Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • Anne ma soeur Anne, ne vois-tu rien venir?

    Par Alain Bagnoud

    Dark_City_by_DaStafiZ.jpgIl y a certains matins comme ça où le monde nous parle. On a feuilleté les journaux, on a eu les nouvelles.

    Un nouveau World Economic Forum à Davos décortique a posteriori la crise de la finance mondiale. Tout était prévisible : les "subprimes", la consommation excessive, l'endettement trop élevé, des analyses des risques trop lâches et des réglementations trop médiocres conduisaient forcément à la débâcle, explique-t-on aujourd'hui. Mais, bon, étrangement, on n'a rien vu venir.

    De l'autre côté, en France, des millions de manifestants préviennent le président du pouvoir d'achat, lui signalent qu'ils trouvent tout de même un peu gonflé, après toutes ses promesses et ses slogans, que les revenus du capital soient plus valorisés que ceux du travail et qu'ils vivent moins bien, avec moins d'argent et moins de liberté individuelle. Bon, vous me direz, c'est bizarre qu'ils n'aient rien vu venir. Tout était prévisible: quand on élit un président de cet acabit...

    Ici en Suisse, un sondage parle des intentions des citoyens. On va bientôt voter pour savoir si le peuple est d'accord d'étendre la libre circulation des personnes entre la Suisse et l'Union européenne à la Bulgarie et à la Roumanie. Les enjeux sont expliqués, les conséquences annoncées, les spécialistes font le point (ici). Il semble que les suites soient prévisibles.

    Et pourtant, selon l'étude de l'Institut gfs.berne, si la moitié (50%) des sondés est favorable à la reconduction et à l'extension de l'accord, 43% des Suisses sont prêts à dire non le 8 février et il reste 7% d'indécis.

    Faisons l'hypothèse que les citoyens refusent la libre circulation. Ça peut arriver. On sait en gros ce qui va alors se passer.

    Eh bien je fais le pari que dans ce cas, on expliquera bientôt partout qu'on n'a rien vu venir.

     

    (Publié aussi dans Le blog d'Alain Bagnoud.)

  • « Trois hommes », un livre pour toutes les saisons

    SERGE BIMPAGE

    salem.jpg

    Disons-le tout net : les récits pétris de longs et sempiternels dialogues avec tirets sur six cent pages ne m’ont jamais exalté. Un peu de variété narrative ne fait de mal ni au livre, ni au lecteur. Cela dit, tout aussi nettement tiens-je à souligner que ces Trois hommes, amis d’enfance qui se retrouvent pour refaire le monde et leur vie à la manière de l’Education sentimentale n’est pas pour déplaire, bien au contraire.
    Trente ans plus tard, les trois larrons, qui sont des surdoués du collège de L’Effeuille, de sérieux toqués garnis d’un QI supérieur à 170 (mais aussi, rassurons-nous, de la virginité masculine) se recroisent au lendemain de Noël. Ces retrouvailles imprévues ont lieu chez Alma Lebief-Dach, une originale lituanienne fortunée polyglotte, musicologue et même théologienne qui voue sa vie à Dieu.
    Alors, débute une soirée puis une nuit singulières pour ces hommes qui ne s’étaient jamais revus. Le choc est brutal, les étincelles jaillissent de leurs cerveaux froids pendant leur dérive dans la cité imaginaire, brouillardeuse et propre à philosopher. Tour à tour seront convoqués les grands thèmes de l’existence, la musique,  la foi, entrecoupés de chansons de potaches et de coups de mémoires.
    « Un silence s’est instauré. Chacun s’interroge sur des souvenirs olfactifs. Pour l’un, c’est l’haleine fétide d’un directeur alcoolique. La fétidité de la mort. Vladimir Sérafimovitch avait cinq ans quand il la respira pour la première fois en tombant sur un cadavre en décomposition dans le champ aux choux-raves du silo près de Kazalsk, à deux cents pas de la maison de sa buandière de maman. » Bien qu’assez intellectuellement, nos gaillards se lâchent et retrouvent des sensations anciennes qui, d’associations en associations, les amènent à des confidences  qui les portent loin dans le partage commun.
    On en oublie les tirets et les guillemets pour entrer dans la chair de ces trois hommes pas si triomphants que ça. Et le livre se referme en une paradoxale rédemption de l’iconoclaste narrateur : « Ensemble ! ce mot m’était resté trop longtemps en travers de la gorge à cause de son perfide paronyme en latin : insimulatio, l’accusation, la vindicte. Désormais, et avant mon plongeon fluvial rafraîchissant, mon cœur sent la grâce divine, il ne l’applique pas comme une volonté. »
    Idéal pour de longues vacances au coin du feu lors d’un hiver comme on en vient de connaître, ce grand livre est bon pour toutes les saisons, qui nous conduit à revisiter notre culture, confronter nos idées et plonger en nous, entre nostalgie et exaltation, sur ce qui fut et aurait pu advenir. Le tout servi par une langue d’orfèvre, il paraît que Salem est un grand admirateur de Proust. Le journaliste de « 24 Heures » publie d’ailleurs peu mais bien. On se souvient notamment avec bonheur de son magnifique Miel du lac ou de A la place du mort. Autant d’ouvrages qui l’ont justement primé et fait remarquer.

    « Trois hommes dans la nuit », par Gilbert Salem. Editions Bernard Campiche. 592 pages.

     

  • Céline privé

    Par Antonin Moeri

     


    c_line4_louis-ferdinand-celine-lucette-almansor-1936.jpg

    Je ne lis plus tellement les biographies d’écrivains. La vie qu’un tel a menée, ses manies, ses habitudes, ses goûts, ses opinions ne sont pas de grande importance. D’ailleurs, Handke me disait:”On est toujours déçu en rencontrant l’auteur des textes qu’on a aimés”. Je pense qu’il a raison.
    Le rapport que j’entretiens avec les livres de Louis-Ferdinand Céline est particulier. Je voue une sorte de culte, non pas à l’homme mais à ses romans, qui relèvent plus de l’épopée et du théâtre de Shakespeare que de l’auto-fiction. Relire pour la énième fois “Nord” ou “Rigodon” me réserve des surprises qui me sont rarement réservées.
    Et pourtant, l’autre jour, je tombe sur un petit livre que j’ai aussitôt acheté:”Céline secret”. C’est un texte à deux voix. Véronique Robert (elle a travaillé sur Artaud et Crevel) rencontre régulièrement Lucette Almanzor qui vécut aux côtés de l’écrivain “maudit” pendant vingt-cinq ans. C’est à Meudon, sur le toit de la Samaritaine à Paris ou à Dieppe que ces dames se retrouvent. Et Lucette parle de sa mère, de la danse, de la méthode dite “Barre au sol” qu’elle a inventée et qui se pratique aujourd’hui encore dans les compagnies de ballet, de sa vie aux côtés du docteur Destouches.
    Avec un parler franc, une spontanéité déconcertante et un naturel exquis, Lucette nous offre sa vision d’un homme qui l’a fascinée. “Depuis la mort de Louis, la vie ne m’intéresse plus”. Et pourtant, à plus de 90 ans, Lucette se lève le matin, fait ses exercices de danse et de respiration, nage dans l’eau froide de l’océan, transpire dans le sauna, promène son chien, raconte sa vie à ceux qu’elle aime. En lisant ce texte à deux voix, je comprends mieux pourquoi Nabe adore cette femme. C’est un livre à la fois pudique, drôle et sincère. Courez l’acheter! Il nous rappelle que, sur le fumier au bout de la nuit, toute la place est pour la beauté et le rire.

    Véronique Robert, Lucette Destouches: Céline secret, Grasset, 2001
    réédité en Livre de Poche, 2003

  • Double U comme Ubu

    Par Pierre Béguin

     ubu[1].jpg

    Il est des Présidents ou des leaders assassinés dont le destin tragique scelle les fiançailles avec le mythe. Comme Kennedy ou Martin Luther King. Un échelon en-dessous, il en est d’autres qui échappent miraculeusement à l’attentat et, donc, à la mythification. Comme Reagan ou le Pape. Ceux-ci doivent se contenter d’entrer dans l’Histoire (encore que le Pape, lui, contrairement à l’autre, a su s’élever tout près du mythe par le pardon accordé à son agresseur). Et puis il y a ceux dont le destin s’obstine à tirer vers le bas jusqu’au grotesque. Comme «double U» Bush ou Ubu. Des personnages de théâtre guignol. Ceux-ci ne font qu’échapper à un lancer de godasses, à un attentat au bretzel ou à une attaque d’ours. On a le destin qu’on peut. En l’occurrence, celui réservé à ces figurines placées au fond des baraques de fêtes foraines et que le chaland est chargé de dégommer à l’aide de boules de chiffon, attraction nommée «jeu de massacre» depuis 1889.

    Certes, dans ce sens, le rôle d’Ubu semblait définitivement attribué à l’ex dictateur ougandais Idi Amin Dada. Il en avait l’apparence, la démesure et la barbarie. Toutefois, contrairement à son modèle littéraire, le dictateur africain avait le sens de l’humour. Souvenons-nous de son aide financière de 60000 livres pour sauver l’Angleterre, l’ancien colonisateur noyé dans la crise économique des années 70. Je ne sais si W Bush a le sens de l’humour. Mais son destin politique oui. Commencer son mandat par un étranglement au bretzel, subir l’affront des attentats du 11 septembre, s’embourber dans une guerre ridicule en Irak, affronter une des pires crises économiques, se voir attribuer le titre peu glorieux de «worst president ever», essuyer un lancer de godasses durant sa tournée d’adieu avant d’assister au triomphe de son successeur, déjà entré dans l’Histoire avant même d’avoir commencé son mandat, attendu comme le messie par le monde entier et qui, ironie suprême, a l’outrecuidance de porter le deuxième prénom d’Hussein, c’est aussi invraisemblable que le destin d’Ubu, pourtant peu banal. Quel écrivain ou cinéaste aurait osé imaginer un tel scénario, même dans la parodie? A tel point que, si le mythe pouvait côtoyer le grotesque, «double U»  y entrerait de plain-pied. Et, comme de bien entendu, il trébucherait sur le seuil…

  • Les antinomies d'Etienne Dumont

     

    Par Alain Bagnoud

    affiche-dumont-SITE.jpg

    C'est l'événement genevois du jour! La sortie indispensable du week-end! Tout ce qui compte dans la république sera là. Vous aussi, sans doute, pour découvrir les portraits d'Etienne Dumont à la Galerie Krysal, œuvres de 12 photographes.

    Etienne Dumont, 60 ans, fils de bonne famille, journaliste sans complaisance et tatoué. Une figure de Genève, estimé, haï, critiqué, contemplé, admiré. De ces gens qui, comme on dit, « ne laissent pas indifférents ».

    Il a commencé par un petit tatouage dans les années 60. Puis un autre. Faits désormais par le Lausannois Dominique Lang, ils ont petit à petit envahi tout son corps et son visage. Comme Dumont cicatrise «vite et bien», il se lance aussi dans le piercing: des anneaux sous la peau des mains, un labret, (hublot transparent) entre la lèvre et le menton, des cercles dans les lobes des oreilles, tout ce que son corps supporte. Il a dû ainsi enlever une barrette de son nez dont les parois se séparaient, ainsi qu'un des cornes en silicone qu'il avait sous la peau de son crâne pour cause de nécrose foudroyante l’an dernier.

    On peut bien sûr s'interroger, et tout le monde le fait, sur les motivations du personnage. Ce qui m'intéresse plutôt, moi, c'est l'axe des contradictions dans lequel cette transformation le place.

    La beauté / la laideur. L'exhibitionnisme/ la pudeur. La visibilité / le masque. La création / la destruction. L'étalage / l'effacement. L'apparence / l'intériorité. Le narcissisme / la haine de soi. La jeunesse éternelle / la décrépitude.

    La démarche d'Etienne Dumont le met au centre de toutes ces antinomies, dans une oscillation perpétuelle entre elles, une interrogation renouvelée. Une sorte de quête personnelle, vertigineuse, qui impose violemment aux autres des questions inévitables.

    Et les photographies? Je ne les ai pas encore vues. Mais on peut les découvrir ce soir de 18h à 21h pendant le vernissage. L'exposition aura lieu demain, samedi 24 janvier (10h-18h) et après-demain, dimanche 25 janvier 2009 (14h-17h).

    Etienne Dumont, 60 ans, 12 photographes.zalmai ahad/vincent camel/alan humerose/michel israelian/steeve iunker/max jacot/isabelle meister/philippe pache/thierry parel/jean revillard/francis traunig/olivier vogelsang
    Galerie Krysal, 25 rue du Pont-Neuf, Carouge

    (Publié aussi dans Le blog d'Alain Bagnoud)

     

  • Vous prendrez bien un peu de schizophrénie?

    SERGE BIMPAGE

    Roms.jpg

    Parce qu’elle fait partie du monde, il faut bien que les écrivains se penchent sur la politique ! me suis-je encore dit ce matin devant la glace, réalisant qu’on allait voter bientôt sur la reconduction des bilatérales » (rien que le terme vous fait débander le plus atteint de priapisme).
    Profitant de ce moment de lucidité, dans le lot des bonnes résolutions, j’ai été y voir de plus près, à ces bilatérales. Plutôt intéressants, ces accords qui prévoient une libre circulation des personnes, dans les deux sens s’il vous plaît, entre la Suisse et la Communauté européenne. A condition d’être en règle, ils pourront bosser ici et on pourra bosser là-bas.
    Jusque-là mon cerveau tenait le coup : il a commencé ses ratés au constat que la votation proposait d’étendre ces accords à la Roumanie et à la Bulgarie, ces nouveaux venus dans le club. Bonne nouvelle. Sauf que, tout d’un coup, comme ça, je me suis demandé comment c’était possible que d’un côté on ouvre résolument les frontières – Eveline Widmer-Schlumpf s’apprête même à lancer une vaste consultation dans le pays pour répondre aux défis posés par l’intégration - tandis que de l’autre, en matière de politique d’asile… on les referme !
    Que ceux qui s’y connaissent m’expliquent. En attendant, je pense à ces Tziganes, sur nos trottoirs, tendant leur main à notre indifférence pressée. Deux millions en Roumanie, 800'000 en Bulgarie, parqués dans des ghettos et vivant dans des conditions de pauvreté extrême. Comment, diable, la politique migratoire schizophrénique de notre pays peut-elle leur venir en aide ? A moins qu’elle fasse semblant d’être folle?

  • La sophistique managériale


    Par Antonin Moeri






    MARZANO.JPGDepuis une ou deux décennies fleurit une littérature managériale d’une pauvreté théorique sidérante. Ce discours manipulateur, « à la fois séduisant et mensonger » est celui que Michela Marzano entend décortiquer. Se construisant sur des injonctions contradictoires, le message que ce discours véhicule est extrêmement trouble : il nous ordonne d’être à la fois flexibles et engagés, autonomes et conformes. Faisant fi du principe de réalité, il nous fait croire que tout est désormais possible, qu’il nous suffit, pour y arriver, de maîtriser notre apparence, de modifier notre comportement et de gérer nos relations. De vous à moi, qui refuserait d’entendre un chant aussi beau ? Ce qui par contre semble plus grave, c’est que les politiciens se sont emparés de ce discours soi-disant libérateur pour justifier des pratiques peu reluisantes.
    Le principal changement dans l’organisation du travail eut lieu dans les années quatre-vingt, quand on est passé de l’organisation fordienne basée sur la productivité à l’organisation toyotienne, basée sur le « flux tendu » et la « pression intériorisée à travers le travail en groupe ». On a chassé de l’entreprise tout ce qui permettait une quelconque complicité entre les salariés pour le remplacer par l’autocontrôle, la concurrence effrénée et la co-veillance (« si quelqu’un n’est pas assez productif, c’est le groupe qui va le forcer à augmenter sa production sous peine de rejet »). On demande au salarié un investissement total, on lui demande de croire en son travail et d’y trouver son bonheur. On l’associe à la mise en œuvre des objectifs de l’entreprise, désormais chargée, non plus d’imposer des cadences ou de donner frontalement des ordres, mais de « valoriser l’intuition, la motivation personnelle et l’autonomie ». On cherche à convaincre l’employé de « se sacrifier au nom de sa propre réussite ».
    La rhétorique de l’épanouissement personnel est employée par les cadres pour mobiliser la subjectivité du salarié en l’intimidant : « Si tu ne t’améliores pas, tu t’en vas ! Ou tu te casses ou tu adhères aux valeurs de l’entreprise en te remettant constamment en question, en retrouvant la confiance en toi, en pratiquant régulièrement un sport, en te couchant tôt, en acceptant les entretiens d’évaluation et l’organisation des fêtes, en élaborant des projets et en gardant ton portable allumé jour et nuit, en contrôlant tes émotions et en arborant un sourire radieux quand tu arrives au boulot ! »

    Ce qui est étonnant, c’est que cette littérature d’une sidérante pauvreté, basée sur la prescription et l’intimidation, est celle que lisent attentivement ceux qui, depuis une ou deux décennies, entendent réformer l’école publique genevoise.


    Michela Marzano : Extension du domaine de la manipulation, édition Grasset 2008.

  • Sport d'élite, étude de masse

    Par Pierre Béguin

      aie[1].jpg

    Parmi les paradoxes édifiants croisés sur mon déjà long chemin d’enseignant, la notion de sportif d’élite n’est pas la moins signifiante. Au début des années quatre-vingts, c’est-à-dire depuis que le sport a définitivement cessé d’être une fête ou un jeu pour devenir une industrie rentable, le Département de l’Instruction Publique s’est fixé comme une priorité la création d’une section sportif d’élite – et cette concomitance ne doit rien au hasard ou à la coïncidence fortuite. Là, attention, c’est du sérieux! On ne lésine sur rien, à commencer par le choix du lexique. Le mot «élite» aurait dû faire frémir les bien-pensants des chaumières pédagogistes. Imaginez son pendant scolaire – «étudiants d’élite» – pour comprendre le tollé que cette priorité aurait pu provoquer dans le sot courant égalitariste qui nous inonde depuis quelques décennies. Ah, mais avec le sport, mon bon Monsieur, c’est différent, on ne plaisante plus! Lorsque seule la victoire est rentable, ce n’est pas à des Meirieu, ni même aux bons soins lénifiants du département des Sciences de l’éducation, que nous pouvons décemment confier la formation des futures gloires du sport helvétique, sans prendre le risque de ridiculiser la nation entière ou d’égaler péniblement les performances actuelles du Servette FC. Alors on se met à faire exactement le contraire de ce qu’on fait avec les études: on regroupe, on «homogénéise» les sportifs là où on «hétérogénéise» les écoliers, on aménage les horaires des sportifs en priorité et on oublie allègrement pour eux toutes les considérations égalitaristes ou sociales qui envahissent – et phagocytent – la sphère de l’enseignement. On «élitise» les uns par nécessité du succès, on «massifie» les autres sous prétexte de démocratisation. Tout ce qui est bon pour les premiers, curieusement, ne l’est pas pour les seconds. La logique, la sélection, la rigueur qui permettraient l’éclosion victorieuse des uns se révéleraient inopérantes, injustes, scandaleuses pour les autres. Preuve que, lorsque l’on vise l’excellence et les résultats tangibles, on procède exactement à l’inverse des réformes qui détruisent sciemment l’enseignement public.

    Mais pourquoi cette distinction? Parce que le sport répond à deux nécessités du monde moderne: il génère une industrie rentable tout en confortant, en cas de succès, l’image de la nation et le pouvoir de ses dirigeants, et il participe, aux côtés des médias et du show-biz, comme la machine à décerveler d’Ubu, aux divertissements abêtissants permettant d’amuser tous les frustrés de la planète dont la mauvaise humeur menacerait de se réveiller à tout instant si elle était confrontée subitement au vide, ou même au silence. Objectifs essentiels pour la stabilité du système. Alors que les études n’ont pour mission que de fournir, outre une majorité d’abrutis consuméristes, une petite minorité d’élites scientifiques, techniciennes et managériales, seule indispensable au bon fonctionnement du système. Et tout le monde sait que cette élite se formera envers et contre toutes les réformes les plus crétinisantes.

    La grande absurdité, au fond, c’est qu’il faut maintenant encourager les parents à inscrire leurs enfants dans des clubs de sport ou, bien entendu, dans d’autres activités comme la danse ou la musique – mais dans tous les cas dans des activités extra scolaires – pour que ces derniers apprennent la rigueur, la discipline, la faculté de projection, la technique, la volonté, la frustration parfois, nécessaires à la réussite des études et que l’école a évacuées sous le prétexte des inégalités sociales et du constructivisme. Des parents – autre paradoxe – qui, tout en déplorant l’absence d’exigences du système scolaire, deviennent vite procéduriers et prompts à enrichir les cabinets d’avocats dès que ces exigences, pour peu qu’il en reste, s’exercent à l’encontre de leurs intérêts immédiats, lors même qu’ils les acceptent sans problème appliquées dans d’autres lieux que l’école. Former des sportifs pour retrouver des étudiants dignes de ce nom n’est effectivement pas le moindre des paradoxes. Certains en ont rêvé, Genève l’a fait!

  • Illustration de la poésie

    Par Alain Bagnoud

     

     

    3.jpgMaurice Chappaz est mort. Salut et reconnaissance à ce grand écrivain valaisan!

    Lisons ses livres, c'est le plus bel hommage qu'on peut lui faire.

    De plus, ça nous évitera de rejoindre la cohorte de ceux qui se répandent dans les médias: les hommes politiques importants qui tentent de récupérer cet homme fondamentalement conservateur et catholique dont les idées étaient pourtant opposées à toutes celles qui ont cours actuellement, ou les écrivains qui croient que la littérature est une hiérarchie et pensent qu'après cette mort, il y a une place à prendre, pour laquelle il faut se placer.

    Lisons ses livres et n'oublions pas la poésie, passée et actuelle, dont son œuvre est si puissamment nourrie. Une poésie qui a difficilement accès au public. Où la trouve-t-on encore à part dans les manuels scolaires et les revues spécialisées?

    Eh bien parfois au Café du soleil, à Saignelégier.

    C'est en effet là où notre ami Pascal Rebetez présente dès le 18 janvier les images qui ont accompagné quatre de ses ouvrages parus en 2001 et en 2008.  Trois peintres et un photographe y exposent leurs travaux liés à ses textes et poèmes.

    Le peintre Léonard Félix pour les peintures de l'ouvrage Calendrier des sèves paru en 2001 aux « Editions d'autre part ».

    Le photographe Gérard Lüthi pour Béton et vapeurs d'eau dans la collection "Le champ des signes" des Editions de la Société Jurassienne d'Emulation (2008): l'ouvrage reproduit vingt-quatre photographies prises lors d'un voyage en Chine, dont Pascal Rebetez s'est inspiré pour écrire maximes et aphorismes.

    rebetez_pascal_150x150.gifEnfin pour Au lieu des corps (voir ici) qui vient de paraître aux « Editions Encre et Lumière » en deux versions différentes, on a Isis Olivier qui a illustré une édition de ses peintures de femmes sur cartes maritimes et, pour l'autre, Michel Julliard et son univers très coloré.

    C'est tous les jours de 9h à 23h, sauf le lundi – jusqu'au 15 février 2009.


    Exposition Images à textes - sur des livres de Pascal Rebetez, avec Isis Olivier, Michel Julliard, Léonard Félix, peintures, Gérard Lüthi, photographies.
    Vernissage le dimanche 18 janvier 2009 à 11h00.

    Et sur Chappaz, un entretien, des poèmes, une analyse dans les très riches Carnets de Jean-Louis Kuffer, aujourd'hui.

  • Gaz et Gaza : l’esprit sauvage

    par Pascal Rebetez

     

    (gaz') s. m.


    Selon van Helmont, introducteur du mot, substance subtile unie aux corps, et qu'il appela esprit sauvage à cause qu'il la considérait comme incoercible.

     

     

    Le 5 janvier :

    un médecin, cité par de nombreux journaux arabes, dit avoir vu des nuages blancs après des explosions similaires à ceux produits par les bombes au phosphore blanc, qu’Israël a utilisées dans la guerre du Liban en 2006. Ce sont des bombes incendiaires, considérées par certains comme des armes chimiques.

    Le phosphore blanc est un agent toxique et l'exposition à ce produit peut se révéler fatale. Il peut provoquer des brûlures de la peau et endommager le foie, le coeur ou les reins. Son utilisation n'est interdite par aucun traité international. Cependant le protocole III de la Convention de 1980 sur les armes conventionnelles interdit son usage contre les populations civiles ou contre des forces militaires stationnées au milieu de populations civiles.

     

    Le 12 janvier :

    Le Monde a rencontré deux médecins norvégiens, seuls Occidentaux présents dans l'hôpital de la ville de Gaza. Ceux-ci expliquent le désarroi des médecins locaux devant un nouveau type de blessés, des personnes aux jambes amputées, brûlées. Le DIME est un explosif expérimental, au grand pouvoir d’explosion et extrêment précis.

    Petites boules de carbone contenant un alliage de tungstène, cobalt, nickel ou fer, elles ont un énorme pouvoir d'explosion, mais qui se dissipe à 10 mètres. "A 2 mètres, le corps est coupé en deux; à 8 mètres, les jambes sont coupées, brûlées comme par des milliers de piqûres d'aiguilles. Nous n'avons pas vu les corps disséqués, mais nous avons vu beaucoup d'amputés. Il y a eu des cas semblables au Liban sud en 2006 et nous en avons vu à Gaza la même année, durant l'opération israélienne Pluie d'été. Des expériences sur des rats ont montré que ces particules qui restent dans le corps sont cancérigènes", ont-ils expliqué.

     

    Le 14 janvier :

    La crise gazière s'est aggravée mardi, l'Ukraine et la Russie s'accusant mutuellement d'avoir empêché la reprise, initialement prévue dans la matinée, du transit du gaz vers les pays européens, une situation jugée inexcusable par l'UE.

    "Dans la matinée, Gazprom a commencé à réaliser le plan de rétablissement des livraisons de gaz à l'Europe. L'Ukraine a bloqué toutes nos actions en vue du transit du gaz vers l'Europe", a déclaré Alexandre Medvedev, le numéro deux de la société gazière russe Gazprom.

    L'entreprise publique ukrainienne des hydrocarbures Naftogaz a admis bloquer le transit gazier qui devait reprendre mardi matin, mais a expliqué sa position par le fait que Gazprom avait posé des "conditions de transit inacceptables".

     

    L’ « esprit sauvage » a de beaux jours devant lui et de belles morts derrière…