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Ça nous énerve - Page 6

  • Quotas, sottise et sexisme

    Par Pierre Béguin

     

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    Dans son très long monologue, Figaro, s’interrogeant sur les aléas étranges de son destin, s’écrie dans un moment de désespoir: «On pense à moi pour une place, mais par malheur j’y étais propre: il fallait un calculateur, ce fut un danseur qui l’obtint» (Le Mariage de Figaro, Acte V,scène3).

    Cette citation m’est revenue en mémoire à la lecture d’une ouverture d’inscription pour un poste de doyenne / doyen dans un Collège genevois, offre qui se termine par cette précision en caractères gras: Priorité sera donnée à une candidature féminine. Autant écrire: interdit aux hommes! Quel spécimen mâle, en effet, sera assez stupide pour répondre à une offre sanctionnée d’une telle restriction? Elle élimine de facto toute proposition masculine, revêtant ainsi un caractère sexiste que, bizarrement, peu de personnes semble considérer, à en croire les opinions recueillies autour de moi, et plus spécialement celles des hommes souvent enclins à s’autoflageller ou à se profiler avec opportunisme, dès qu’une femme les écoute, dans l’espace de la séduction.

    Une amie me rappelait récemment que, au temps du Conseiller d’Etat André Chavanne, le problème au DIP était de respecter l’équilibre des confessions: qu’il nommât un catholique à un poste important et, aussitôt, les protestants de s’indigner d’un possible déséquilibre, pour ne pas dire d’un complot du Vatican. Tout le monde, aujourd’hui, considèrerait comme stupide un tel distinguo. Et pourtant, ces mêmes personnes trouvent normal – alors qu’il n’y a, fondamentalement, aucune différence – l’établissement de quotas en faveur des femmes, même à l’Etat où cette forme de sexisme a disparu depuis bien des années. L’argument est toujours le même et d’une sottise affligeante: il s’agit de compenser des siècles de domination de cet avatar de la création qu’est la race masculine dont le plus grand tort est de ne pas être du sexe opposé. Ainsi, pour lutter contre une injustice, on utilise les armes même que, par ailleurs, on condamne vertement. Ainsi, à suivre cette logique, pour s’élever contre le racisme, il faudrait accorder aux noirs des siècles de racisme contre les blancs pour réparer les injustices qu’ils ont subies. Avec un degré de réflexion aussi poussé, qui rend légitime en démocratie une forme de vendetta, on n’est pas prêt de sortir du problème!

    D’autant plus que cette théorie des quotas ne fait en réalité qu’habiller d’un voile idéologique les instincts de celles ou de ceux (j’ai des noms! j’ai des noms!) qui, par opportunisme ou soif de pouvoir, tentent de se profiler dans les portes qu’elles/ils ont ouvertes à grand coups de culpabilisation. Vous, lecteurs ou lectrices offensés par mes propos, connaissez-vous beaucoup de véritables idéologues, sincères et désintéressés? Preuve en est que certaines féministes, ferventes apologistes de la théorie des quotas, remettent en cause leur propre conviction sous prétexte que, appliquée sans casuistique, elle demanderait un rééquilibrage en faveur des hommes, désavantageant ainsi les femmes représentées en force dans certaines professions. Ainsi, dans une très large proportion (trois quarts), ce sont des femmes qui ont été nommées par Charles Beer aux nouveaux postes de directrices (eurs) (?) dans l’enseignement primaire. Imaginons le tollé si la proportion eût été inversée. Etrangement, aucune voix ne s’est élevée pour dénoncer «cette scandaleuse preuve de sexisme…»

    Mais le pire avec les quotas, par leur logique intrinsèque, c’est qu’il n’y a aucune raison qu’ils se limitent à celles à qui ils sont généreusement accordés. Aucune raison qu’on ne les donne pas aux minorités défavorisées, voire opprimées par la norme depuis des siècles: ainsi des homosexuels, des infirmes, des petits, des laids, etc.

    Imaginez que Figaro, désespéré d’appartenir à la norme, s’écriât: «Il fallait un calculateur, ce fut une valaisanne noire, protestante, socialiste et lesbienne qui l’obtint»! N’y en aurait-il qu’une seule, il faudrait retenir sa candidature par respect des quotas dus aux minorités.

    On vit une époque formidable!

  • Selon que vous serez puissant ou misérable...

    Par Pierre Béguin

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    Il en va des slogans comme de l’habillement ou du maquillage: ils servent autant – si ce n’est davantage – à cacher les défauts qu’à souligner les qualités. Certains petits impertinents qui font les esprits forts, s’appuyant sur ce postulat, prétendent que les slogans qui scandent la campagne de Daniel Zappelli pour l’élection au poste de Procureur de la République en sont la preuve évidente. Ces mirmidons vont même jusqu’à affirmer que la fameuse maxime de Figaro sur la justice, prononcée le jour de son mariage, eût mieux convenu pour décrire l’action du Procureur durant son premier mandat: «Indulgente aux grands, dure aux petits…» Que pour les petits délinquants, là, on a vu ce qu’on a vu! Pour les squats, du grand art! Mais pour le crime en col blanc et les gros bonnets, on attend toujours. Et pour le dossier de la BCG (2,3 milliards! Il est vrai qu’on ne se lasse pas de le rappeler) on attendra encore longtemps…

    Critiques faciles qui soulignent la sottise de ces vers de terre médisants. Les thuriféraires savent que la stratégie est pourtant simple. En épargnant momentanément les gros bonnets, le Procureur, en réalité, les met sous pression. Quand les foudres de la Justice vont-elles s’abattre sur eux? Ils en tremblent d’incertitude dans leur col blanc, les gros bonnets! Croyez-moi, cette attente est déjà, en elle-même, une véritable torture qui vaut bien la prison. Et en plus ça ne coûte rien aux contribuables. Parce qu’une fois, à Genève, souvenez-vous, on en a même attrapé un par le col blanc, de gros bonnet, – bon, d’accord, c’était un Russe – et ça nous a coûté des centaines de milliers de francs en dommages et intérêts. Alors vaut mieux être prudent comme Zappelli. C’est pas de la bonne justice, ça! Après tout, les sceptiques n’ont qu’à lire son site (Pourzap.ch. – On en a rêvé, Zappelli l’a fait!): dans ses engagements, concernant notamment la BCG, le Procureur l’écrit en toutes lettres: «Il veut un jugement rapide. Voilà des années que les Juges d’instruction ont le dossier en main…» Alors là, que ses détracteurs, s’il en reste, se lèvent et rendent leur Danette, qu’ils se taisent à jamais ou versent dans la palinodie! Car Zappelli le dit haut et fort: il en a vraiment marre que les Juges d’instruction fassent de la rétention de dossier, tout exprès volontairement pour retarder le procès. Six ans que ça dure et qu’il n’arrête pas de leur répéter, aux Juges d’instruction, qu’il veut un jugement rapide, qu’il faut accélérer le dossier parce que les Genevois ont le droit de savoir! C’est vrai, quoi, à la fin! Qu’on lui amène tous ces cols blancs, promoteurs, entrepreneurs, gros bonnets de la finance, politiciens, fussent-ils députés, Conseillers d’Etat ou Conseillère fédérale, et il va vous en faire de la chair à pâtée, le Zappelli. On va l’entendre dans tout le Palais de Justice crier en tapant du poing sur son bureau: Contre les gros bonnets! Le crime en col blanc est aussi un crime! Parce qu’attention! Sur son site, entièrement dédié à sa gloire méritée, on le décrit sans ambages: Daniel Zappelli, c’est le nouvel Attila de la Justice genevoise; sur le territoire où son cheval passe, la délinquance ne repousse pas. Surtout la petite. Mais les gros bonnets à col blanc ne perdent rien pour attendre. C’est pour son deuxième mandat. Il le promet. Et on peut le croire, c’est écrit dans les slogans qui scandent sa campagne. Alors que les petits malins qui se croiraient drôles en créant le site Pourlezapper.ch s’abstiennent d’une telle initiative; car avec Lui comme Procureur, il ne sera jamais dit dans la République que, selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de Zappelli vous rendront blanc ou noir….

  • Toxico !

    Par Pascal Rebetez

    J’ai arrêté. Enfin. Me suis désaccoutumé. Sans patch, sans psy, sans chimie. Oh, pas longtemps, une semaine. Mais quand même, qui aurait pensé que j’y arriverais, alors que le monde entier m’incite à sa consommation ? Mais là, j’ai dit à ma chérie : « On profite de la pause pascale, on prend prétexte d’aller dans cette petite maison en France voisine, et on regarde si on peut faire quelque chose. SANS. Eh bien, ça a marché ! Le plus dur, ce sont les deux premiers soirs, à cause des habitudes, des blogs de Machin et Machine, du site de l’autre et surtout des mails. Et puis finalement, on s’y habitue, on vit quand même. Peut-être même qu’on vit mieux, plus ensemble, davantage amoureux. Bon, on a des réflexes qu’il faut combattre, se remettre à consulter un lourd annuaire téléphonique, un horaire de chemins de fer, même prendre plaisir au contact téléphonique.

    Enfin, on a pu vivre toute une semaine sans Internet ni Outlook, sans .ch ni YouTube. On a pu vivre comme il y a moins de cinq ans, quand tout le monde vivait SANS.

    Qu’est-ce qui s’est passé entre-temps ? Quelle mouche nous a piqués ? Quel sournois virus s’est-il installé dans notre cerveau d’hominidé pour que la cybernétique nous soit devenue à ce point indispensable, essentielle, existentielle même ?

    Il s’est passé un grand bug économico-sociologique, à n’en point douter, une révolution de puces. Mais alors, qui a gagné ? Qui a pris le pouvoir ? Les puces ou les neurones ? Les communicationnistes ou les isolationnistes ?  Les nomades ou les néo-mades ? Pour en savoir davantage, je vais consulter, c’est préférable. Le bon docteur Google est un puits de science sans fonds : quand j’y lance ma petite question, je n’entends jamais l’écho de ma pièce. Et pourtant, la chose vaut des milliards.

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      • Allô docteur, je suis désolé. J’ai rechuté.

    Prenez pitié des toxicos.

  • Viens voir les crève-la-faim

    Par Pierre  Béguin

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    Nous sommes en 1689, dans le versant sombre du règne de Louis XIV. Les fastes de Versailles ne cachent pas la réalité: les paysans, qui représentent 90% de la population, sont dans une effroyable misère. Devant cette situation, La Bruyère, indigné, s’adresse aux nobles dans un petit texte construit sur le modèle d’un tableau qui, à bien le contempler, subitement s’animerait (Les Caractères ; De l’homme, 128). La rhétorique classique, ici, n’est plus au service du beau: il s’agit d’émouvoir le destinataire, c’est-à-dire de le mettre en mouvement, de le faire réagir, de toucher son cœur, de réveiller son sens moral, de lui faire voir le scandale de la misère du peuple, réduit à l’animalité et «tout brûlé de soleil» (l’allusion au Roi Soleil est évidente). Que ces riches aristocrates qui vont de Paris à Versailles ou de Versailles à Chantilly – comme les Condé – cessent de jeter quelques coups d’œil las et distraits au travers des vitres de leur carrosse! Qu’ils descendent et qu’ils regardent vraiment le paysage! Alors ils verront «certains animaux farouches, des mâles et des femelles, répandus par la campagne, noirs, livides et tout brûlés de soleil, attachés à la terre qu’ils fouillent et qu’ils remuent avec une opiniâtreté invincible: ils ont comme une voix articulée, et, quand ils se lèvent sur leurs pieds, ils montrent une face humaine; et en effet ils sont des hommes. Ils se retirent la nuit dans des tanières, où ils vivent de pain noir, d’eau et de racines; ils épargnent aux autres hommes la peine de semer, de labourer et de recueillir pour vivre, et méritent ainsi de ne pas manquer de ce pain qu’ils ont semé.»

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    Nous sommes en 2008, dans un versant sombre des sociétés modernes. Une chaîne d’hôtels annonce son intention d’emmener de très riches clients dans la province de Surin, l’une des régions les plus miséreuses de la Thaïlande, pour voir comment de vrais pauvres vivent et s’occupent de leurs éléphants. Ils s’en retourneront comme ils sont venus, à bord d’un jet privé, pour déguster un repas composé notamment de langoustes, de truffes noires et de glaces au roquefort préparé par trois chefs français totalisant entre eux huit étoiles au guide Michelin. L’objectif avoué? Susciter l’intérêt, peut-être émouvoir, afin que ces milliardaires investissent dans les infrastructures de cette région, ou ailleurs dans le monde des miséreux. Et l’organisateur de préciser: «Si je suis pauvre et si je vois des riches arriver, je me réjouis, car enfin il y a quelqu’un qui vient me voir.»
    Humanisme? Pragmatisme? Opportunisme? Affairisme? Cynisme? Voyeurisme?
    Au moins, avec La Bruyère, la question ne se posait pas…

  • Le prix des chiottes


     

    par Pascal Rebetez

     

    Sur plusieurs portes d’entrée de ma rue, une annonce a été apposée qui offre une place de garage souterrain pour voiture. Prix mensuel : 187.30 !  On admire la déclinaison des centimes, ce qui est supposé donner l’impression qu’un puissant calcul a permis de fixer le juste prix du havre automobile. Il semble d’ailleurs que cela soit les prix moyens du marché de l’habitat carrossier à Genève. La voiture mérite-t-elle autant ?

    Je payais ce prix-là, il y a trente ans, pour un trois pièces, certes aux allures modestes, mais vivable et terriblement vivifiant pour les étudiants que nous étions alors.

    187 francs, c’est aussi ce qu’on touche grosso modo en tant qu’allocation familiale pour un enfant.

    187 francs, c’est ce que laissent en moyenne annuelle les cinq millions de clients des maisons de jeux en Suisse. Ça n’a aucun rapport, mais justement, le prix du parking aussi n’a plus aucun rapport avec la réalité et surtout avec la vie telle qu’elle devrait être.

    Les voitures, gamins, on les appelait des chiottes. L’avenir nous a donné raison. Ce sont des chiottes, dorées peut-être, mais des sacs à merde et à problèmes quand même. En ville, c’est une catastrophe, une puanteur incroyable, sans parler du bruit. Je le sais, je roule à vélo, et pas que dans les beaux quartiers. Et de voir tous ces conducteurs en solo, aller et venir jour après jour, qui pour tenter de gagner sa vie et le droit à une plus belle cylindrée, qui pour dépenser et poser son véhicule dans une autre place de parking à 187 francs, ce qui fait 374 francs par mois rien que pour avoir le droit de poser sa bagnole chez soi et près de son lieu de travail, après avoir subi une bonne dose de bouchons et de stress et après avoir produit sa dose quotidienne de particules fines … quelle bêtise ! quel ridicule surtout. J’ai envie de leur dire aux automobilistes qui s’évertuent comme des lemmings à se fondre dans le courant, mais stop ! arrêtez ! laissez la place et l’air libre aux transports publics, aux vélos, aux taxis, aux piétons ! Ne soyez pas ridicules ni ringards avec vos chiottes à brosses. Laissez tomber ce mauvais goût, avant qu’on se moque de vous !

    Donc 187 francs, disais-je, ce qui laisse bien supposer que les automobilistes seront toujours d’accord de payer. Ce qu’il faut pour réduire le trafic, c’est qu’une majorité désormais se paie leurs têtes. Qu’on se moque des chauffeurs ! Qu’on les ridiculise ! Qu’ils se sentent dépassés, plus à la mode, stupides : ils arrêteront d’eux-mêmes leur moteur.
  • Sandrine Salerno et les ligues de vertu

    Par Pierre Béguin

     

    En lisant lundi dernier dans la Tribune l’article consacré à la «grossesse militante» de Sandrine Salerno (je félicite l'élue pour sa grossesse, c'est le t1412645814.2.jpgerme militant qui me gêne), je me disais qu’il était inconcevable de laisser impunie pareille pantalonnade, et qu’un billet d’humeur dans blogres se devait, pour le moins, de sanctionner cette bouffonnerie dont la grosseur, elle, n’a rien de militante. J’ai donc écrit un petit texte caustique que je pensais mettre sur le blog mon tour venu. Et voilà que mon ami Bagnoud me coupe l’herbe sous le pied, lui aussi, de toute évidence, ébranlé par tant de sottises. J’allais donc tourner la page Salerno lorsque je tombe sur un entrefilet où la militante Sandrine, dans une grosse colère militante, s’insurge contre une affiche dégradante pour la femme. On y voit, sous le slogan en clin d’œil «Tant qu’il y aura des formes», quelques vagues ondulations, ressemblant au premier regard à des dunes, qui laissent deviner un sein qu’on ne saurait voir de peur que ne brillent concupiscence et lubricité dans le regard des mâles, asservissant ainsi la femme au rôle d’obscur objet du désir. Oh Ciel! Et la militante Sandrine de monter aux barricades féministes avec l’urgence et les moyens que requiert l’importance du problème.1473838146.jpg

    Sandrine Salerno, vous confondez – et vous n’êtes hélas pas la seule – féminisme et ligues de vertu. En ce sens, vous me faites davantage penser à ces vieilles femmes rêches et austères qui, dans Lucky Luke, forment un bataillon pour fermer le saloon, lieu de débauche et de perdition de cet avatar de la création qu’est la race masculine. Dans un pays où seules les grandes entreprises, aux dépens des familles le plus souvent, semblent retenir l’attention de certains partis (la votation de dimanche dernier en constitue une preuve supplémentaire), le combat pour la condition des femmes et des familles attend pourtant un engagement plus sérieux et profond que cette mascarade électorale dans laquelle vous vous vautrez avec complaisance. A moins que, auto proclamée, par la grâce d’un article, nouvelle icône du féminisme, vous n’accordiez plus d’importance à votre propre cause qu’à celle des femmes. En attendant la canonisation…

  • Guignol's band

    Par Pierre Béguin 

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    Un site publicitaire décrit ainsi «la qualité de vie incomparable» dont bénéficie Genève: «Avec son lac, ses parcs somptueux et ses deux arbres par habitant, Genève est une ville verte, dans un environnement très protégé…»
    Genève, une ville verte? En fait, une illusion de ville verte pour prospectus publicitaire…
    Comme chaque année, avec la précision météorologique des traditionnelles inversions thermiques, la couche de pollution s’installe sur la ville verte et sur ses deux arbres par habitant. Comme chaque année, entre la fin de l’automne et le début du printemps, les particules fines prennent leurs aises élémentaires sur son environnement très protégé et ses parcs somptueux pour étouffer les malheureux qui n’ont pas de résidence secondaire sous d’autres cieux plus respirables. Et comme chaque année, feignant la surprise, les autorités sonnent le tocsin pour rappeler la dangerosité de ces poussières, sur les voies respiratoires notamment, et se répandre en communiqués laconiques ou recommandations illusoires: modérations des efforts physiques, réduction du temps d’aération des logements, utilisation des transports publics, etc. Bref, nous voilà alertés. Et alors? Alors, je respire toujours autant de particules fines et, en plus, je suis angoissé parce que je sais que je respire trop de particules fines. Du coup, il me semble que j’étouffe sous l’effet dévastateur des particules fines. Merci qui? Merci les autorités! Pourtant, en bon citoyen, j’ai essayé de suivre leurs recommandations. D’abord, j’ai arrêté de respirer, ce qui me semblait, vu les circonstances extrêmes, la solution la plus logique. Je l’avoue, par manque de volonté peut-être, je n’ai pas tenu très longtemps cette sage résolution. Puis j'ai voulu essayer le vélo. Mais comme on me disait, dans le même temps, d'éviter les efforts physiques, j'ai perdu le fil logique des recommandations. J’ai donc augmenté ma fréquentation, déjà importante, des transports publics. Mais comment augmenter ma fréquentation des transports publics lorsque, dans le même temps, les transports publics diminuent leur fréquentation sur des réseaux pourtant construits à grands frais? La ligne 12, parfaitement desservie avant les changements d’horaire du 9 décembre, est désertée, les rares trams, de préférence sans remorque aux heures de pointe, systématiquement en retard et bondés au point que la grogne y est généralisée et l’air… irrespirable!
    Alors, j’ai attendu les mesures d’urgence. Si elles sont venues dans les autres cantons, à Genève, ville verte, avec ses deux arbres par habitant, on a décidé d’attendre la bise prévue en fin de semaine (bise par ailleurs modérée en plaine) tout en jugeant les mesures incitatives prises à Neuchâtel ou en Valais très intéressantes, mais préférant, selon la directrice du Service genevois de la protection de l’air (parce que, donc, faute d’avoir une protection de l’air à Genève, il y a tout de même un Service de protection de l’air, ce qui, vous en conviendrez, ne manque pas de nous rassurer) préférant, disais-je, attendre la première occasion (sic!) pour tenter de faire de même dans notre ville verte avec ses deux arbres par habitant. Le moment n’est donc pas encore venu malgré des pics de pollution dépassant le deuxième seuil d’intervention. ..
    Là-dessus, je me dis que, tout de même, avec deux «verts» au Conseil d’Etat… Mais le premier est à Berne (ce qui, soit dit en passant, est la meilleure chose qui pouvait arriver à notre ville verte et à nos deux arbres par habitant; pourvu qu’il y reste!) et le deuxième compte. Quant aux autres, ils dorment, font des effets de manches ou d’annonces. J’allais me résigner à l’agonie respiratoire lorsque l’Exécutif de la ville de Genève m’a rendu l’espoir. Que faisait-il, l’Exécutif, en prévision des pics de pollution prêts à fondre lâchement par surprise, comme chaque année à pareille époque, tels des Savoyards furieux, sur notre belle ville verte? Il visitait des modèles d’écoquartiers en Allemagne, à Fribourg-en-Brisgau. En voilà une solution qu’elle est bonne! Au moins, lui, l’Exécutif, comme Ducros dans les 80’s, y’se décarcasse, il s’active… sur le très long terme. En attendant, les particules fines dansent dans mes poumons pendant que Genève, ville verte, prend des mesures d’urgence…  pour accueillir le Salon de l’auto!
    Genève, ses deux arbres par habitant, son cadre protégé et son guignol’s band

  • J'ai du bon tabac

     

    Par Olivier Chiacchiari

     

    Abordons sans tarder la question qui déchaîne les passions: l'interdiction de fumer dans les lieux publics. Autant dire que je suis contre.
    J'ai fumé durant près de vingt ans, puis j'ai arrêté trois ans. J'ai replongé deux ans, puis j'ai arrêté à nouveau. Voilà 15 mois que je suis abstinent et content de l'être, car ma santé est prioritaire. Comme la santé publique est prioritaire. Il est plus que souhaitable le tabac soit éradiqué - à terme - de nos sociétés, c'est une affaire de bon sens, mais cela doit-il passer par une interdiction totale ?
    Ce qui me pose problème, ce n'est pas la lutte anti-tabac, mais la chasse aux fumeurs. Cet acharnement à diaboliser les consommateurs d'un produit légal est inacceptable. Jusqu'à nouvel avis, on a toujours le droit de vendre des cigarettes, et on a le droit d'en acheter ? C'est donc un produit légal. Durant plus d'un demi siècle on a encouragé les gens à fumer, avec force et publicité, développant ainsi un marché juteux auquel personne ne veut renoncer, aujourd'hui encore. Ni les fabricants, ni l'Etat. Et c'est pourtant ce même Etat qui en un temps record organise la mise au ban de ses consommateurs. Le produit demeure légal, mais pas sa consommation. Une première dans l'histoire du commerce.
    Mais le plus stupéfiant, ce sont les fumeurs qui cautionnent l'interdiction. Dans l'incapacité de cesser ou de freiner leur consommation, ceux-là attendent qu'une loi les y contraignent, contraignant tous les autres avec eux. J'ai cessé par deux fois et je sais combien la lutte est pénible et improbable, mais pour y parvenir, il faut se faire aider par des spécialistes, non se faire interdire par l'Etat. Car si chacun demande l'interdiction générale ce qu'il ne peut arrêter en particulier, où va-t-on ! C'est comme si les chauffards demandaient davantage de radars, ou les polémistes davantage de censeurs...
    Non, une fois encore, la solution ne se trouve ni dans le camp des pour, ni dans celui des contre. La seule mesure respectueuse des libertés de chacun, c'est de permettre aux responsables d’établissements qui le souhaitent, d'aménager des locaux hermétiques réservés aux fumeurs, répondant à des normes strictes et avérées. Et que l'on pense à vitrer les cloisons, afin de ne pas interdire dans le même élan les liaisons interfumales.

  • Le staphylocoque est l'avenir de l'homme

    Par Pierre Béguin

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    Mon père atteint malheureusement l’âge vénérable où une hospitalisation est à craindre. Qui survint il y a une quinzaine de jours. Urgences. Beau-Séjour. Chambre à quatre lits. Sur la porte, un autocollant rouge attire l’attention du visiteur sur les précautions d’hygiène et le port obligatoire de gants en caoutchouc. A côté d’un des quatre noms, un petit signe rouge désigne le patient contaminé. Je me renseigne. Staphylocoque doré résistant. Ça tombe mal: ma mère, selon son médecin traitant, n’est pas en état de supporter cette bactérie. Contamination interdite. Je le signale au médecin qui m’avoue son impuissance. J’insiste. En vain. En partant, je remarque sur les autres portes le même autocollant et le même signe rouge à côté de certains noms. Idem au deuxième étage. Pourquoi ne regroupent-ils pas les malades porteurs du staphylocoque doré dans les mêmes chambres au lieu d’exposer les autres à une contamination? L’ostracisme d’une telle mesure ne s’en trouverait-il pas médicalement justifié? Fort de cette logique, je remonte poser la question au médecin qui me souligne, sans m’en expliquer les raisons, l’inutilité d’un tel regroupement qui n’a pourtant rien de familial. Trois jours plus tard, un deuxième signe rouge fait son apparition. Là, je m’inquiète vraiment. Quelles perspectives, papa? Anthrax? Ostéomyélite? Septicémie? Pour toute réponse, je reçois l’acrimonie des infirmières, par ailleurs particulièrement acrimonieuses, et la gêne du médecin. Deux jours passent qui amènent un troisième signe rouge. Seul mon père résiste encore. Cette fois, branle-bas de combat. J’exige un test et, en cas de résultat négatif, son déplacement immédiat. Même les médecins traitants de mes parents s’en mêlent. Le lendemain matin, test; le soir, résultat: pas de staphylocoque doré résistant mais pas de changement de chambre non plus. Finalement gain de cause est obtenu par mon frère dont la stratégie aux accents slaves semble plus efficace que ma logique desséchante et insistante: un couple que 59 ans de vie commune n’ont pas réussi à séparer pourrait l’être en quelques secondes par une bactérie dont la propagation n’a a priori rien de résolument fatal! Œuvre de tant de jours en un jour effacée! Bref, on place mon père dans une chambre individuelle. Ironie! De nos jours, ce sont les personnes non contaminées qu’on met en isolement. Ça promet pour l’avenir! Sur toutes les portes, à tous les étages – je jure, lecteur inquiet, que je dis la vérité –, les petits signes rouges se sont multipliés. Le surlendemain, Val-Fleuri, une EMS où nous avions déposé un dossier, nous informe qu’une place se libère. Soulagement. Le même jour, scandale à Val-Fleuri! Voyages du personnel et des conjoints, repas (g)astronomiques, voiture de fonction et salaire inapproprié pour le directeur, etc. On dilapide joyeusement l’argent pour motiver les cadres. Les débordements habituels en quelque sorte. L’Etat coupe les subventions à Val-Fleuri. Il n’y a plus de petits prétextes pour économiser. On vit décidément une époque formidable! Les conseils d’administration ou autres Pdg vivent comme des nababs, les banques, soutenues par l’argent public, engloutissent des milliards dans des krachs que trois neurones auraient suffi à prévoir et les états, évidemment endettés, coupent, coupent, coupent… le plus souvent où il ne faudrait pas couper. E la Nave va! Pour ceux qui ont les moyens, passe encore! On nous l’a bien dit, à Val-Fleuri: votre père est prioritaire  parce qu’il est solvable. Mais les autres? Pas de panique! Il reste Beau-Séjour, ses infirmières souriantes et son staphylocoque. Ah, quelle belle société! Le parachute doré pour les uns, le staphylocoque doré pour les autres.
     

    Moralité: Il faut mourir de son vivant. N’hésitons plus: fumons, buvons, jouissons, mangeons gras! Et surtout pas de sport, sous aucun prétexte! Je ne sais pas pour vous mais moi, c’est décidé: ce soir, c’est charcuterie, beurre, viande rouge en sauce, dessert crémeux. Et puisqu’il est temps encore pour les bonnes résolutions de janvier, demain – promis, juré! – j’arrête le sport et je commence à fumer.

  • Bret Easton Ellis écrit plus qu'il n'en faut

     

    Par Olivier Chiacchiari

     

    J'achève le dernier roman de Breat Easton Ellis, Lunar Park (2005), et j'avoue que la déception à l'arrivée est inversément proportionnelle à l'enthousiasme de départ. Que de longueurs assommantes, de pages inutiles, de phrases qui font naufrage! On réduirait la matière de moitié, il en resterait encore trop. A croire que son auteur a été payé à la ligne...
    Certes, subsistent des passages brillants, c'est d'ailleurs ce qui fait tenir jusqu'au bout: la scène de couple chez la psy, les rapports père-fils, ou encore les pensées schizophréniques du protagoniste qui s'adresse intérieurement à son alter ego écrivain.
    Certes, le concept d'autofiction est intéressant. Ellis dévoile sa vie privée sans que le lecteur ne puisse distinguer le réel du fictionnel. Procédé novateur, saisissant, mais cela ne suffit pas à faire un bon livre et à tenir en haleine durant près de 500 pages. Encore faut-il dépasser le «procédé», transcender le «concept», pour que la littérature opère et que le lecteur décolle.
    Malgré le savoir faire, on est bien loin de l'insolence inspirée d'American Psycho, best-seller incontesté et incontestable fustigeant la vacuité - et les paradoxes - de l'univers des golden boys des années 80.
    Dans Lunar Park, on ne perçoit plus que l'ombre de celui qui fut l'une des plumes américaines les subversives du moment. C'est un Bret Easton Ellis empaté qui s'exprime dans ce sixième roman. Mais attendons le septième, car l'œuvre littéraire est une course de fond, qui à l'image de l'existence, comporte ses hauts et ses bas.

     

    Lunar Park, éditions Robert Laffont, 2005