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  • Sujets

    Par Alain Bagnoud

    brun_de_versoix.jpgLes technologies nous rendent plus près de Dieu, dit-il. Les technologies sont comme des outils spirituels.

    Il a une coiffure moutonneuse et une moustache. Veston en velours côtelé brun, blue jeans et chaussures pointues. La dame qui l'écoute est beaucoup plus âgée, avec un col de fourrure, une écharpe rose, des lunettes progressives et un grand chapeau noir.

    Elle lui répond par petites rafales comme on tire à la mitraillette. lls sont presque seuls dans une grande confiserie à la paroi du fond entièrement dorée. Des prix chers. Beaucoup de personnel.

    Mon crayon s'émousse mais je retrouve sa mine en le tournant un peu entre mes doigts. Un Caran d'Ache rouge avec, sur la tranche: Etat de Genève. Je me demande quelle peut bien avoir été son histoire avant d'aboutir dans ma main.

    Mais où trouves-tu des sujets? m'a demandé jadis une longue dame fine qui veut écrire et qui ressemble à ma défunte tante Alice, morte d'un cancer.

    Dans la moto orange qui passe. Dans le stop tracé au bout de la rue. Dans cette affiche pour le Kiddie club hause, qui propose des anniversaires, des cours et du coaching pour les enfants. Dans ce communiqué de presse du Musée d'art et d'histoire qui annonce l'acquisition d'un Louis-Auguste Brun, dit Brun de Versoix, montrant la Promenade du comte d’Artois et de son épouse en cabriolet (1782)...

     

  • EVALUER LES PROFS

    Par Antonin Moeri

     









    SitStayForWeb.jpgComment améliorer les performances des profs dans l’école publique genevoise ? Plusieurs pistes sont explorées par les experts. L’une d’elles mérite de retenir notre attention : l’évaluation du salarié. On propose avec le sourire une visite régulière dans la classe et un entretien régulier avec le chef d’établissement, pour faire le point : cerner les motivations de l’employé et mesurer son engagement au sein de l’entreprise (de l’école).
    Cette pratique, qui vient du monde anglo-saxon et de l’économie de marché, est courante en France depuis un certain temps et ce sont le plus souvent (détail curieux à relever) des responsables politiques de gauche qui l’introduisent dans le système. Mais qu’en est-il exactement ? Dans un petit livre au style concis, Jean-Claude Milner nous rappelle que personne ne sait exactement à quoi sert cette évaluation sinon à préparer les charrettes des prochains licenciés ou des prochains mis à la retraite anticipée. Quand on modernise, on ne définit pas des objectifs, on donne des ordres contradictoires : viser l’égalité MAIS promouvoir les meilleurs, créer un lieu de vie MAIS apprendre la discipline aux récalcitrants. Pour Milner, il n’y a qu’un seul objectif : « la domestication généralisée ».
    Le problème, selon lui, c’est que cette idéologie de l’évaluation « projette d’intervenir au plus intime et au plus secret de la vie des individus ». En cherchant à brancher l’intimité du salarié sur la normalité du groupe, en faisant sauter le droit au secret dont chacun(e) devrait bénéficier dans une démocratie, on ne vise qu’une chose : contrôler les gens en faisant d’eux des  « choses évaluables », ramener l’intime à des profils et à des types. C’est-à-dire faire de l’être parlant (le prof) un objet indiscernable, substituable : un homme ou une femme de dossiers qui parle au nom de l’administration, qui a choisi de surveiller ses semblables et qui rêve d’une société où il n’y ait que « des domestiques, des valets et des serviteurs ».
    N’importe qui peut accéder à la position d’évaluateur. N’importe qui « peut se trouver convoqué à évaluer ». N’importe qui « peut ainsi aller à ce point de bassesse où il se découvre le maître d’un autre ». Or, ce « régime de la domestication généralisée peut être mis en suspens ». Ce serait aux politiques, selon Milner, de combattre l’esprit de domestication. Mais l’évaluation est un mot d’ordre. Dans un monde où la « positive attitude » est prescrite, pointer du doigt quelques pratiques équivoques vous ferait passer pour un grincheux, un esprit négatif, beurk !



    Jean-Claude Milner : La politique des choses, édition Navarin, 2005.

  • L'enseignement de l'ignorance

    Par Pierre Béguin

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    Si Dieu est invisible, on peut raisonnablement penser qu’Il n’est pas très loin de la parole des apôtres. Si la vérité est invisible – on déploie assez d’efforts pour qu’elle le reste – on peut logiquement penser qu’elle n’est jamais très éloignée du cynisme le plus total. D’une certaine manière, c’est la logique de Machiavel: se placer du point de vue de l’ennemi et se demander ce qu’il est condamné à vouloir étant donné ce qu’il est. Une technique utilisée notamment par l’essayiste Susan George dans son livre Le Rapport Lugano, où l’auteur se place dans la logique des élites du monde politique, financier et industriel, réunis à Lugano pour envisager les mesures à prendre afin de viabiliser le système capitaliste. Et comme ce rapport n’est pas destiné à être lu par le peuple souverain, tenu éloigné comme il se doit de la vérité, les responsables peuvent s’exprimer avec un cynisme stupéfiant.

    C’est aussi à cette technique que recourt Jean-Claude Michéa dans son excellent petit essai intitulé L’Enseignement de l’ignorance et ses conditions modernes, paru en 1999 et réédité en 2006 aux éditions Climats. La thèse? L’auteur montre comment le pouvoir politico-économique reconfigure l’appareil éducatif selon les seuls intérêts financiers du capital, comment l’éducation de masse, sous prétexte de démocratisation, a fini par abrutir les privilégiés eux-mêmes, pourquoi la propagation de l’ignorance, voire la «bêtification» des masses par le vecteur télévisuel, n’est pas le fruit des dysfonctionnements de la société mais une condition nécessaire de sa propre expansion, pourquoi le déclin de l’école n’est pas la conséquence, mais l’objectif même des incessantes réformes qu’on lui impose, et comment les puissants se servent des naïfs doctrinaires de gauche pour asseoir cet objectif dont la finalité est de faire de la consommation un mode de vie à part entière. Et c’est précisément sur cette ignorance qui délite les capacités de résistance aux manipulations médiatiques et au conditionnement publicitaire avec une efficacité remarquable que «les grands prédateurs de l’industrie, des médias et de la finance, avec la complicité de leurs institutions internationales (Banque mondiale, FMI. OCDE, G7 puis G8, GATT puis OMC, etc.) et celle, plus ou moins enthousiaste, de toutes les classes politiques occidentales, pourraient entreprendre d’édifier, en toute tranquillité intellectuelle, une cybersociété de synthèse, dont l’unique commandement serait le très vieille devise de l’intendant Gournay (1712-1759): Laissez faire, laissez passer.»

    Oh! Je vois venir les commentaires allumés de quelques insatiables blogueurs: tout cela sent décidément un peu trop l’altermondialiste, voire Le Monde diplomatique. C’est vrai et le parti pris peut déranger, je le concède. Mais avant de condamner ce petit essai dérangeant, prenez le temps de le parcourir, même s’il n’y a pas d’images à colorier…

     

     

  • Marie Coquelicot à Saint-Gervais

    Par Alain Bagnoud

    macoquelicot3.jpgNotre ami Pascal Rebetez a un talent pour donner des mots à ceux qui n'ont pas l'habitude de parler. Les amateurs de théâtre se rappellent probablement sa pièce fulgurante et aérolithique montée par le Poche en 2005: Les mots savent pas dire, dans une mise en scène de Philippe Sireuil. Une histoire inspirée par un fait divers.

    Quand sa mère meurt, dans une ferme des Pyrénées, Jeannot refuse qu'on l'emmène au cimetière et il l'inhume sous l'escalier de la cuisine avec une pelote de laine, des aiguilles à tricoter et une bouteille de vin. Pendant cinq mois, cloitré dans la maison avec sa sœur,  il grave sur le plancher de sa chambre un texte déstructuré et paranoïaque puis il meurt d'inanition. Ce n'est qu'après le décès de sa sœur vingt ans plus tard qu'on découvrira Le plancher de Jeannot, une œuvre d'art brut étonnante.

    Il y avait eu avant ça une autre pièce inspirée du réel. Le meilleur du Monde, imaginée d'après la trajectoire de Willi Favre, né aux Diablerets et médaillé d’argent en slalom géant aux Jeux olympiques de Grenoble en 1968. Une montée vers la gloire puis une plongée vers les enfers.

    Et encore avant, en 1987, Marie Coquelicot, créé au Festival de la Bâtie.

    C'est ce texte qu'on peut réentendre au Théâtre Saint-Gervais jusqu'au 8 mars, dans la bouche d'Isabelle Maurice, qui a voulu faire revivre ce monologue d'une femme simple. Elle s'est pour ça entourée de Muriel Décaillet dont la scénographie évoque l'enchevêtrement, « enchevêtrement des fils, des rituels, des tourbillons, des errances, des emballages et déballages de tout un chemin de vie chaotique », dit le texte de présentation, et de Pierre Miserez qui signe une mise en scène peut-être un peu éclatée.

    Marie Coquelicot est elle aussi inspirée d'un personnage qui a existé. Sa famille était voisine de celle de Pascal Rebetez qui était servant de messe à l'enterrement du fils handicapé et se souvient encore du père se jetant sur le cercueil. Il a imaginé la trajectoire de la sœur, forcément sordide. Inceste, coups, placement en Suisse allemande dans une ferme, mariage malheureux, coucheries, déceptions multiples...

    Mais il ne s'agit pas que d'une suite de malheurs. Le personnage de Marie Coquelicot ne se résigne pas, elle affronte, et les péripéties qu'elle raconte se teintent parfois d'humour dans la bouche d'Isabelle Maurice qui en fait une résistante.

     

    Marie Coquelicot, Théâtre St-Gervais Genève, rue du Temple 8, jusqu'au 8 mars, représentations à 20h30 sauf le dimanche à 18h et le 8 mars à 15h30. Relâche le 23 février et le 2 mars.

    (Publié aussi dans Le Blog d'Alain Bagnoud.)

     

     

  • L’héritage africain

    par Pascal Rebetez

     

    Je suis de souche modeste, de tronc solide, de branches en santé mais à l’usufruit inexistant. Pas de dot à venir ni héritage, aucune vieille tante par l’odeur alléchée, rien. Ceux d’avant m’ont fait. Point. Ils m’ont, à la naissance, délivré du poids de tout legs matériel. Soit. On peut en vivre. On peut même en vivre mieux, sans toutes les attentes malsaines de celui qui espère, suivies souvent de disputes fratricides, de déchirements, de vexations, et j’en passe… Que serait le roman du XIXème siècle sans la notion désirante et délirante de l’héritage ?

    Or, depuis quelques mois, de plus lointains cousins s’offrent à faire de moi le bénéficiaire de fortunes incroyables. C’est par millions de dollars qu’Eugène Baba, Aurélienne Mafti ou encore André Touré tentent de m’amadouer. Tous sont jeunes, beaux, riches mais orphelins dans une Afrique sanglante. Ils espèrent que, frappé de cette noble commisération occidentale qu’est la pitié (l’avatar spirituel de la colonisation), je saisisse l’opportunité de faire le bien en même temps que de m’enrichir, moi l’occidental avachi, ridé, pauvre et en bonne santé : il suffit pour cela que je transfère mon numéro de compte en banque et je toucherai… 20% propose André ; d’autres m’offrent 100'000 dollars cash.

    Ça change du 0,5% d’intérêt en compte épargne de l’UBS.

    Qu’attendent nos banquiers pour s’insurger contre cette concurrence déloyale ? que je devienne brusquement millionnaire ? J’hésite encore… la richesse, surtout quand elle est soudaine et surtout soudanaise, peut provoquer quelque désagrément existentiel. Et puis, j’aspire au détachement, je rêve de me désencombrer. Alors, toute cette bonne fortune ne serait qu’aliénation supplémentaire, possession possessive…

    Et ensuite, quel malheur ! Riche à millions, je forcerais mes propres enfants à entrer dans la dure chaîne des héritiers, ceux qu’on marque aux fers, les esclaves de l’attente et de l’envie. Non, cousins africains, je vous rends votre obole. J’ai de vous quelques gènes de cueilleur, une inclinaison à la maraude et au nomadisme, ça me suffit. Eugène Baba, Aurélienne et cher André Touré, je vous joins en annexe les comptes de quelques-uns de nos meilleurs banquiers : ce sont désormais les plus pauvres d’entre nous. Ayez pitié de leur finance et pillez pour leurs âmes.

  • La ronde des points de vue



    Par Antonin Moeri





    Carousel_In_Spring.jpgLorsque j’eus terminé la lecture de “Cathédrale”, l’été dernier, j’eus le sentiment d’avoir compris ce que R.C. avait voulu dire en écrivant cette histoire.
    Un homme raconte que sa femme a travaillé, dix ans plus tôt, pour un aveugle: elle devait lui lire les lettres et les factures qu’il recevait. Elle lui avait permis de caresser son visage. Cette femme a gardé le contact avec cet aveugle. Ils s’envoyaient des cassettes audio pour se raconter leur vie. Or voilà que l’aveugle débarque chez le couple: grosse barbe, voix de stentor, appétit féroce, cigarettes, whisky. On fume un pétard en regardant la télé. La femme s’endort. Il est question de cathédrales à la télé. L’homme se demande si l’aveugle peut se représenter une cathédrale. L’aveugle, nommé Robert, répète ce qu’il vient d’entendre à la télé. Cependant, il propose au narrateur d’en dessiner une. Il conduit sa main sur le papier. Il déclare le dessin génial. L’homme ne sait plus où il est. Pour moi, le sens de l’histoire était évident: l’aveugle représente une étrange et fascinante altérité, un mystère que le narrateur veut percer en faisant siennes les sensations d’un homme qui ne voit rien du monde qui l’entoure.
    ¨La semaine passée, ma femme et moi avons loué une chambre à la montagne. Nous voulions réparer nos forces et retrouver la confiance après la perte de nos économies que l’UBS nous a infligée. Nous étions étendus sur un vaste lit devant un paysage grandiose. J’ai lu lentement “Cathédrale” à ma femme, la laissant imaginer ce que le texte pouvait suggérer. Au terme de cette lecture, elle dit: “L’aveugle est le double de celui qui raconte l’histoire, je veux dire par là que ce dernier vit avec une femme qu’il ne voit pas. La cécité de Robert est en vérité celle du mari”. À aucun moment, je n’avais imaginé cette possibilité. J’ai dit:”Tu as raison, c’est exactement ce que R.C. a mis dans sa nouvelle. Tu devrais les lire toutes. Tu les comprendras mieux que moi”. Sur quoi, elle se leva pour appeler l’handicapé dont elle s’occupe depuis trop longtemps déjà...
    C’est sans doute la vertu des bons textes: offrir plusieurs lectures. Les commentateurs ne peuvent plus, au XXIe siècle, se poser la question:”Qu’a voulu dire l’auteur?” Je compris ce jour-là, dans la chambre de l’hôtel construit tout au bord d’un abîme, qu’il était préférable de se demander:”Qu’est-ce que l’auteur a mis dans son texte?” Et à cette question, chacun sera libre de donner sa réponse.

  • CEVA et rhinocérite

    Par Pierre Béguin

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    «Rien n’est aussi dangereux que la certitude d’avoir raison» (François Jacob). Une citation qu’illustre à la perfection la pièce d’Eugène Ionesco Rhinocéros (1960) qui décrit la transformation inéluctable de toute une société composée d’individus libres en une masse grégaire, instinctive et brutale, une société passant de la diversité humaine à l’uniformité animale. Ainsi, le premier acte montre des personnages occupés à parler et à échanger des signes innombrables. La parole humaine domine alors sous toutes ses formes: conversation amicale, disputes, démonstration logique, cris, langage affectif. L’apparition des rhinocéros entraîne la disparition progressive de cette diversité au profit d’une pauvreté langagière réduite, à la fin de la pièce, au monologue de Bérenger et aux barrissements des monstres. Parmi tous les symptômes de rhinocérite (la pièce identifie cette métamorphose à une forme d’épidémie) qui annonce la transformation d’un personnage en pachyderme bicornu – s’il est d’Afrique – figure systématiquement les attaques personnelles: le discours totalitaire n’argumente pas, il dévalue l’autre dans sa personne pour mieux déprécier ses arguments.

    Je pense à cette tragédie burlesque chaque fois, ou presque – je donne quittance, entre autres, à JF Mabut –, que je tombe sur un article ou un billet concernant le projet CEVA. Aucune vision d’ensemble, aucune argumentation, que des pétitions de principe, des procès d’intention, voire des insultes. Comme dans la pièce de Ionesco où Bérenger, le «dérangé», seul résistant à la rhinocérite, se voit systématiquement dévalorisé dans son argumentation sous le prétexte de sa tendance marquée à l’alcoolisme (imaginez que j’utilise la même stratégie contre Robert Cramer, principal défenseur politique du projet!) Ainsi, on ne peut s’opposer au CEVA sans être immédiatement traité par ses partisans de nantis égoïstes de Champel. Comme si on admettait a priori et de facto qu’aucun argument pertinent ne puisse contredire cette merveilleuse réalisation visionnaire du siècle passé. Attaque imbécile s’il en est, qui rabaisse le débat à son degré zéro. Dans cette logique, on pourrait rétorquer, outre le fait que tous les opposants au CEVA n’habitent pas Champel (c’est mon cas), que les habitants de Champel n’ont pas le monopole de l’égoïsme, tant s’en faut. Que dire des intérêts et des égoïsmes de ceux qui soutiennent ce projet, en termes de contrats d’entreprises, de valorisation de terrains (les CFF se frottent les mains pour leurs terrains de la Praille), d’ego de politiciens (j’ai les noms!) et de convenances personnelles multiples (j’en connais qui soutienne CEVA à la seule hypothèse – je devrais dire profession de foi – que son tracé pourrait entraîner un allègement du trafic automobile devant leur maison). Au bout de cette logique, si on admet que l’égoïsme seul motive les opposants, alors on doit aussi admettre que l’égoïsme seul motive les partisans: après tout, si les uns fondent leur opposition sur l’unique raison que CEVA passe près de chez eux, pourquoi les autres ne fonderaient-ils pas leur soutien sur l’unique raison que CEVA ne passe pas près de chez eux? Modifiez le tracé et vous modifiez les rangs des adversaires: les partisans d’aujourd’hui seront les recourants de demain (et vice-versa). Et Genève ne sera plus qu’un énorme troupeau de rhinocéros, s’il ne l’est pas déjà. Maintenant qu’il est prouvé que les égoïsmes se valent et s’annulent, que cessent donc ces attaques imbéciles et qu’on fasse place à un véritable débat public! Et que le principal responsable de ce lamentable état de fait, l’inénarrable Robert Cramer, qui s’entête à faire passer son projet CEVA par tous les moyens, fasse taire son ego démesuré! Vivement cet automne qu’il dégage à Berne définitivement! Aie! Le symptôme! L’insulte personnelle à la place de l’argumentation! Serais-je moi-même déjà contaminé par la rhinocérite?

     

    Voir aussi CEVA et droit démocratique et Contre CEVA

  • Marie Coquelicot

    par Pascal Rebetez

    J’avais un peu oublié ce texte et le spectacle réalisé en création pour le Festival de la Bâtie en 1985. Avec Anne-Marie Delbart, nous avions vécu intensément ce destin de femme à part, ballottée par la vie. Le spectacle lui-même avait connu un vif succès public et critique et nous avions eu l’occasion de le jouer un peu partout en Suisse romande ainsi qu’à Paris au Centre culturel suisse. Mais les années passent avec son cortège d’oublis, ses fantômes et sa chaîne de mots qui tout à coup réapparaissent et veulent à nouveau se faire entendre.

    Est-ce bien raisonnable ?

    Quand Isabelle Maurice m’a sollicité pour obtenir l’autorisation d’utiliser le texte, j’ai d’abord dû le retrouver ! Dactylographié comme il se doit dans l’antiquité d’avant l’ordinateur, je l’ai relu et fortement ressenti. Oui, on peut redire ces mots, je suis d’accord, ils ont gardé leur saveur et leur capacité d’indignation. La grande machine à broyer les consciences a fait quelques tours de plus, mais la voix des « petites gens » est toujours à entendre, et même si de nouveaux vocables sont apparus pour nommer l’innommable – quart-monde, working poors, SDF, mendiants roms – la réalité rejoint désormais ce que la fiction pressentait il y a vingt-cinq ans : si le naufrage humain est avant tout individuel, il y a bien un système qui fabrique les galères.

    Le théâtre dès lors doit continuer à flotter et le plateau qu’envisagent Isabelle Maurice et Pierre Miserez me semble de taille à naviguer parmi les écueils des représentations contemporaines.

    Avec Marie Coquelicot, je persiste et signe !

    à voir dès mardi au Théâtre St-Gervais.

  • De la sagesse de l’incertitude (littéraire)

    PAR SERGE BIMPAGE

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    En cette époque troublée, qu’il fait bon relire Kundera ! Dans « L’insoutenable légèreté de l’être », l’angoisse de l’homme seul éclate : « Après avoir réussi des miracles dans les sciences et la technique, ce « maître et possesseur » se rend subitement compte qu’il ne possède rien et n’est maître ni de la nature, ni de l’Histoire, ni de soi-même. Mais si Dieu s’en est allé et si l’homme n’est plus maître, qui est donc maître ? La planète avance sans aucun maître. La voilà, l’insoutenable légèreté de l’être. »
    Loin d’être une confession de l’auteur ou un récit épique, le « vrai » roman est une exploration de la vie humaine. Or, explorer, n’est-ce pas exercer son esprit critique, critiquer, contester tandis que ce qui se passe sur la planète n’est plus une affaire locale, que toutes les catastrophent concernent le monde entier et que, par conséquent, nous sommes de plus en plus déterminés de l’extérieur, par les situations auxquelles personne ne peut échapper et qui, de plus en plus, nous font ressembler les uns aux autres ? Guy Scarpetta, théoricien brillant du roman, le dit merveilleusement : « Si l’on fait du roman un véritable art, susceptible de révéler ou d’explorer certains aspects de l’expérience humaine méconnus par tous les autres grands systèmes d’interprétation, et de faire ainsi advenir un effet de vérité qui ne pourrait être obtenu autrement ; de se moquer de toutes les idéalisations collectives, de les déstabiliser ou d’en faire surgir le non-dit ; de jouer avec les orthodoxies, les certitudes ; de tirer parti des ambigüités de l’ironie plutôt que des assurances de « thèses » connues d’avance, et de suspendre le jugement moral ; - alors, il va de soi qu’une telle définition implique […] que les véritables inauguraux du genre sont Rabelais et Cervantès. »
    Tout l’enjeu, pour l’écrivain, réside dans la capacité de produire un effet de vérité là où échouent tous les savoirs, tous les dogmes constitués. Démarche hautement critique, subversive et solitaire. Dont Salman Rushdie a payé le prix fort avec ses « Versets sataniques » : la fatwa dont il est victime n’a toujours pas été levée. Et il est instructif et piquant de constater que le scandale réside moins dans un blasphème, une éventuelle critique frontale du Coran dont Rushdie s’est bien gardé que sur  la nature même de l’art du roman. L’écrivain joue avec les thèmes coraniques, par là même il échappe au face à face de l’orthodoxie et de l’hérésie. Or, ce jeu, précisément, est intolérable à l’intégrisme parce qu’il ne se situe par sur son propre terrain. Comme l’écrit Rushdie, « là où il n’y a pas de croyance, il n’y a pas de blasphème », formule qui caractérise précisément le roman et rend l’écrivain « insaisissable ».

     

  • PARLONS D'AMOUR

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    Par Antonin Moeri

     

    Dans ses nouvelles, Carver ne célèbre pas l’amour heureux. Ce n’est pas un univers joyeux qu’il nous propose. On y croise des personnages qui oscillent entre le repli sur soi et la folie meutrière (le geste irréparable). L’alcool y joue un rôle décisif.
    Dans la nouvelle “Si on en parlait sérieusement”, un homme rend visite à sa femme et à ses deux enfants, le soir de Noël. Il a le droit de rester une heure dans sa maison, car le nouvel amant de sa femme va débarquer avec ses propres enfants pour dîner. Les ampoules clignotent sur le sapin et on déballe les cadeaux. L’homme voudrait parler à sa femme et, n’y parvenant pas, réagit comme un polisson. Il jette dans le feu les bûchettes réservées pour la soirée en compagnie du nouvel amant. Il fait disparaître les tartes préparées pour le dessert.
    Le lendemain, il revient à la charge, aperçoit la carcasse d’une dinde trônant sur un plat, inspecte le gros cendrier où se mélangent les mégots de sa femme et ceux d’un inconnu. Quand sa femme parle au téléphone (dans une autre pièce) avec un inconnu, il saisit le couteau qui a servi à découper la dinde, le nettoie et scie les fils du téléphone. Folle de rage, sa femme le fout à la porte après avoir menacé de lui supprimer le droit de visite et d’aller chez les voisins pour appeler la police s’il ne disparaît pas illico. L’homme (Burt) s’empare d’un gros cendrier (vidé et lavé entretemps) et fait mine de le lui balancer à la figure. Il emmènera cet objet qu’ils avaient acheté au marché.
    Le récit commence au moment où Burt revient à la charge, au lendemain de Noël et se termine quand il pose le cendrier à côté de lui, dans la voiture. Il était venu pour s’excuser et n’a fait qu’aggraver les choses. Le lecteur se demande si Burt ne va pas éternellement recréer le même scénario, s’il n’éprouve pas une intense jouissance à se retrouver dans le même cul-de-sac. Au terme de cette lecture, je me suis posé la question: Pour quelle raison je préfère de loin ces histoires-là aux évocations enjouées de l’amour épanoui?
    Loin de toute complaisance pour les bitures, les putes impitoyables, les aubes blafardes, les flaques de pisse, la cendre froide, les toxicos hébétés et les chiens pelés, loin de toute jubilation dans la célébration du bonheur d’avoir rencontré celle ou celui qui dort à vos côtés, Carver construit des histoires elliptiques où le délire court sous la surface des mots, des êtres et des choses, délire dont on entend la rumeur dans les situations tendues qu’il imaginait.