exterminons les vieux!
par antonin moeri
«Chasseurs de vieux» est une nouvelle de Buzzati que le lecteur a envie de «relire trois cents fois», comme dit une journaliste culturelle de la radio romande. C’est l’histoire de Roberto Saggini, un séduisant quadra qui, vers deux heures du matin, arrête sa voiture pour aller acheter des cigarettes. Quand il sort du bar-tabac, une bande de voyous lui tombe dessus. Ce sont des jeunes animés par la haine des vieux qu’ils rendent responsables «de leur mélancolie, de leurs désillusions». Des ados flattés par les journaux, la radio, la télé, le cinéma. Leur slogan: «L’âge est un crime». Roberto s’enfuit entre les roulottes d’une fête foraine. Il cogne durement un des crânes rasés qui se révèle être son propre fils. Il court dans un bois, descend une colline, traverse une rivière, se retrouve au bord d’un gouffre et tombe dans le vide. Cette course folle a tellement épuisé les rebelles que Regora, leur chef, s’est brusquement transformé en vieillard édenté, aux joues flasques et aux paupières flétries. Désormais, c’est lui que poursuivront les cailleras en colère.
Cette petite fable réserve un rare bonheur de lecture. En effet, je partage avec Regora et ses potes l’idée que les vieux sont répugnants et qu’il faut à tout prix les supprimer. C’est d’ailleurs ce que suggère Théraulaz dans son spectacle: comment peut-on supporter la crasse sénile, les dents qui tombent, le diabète, les cheveux blancs, la prostate enflammée, la ménopause avilissante, l’hypertension déroutante, l’alzheimer, le cancer sournois, l’ulcère douteux, le fibrome sidérant, les céphalées chroniques, les flatulences désobligeantes, l’hémorroïde du désastre, la fistule infamante, le filet de bave au coin de la gueule? Il serait tellement plus simple de placer des containers au coin des rues, dans lesquels on verserait les cadavres de vieux torturés, étranglés ou égorgés au préalable. La municipalité recevrait l’ordre d’acheminer leur contenu vers un gigantesque crématoire.
On vivrait enfin sur une planète zéro défaut, une planète propre peuplée d’enfants prodiges encensés par les publicitaires, «encouragés à s’imposer de n’importe quelle façon», qu’on pourra remuer devant les caméras et faire parler «avec un vocabulaire jeune, des arguments jeunes, des valeurs jeunes». Ce que raconte Buzzati avec son humour raffiné, Muray le développe, avec l’efficacité guerrière de son style flamboyant, dans «La jeunesse est un naufrage».
Dino Buzzati: Le K,, Pocket, 1992
Philippe Muray: Exorcismes spirituels, Les belles lettres, 1997
Commentaires
Merci Antonin, pour ce brin de belle morale si souvent absente sur le théâtre des lettres romandes. Faisons donc place nette et installons-nous entre jeunes sur la première terrasse qui nous tombe sous la main pour un apéro bienvenu avec ce printemps qui vient sans crier gare.
Amicalement.
pierre
oh oui volontiers Pierre nous aurons des choses à nous raconter du temps a passé depuis la si belle lecture dans votre domaine à l'est
à bientôt
on trouvera bien une terrasse, entre deux blogueurs et un brillantiné qui s'esclaffe tout seul devant un écran portable