère du projet criminel de son fils. Le lecteur imagine ce qui pourrait se passer si cette mère terrorisée et ce fils «arrivé» se retrouvaient dans un square, un séjour, une gare, un bar ou un aéroport. L’étranglerait-il, lui parlerait-il gentiment ou la descendrait-il d’un coup de revolver, l’odieux sadique tortionnaire réduit à utiliser la violence pour régler ses problèmes existentiels? Le lecteur ne sait pas si la mère nourrit un fantasme ou si elle court un véritable danger. Heureusement, l’inconnu qui décida de prendre contact avec la vieille dame a signé sa lettre: petite lueur d’espoir pour la maman affolée.

    R. Carver: Tais-toi, je t’en prie.   Stock, 2003

     

  • DIP: après le latin, la littérature?

    Par Pierre Béguin

    Enseignementlittérature.PNGBlogres est avant tout un blog littéraire. En ce sens, il défend la littérature. Et cette défense commence par l'école. A plus forte raison quand celle-ci marche sur la tête.

    Pourquoi ces tautologies en guise d'introduction? Parce qu'après les menaces qui pèsent sur le latin, voici venues celles qui visent l'enseignement des langues vivantes. Si le latin possède heureusement ses ardents défenseurs, si la presse a servi opportunément de caisse de résonnance contre les attaques régulières dont il est victime, les pressions qui s'exercent maintenant sur la conception même de l'enseignement des langues vivantes sont beaucoup plus discrètes, pour ne pas dire sournoises. De quoi s'agit-il?

    Je l'ai déjà écrit sur ce blog (cf. extension des nouvelles tyrannies II), le nouveau joujou du DIP, sa pierre philosophale actuelle, c'est l'uniformisation. Uniformiser certes, me direz-vous, mais selon quelle norme? La norme européenne, voyons! Il faut être le plus euro-compatible possible. Dans le cas qui nous occupe, il s'agit de mettre en adéquation nos programmes d'enseignement des langues vivantes (anglais, allemand, italien, espagnol) avec le cadre européen (ou, pour dire les choses plus crûment, il s'agit de faire aussi mal que les autres, à savoir de trouver le PMDC, le Plus Mauvais Dénominateur Commun). En ce sens, des organismes, des commissions, des instruments sont régulièrement constitués. Parmi eux, le CECR. A savoir, le Cadre Européen Commun de Référence, dont le libellé indique assez clairement l'objectif. Initialement, le CECR se voulait un instrument essentiellement descriptif, se limitant à encourager le questionnement pédagogique et à faciliter les échanges d'informations entre praticiens et apprenants. Bien entendu, le glissement de la fonction descriptive à la fonction prescriptive était prévisible. Nous n'avons pas été déçu, comme souvent avec le DIP lorsqu'il s'agit de soutenir le pire. Car le CECR menace maintenant de devenir l'instrument de référence. Ainsi, les directeurs/trices du Collège de Genève semblent avoir récemment admis l'idée que le CECR doit servir de cadre référentiel à l'enseignement des langues vivantes.

    Et c'est bien là le problème. Car le CECR milite pour une dimension purement utilitaire de l'enseignement des langues, à l'exclusion de sa dimension culturelle et littéraire, reléguée à une sous-catégorie de «congé et loisirs», une sorte de supermarché où elle côtoie, sur les rayons «thèmes de communication», les achats, la nourriture et la boisson. Une conception donc uniquement axée sur la pragmatique langagière, aux antipodes de toute incitation réflexive et analytique, à des années lumière des principes et des valeurs qui ont toujours régi la maturité gymnasiale, et selon lesquels l'enseignement des langues doit s'inscrire clairement dans un cadre élargi de culture générale et d'exercice de développement de la pensée.

    Car dans l'enseignement de l'ignorance, dès qu'on entend le mot «culture», on sort son pistolet. Attention! Le moins possible de littérature! Cela pourrait contribuer à la maturité d'esprit et à la liberté de jugement. Le DIP doit se convertir en une gigantesque machine à décerveler, semblable à celle d'Ubu, capable de produire en masse une foule d'abrutis consuméristes se vautrant dans les divertissements les plus abêtissants et ne pouvant produire que des énoncés basiques. Alors focalisons l'enseignement des langues uniquement sur des activités communicationnelles, si possible dans des cadres d'énonciation à dimension commerciale, au détriment des contenus culturels, aussi dangereux qu'inutilement dispendieux! Avec en sus le label euro-compatible comme caution!

    Tel est un des débats qui agitent les coulisses du DIP. Un débat qui n'est pas encore sur la place publique mais qui pourrait y venir par la politique du fait accompli si l'on y prend garde. La place publique, l'agora, maintenant, c'est aussi, et surtout, la blogosphère. Alors je pose la question: enseignement des langues portant sur une dimension essentiellement utilitaire, pragmatique, avec des énoncés situationnels à résonnance commerciale? Ou enseignement des langues incluant la dimension culturelle, littéraire, avec incitation réflexive et analytique?

    Bon! Dite en ces termes, me direz-vous, la question reste purement rhétorique. Celle qu'on devrait plutôt se poser consisterait à savoir comment des personnes qui ont bénéficié d'un enseignement qualitatif se profilent en prédateurs des valeurs et des principes qui les ont hissés au niveau enviable où elles peuvent maintenant détruire l'instrument même de leur ascension. Non! Ce n'est pas pour rester les seules. Mais par opportunisme, par carriérisme. Exactement comme en politique! Les soutiens et les arrangements entre partis faisant le reste. Depuis plus de trente ans que je fais les cents pas dans ce département (et non pas, hélas, les quatre cents coups!), j'ai observé le mécanisme à maintes reprises: dès qu'une personne, à quelque échelon qu'elle se trouve, soutient une idée souvent délirante, parfois judicieuse, mais qui vole dans l'air du temps, c'est avant tout pour s'en servir. Si l'idée passe, son défenseur passe avec. Et un échelon de gravi, un! Le problème, c'est que l'idée reste et qu'il faut ensuite s'en accommoder. Voilà pourquoi les mauvaises idées rencontrent toujours leurs thuriféraires, voilà pourquoi il se trouve au Collège de Genève des défenseurs bien placés d'un appauvrissement de l'enseignement des langues vivantes, voilà pourquoi certains militent pour une évacuation de la dimension culturelle au profit d'une finalité essentiellement pragmatique. S'ils ne croient pas à l'idée, ils parient sur son pouvoir ascensionnel.

    Chez l'être humain, la vanité est l'arme principale des mécanismes de prédation. Et si, à ce niveau, nous sommes tous plus ou moins armés, il en est de plus dangereux qui possèdent un véritable arsenal. Avec, souvent, la frustration en guise de détonateur...

  • Ian McEwan solaire

    Par Alain Bagnoud

     

    12508-medium.jpgMichael Beard est un glandeur. Buveur, trompeur, coureur de femmes, il voit son cinquième mariage se finir par sa faute: onze liaisons en quatre ans. Il est petit, rondouillard, veule, il gagne de l’argent en prêtant son nom à des organismes de recherche et en déclinant la même conférence devant des auditoires complaisants.

    C’est qu’il a eu le Prix Nobel de physique, des années plus tôt. Du coup, tout passe. Il séduit, on le prend pour un chercheur compétent, on l’admire.

    Ça, c’est au début de Solaire, le roman de Ian McEwan, un des auteurs anglais les plus en vue actuellement. Ensuite, ça va évoluer.

    Je cite en vrac les ingrédients qui font bouger les choses. Mort accidentelle du jeune amant de sa femme, un chercheur qui travaille dans l’organisme que le Prix Nobel est censé diriger. Beard qui a peur qu’on l’accuse fait condamner quelqu’un d’autre, récupère les recherches de ce jeune amant et se lance dans une deuxième carrière, touchant à l’écologie et au solaire, et censée sauver le monde.

    ian-mcewan-1.1300118029.jpgLe roman, une satire, explore les milieux scientifiques et écologiques. Il y a toutes sortes d’épisodes et de milieux, qui se fondent tout compte fait dans l’ensemble et contribuent à l’avancée de l’intrigue. C’est très drôle. L’épisode sur la banquise où Beard est invité pour voir l’avancée du réchauffement!

    Et il y a même une morale: la tartuferie, le vol, le mensonge, la mauvaise foi ne peuvent pas toujours triompher, il y a un moment où on doit affronter ce qu’on est.

    Que demander de plus?

     

    Ian McEwan, Solaire, Gallimard 2011

  • Jeanne ou Le Livre de ma mère (Jacqueline de Romilly)

    images-2.jpegC'est un livre à la fois très « public » et très secret que nous donne aujourd'hui Jacqueline de Romilly, la grande spécialiste de la Grèce. Très secret, tout d'abord, parce que le livre était achevé de longue date et gardé soigneusement dans un tiroir de son éditeur, Bernard de Fallois, car il ne devait être publié qu'à la mort de l'académicienne, décédée le 18 décembre 2010 à l'âge de 97 ans. Pudique et secret : le texte magnifique de Jacqueline de Romilly l'est constamment. Mais aussi très « public ». À la fois accessible, écrit dans une langue somptueuse, rythmée, vivante, et ouvert sur le monde.

     

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  • passion véhémente

     

     

    par antonin moeri

     

     

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    Il y a 18 ans, Jean-Louis Kuffer sortait un livre aux éditions l’Age d’Homme qui préfigure L’enfant prodigue. Une posture semblable: interroger sa propre existence ou des moments de cette existence en faisant ce qu’on pourrait appeler de l’auto-fiction. Dans Le Coeur vert, c’est une passion véhémente qui est interrogée. La guerre des sexes y rythme les minutes intenses et les minutes de désespoir. Comme L’enfant prodigue, Le Coeur vert se termine par l’évocation d’un amour sage, «un amour confiant, partagé, durable, que le temps embellit et augmente». Il se termine par des phrases de reconnaissance adressées à «la femme de ma vie».

    L’écriture, dans le Coeur vert n’est pas aussi maîtrisée que dans l’Enfant prodigue, mais il y a déjà cette volonté de faire un roman de sa propre vie, de raconter dans une langue travaillée et foisonnante une histoire qui pourrait être celle de chacun. La guerre des sexes que JLK met en scène rappelle celle que Strindberg aimait mettre en scène.

    J’eus le sentiment, en relisant le Coeur vert, que l’écriture puise son énergie dans cette guerre. Un peu comme si la discorde était à l’origine du verbe, plus que la paix dans les chaumières. Mais cette seule guerre ne saurait fournir la matière d’un livre. Heureusement, en basculant dans la farce, le lecteur respire. La réunion chez le nabab permet un changement de perspective, permet de voir sous un autre jour les coups de griffe de la tigresse, ici nommée La Sarrazine. Et cela avec un humour non dépourvu de tendresse.

    C’est que la Sarrasine aura eu un mérite: pousser le narrateur jusqu’aux «extrémités de ces terres stériles où l’homme dévalué, puis regroupé sur lui même, n’a plus qu’un vague désir de désir». C’est grâce à elle qu’il sera revenu de ses errements comme blindé de douceur, plus serein d’avoir vu de tout près les sinistrés avérés des basses fosses de l’existence.

    C’est d’ailleurs dans ce livre que moi l’un commence à interroger moi l’autre. Interrogation que JLK poursuit dans son blog et dans L’Enfant prodigue.

     

    Jean-Louis Kuffer: L'enfant prodigue, D'autre Part, 2010

    Le Coeur vert, L'Age d'Homme, 1993

     

  • Jérôme Meizoz, Lettres au pendu et autres textes

    j_meisoz.jpgPas moins de deux livres de Jérôme Meizoz viennent de paraître, différents l’un de l’autre.

    On sait que notre auteur mène deux carrières. Celle de chercheur l’occupe professionnellement: il travaille à la faculté des lettres de Lausanne.

    Son ouvrage paru chez Slatkine Erudition, La Fabrique des singularités (Postures littéraires II) fait partie de ce côté. Du côté de chez l’université. Les textes parlent de postures, de politiques de l’écriture, de littérature et sciences sociales, et interrogent Rousseau, Céline, Ramuz, Jules Vallès ou Annie Ernaux. On me permettra de ne pas être plus précis: tout ce que j’en sais pour l’instant vient de ma lecture de sa table des matières. Mais nous reviendrons là-dessus bientôt.

    Le deuxième livre s’appelle Lettres au pendu et autres écrits de la boîte noire, et est paru aux Editions monographic. Il appartient à l’autre veine de Meizoz. La création littéraire.

    Le pendu, c’est l’écrivain Adrien Pasquali, qui s’est suicidé en 1999 à Paris. Il avait 41 ans et venait de publier son dernier livre, Le Pain de silence.

    Quelques lettres retrouvées de Pasquali ont servi de déclic. Meizoz s’adresse au mort et dresse un état des lieux. Il lui explique par exemple ce qu’est devenu le Nouvelliste, le journal du Valais. Ce quotidien, qui était jadis l’organe des catholiques conservateurs, énervait nos deux auteurs par son conservatisme et sa clôture sur les complicités locales. « En ce temps-là, le Nouvelliste était notre mascotte négative, on le détestait par conviction et par jeu, on l’affrontait comme un ennemi intime et invisible » écrit Meizoz, qui explique ensuite ce que le journal est devenu, après qu’« à la faveur d’affinités personnelles », l’esprit UDC l’a infiltré. « Aujourd’hui, une chose terrible a eu lieu, le passage à une révolution conservatrice qui allie consumérisme, populisme et paternalisme social. »

    Je me suis un peu attardé là-dessus par intérêt personnel, mais la politique n’occupe qu’une part de ces lettres, bien entendu. Elles parlent surtout d’écriture, d’identité, de trahisons sociales. De plus, elles ne constituent que le début du volume, qui se présente comme un recueil de textes divers.

    Certains sont parus dans des revues, d’autres sont des textes de présentation de peintres, des réponses à des enquêtes, des extraits de journal intime. On y trouve aussi une postface ou même un entretien. Ces contributions d’origines différentes sont cimentées par des inédits.2603081.image?w=480&h=296

    L’ambition déclarée de Meizoz dans Lettres au pendu est d’entrouvrir la porte de son atelier d’écriture. C’est tout l’intérêt de ces textes: ni études ou essais universitaires, ni pure écriture littéraire comme Fantômes ou Père et passe ou Terrains vagues, ses trois dernières parutions.

    On est ici dans le laboratoire, dans les tentatives et les approches de soi-même ou de la création, de ce qui la provoque, dans la réflexion ou la définition, dans l’interrogation sur le littéraire ou les images.

    On connaît l’intérêt de Meizoz pour les peintres. Ici encore son livre est illustré par le très intéressant peintre et plasticien André Crettaz, qui vit à Sierre, et a créé l’image de la jaquette de couverture.

     

    Jérôme Meizoz, La fabrique des singularités, Postures littéraires II, Slatkine érudition, Genève

    Jérôme Meizoz, Lettres au pendu et autres écrits de la boîte noire, Editions Monographic

     

    Quelques extraits de Lettres au pendu seront lus par le comédien Claude Thébert à la Librairie Le Parnasse 6, rue de la Terrassière, Eaux-Vives, Genève, ce samedi 7 mai à 12 heures

  • Requiem pour Ben Laden

    images-2.jpegpar Jean-Michel Olivier

    Ainsi donc il repose, par mille mètres de fond, dans la Mer d'Oman, dévoré par les congres et les murènes.

    Comme les passagers des avions qu'il a fait exploser, un peu partout, dans le monde, depuis vingt ans, sans leur réserver d'autre sépulture que la mer immense.

    Honnêtement, qui s'en soucie ? Qu'un homme soit exécuté, assassiné, voire même torturé, puis livré en pâture aux requins, quand cet homme a lui-même organisé la mort de milliers d'innocents ? À part quelques nostalgiques de la guerre terroriste, une poignée de pusillanimes de gauche et de droite, effarouchés qu'on viole ainsi le sacro-saint « droit international », personne ne regrettera Ben Laden, triste pitre barbu, idéologue à la petite semaine, philosophe pour classes élémentaires. Quel autre message que celui de la violence — parfaitement aveugle – a-t-il porté au jour ? Quelle vision messianique ? Quel projet d'avenir ?

    Il repose, par mille mètres de fond, mangé par les requins, et bientôt on l'aura oublié. Seul restera le souvenir, indélébile, du sang qu'il aura fait verser.

    Dessin de Patrick Chappatte, paru dans Le Temps du mardi 3 mai 2011.

  • désarroi

     

    par antonin moeri

     

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    John Cheever sait adopter le point de vue d’une fillette de trois ans. Pour cela, pas besoin d’inventer un langage “bébé”. Il décrit ce que pourrait voir, entendre, dire, ressentir ou faire la petite Deborah. Exemples: elle attend le dimanche matin dans sa chambre “un signe de son père indiquant qu’elle pouvait entrer dans la chambre de ses parents”. Elle répète les phrases prononcées par les adultes. Elle concocte des Martini dans le bac à sable. Elle choisit des vêtements dans les publicités d’un journal et dit “Je mets mes chaussures” en mettant la photo découpée sur ses pieds. Elle se dispute souvent avec Mrs Harley, la gouvernante qui s’occupe d’elle. Elle baptise ses poupées du nom de “Renée”, une comédienne au caractère instable à qui la gouvernante confie Deborah quand elle veut aller à l’église.

    L’intrigue se corse lorsque Deborah est confiée à la comédienne qui, ce jour-là, est vêtue d’un déshabillé ourlé de plumes. Son appartement est en désordre, des verres de whisky et des cendriers renversés traînent ça et là. La comédienne se prépare pour déjeuner avec une femme qui pourrait lui trouver un emploi. Deborah murmure alors:”J’ai une amie. Elle s’appelle Martha”. Au moment où Mrs Harley vient récupérer la gamine, celle-ci a disparu.

    Les parents et la police sont alertés. Toutes les pistes sont étudiées. Le père va trouver une femme qui interprète les rêves, étudie les astres et qui avait prédit cette disparition. La mère a le sentiment d’avoir sacrifié sa fille (elle est justement en train de lire l’épisode d’Abraham dans la Bible). Elle a également l’impression de devenir folle. Elle pense avoir été une mère exécrable, une épouse exécrable. Le père continue de participer aux recherches. Deborah est enfin retrouvée. Elle explique qu’elle devait retrouver Martha. Le père ne saura jamais qui est Martha.

    Voilà les ingrédients d’une histoire subtilement contée. Une ravissante fillette. Des parents qui travaillent et passent leurs soirées avec des copains. Une disparition qui pourrait être un enlèvement. Les standards du polar: recherche d’indices, flics, suspense, interrogatoire. Mais le lecteur, ici, ne reste pas prisonnier de ces standards. Car John Cheever a un autre projet: raconter les désarrois d’une classe moyenne dont le principal souci est de sauver les apparences. L’énergie déployée à cette fin est telle qu’un incident sortant de l’ordinaire provoque des réactions d’une violence inouïe.

    Serait-ce notre lot? Pourtant John Cheever écrivait ces nouvelles au milieu du siècle passé.

    John Cheever: L’Ange sur le pont.  Editions Le Serpent à Plumes 2001