Les Suisses sont géniaux ! (François Garçon)
par Jean-Michel Olivier
Voici un livre qui risque bien de devenir indispensable ! Avec Le Génie des Suisses*, l'écrivain et critique François Garçon déclare encore une fois sa flamme pour la Suisse et les Suisses. Il existait déjà un Dictionnaire amoureux de la Suisse**, que Metin Arditi nous a donné l'année dernière. Mais, en comparaison du livre de Garçon, il est très lacunaire, paresseux et bâclé.
Pour qui s'intéresse à notre petit pays, Le Génie des Suisse est une véritable mine de renseignements (historiques, politiques, sociaux, culturels). Une fois de plus, Garçon décrit par le détail les singularités de ce pays — et une fois de plus il ne tarit pas d'éloges! « J'ai eu à cœur de mettre en valeur des entreprises, des faits historiques, des scientifiques, des événements, des monuments, des paysages, des mythes, des héros ordinaires, des personnages qui m'ont marqué, quelques escrocs aussi, qui témoignenent de la diversité de ce pays, et de ses limites »
Garçon n'est pas un inconnu (c'est son treizième livre, dont plusieurs ouvrages sur le cinéma) et la Suisse, si j'ose dire, est son cheval de bataille : le sujet qu'il connaît le mieux (il a déjà publié La Suisse, pays le plus heureux du monde et Le modèle suisse***) et qui lui tient le plus à cœur. Et le cœur est présent, ici, quand l'auteur raconte ses vacances à Genève, chez son grand-père protestant et taiseux, dit son admiration pour Ella Maillard ou Michel Simon, explique son goût pour l'Étivaz — le meilleur fromage du monde —, les Sugus ou les röstis. On a même droit à une recette originale de Birchermuesli (qui doit bien prendre une matinée de préparation) ! Un dictionnaire du cœur, donc, mais aussi de l'humour (des belles pages sur Schneider-Ammann, roi du rire involontaire, et de beaux souvenirs d'enfance sur les boguets), de la distance critique et des partis-pris.
Possédant deux passeports (il est double national suisse et français), Garçon est particulièrement bien placé pour connaître les rouages des deux pays qu'il ne cesse de comparer au niveau politique, social, institutionnel. Et la comparaison n'est pas flatteuse pour la France (juste un chiffre : le PIB français était égal au PIB suisse en 1973 ; aujourd'hui, le PIB suisse est le double du PIB français !).
Alors que la France est le pays le plus centralisé du monde, rongé par la bureaucratie et se la joue toujours puissance internationale, la Suisse connaît des niveaux de pouvoir échelonnés, fait confiance au mérite et au travail, croit aux vertus de la démocratie directe. Pour Garçon, la France devrait prendre exemple sur ce petit pays discret et sans histoire qui réussit si bien. Hélas, elle ne respecte que les pays qui ont plus de vingt millions d'habitants…
Historien de formation, Garçon nous rafraîchit la mémoire sur des épisodes anciens de notre histoire (les batailles, l'émigration), mais aussi sur les moments récents (la Suisse moderne, la Suisse pendant la guerre, la votation sur l'immigration de masse). Il n'évite jamais les sujets qui fâchent (comme l'islam, l'UDC, la Lega, la question féminine), mais creuse, argumente, approfondit dans un tour d'horizon — une sorte d'état des lieux de la démocratie directe aujourd'hui.
Un chapitre intéressant parle de l'éducation, du « miracle de l'apprentissage dual » que bien des pays nous envient, de la relève et des passerelles qui permettent de réintégrer les Hautes Écoles quand on n'a pas de maturité en poche. Entre l'histoire et les mythes, la frontière est souvent incertaine. Le fameux « Pacte fédéral » de 1291 est-il authentique ou a-t-il été écrit après coup ?
Guillaume Tell a-t-il réellement existé ? Se demande-t-on comment Moïse a fait pour partager les eaux de la Mer Rouge ? Ou Jésus pour changer l'eau en vin ? Comme Cyrulnik ou Levi-Strauss, Garçon pense qu'un mythe est une parole qu'on partage : sa fonction est d'abord symbolique. Peu importe que l'épisode ou le héros en question soit réel. À sa manière, ironique et précise, Garçon éclaire nos mythes fondateurs et en tire des leçons de bonheur.
Par les temps qui courent, cela fait chaud au cœur.
* François Garçon, Le Génie des Suisses, Taillandier, Paris, 2018.
** Metin Arditi, Dictionnaire amoureux de la Suisse, Plon, 2017.
*** François Garçon, La Suisse, pays le plus heureux du monde, Taillandier, 2015.
— François Garçon, Le modèle suisse, Perrin, 2011.
L’écorce fissurée d’un palmier de l’épaisseur d’une membrane est d’apparence souple révélant dans sa texture quelques grossiers bourrelets. Ses fines nervures forment des lignes parallèles, obliques dans le cadre, tendues comme une peau qui respire. C’est l’enveloppe superficielle qui recouvre les cernes de croissance. Elle craque parfois accidentellement et se déchire, mais elle peut aussi être pourfendue de haut en bas. Il faut alors une pointe-sèche ou un scalpel pour accomplir l’exploit minutieux et chirurgical de l’incision. 



L’esquisse progresse fort heureusement, prend forme au fil du temps. Ainsi sur la carte d’un désert indéchiffrable apparaissent des symboles, des lettres, des hiéroglyphes, des idéogrammes, des mots couverts, des codes (braille et morse), ainsi que des formes géométriques. Ainsi naissent les récits, les mythes et les dieux, les babils et les lettres, les liens et les correspondances. Par le geste fondateur. Un scribe a stylisé l’oiseau sur une feuille de papyrus. Un géomètre a calculé dans le sable, la hauteur d’une pyramide. Un brahmane a plaqué son sceau sur une feuille de lontar, un copiste a calligraphié la première lettre gothique sur parchemin, un enfant a joué au morpion sur Japon… Tant de greffiers, tant de supports griffés ! L’artiste compose progressivement une cartographie d’empreintes gravées comme un herbier de signes imprimés sur papier de riz, de coton, de lin et d’ortie.
Enfin au sud-ouest de l’atlas, une planche d’herboriste attire le regard. Deux tiges, sans feuille ni fruits inachevées, aux racines fusionnelles formant une île (un placenta ou une tumeur), s’emmêlent librement pour se déployer de part et d’autre, symétriquement, synchrone. La fleur est énigmatique, méconnaissable, peut-être couverte pudiquement d’un sac pour cacher quelque beauté ou faire pénitence. Le geste créateur était-il sacrilège ? Est-ce l’aboutissement de l’œuvre incrustrée : l’enfantement de jumeaux fossilisés à jamais dans le mystère du langage amoureux ? 

La rencontre fortuite d’un palmier assis et d’un canapé d’appartement sur une natte torsadée, quoi de plus insolite ? L’arbre est droit, parfaitement adapté à son environnement, sa couronne de feuilles verdoyantes est taillée de frais en coupe ananas, il est prêt au rendez-vous. Ses racines cagneuses assurent une parfaite stabilité hors-sol, mais nulle tempête ne s’annonce à l’horizon. L’arbre est-il quelque peu coquet pour s’attendre en ce lieu désert à une présence hors-norme ? 







Que j’aime ces gravures de l’artiste neuchâtelois Marc Jurt ! Elles m’invitent à la rêverie vers des contrées plus ou moins réelles que j’explore avec une curiosité amusée. Tenez, cette île fabuleuse éclaboussée par d’immenses gerbes d’eau limpide, jaillit-elle de la mer tel un vaisseau ivre ou émerge-t-elle du sol telle une écorce de palmier ? Quelles racines tiennent debout ce mystérieux pavillon nippon ? Arbre millénaire qui se déploie dans l’infini du temps ou iceberg organique flottant dressé en équilibre dans l’immensité marine ?