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Blogres - Page 19

  • Une vie d'enfant cosmique (Julien Sansonnens)

    par Jean-Michel Olivier

    Pourquoi revenir, vingt-quatre ans plus tard, sur le drame de l'OTS (le fameux Ordre du Temple Solaire) qui a provoqué 69 victimes, fait couler beaucoup d'encre et produit tant d'articles à sensation et de livres ? Que peut-on dire de plus sur cette affaire que l'on ne sache déjà ? Comme il existe un droit légitime à la Justice, n'existe-t-il pas, également, un droit à l'oubli ?

    Unknown-1.jpegToutes ces questions, et bien d'autres encore, sont au cœur du dernier livre de Julien Sansonnens (né en 1969 à Neuchâtel), l'un des écrivains les plus prometteurs de Suisse romande. J'ai parlé ici des Ordres de grandeur*, un roman ambitieux qui nouait son intrigue dans les milieux politiques et médiatiques de Genève. J'ai parlé, également, de l'étonnant petit livre que Sansonnens a consacré à son chien Beluga (voir ici), hommage émouvant, à la fois, et réflexion sur une vie trop brève et entièrement dévouée à ses maîtres.

    images-3.jpegC'est avec un peu d'appréhension et beaucoup de curiosité que j'ai ouvert cet Enfant aux étoiles**, le troisième roman de Julien Sansonnens. Appréhension parce que tout a été dit, ou presque, sur les massacres de l'OTS (qui ont eu lieu, je le rappelle, au Québec, à Cheiry, à Salvan et dans le Vercors). Quel angle adopter (quelle astuce narrative) pour montrer un nouveau point de vue ? Et de la curiosité aussi, car l'affaire, malgré le temps qui passe, garde encore ses mystères.

    C'est par ce biais, précisément, que Sansonnens aborde ce drame qui nous touche de si près (les 3/4 des victimes étaient suisses romandes et j'en ai connu quelques-unes). D'emblée, après une enquête minutieuse, il cherche éclairer les zones d'ombre, il décrypte les non-dits, il se rend à Cheiry et à Salvan pour s'imprégner de l'atmosphère particulière des lieux (où presque toute trace des massacres a été effacée). images-2.jpegEt surtout il suit le destin d'une enfant, Emmanuelle, l'enfant cosmique, appelée à « sauver l'humanité », qui succombera avec les autres membres de l'OTS, en octobre 1994 (sur la photo, avec son « père biologique » Jo di Mambro).

    L'angle d'attaque est à la fois original et bouleversant (comment ne pas être touché par le destin de cette jeune fille élevée comme la fille de Dieu et sacrifiée à l'âge de 12 ans ?) Sansonnens revisite toute l'affaire, en détective maniaque et acharné, par empathie. Il ne juge jamais, ne traite jamais les membres de cette secte d'« illuminés » ou de « fous », mais essaie de comprendre leurs motivations. C'est sa force : articuler aussi précisément que possible la chaîne des causes et des effets. Ne jamais sacrifier aux poncifs, ni aux idées reçues (et Dieu sait si cette affaire en recèle). Les portraits qu'il trace des deux « gourous » (Luc Jouret et Jo di Mambro) sont saisissants de vérité et d'humanité. Comme le sont les portraits des nombreuses femmes qui gravitent auteur de ces deux « maîtres » (dont Élisabeth, la mère de l'« enfant cosmique », que ses parents ont confiée à di Mambro après une déception sentimentale, et qui se révèlera plus sévère et plus impitoyable que le Maître).

    images-1.jpegBref, tout sonne juste dans ce livre qui n'est pas un roman, ni un essai, mais une sorte de reportage extraordinairement prenant sur une affaire qui trouble encore nos consciences. Qui était di Mambro ? Un beau parleur ? Un escroc ? Un manipulateur diabolique ? Un fou ? Et Jouret ? Et Tabachnik (qui fut mon professeur de musique au Cycle de Budé) ? Et les adeptes de l'OTS sont-ils tous des illuminés ? Des êtres en quête de justice et de spiritualité ? Des parents inconscients qui ont entraîné leurs enfants dans la mort ?

    Toutes ces questions, Sansonnens les pose à sa manière, empathique et honnête. Il ne triche pas. Il ne cherche ni à embellir les faits, ni à sauver celles et ceux qui mériteraient de l'être. On ne peut que saluer cette justesse d'écriture, si rare aujourd'hui. Une grande réussite !

    * Julien Sansonnens, Les Ordres de grandeur, roman, l'Aire, 2016.

    ** Julien Sansonnens, L'enfant aux étoiles, éditions de l'Aire, 2018.

  • Les Carnets de CoraH (Épisode 57)


    Épisode 57 : Marc JURT et RIMBAUD en rêvant : Le bateau ivre

    carnets de corah o'keeffe,rimbaud,marc jurt,le bateau ivreL’abracadabrante embarcation flotte en eaux ambrées, ouvrant un sillon à peine trouble. Le ciel s’éclaircit par degré, s’opacifie dans le bleu nuit lorsque troué par de gigantesques montagnes. La brume disparaît au large, alors que le ciel aspire l’archipel dans une transe solidaire, une sorte de conciliabule entre 7 sages. Ce désert de roches soudées qui s’élève d’un seul tenant est-il cercle vicieux ou nirvana ? Nul rire moqueur de macareux ici, ni folles de Bassan. Point d’exploitation, point de querelles. Comme une réserve éloignée, une chaîne grossière, un passage secret. Une galère en quelque sorte. 

    Le vaisseau de gauche est surchargé, encombré telle une arche gigantesque accumulant écorces, carapaces, conques, pattes squelettiques, panses velues, rosettes de feuilles, gerbes enroulées abritant un bric-à-brac de kriss menaçants et de sombres creux. Y a-t-il âme qui vive en ce bateau amarré, quelque ivresse encore ? Tout semble désincarné, vide, asséché alors que l’ensemble paraît si vif, monumental, vertical. Les survivants se sont-ils cachés dans la masse opaque du monde ? Les esprits ont-ils trouvé le passage secret vers l’autre monde ?

    L’artiste, Marc Jurt ou Rimbaud, est alchimiste. Il crée le destin d’un monde, parfois le sien dans une correspondance de sens. Ici, plusieurs mondes semblent se côtoyer, celui de l’élévation pure, parcours céleste vers l’extase, peut-être illusoire. Ou celui d’une ascension laborieuse, pétrifiante, sclérosée. Ce sont nos aspirations fondatrices, errances sublimes ou fanatiques. L’autre monde, bien plus précaire, fait de végétal et de vies anciennes, est voué à l’épuisement et à la mort. Il laisse des traces, des empreintes comme ce Bateau ivre, cette offrande qui fend l’épaisseur du monde. Le port d’attache, la liaison entre les deux, est la jetée qui prend la forme d’un pinceau rivalisant avec les sommets les plus chimériques, là où l’oxygène manque.

    Il n’y a pas de descente aux enfers dans le Bateau ivre de Marc Jurt, mais une élévation qui enferre ou qui libère.

     

    Marc JURT. Le Bateau ivre, 1988. Pointe-sèche et aquatinte en noir sépia, bleu et jaune sur deux plaques. Catalogue raisonné no 176.

     

  • Une vengeance jouissive (Jean-François Fournier)

    par Jean-Michel Olivier

    Unknown-10.jpegJean-François Fournier aime les alcools forts, les femmes et les cigares cubains. Il a été journaliste, grand bourlingueur, et a dirigé la rédaction du Nouvelliste. À son actif, il compte une bonne dizaine de livres, romans, pièces de théâtre, essais (sur le peintre viennois Egon Schiele). En tout, on le voit, c'est un ogre. À l'appétit féroce, infatigable, toujours en quête de nouvelles expériences et de nouvelles émotions.

    Cet amateur de grands espaces, à la langue gourmande et stylée, est le plus américain des écrivains romands. Son dernier livre, comme le précédent, Le Chien (voir ici), se passe dans l'Amérique profonde, à Tennyson, dans l'Indiana. On y retrouve les personnages chers à Fournier, des hommes et des femmes révoltés, attachants, souvent blessés par la vie ou condamnés par la maladie, et noyant leur malaise sous de très généreuses rasades de bourbon. 

    Son dernier livre, Le Village aux trente cercueils*, est un roman noir de chez noir. À Tennyson, règne la loi du silence : on se souvient des crimes pédophiles qui n'ont jamais été élucidés, ni bien sûr exorcisés par la justice. On connaît les coupables, mais ils sont trop puissants pour être inquiétés. Et trop de gens sont impliqués dans ces crimes anciens. Pour que la vérité éclate, il faut une intervention extérieure. C'est le travail conjoint d'un inspecteur du FBI et d'une journaliste qui va permettre la résolution de l'affaire. Avec l'aide, aussi, de comparses qui désirent que leur ville soit nettoyée de cette tache.Donnant la parole, tour à tour, à chacun des protagonistes, Fournier mène une enquête à la fois délicate et passionnante. Il y a quelque chose de biblique dans la vengeance impitoyable qui va se mettre en place (car la justice des hommes, esclave de la politique, ne bouge pas). Et l'on suit avec délectation les étapes successives de cette vengeance qui n'oublie personne et fait quelques victimes innocentes…

    Unknown-1.jpegEt la littérature dans tout ça ? « La littérature m'a cajolée depuis l'âge de huit ans, dit un personnage féminin. J'avais piqué dans la bibliothèque d'une copine Le Pavillon des cancéreux de Soljénitsyne et les Onze mille verges d'Apollinaire. Je n'ai plus jamais arrêté de lire. La littérature n'a pas d'heure. C'est la puissance, la connaissance. Rien ne peut la corrompre. Je lui dois tout mon savoir et même l'idée approximative de Dieu. Elle est ma vie. Ma souffrance. La littérature, c'est un fleuve en colère et une drogue dure. »

    Je pourrai citer des pages entières de ce livre au style précis et aiguisé, car Fournier est un orfèvre de la langue. L'intrigue est bien menée. Les personnages acquièrent une épaisseur toute humaine, rien qu'humaine. Le pur malt coule à flot et l'on goûte le tabac des cigares comme on devait savourer un bon whisky au temps de la prohibition. 

    Un roman noir à lire avec délectation.

    * Jean-François Fournier, Le Village aux trente cercueils, éditions Xénia, 2018.

  • Les Carnets de CoraH (Épisode 56)

    Épisode 56 : Rimbaud en rêvant : Le mystère du voyage perdu  [1]

    Rimbaud, le petitjournal JakartaRimbaud fut cet adolescent voyant, ce visionnaire au verbe précoce, qui, fuyant d’un coup l’écriture et son cortège toxique de courtisans, choisit de vivre le dérèglement de tous les sens que sont les voyages et l’usage du monde, ces expériences hors de soi. Alors que sa jeune sœur venait de mourir, aux funérailles desquelles il se présenta complètement tondu, il fugue à nouveau, laissant dans sa biographie une page blanche de plusieurs mois. Quelques maigres indices signalent qu’il fit une traversée en mer jusqu’en Indonésie après s’être engagé dans l’armée royale des Indes néerlandaises dans le but de réprimer une révolte indigène. On se gausse à l’idée de ses convictions colonialistes. Rimbaud n’est pas relativiste, juste opportuniste. Une archive militaire atteste en effet qu’il embarque le 10 juin 1876 à bord du Prince d’Orange à destination de Java. La prime d’engagement est bougrement coquette.

    bateau ivre-600.jpgOn ne retient de lui aucun signe disctinctif, pas même un coup de canif dans le contrat, une cicatrice ou un tatouage I Love Mom sur le bras, comme s’il voulut fondre dans la masse militaire tel un soldat ordinaire. Le bateau à vapeur accoste à Jakarta le 22 juillet 1876. Son bataillon se rend alors à Salatiga, dans le centre de l’île au pied du volcan Merbabu. Le 15 août, Rimbaud devient le déserteur espéré. Pendant quinze jours, il s’évapore dans la nature sans laisser la moindre trace de vie. Il aurait repris la mer sur un voilier écossais qui appareille le 30 août pour les côtes irlandaises, mais on ne peut vérifier sa présence à bord. Il réapparaît miraculeusement en décembre de la même année à Charleville, son hâvre maternel.

    nadera-ida-bagus-made-1910-199-two-scenes-of-the-balinese-jun-1698212-500-500-1698212.jpgRimbaud, « aux semelles de vent » et de sel, qu’as-tu vécu à Java ? Toi l’ex explosé de Verlaine, le jeune gars aux traits passe-partout. Comment as-tu pu jouer au plus fin avec le clair-obcur de cette île équatoriale, sans faire de vagues ? La crainte de la sanction te rendit invisible. Peut-être as-tu trouvé refuge dans une fumerie d’opium à Jakarta mais ton goût de l’aventure était sans doute plus fort que l’interdit. La survie ne fut-elle pas ta priorité ? Nombreux sont ceux qui ont cru (mais la croyance est illusoire) t’entrevoir dans la jungle javanaise, à l’aise au milieu des bêtes sauvages, faisant l’homme-singe au bout d’une liane.

    Moi, je t’imagine curieux de l’Autre en toi. Vivre à Java était peut-être une aubaine. Au détour d’une rencontre, tu as observé la feuille de lontar qui sert de parchemin aux écrits immémoriels des Indonésiens. Peut-être y as-tu gravé une lettre, une missive ou un poème avant de reprendre le large ?

    © illustration dans le petitjournal Jakarta (https://lepetitjournal.com/vivre-a-jakarta/rimbaud-java-une-histoire-meconnue-85998)

    Le Bateau ivre (http://mirylscrap.eklablog.com/art-journal-c625135/7)

    NADERA Ida Bagus Made, Scene of the Balinese jungle.

    [1]. Jamie James, Rimbaud in Java, The Lost Voyage (Paris / Singapour, Didier Millet, 2011).

  • Les Carnets de CoraH (Épisode 55)

    Épisode 55 : Rimbaud en rêvant : caractères des galets voyous : Y comme Yankee

    @les carnets de Corah O'KeeffeI bifurque sur la ligne verticale

    décline deux directions.

    Gauche et droite. Ici et au-delà.

    I devient Y dans la division.

    À l’opposé, I solitaire cherche son double,

    le rencontre à la croisée des routes.

    Y charrie ses racines dans la fusion.

    Entre exit et exil, le Yankee choisit de s’expatrier vers le nouveau continent. Il est optimiste dans la fuite, pense défier la fatalité, trouver une retraite. Il change de pays, de nom, de langue, fait peau neuve. Il a quelque chose à cacher, parfois un crime, parfois un nœud d’embrouilles impossible à démêler. Il veut se sentir libre, créer, recommencer. Le Yankee ose espérer des possibilités nouvelles. Il vit son rêve américain.

    Dans le Jardin d’Épicure, il n’est pas très présent. Il écoute avec nostalgie les sept sages, redevient Petit Jean. Tout ce qu’il trouve à dire est que Cunégonde pourrait se faire refaire l’arrière-train à Miami, effacer ses blessures de guerre et retrouver un peu de sa beauté d’antan. Tout est possible là-bas. Elle lui sert un clafoutis aux griottes qui lui fait tourner la tête. « Ce n’est pas de peau que je veux changer mais de caractère. Mon corps n’est qu’une enveloppe, un courrier poste restante. Candide m’a trouvée. Je ne suis plus lettre morte. Je veux un caractère haut-de-casse, Georgia me conviendrait très bien, point 14. » À chacun ses possibilités.

  • Les Carnets de CoraH (Épisode 54)

    Épisode 54 : Rimbaud en rêvant : caractères des galets voyous : U comme Utopiste

    @les carnets de Corah O'KeeffeU fait pousser ses racines dans les marais

    les grues échafaudent sa croissance progressive.

    Souple bambou sort de la boue et des bancs de sable,

    plie sans casser sous la force des éléments

    enfin se tresse en monument.

    De nature façonnée à culture maçonnée.

    Ici un gratte-ciel

    ne balance plus, n’opine plus, en son sommet.

    Fixé.

    L’Utopiste veut tout. La mobilité raisonnée, l’air des sapins, les paniers de fruits et légumes variés, livrés. Il végétalise ses toits, quadrille les plates-bandes publiques en petits jardins potagers, plante des oliviers dans son salon. Il crée l’union du minéral et du végétal. Antispéciste, c’est un artisan urbaniste qui n’arrête pas le progrès.

    L’Utopiste est accueilli à la table des philosophes sans enthousiasme. Il sent la ville et les idées bien faites. Il est très éthique. On se méfie de sa démesure. Ici, au Jardin d’Épicure, on assèche les terrains marécageux, on construit un système ingénieux d’irrigation, on bêche, on sème, on récolte sans relâche. On s’est converti au modèle simple de l’autarcie par désillusion et misanthropie plus que par goût ou idéologie. On s’accomode sans règles prescrites. Ce n’est pas le chaos car les sages ne sont pas de mauvais bougres.

    L’Utopiste savoure une tarte aux mirabelles de Cunégonde, veut la même livrée dans son condo de la rive gauche. Imagine une version sans gluten. Il élabore un système de transport et de livraison qui rapporterait un peu de confort à cette assemblée vive, mais fort primitive. La pâtissière au caractère trempé et au fessier raboté met le holà : « ne viens pas ici faire la loi. Je ne veux ni soumission, ni commerce, ni argent. Si tu veux goûter à mes îles, mes choux, mes éclairs et mes tartes, fais le détour! Mes trésors sont à consommer sur place ! » Goguenards, les philosophes pour une fois applaudissent.

  • Les Carnets de CoraH (Épisode 53)

    Épisode 53 : Rimbaud en rêvant : caractères des galets voyous : O comme Oublieuse

    @les carnets de Corah O'KeeffeO circulaire, cerclé à l’infini

    enserre sa proie dans de multiples anneaux

    par cycles répétitifs

    tel le boa constricteur

    O trou de mémoire fait sa mue progressivement

    chaque peau morte ôtée du cocon met à nu le cœur dévoilé

    telle une chenille métamorphosée

    L’Oublieuse vient juste d’être femme. Elle a perdu quelque chose, sans doute un peu de sa mémoire, sans savoir précisément ce que c’est. Oh paradoxe ! Elle vit dans l’amnésie pour mieux exister. L’oubli est sa survie, son inconscient est en veille. Elle sait qu’un viol de corbeau a eu lieu au pont de Millhaud sans contour ni expression. Elle ne retient que le noir corbillard et le macchabée en bière, un souvenir réveillé par #metoo. Le reste est effacé, delité. Vaut-il savoir ce qui est enfoui ?

    L’Oublieuse s’attable au Jardin, papillonne, grappille des bribes de conversations brillantes, veut trancher dans le vif, collecter des signatures mais les philosophes remettent à plus tard leur engagement et souhaitent régler une question autrement plus épineuse : avant de juger le monde, les arts et les lettres, la nature et l’éducation, ne faut-il pas d’abord lever les ambiguïtés sur les plaisirs d’Épicure et balancer ces pourceaux qui comprennent tout de travers ? Ensuite, pourra-t-on faire appel à l’hypnose ou à la psychanalyse pour résoudre le délicat problème épistémologique qu’est celui de l’amnésie.

  • Les Carnets de CoraH (Épisode 52)

    Épisode 52 : Rimbaud en rêvant : caractères des galets voyous :  I comme  Insolent 


    @les carnets de Corah O'Keeffe
     I file droit

    se distingue et fond dans la masse incandescente,

    s’étire, défie, transgresse, fend, divise,

    tel Icare.

    Son point est sa boussole, son nord qu’il perd parfois. 

    Fabriqué, augmenté, Icare est un transhumaniste mythique. Avec le savoir-faire paternel, il obtient des ailes qui lui permettent de survoler la mer, ses imbroglios et même Babel. Deux cocons auraient aussi pu servir de nid au sein de cette énigme.

    L’astre solaire le révèle mou, harnaché de cet appareillage organique. La cire se liquéfie au contact de l’interdit. Elle ne dure et persiste qu’à l’écart des flammes et de l’eau, dans l’entre-deux du refuge et de l’exil.

    Dans le Jardin d’Épicure,  Icare prend place au côté de Cunégonde. Elle a fait toutes les guerres, tant les mâles sévissent. L’unique fesse qui lui sert de siège la tient en équilibre. Tantôt elle penche vers Icare, tantôt vers l’optimisme. Ses îles flottantes distraient et consolent les migrants avec douceur.  Icare baigne désormais dans le sucre et la cryogénisation.

  • Les Carnets de CoraH (Épisode 51)

    Épisode 51 : Rimbaud en rêvant : caractères des galets voyous : E comme Epicurien
    @les carnets de Corah O'Keeffe
    E, cercle ouvert et symétrique 

    sur l’axe fixe interroge 


    lettre ou chiffre en miroir, 

    blanc ou noir, 

    angulaire ou bombé, 

    biffons dichotomique 

    accentué ou indexé selon le sens 

    trident harponnant ou écartant 

    les possessions griffées 

    vers l’ataraxie ou la fièvre acheteuse, 

    l’autarcie ou la vaine abondance.

    Ainsi, Epicure en son Jardin réfléchit à son bonheur. « J'veux ça » ou « j'veux pas » est sa règle ; « ici » et « maintenant » est sa démesure.  

    Pour se penser vraiment heureux, Epicure ne retient que des besoins qu’il juge absolument nécessaires, le manque est sa piqûre de rappel. Le plaisir provient immanquablement des désirs naturels qu’il satisfait sans chichi. Peu charcutier dans l’âme, il est forcément végétarien. Epicure laisse ainsi de côté les attentes hors normes de la société de consommation qui lui coûtent un bras. Il se méfie du luxe qui se mesure au seul mérite qu’on le vaut bien. Il déteste l’abondance qui ramollit la silhouette et plonge l’âme dans l’ennui et la dépendance. Il dépense en comptant ce qu’il a, mais ne pense ni à l’épargne ni au crédit. Il gagne à être connu bien qu’il soit boudeur parfois et tire la gueule. On trouve parfois du champagne à sa table, ainsi que des amis fidèles. Alceste, le misanthrope, y satisfait son désir de franchise en parlant de sa retraite et de ses amours déçues. Candide vient s’y instruire avec Cunégonde, la merveilleuse pâtissière, et Pangloss, son précepteur. Tous se sont détournés du monde pour mieux cultiver leur Jardin.

  • Les Carnets de CoraH (Épisode 50)

    Épisode 50 : Rimbaud en rêvant : caractères des galets voyous : A comme Atrabilaire
    @les carnets de Corah O'KeeffeA
    , mont pyramidal,

    volcan clivé d’une ceinture horizontale

    séparant la pointe que sont les idéaux

    de la base s’élargissant

    tel le socle de passions sédimentées.

    Ainsi Alceste, le misanthrope atrabilaire, s’élève en aimant celle qui ne peut lui convenir, sa douce inversion, son entonnoir. Il exige d’elle une franchise absolue et veut l’emporter loin de la cour des hypocrites dans son désert à lui. Ne lui demandez pas ce qu’il pense d’un texte ou d’un plat, il le jugera bon pour le cabinet et sans saveur. Au procès même, il ne se dédiera pas. D’un avis toujours tranché, ses choix, pense-t-il, sont issus du versant éclairé de la vérité. Il érupte à chaque séisme dans une colère noire, tant de plaques ébranlées trouvent ainsi une échappée et poussent la chappe vers le haut. Désormais Alceste n’a plus prise sur le monde car l’aimante ne sait lui donner ce qu’il demande. Elle est incapable d’exprimer sa véritable inclination.

    Alceste verrouillé fuit, fend l’air comme une flèche vers sa retraite.

    Alceste épanoui, s’ouvre en H, monte l’échelle vers la main tendue et amie.

     

    NOTE : Alceste est le personnage éponyme du Misanthrope, de Molière. Il sert de modèle à ceux qui refusent le jeu social. Parfois ridicule, il est résistant et se marginalise.