Céline privé
Par Antonin Moeri
Je ne lis plus tellement les biographies d’écrivains. La vie qu’un tel a menée, ses manies, ses habitudes, ses goûts, ses opinions ne sont pas de grande importance. D’ailleurs, Handke me disait:”On est toujours déçu en rencontrant l’auteur des textes qu’on a aimés”. Je pense qu’il a raison.
Le rapport que j’entretiens avec les livres de Louis-Ferdinand Céline est particulier. Je voue une sorte de culte, non pas à l’homme mais à ses romans, qui relèvent plus de l’épopée et du théâtre de Shakespeare que de l’auto-fiction. Relire pour la énième fois “Nord” ou “Rigodon” me réserve des surprises qui me sont rarement réservées.
Et pourtant, l’autre jour, je tombe sur un petit livre que j’ai aussitôt acheté:”Céline secret”. C’est un texte à deux voix. Véronique Robert (elle a travaillé sur Artaud et Crevel) rencontre régulièrement Lucette Almanzor qui vécut aux côtés de l’écrivain “maudit” pendant vingt-cinq ans. C’est à Meudon, sur le toit de la Samaritaine à Paris ou à Dieppe que ces dames se retrouvent. Et Lucette parle de sa mère, de la danse, de la méthode dite “Barre au sol” qu’elle a inventée et qui se pratique aujourd’hui encore dans les compagnies de ballet, de sa vie aux côtés du docteur Destouches.
Avec un parler franc, une spontanéité déconcertante et un naturel exquis, Lucette nous offre sa vision d’un homme qui l’a fascinée. “Depuis la mort de Louis, la vie ne m’intéresse plus”. Et pourtant, à plus de 90 ans, Lucette se lève le matin, fait ses exercices de danse et de respiration, nage dans l’eau froide de l’océan, transpire dans le sauna, promène son chien, raconte sa vie à ceux qu’elle aime. En lisant ce texte à deux voix, je comprends mieux pourquoi Nabe adore cette femme. C’est un livre à la fois pudique, drôle et sincère. Courez l’acheter! Il nous rappelle que, sur le fumier au bout de la nuit, toute la place est pour la beauté et le rire.
Véronique Robert, Lucette Destouches: Céline secret, Grasset, 2001
réédité en Livre de Poche, 2003
Commentaires
Contrairement à ce que tu dis, camarade, et tout particulièrement en ce qui concerne le très cher et très affreux Céline, il me semble que les éclairages biographiques d'un écrivain et de son oeuvre sont d'un apport important. Les trois volumes de la biographie de Louis-Ferdinand, par François Gibault, en sont la meilleure preuve, comme le Proust de Jean-Yves Tadié, entre tant d'autres.
Tout récemment parus, je t'en signalerai deux autres évidemment moins englobants mais originaix par leurs points de vue: Céline au Danemark (1945-1951), par David Alliot et François Marchetti, au Rocher, avec une préface de Claude Duneton qui affirme que la curée anti-Céline, après la guerre, visait son anticommunisme bien plus que son antisémitisme. Cela se discute, mais la thèse n'est pas en l'air. En outre, d'un lecteur passionné et connaisseur, mais qui réduit un peu trop l'oeuvre à Voyage, selon moi: Le Testament de Céline, par Paul Yonnet, aux éditions De Fallois.
En ce qui concerne Lucette, je ne sais s'il en est question dans le livre que tu cites, mais Henri Godard, éditeur de Céline à La Pléiade, me disait qu'elle avait été le premier obstacle à la réédition des pamphlets dans La Pléiade, justement, réduisant ceux-ci à un délire, une folie de son cher homme - cela aussi se discute. Godard, quant à lui, pense que Céline doit être pris dans son entier - et c'est aussi mon avis.
Bien à toi, Jls.
Ah le livre de Yonnet va me passionner. J'ai lu avec beaucoup d'intérêt ce que cet homme a écrit sur le sport, les modes et, surtout, ce qu'il a écrit sur la naissance de SOS racisme. Cela m'avait passionné et il faudrait que je retrouve tout cela dans une de mes bibliothèques. J'espère que tu me prêteras son livre sur Céline dont je n'avais pas entendu parler.
C'est vrai, Lucette parle des pamphlets, et pour elle l'affaire est claire. Tant qu'elle vivra, ces pamphlets ne sortiront pas. Il lui ont fait trop de mal, à elle et à son homme. Le jour où ces délirants écrits seront édités (quelques pages sublimes dans Les beaux draps, je dois dire), on imagine les indignés de service à la télévision, genre Gérard Miller, que j'ai entendu hier en podkast (je crois que c'est comme ça qu'on dit)invectivant Nabe chez Ruquier. Et Nabe, très star outrée, de dire à l'assemblée que lui et son éditeur avaient donné une dernière chance à cette bande d'épanouis. Sur quoi il s'est levé et a quitté le studio.
Pour terminer avec les entretiens de Lucette, j'ai trouvé ça magnifique, très touchant de spontanéité, de vérité, de pudeur. Quant aux volumes de Gibault, c'est incontestablement du très beau travail.Mais en ce moment, je suis obsédé par la phrase, l'ellipse, le dialogue chez un auteur plus que par ses opinions politiques. Je me méfie des gens qui réduisent un écrivain à ses opinions politiques. Je me méfie des idéologues.
Bien à toi, AM
Ah! les veuves. Déjà, en 1910, celle de Jules Renard avait brûlé des textes de son mari qui lui semblaient obscènes. Aujourd'hui, Lucette Almanzor semble ignorer que les trois pamphlets de Céline sont sur Internet en version intégrale depuis belle lurette. Ce qu'elle dit des Danois (page 95) est inadmissible: «Louis et moi sommes arrivés à Copenhague le 27 mars 1945. Le Danemark est le pays le plus triste du monde et habité par des cochons hypocrites». Elle semble oublier que c'est grâce au Danemark que Céline a sauvé sa peau. D'autre part, ce sont les Danois, en Europe, qui ont le mieux protégé les juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Petite erreur encore à la page 54: le bateau sur lequel s'est engagé Céline s'appelait le CHELLA et non SHELLA. J'ai découvert Céline en 1954. Ce fut un formidable coup de tonnerre qui dure encore...
Bonjour !
A lire aussi: les deux Cahiers de l'Herne consacrés à Céline.
L'auteur est "damné" encore aujourd'hui en raison de ses pamphlets (Bagatelles pour un Massacre, L'Ecole des Cadavres) et de son antisémitisme à remettre dans le contexte de l'époque. Céline était violemment opposé à la guerre et - comme nombre de Français après 14-18 - faisait l'amalgame "Juifs = marchands de canons".
Le "Voyage" avait été traduit en russe par Elsa Triolet et quand Céline était revenu du Paradis soviétique où il avait été dépenser les droits d'auteur (bloqués sur place), il avait écrit un autre pamphlet - Mea Culpa - franchement antisoviétique. Cela avait bien sûr provoqué une levée de boucliers à gauche.
On peut se demander si ce n'est pas en réalité l'inimitié du PCF qui, à la Libération, lui a valu tous ses problèmes.
Il faut, je crois, laisser cela aux historiens.
Reste un écrivain extraordinaire qui a fait éclater les règles de la langue française et dont même Sartre (jusqu'à la Libération...) se réclamait.
Céline a le mérite de s'affranchir de la plupart des conformismes et de prendre le parti de rire de tout au point de se perdre dans son propre délire.
Son talent est celui d'un affranchi, il est au-delà des petits arrangements et le prix à payer pour son style fulgurant c'est la mise au ban par les belles âmes, ces belles âmes qui ont toujours raison et qui regardent danser les guerres sur l'écran de leur salon.
Céline aurait pu être Nizan mais il est resté Céline...
Céline a le mérite de s'affranchir de la plupart des conformismes et de prendre le parti de rire de tout au point de se perdre dans son propre délire.
Son talent est celui d'un affranchi, il est au-delà des petits arrangements et le prix à payer pour son style fulgurant c'est la mise au ban par les belles âmes, ces belles âmes qui ont toujours raison et qui regardent danser les guerres sur l'écran de leur salon.
Céline aurait pu être Nizan mais il est resté Céline...
D'où vient Lucette Almanzor ? une bio disponible ?
Merci
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