Le staphylocoque est l'avenir de l'homme (29/01/2008)

Par Pierre Béguin

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Mon père atteint malheureusement l’âge vénérable où une hospitalisation est à craindre. Qui survint il y a une quinzaine de jours. Urgences. Beau-Séjour. Chambre à quatre lits. Sur la porte, un autocollant rouge attire l’attention du visiteur sur les précautions d’hygiène et le port obligatoire de gants en caoutchouc. A côté d’un des quatre noms, un petit signe rouge désigne le patient contaminé. Je me renseigne. Staphylocoque doré résistant. Ça tombe mal: ma mère, selon son médecin traitant, n’est pas en état de supporter cette bactérie. Contamination interdite. Je le signale au médecin qui m’avoue son impuissance. J’insiste. En vain. En partant, je remarque sur les autres portes le même autocollant et le même signe rouge à côté de certains noms. Idem au deuxième étage. Pourquoi ne regroupent-ils pas les malades porteurs du staphylocoque doré dans les mêmes chambres au lieu d’exposer les autres à une contamination? L’ostracisme d’une telle mesure ne s’en trouverait-il pas médicalement justifié? Fort de cette logique, je remonte poser la question au médecin qui me souligne, sans m’en expliquer les raisons, l’inutilité d’un tel regroupement qui n’a pourtant rien de familial. Trois jours plus tard, un deuxième signe rouge fait son apparition. Là, je m’inquiète vraiment. Quelles perspectives, papa? Anthrax? Ostéomyélite? Septicémie? Pour toute réponse, je reçois l’acrimonie des infirmières, par ailleurs particulièrement acrimonieuses, et la gêne du médecin. Deux jours passent qui amènent un troisième signe rouge. Seul mon père résiste encore. Cette fois, branle-bas de combat. J’exige un test et, en cas de résultat négatif, son déplacement immédiat. Même les médecins traitants de mes parents s’en mêlent. Le lendemain matin, test; le soir, résultat: pas de staphylocoque doré résistant mais pas de changement de chambre non plus. Finalement gain de cause est obtenu par mon frère dont la stratégie aux accents slaves semble plus efficace que ma logique desséchante et insistante: un couple que 59 ans de vie commune n’ont pas réussi à séparer pourrait l’être en quelques secondes par une bactérie dont la propagation n’a a priori rien de résolument fatal! Œuvre de tant de jours en un jour effacée! Bref, on place mon père dans une chambre individuelle. Ironie! De nos jours, ce sont les personnes non contaminées qu’on met en isolement. Ça promet pour l’avenir! Sur toutes les portes, à tous les étages – je jure, lecteur inquiet, que je dis la vérité –, les petits signes rouges se sont multipliés. Le surlendemain, Val-Fleuri, une EMS où nous avions déposé un dossier, nous informe qu’une place se libère. Soulagement. Le même jour, scandale à Val-Fleuri! Voyages du personnel et des conjoints, repas (g)astronomiques, voiture de fonction et salaire inapproprié pour le directeur, etc. On dilapide joyeusement l’argent pour motiver les cadres. Les débordements habituels en quelque sorte. L’Etat coupe les subventions à Val-Fleuri. Il n’y a plus de petits prétextes pour économiser. On vit décidément une époque formidable! Les conseils d’administration ou autres Pdg vivent comme des nababs, les banques, soutenues par l’argent public, engloutissent des milliards dans des krachs que trois neurones auraient suffi à prévoir et les états, évidemment endettés, coupent, coupent, coupent… le plus souvent où il ne faudrait pas couper. E la Nave va! Pour ceux qui ont les moyens, passe encore! On nous l’a bien dit, à Val-Fleuri: votre père est prioritaire  parce qu’il est solvable. Mais les autres? Pas de panique! Il reste Beau-Séjour, ses infirmières souriantes et son staphylocoque. Ah, quelle belle société! Le parachute doré pour les uns, le staphylocoque doré pour les autres.
 

Moralité: Il faut mourir de son vivant. N’hésitons plus: fumons, buvons, jouissons, mangeons gras! Et surtout pas de sport, sous aucun prétexte! Je ne sais pas pour vous mais moi, c’est décidé: ce soir, c’est charcuterie, beurre, viande rouge en sauce, dessert crémeux. Et puisqu’il est temps encore pour les bonnes résolutions de janvier, demain – promis, juré! – j’arrête le sport et je commence à fumer.

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