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  • Berne célèbre le théâtre contemporain

    Par Olivier Chiacchiari

     

    Dès samedi 1er mars, au Stadttheater Bern, coup d'envoi sera donné à onze pièces inédites de 30 minutes, commandées à des auteurs locaux sur le thème de «l'étranger». Vaste programme!
    J'ai eu la chance d'être sollicité pour cette aventure alémanique. Avant de prendre mon train pour aller assister à la première, je vous livre ici un article que j'ai rédigé pour le quotidien Der Bund, qui a consacré un supplément entier à l'événement.

     

    L'étranger d'un autre

     

    Etre fils d'immigré, c'est vivre en étranger sur sa terre natale. D'où l'interrogation qui en découle: Chance, malheur ou destin ?
    Comme la plupart des adolescents, je voulais ressembler à mes camarades, surtout ne pas me distinguer, mais malgré mes efforts mimétiques, je demeurais «l'Italien». En revanche, aussitôt débarqué en Italie, je devenais «lo Svizzero». Un lointain cousin qui fréquentait la péninsule en touriste et qui se révélait incapable de rouler les «r».
    Dont acte: je ne serai jamais chez moi nulle part, même pas au Tessin !
    Les années passant, ma soif de conformisme s'est estompée, j'ai commencé à m'affirmer et le malaise s'est mué en détermination. Mon origine me rendait combatif, mon combat me rendait attractif, et bientôt mon patronyme imprononçable s'imposait sans rougir.
    Pour gagner sa place, l'étranger doit s'interroger sur son identité et celle des autres, sans jamais pouvoir se reposer sur ses acquis. Une condition presque philosophique, en somme. Qui peut intimider. Ou donner des ailes.
    Gilles Deleuze a écrit qu'il faudrait avoir une langue étrangère dans sa propre langue pour trouver son style. J'ajoute qu'il faudrait être étranger dans son propre pays pour accepter le style du voisin.
    En définitive, de tel ou tel côté de la frontière, ne sommes-nous pas tous l'étranger d'un autre, issus d'une seule et même souche ?

     

    EN SAVOIR DAVANTAGE

  • Le prix des chiottes


     

    par Pascal Rebetez

     

    Sur plusieurs portes d’entrée de ma rue, une annonce a été apposée qui offre une place de garage souterrain pour voiture. Prix mensuel : 187.30 !  On admire la déclinaison des centimes, ce qui est supposé donner l’impression qu’un puissant calcul a permis de fixer le juste prix du havre automobile. Il semble d’ailleurs que cela soit les prix moyens du marché de l’habitat carrossier à Genève. La voiture mérite-t-elle autant ?

    Je payais ce prix-là, il y a trente ans, pour un trois pièces, certes aux allures modestes, mais vivable et terriblement vivifiant pour les étudiants que nous étions alors.

    187 francs, c’est aussi ce qu’on touche grosso modo en tant qu’allocation familiale pour un enfant.

    187 francs, c’est ce que laissent en moyenne annuelle les cinq millions de clients des maisons de jeux en Suisse. Ça n’a aucun rapport, mais justement, le prix du parking aussi n’a plus aucun rapport avec la réalité et surtout avec la vie telle qu’elle devrait être.

    Les voitures, gamins, on les appelait des chiottes. L’avenir nous a donné raison. Ce sont des chiottes, dorées peut-être, mais des sacs à merde et à problèmes quand même. En ville, c’est une catastrophe, une puanteur incroyable, sans parler du bruit. Je le sais, je roule à vélo, et pas que dans les beaux quartiers. Et de voir tous ces conducteurs en solo, aller et venir jour après jour, qui pour tenter de gagner sa vie et le droit à une plus belle cylindrée, qui pour dépenser et poser son véhicule dans une autre place de parking à 187 francs, ce qui fait 374 francs par mois rien que pour avoir le droit de poser sa bagnole chez soi et près de son lieu de travail, après avoir subi une bonne dose de bouchons et de stress et après avoir produit sa dose quotidienne de particules fines … quelle bêtise ! quel ridicule surtout. J’ai envie de leur dire aux automobilistes qui s’évertuent comme des lemmings à se fondre dans le courant, mais stop ! arrêtez ! laissez la place et l’air libre aux transports publics, aux vélos, aux taxis, aux piétons ! Ne soyez pas ridicules ni ringards avec vos chiottes à brosses. Laissez tomber ce mauvais goût, avant qu’on se moque de vous !

    Donc 187 francs, disais-je, ce qui laisse bien supposer que les automobilistes seront toujours d’accord de payer. Ce qu’il faut pour réduire le trafic, c’est qu’une majorité désormais se paie leurs têtes. Qu’on se moque des chauffeurs ! Qu’on les ridiculise ! Qu’ils se sentent dépassés, plus à la mode, stupides : ils arrêteront d’eux-mêmes leur moteur.
  • Sandrine Salerno et les ligues de vertu

    Par Pierre Béguin

     

    En lisant lundi dernier dans la Tribune l’article consacré à la «grossesse militante» de Sandrine Salerno (je félicite l'élue pour sa grossesse, c'est le t1412645814.2.jpgerme militant qui me gêne), je me disais qu’il était inconcevable de laisser impunie pareille pantalonnade, et qu’un billet d’humeur dans blogres se devait, pour le moins, de sanctionner cette bouffonnerie dont la grosseur, elle, n’a rien de militante. J’ai donc écrit un petit texte caustique que je pensais mettre sur le blog mon tour venu. Et voilà que mon ami Bagnoud me coupe l’herbe sous le pied, lui aussi, de toute évidence, ébranlé par tant de sottises. J’allais donc tourner la page Salerno lorsque je tombe sur un entrefilet où la militante Sandrine, dans une grosse colère militante, s’insurge contre une affiche dégradante pour la femme. On y voit, sous le slogan en clin d’œil «Tant qu’il y aura des formes», quelques vagues ondulations, ressemblant au premier regard à des dunes, qui laissent deviner un sein qu’on ne saurait voir de peur que ne brillent concupiscence et lubricité dans le regard des mâles, asservissant ainsi la femme au rôle d’obscur objet du désir. Oh Ciel! Et la militante Sandrine de monter aux barricades féministes avec l’urgence et les moyens que requiert l’importance du problème.1473838146.jpg

    Sandrine Salerno, vous confondez – et vous n’êtes hélas pas la seule – féminisme et ligues de vertu. En ce sens, vous me faites davantage penser à ces vieilles femmes rêches et austères qui, dans Lucky Luke, forment un bataillon pour fermer le saloon, lieu de débauche et de perdition de cet avatar de la création qu’est la race masculine. Dans un pays où seules les grandes entreprises, aux dépens des familles le plus souvent, semblent retenir l’attention de certains partis (la votation de dimanche dernier en constitue une preuve supplémentaire), le combat pour la condition des femmes et des familles attend pourtant un engagement plus sérieux et profond que cette mascarade électorale dans laquelle vous vous vautrez avec complaisance. A moins que, auto proclamée, par la grâce d’un article, nouvelle icône du féminisme, vous n’accordiez plus d’importance à votre propre cause qu’à celle des femmes. En attendant la canonisation…

  • Sarkozy, Salerno et mai 68

    Par Alain Bagnoud

     

         
    Loin de moi l’idée de me mêler des affaires de nos amis français, mais on peut quand même les remercier d’avoir élu un homme qui fait le spectacle avec une telle régularité et propose tant de réjouissance et d’amusement au monde entier.

    Car son audience ne se limite pas à la France. Les multiples traductions (avec les problèmes de fidélité qui vont avec) de son dernier sketch au Salon de l’agriculture en témoignent. Comment restituer « casse-toi pauvre con » en finlandais, en allemand, en hongrois ? Comment rester fidèle à l’esprit du maître ? Important dilemme ! On entend déjà hurler les puristes. Traduttore-traditore ! Etc.

    Enfin, vous avez déjà été couverts d’analyses et d’explications sur ce mouvement d’humeur du président, je ne veux pas insister. Simplement souligner la vraie stratégie sarkozienne, que je viens de comprendre et qui me semble diablement fine.

    Cet homme, qui déclarait vouloir en finir avec mai 68, est au contraire en train de mener à bien une révolution issue de cette époque. Avec d’abord, comme premier principe, la libération de la parole, chère à cette période. Mais ce n’est pas tout.

    Sarkozy prônait le retour à la politesse, aux bonnes mœurs, voici qu’au contraire il montre par l’exemple aux jeunes comment traiter quelqu’un qui ne serait pas d’accord avec eux.

    Il prétendait restaurer l’autorité, voici qu’au contraire il sape la sienne propre, l’autorité présidentielle, et de façon peut-être décisive.

    Il voulait montrer qu’il aimait les riches, les stars, les Bolloré, les Carla Bruni, la jet set, le voici désormais classé, comme je l’ai entendu hier au Café de la Paix, boulevard Carl-Vogt, dans une de ces délicieuses discussions de bistrot peu argumentées mais si ardentes : « le premier et le seul président qui est proche du peuple. »

    Devant ces réalisations si contraires à ses intentions déclarées, tout le monde politique et journalistique se demande comment il va bien pouvoir s’en sortir désormais, Sarkozy. Eh bien, j’ai la solution. Il lui suffit de prendre exemple sur une auguste élue genevoise, chargée de diriger la ville, et qui se propose de lever le pied dans les mois prochains : « Mais je continuerai à donner des orientations à mes cadres. Jusqu'à présent, je me suis beaucoup concentrée sur l'opérationnel. Ce qui était nécessaire en début de mandat, pour prendre connaissance personnellement des dossiers. Ce congé m'offrira l'opportunité du recul, je pourrai me consacrer aux priorités stratégiques et politiques, celles pour lesquelles j'ai effectivement été élue.»

    Allez Sarko, tu peux reprendre le programme de Salerno. Disparaître. Et sans qu’on te fasse le moindre reproche. Avec des félicitations même.

    Pour ça, il suffit que tu tombes enceinte et que tu transformes ça en grossesse militante !

    (Publié aussi dans Le blog d'Alain Bagnoud)

  • Guignol's band

    Par Pierre Béguin 

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    Un site publicitaire décrit ainsi «la qualité de vie incomparable» dont bénéficie Genève: «Avec son lac, ses parcs somptueux et ses deux arbres par habitant, Genève est une ville verte, dans un environnement très protégé…»
    Genève, une ville verte? En fait, une illusion de ville verte pour prospectus publicitaire…
    Comme chaque année, avec la précision météorologique des traditionnelles inversions thermiques, la couche de pollution s’installe sur la ville verte et sur ses deux arbres par habitant. Comme chaque année, entre la fin de l’automne et le début du printemps, les particules fines prennent leurs aises élémentaires sur son environnement très protégé et ses parcs somptueux pour étouffer les malheureux qui n’ont pas de résidence secondaire sous d’autres cieux plus respirables. Et comme chaque année, feignant la surprise, les autorités sonnent le tocsin pour rappeler la dangerosité de ces poussières, sur les voies respiratoires notamment, et se répandre en communiqués laconiques ou recommandations illusoires: modérations des efforts physiques, réduction du temps d’aération des logements, utilisation des transports publics, etc. Bref, nous voilà alertés. Et alors? Alors, je respire toujours autant de particules fines et, en plus, je suis angoissé parce que je sais que je respire trop de particules fines. Du coup, il me semble que j’étouffe sous l’effet dévastateur des particules fines. Merci qui? Merci les autorités! Pourtant, en bon citoyen, j’ai essayé de suivre leurs recommandations. D’abord, j’ai arrêté de respirer, ce qui me semblait, vu les circonstances extrêmes, la solution la plus logique. Je l’avoue, par manque de volonté peut-être, je n’ai pas tenu très longtemps cette sage résolution. Puis j'ai voulu essayer le vélo. Mais comme on me disait, dans le même temps, d'éviter les efforts physiques, j'ai perdu le fil logique des recommandations. J’ai donc augmenté ma fréquentation, déjà importante, des transports publics. Mais comment augmenter ma fréquentation des transports publics lorsque, dans le même temps, les transports publics diminuent leur fréquentation sur des réseaux pourtant construits à grands frais? La ligne 12, parfaitement desservie avant les changements d’horaire du 9 décembre, est désertée, les rares trams, de préférence sans remorque aux heures de pointe, systématiquement en retard et bondés au point que la grogne y est généralisée et l’air… irrespirable!
    Alors, j’ai attendu les mesures d’urgence. Si elles sont venues dans les autres cantons, à Genève, ville verte, avec ses deux arbres par habitant, on a décidé d’attendre la bise prévue en fin de semaine (bise par ailleurs modérée en plaine) tout en jugeant les mesures incitatives prises à Neuchâtel ou en Valais très intéressantes, mais préférant, selon la directrice du Service genevois de la protection de l’air (parce que, donc, faute d’avoir une protection de l’air à Genève, il y a tout de même un Service de protection de l’air, ce qui, vous en conviendrez, ne manque pas de nous rassurer) préférant, disais-je, attendre la première occasion (sic!) pour tenter de faire de même dans notre ville verte avec ses deux arbres par habitant. Le moment n’est donc pas encore venu malgré des pics de pollution dépassant le deuxième seuil d’intervention. ..
    Là-dessus, je me dis que, tout de même, avec deux «verts» au Conseil d’Etat… Mais le premier est à Berne (ce qui, soit dit en passant, est la meilleure chose qui pouvait arriver à notre ville verte et à nos deux arbres par habitant; pourvu qu’il y reste!) et le deuxième compte. Quant aux autres, ils dorment, font des effets de manches ou d’annonces. J’allais me résigner à l’agonie respiratoire lorsque l’Exécutif de la ville de Genève m’a rendu l’espoir. Que faisait-il, l’Exécutif, en prévision des pics de pollution prêts à fondre lâchement par surprise, comme chaque année à pareille époque, tels des Savoyards furieux, sur notre belle ville verte? Il visitait des modèles d’écoquartiers en Allemagne, à Fribourg-en-Brisgau. En voilà une solution qu’elle est bonne! Au moins, lui, l’Exécutif, comme Ducros dans les 80’s, y’se décarcasse, il s’active… sur le très long terme. En attendant, les particules fines dansent dans mes poumons pendant que Genève, ville verte, prend des mesures d’urgence…  pour accueillir le Salon de l’auto!
    Genève, ses deux arbres par habitant, son cadre protégé et son guignol’s band

  • J'ai du bon tabac

     

    Par Olivier Chiacchiari

     

    Abordons sans tarder la question qui déchaîne les passions: l'interdiction de fumer dans les lieux publics. Autant dire que je suis contre.
    J'ai fumé durant près de vingt ans, puis j'ai arrêté trois ans. J'ai replongé deux ans, puis j'ai arrêté à nouveau. Voilà 15 mois que je suis abstinent et content de l'être, car ma santé est prioritaire. Comme la santé publique est prioritaire. Il est plus que souhaitable le tabac soit éradiqué - à terme - de nos sociétés, c'est une affaire de bon sens, mais cela doit-il passer par une interdiction totale ?
    Ce qui me pose problème, ce n'est pas la lutte anti-tabac, mais la chasse aux fumeurs. Cet acharnement à diaboliser les consommateurs d'un produit légal est inacceptable. Jusqu'à nouvel avis, on a toujours le droit de vendre des cigarettes, et on a le droit d'en acheter ? C'est donc un produit légal. Durant plus d'un demi siècle on a encouragé les gens à fumer, avec force et publicité, développant ainsi un marché juteux auquel personne ne veut renoncer, aujourd'hui encore. Ni les fabricants, ni l'Etat. Et c'est pourtant ce même Etat qui en un temps record organise la mise au ban de ses consommateurs. Le produit demeure légal, mais pas sa consommation. Une première dans l'histoire du commerce.
    Mais le plus stupéfiant, ce sont les fumeurs qui cautionnent l'interdiction. Dans l'incapacité de cesser ou de freiner leur consommation, ceux-là attendent qu'une loi les y contraignent, contraignant tous les autres avec eux. J'ai cessé par deux fois et je sais combien la lutte est pénible et improbable, mais pour y parvenir, il faut se faire aider par des spécialistes, non se faire interdire par l'Etat. Car si chacun demande l'interdiction générale ce qu'il ne peut arrêter en particulier, où va-t-on ! C'est comme si les chauffards demandaient davantage de radars, ou les polémistes davantage de censeurs...
    Non, une fois encore, la solution ne se trouve ni dans le camp des pour, ni dans celui des contre. La seule mesure respectueuse des libertés de chacun, c'est de permettre aux responsables d’établissements qui le souhaitent, d'aménager des locaux hermétiques réservés aux fumeurs, répondant à des normes strictes et avérées. Et que l'on pense à vitrer les cloisons, afin de ne pas interdire dans le même élan les liaisons interfumales.

  • Andromaque et Œdipe

    par Pascal Rebetez


    Mon confrère Pierre Béguin, dans une rubrique récente, montrait avec grande pertinence tout ce qu’un personnage d’Alexandre Dumas pouvait avoir d’œdipien dans son projet d’amour, le citant : «Ma foi, je ne suis plus amoureux, et comme elle ne nous a pas reconnu, détache-là!» Le désir n’est fécond qu’au travers de celui d’un autre. L’autre parti, le rival évacué, le désir n’a plus de sens : maman peut dormir tranquille.

    J’y pensais l’autre soir à la Comédie où une excellente troupe française, sous une houlette albionne, jouait à merveille la tragédie de Jean Racine qui, lui non plus, n’avait pas besoin d’avoir lu Freud pour connaître son humanité complexe.

    A un certain moment, Oreste fou d’amour pour Hermione, s’en prend à l’agressivité œdipienne de Pyrrhus :

    Non, non, je le connais, mon désespoir le flatte
    Sans moi, sans mon amour, il dédaignait l'ingrate ;
    Ses charmes jusque-là n'avaient pu le toucher :
    Le cruel ne la prend que pour me l'arracher.


    Et voilà comment l’autre, par la manifestation de son désir, légitime le mien, tout en l’entravant. C’est ainsi qu’on aime aimer, quand trop enfant nous restons. Et qu’on oublie les les vrais rejetons, en l’occurrence ici, le fils d’Achille, Astyanax, représenté en adolescent délicieusement idiot, jouet flottant sur les eaux tumultueuses des guerres et des jalousies parentales.
    A noter, mais cela n’a peut-être rien à voir, qu’il existe une position sexuelle dite d’Andromaque, où la femme chevauche son mâle. C’est ainsi qu’Hector aimait le faire.

    En position assise, dite du velours rouge, je vous conseille la Comédie. C’est assez rare de sortir du théâtre en ayant eu le sentiment d’avoir été conquis par le verbe évidemment, par le jeu et l’intelligence du propos.

  • Bel et bon

    Par Alain Bagnoud

     

    Je ne sais pas si c’est la même chose chez vous, mais dans mon entourage, les gens se souhaitent de moins en moins une bonne journée.

    C'est la même chose à la radio d'ailleurs. Je viens par exemple d’entendre une animatrice souhaiter à tous les auditeurs une belle journée.

    Un changement instructif. Significatif.

    Bon, c’était du domaine des sens. Ce qu’on peut goûter, apprécier, déguster. Un repas, un bain, une caresse.

    Beau, au contraire, c’est le domaine du visuel, de l’esthétique. Une appréciation qui n’est pas physique, mais spirituelle. Si on ingère ce qui est bon, si on l’apprécie en soi, le beau nous est extérieur et on le savoure comme un spectacle.

    Une belle journée, c’est donc une journée où on n’est pas impliqué, qu’on observe avec un peu d’écart, dont on admire le déroulement des événements en connaisseur.

    En passant de bon à beau, on nous souhaite donc de nous désinvestir, de nous désemcombrer. D’adopter une position zen. De passer de la digestion à la contemplation, de la saveur à la méditation.

    C’est peut-être une bonne idée. Une belle idée ? En tout cas pas une mauvaise idée. Ni une vilaine idée. Bon. Bien. D’accord. Allez ! Que votre journée soit intéressante !

    (Publié aussi dans Le blog d'Alain Bagnoud)

  • Œdipe, toujours Œdipe !

    Par Pierre Béguin 

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     Qui a lu La Dame de Monsoreau? Pendant plus de 800 pages, Alexandre Dumas nous raconte les ruses, les embrouilles, les coercitions ou autres traquenards par lesquels le duc d’Anjou essaie de s’approprier Diane de Méridor aux dépens de son ami Monsieur de Bussy. Finalement, blessé dans une embuscade, de Bussy, à terre, périt d’un coup d’arquebuse, tiré à bout portant par un homme masqué, sur ordre du duc. Diane est dans sa chambre, prisonnière, enfin à la merci de celui qui, 800 pages durant, l’a désirée d’un amour inébranlable malgré les obstacles et les déceptions. La voie est libre, enfin! Pourtant, le duc dit simplement à son complice – et c’est là tout le génie d’Alexandre Dumas: «Ma foi, je ne suis plus amoureux, et comme elle ne nous a pas reconnu, détache-là!» Que Diane s’en aille où elle veut! Le duc n’est plus amoureux. D’un coup. D’un coup de feu. Celui qui a tué de Bussy. Ce n’était pas Diane que le duc aimait, mais l’excitation de la disputer à un autre. Le désir nait de cette confrontation de l’objet au désir du tiers. En tuant de Bussy, le duc a tué en lui tout intérêt pour Diane.944059956.jpg
    Alexandre Dumas ne pouvait pas connaître Freud, mais il connaissait la Mythologie. Le duc ne fait que reproduire le schéma œdipien du petit garçon qui doit disputer sa mère à son père: dans les affres de son conflit, il en veut à son père qui, obstacle incontournable à ses tentatives de séduction – comme le fait systématiquement de Bussy face au duc d’Anjou –, l’empêche de jouir de l’attention exclusive de sa mère. S’il veut que sa mère l’admire, lui le plus grand des héros, il doit, d’une manière ou d’une autre, se débarrasser du père.

    Tristan n’agit pas autrement avec la reine Iseut. Il ne la désire que pour autant qu’elle soit désirée par son père adoptif, le roi Marc. Ses exploits pour la conquérir n’ont de sens que parce qu’ils surpassent ceux du roi. Loin du désir de Marc, dans la forêt du Morois par exemple, la reine perd tout intérêt; et Tristan, après trois ans (selon les versions), s’empresse de la rendre au roi.

    N’importe quel objet – tout autant que n’importe quelle personne – ne devient désirable qu’au travers du désir d’un tiers, ou parce que d’autres le possèdent déjà. Qui désirerait ce que personne ne désire? Toutes les stratégies publicitaires, les modes, le luxe, reposent sur la perception et l’exploitation de ce phénomène. Œdipe, toujours Œdipe! A tout âge!
    «Quand on est enfant, on croit qu’il y a des adultes. Et puis, quand on grandit, on s’aperçoit qu’il n’y a pas d’adultes. Il n’y a jamais d’adultes, jamais!» Au Collège, on m’avait donné ce sujet comme dissertation. Je crois me souvenir que la phrase est de Malraux…2145733860.jpg86318980.jpg

  • Les machettes se cachent pour mourir


     

    par Pascal Rebetez

     

    En ce lendemain de grâces conjugales obligatoires, il n’est pas inutile de savourer le contentement du responsable floral de Max Havelaar, organisation bien-pensante qui se veut pourtant pour un commerce équitable. Je résume sa belle suite de sophismes et d’entourloupettes : les troubles au Kenya n’empêcheraient pas la production de tulipes et de roses. Seul le transport serait difficile. Les employés restant sur place, dans les serres et travaillant davantage et plus efficacement. 

    « Voici pour toi, ma chérie, mon amour, ce petit bouquet de fleurs du Kenya ; pour que notre union ne soit jamais victime d’aucun conflit ethnique, prends ces fleurs pour assurer notre survie malgré la bataille pour les gisements divers dont notre sous-sol est farci. Reçois ces roses, ma sanguine, toi que j’aime en entier et en morceaux. Accepte ce bouquet afin qu’entre nous un commerce équitable produise la plus parfaite des plus-values. »

    Nous n’avons aucune nouvelle des derniers éleveurs de wapitis, mais les haricots nains du même Kenya se portent bien. Pendant que les foules se massacrent, le commerce se poursuit. Qui a dit que le capitalisme international rendait les gens insensibles ? Pour chaque fleur cultivée dans les serres équatoriales, on offre ici un juste prix. S’ils veulent là-bas se meurtrir avec les épines, qu’y peut-on ? A chaque jour suffit sa peine.

    -         A ta santé, ma chérie.

    -         Qu’est-ce que c’est ? Non, tu es fou ! Un diamant du Kivu… Voici pour toi, pour nous.

    -         Oh ! Un safari  au Botswana ! C’est trop beau ce que tu m’achètes…

    -     De quelle machette tu parles, mon amour pour toujours?