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Blogres - Page 142

  • Le Divin Marquis persiste et signe

     

    Proposée par Olivier Chiacchiari

     

     

     

        Ce n'est pas ma façon de penser

        qui a fait mon malheur,

        c'est celle des autres.

     

        Marquis de Sade

     

     

        Quoi que l'on puisse penser de Donatien

        Alphonse François de Sade, on ne peut certes

        pas lui retirer le sens de la formule...

  • Le Petit Ouvrage Inachevé, de Paul Léautaud

    Par Alain Bagnoud

     

    Le Petit Ouvrage Inachevé est un texte court, vif et polisson, dans lequel Léautaud voulait tout dire sur l’amour.

     

    Et sur ses maîtresses. Les « elle », les Mme C…, les Mme X…, qui donnent des identités mystérieuses à toute une galerie de femmes.

    En fait, sous les initiales et les évocations plurielles, il y a deux dames.

    Anne Cayssac, d’abord. Femme mariée avec qui Léautaud entra en contact à cause de leur amour commun des animaux, et qui s’est montrée une maîtresse lubrique et variée, de leurs séances de six à sept dans le bureau de Léautaud au Mercure de France, elle à genoux avec son chapeau sur la tête, jusqu’à la maison de vacances où ils faisaient toutes les polissonneries du monde alors que le mari dormait juste à côté.

    Anne Cayssac, les lecteurs de Léautaud la connaissent par d’autres textes. Elle est aussi le « Poison » du Journal. Une emmerdeuse, inconséquente, experte en scènes, en reproches, en récriminations perpétuelles, grincheuse, âcre, pénible, et qui ne se calmait que quand son amant ouvrait sa braguette et sortait ses affaires sur lesquelles elle se jetait.

    L’autre femme est Marie Dormoy. Bourgeoise, littéraire, rousse, blanche, sensuelle, dont l’ambition était de dactylographier le Journal de l’écrivain, texte déjà célèbre à l’époque à cause des extraits qui en avaient paru. Marie Dormoy qui le déprend d’Anne Cayssac, le rend à 61 ans (elle en a 45) amoureux, fou de jalousie, avant que cette passion ne s’use.

    Ça va vite, dans Le Petit Ouvrage Inachevé. Ça court. Petites scènes enlevées, ellipses, notes rapides, vacheries en passant, réflexions lucides, raccourcis, liens entre les anecdotes, association d’idées... Tout l’art de Léautaud est dans la vivacité.

    Emporté par son sujet, il se jette sur le papier, il écrit tellement vite, « d’un trait, sans y revenir que pour des ajoutés » que dans le texte final, publié, on ne compte plus les mots laissés en blanc parce qu’illisibles sur le manuscrit et les phrases inachevées, bancales, que l’auteur n’a pas relues, préférant se laisser emporter par le fil de sa plume.

    Le Petit Ouvrage Inachevé a les qualités et les défauts de cette manière de procéder. Les côtés brouillons et mal composés, pas composés du tout en fait, d’un ouvrage fait pendant vingt ans, par à-coups, repris et laissé à de nombreuses reprises. Mais aussi l’éclat, l’abondance de vie, la rapidité, la nervosité, la saveur de certaines formules sous la dent, qui craquent comme les pépites de vrai caramel dans la glace au caramel de Movenpick.

    Paul Léautaud, Le Petit Ouvrage Inachevé, Arléa

    (Publié aussi dans Le blog d’Alain Bagnoud)

  • To read or not to read III

     Par Pierre Béguin

     

    Du danger de la lecture : 2e partie et fin

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    Les réflexions et citations énoncées dans mes deux précédents articles, sous le titre To read or not to read, et concernant les dangers de la lecture, viennent me visiter chaque année avec plus d’intensité à l’approche de septembre, moi dont la profession consiste principalement à enseigner les grands axes de la littérature française aux collégiens et collégiennes. Et je reste dubitatif en choisissant les auteurs au menu de mes cours. Oscar Wilde n’a pas précisé le détail de sa liste des cent livres à ne pas mettre dans les mains des étudiants. Mais il reste l’idée que la lecture peut se révéler une véritable menace. Il semble, par exemple, pour le moins paradoxal de développer dans les établissements scolaires une prévention contre le suicide chez les jeunes (prévention nécessaire bien entendu) tout en leur faisant étudier un recueil de poésie comme Les Fleurs du mal. N’y aurait-il pas quelque chose de dangereux, pour certains lecteurs fragilisés à un moment de leur existence et qui n’ont pas encore la capacité de distanciation esthétique avec le contenu d’un texte, de s’identifier avec l’œuvre de Baudelaire? Je me souviens, jeune enseignant, du reproche d’un père face à mon choix d’un roman de Ramuz, Le Garçon savoyard, reproche fondé sur le fait que les deux personnages principaux se suicident. Et comme je lui faisais remarquer aimablement l’inanité d’une telle censure, il m’avoua les tendances suicidaires de son fils… Un souvenir qui me renvoie à la préoccupation légitime de mes parents lorsque, âgé de 12 ans, pendant des vacances d’hiver en Valais, je préférai pendant deux semaines de soleil la compagnie des Misérables aux pistes de ski. Si, le plus souvent, des parents s’inquiètent de l’absence d’intérêt de leur fils/fille pour la lecture, ne pourraient-ils pas parfois s’inquiéter tout autant d’un excès d’intérêt pour une activité qui n’a rien d’innocente. Et si l’on devait juger de la santé mentale des adultes à l’aune de leur intérêt pour la lecture, nul doute que, le plus souvent, la balance pencherait du côté des non-lecteurs. Combien de PDG, de médecins, d’avocats, et même de professeurs, qui, depuis des lustres, ont cessé tout rapport intime – pour autant qu’ils en aient eu un jour – avec la littérature, et qui exhalent à pleine haleine la sotte assurance de la réussite? Contrairement à ce que prétendait, je crois, Camus (j’ai un doute), peut-être vaut-il mieux, durant notre bref passage en ce bas monde, être un cochon satisfait qu’un Socrate mécontent? Qui a décidé, et au nom de quoi, que les interrogations ontologiques ou existentielles devaient l’emporter sur la légèreté de l’être, fût-elle insoutenable, la revendication spontanée du bonheur et de l’insouciance? Et lorsqu’on sait, en Suisse romande tout spécialement, dans quel solitude et aux confins de quel désert l’intellectuel est contraint de prêcher sa bonne parole, on en vient parfois à se demander si tout encouragement à la réflexion introspective n’est pas une manière, pour le futur adulte, de creuser son propre piège. Qu’on regarde seulement autour de soi les habitudes des lecteurs occasionnels: le plus souvent, ils ne lisent qu’aux heures de doute ou de déprime. Si l’écriture focalise essentiellement sur les moments négatifs de l’existence, la lecture peut aussi devenir un symptôme de malaise. Au contraire, dans la même logique, l’absence de lecture serait à considérer comme une marque de bonne santé. La littérature, comme l’alcool, est à consommer très modérément. Et je souris toujours lorsque, par sincérité ou par défi, un ancien collégien (ou collégienne) croisé au détour d’une rue m’avoue qu’il a réussi ses examens de maturité, et même obtenu une note très satisfaisante à l’oral de français, sans avoir lu la majorité des livres au programme. Loin d’être contrarié ou vexé, je m’efforce d’y voir un signe d’équilibre plus important sans doute que le savoir dont il  s’est privé en la circonstance. Et si d’aventure ce temps volé à la lecture fut consacré à sa copine/à son copain, alors je me félicite de ce manquement. Après tout, il n’est nul besoin d’avoir lu un livre pour en parler. Tout le monde le sait, à commencer par les professeurs…

  • Une «scène mutante» à découvrir sur la toile


    Par Olivier Chiacchiari

    Je souhaite présenter ici le résultat d'un travail réalisé en collaboration avec Pascal Nordmann, invité sur ce blog en novembre 2007 (relire ici).
    Pour introduire cette scène électronique de théâtre, nous avons choisi de vous faire partager notre réflexion par le biais d'un entretien.
    O.C. – J'ai écrit et codé cette scène à partir de ton générateur automatique de texte. Comment perçois-tu ma démarche ?
    P.N. – C'est la première fois qu'un autre écrivain s'empare du générateur, c'est très stimulant. Moi j'en ai tiré l'encyclopédie mutante, toi tu en as tiré cette scène, en y imprimant ton style.
    O.C. – A l'origine, on évoquait l'idée d'un générateur de théâtre qui permettrait à l'internaute d'influer sur le cours de la narration. Aujourd'hui on se rend compte que ça impliquerait un travail titanesque !
    P.N. – Ta «scène mutante» représente les prémices d'un générateur de théâtre, c'est une première étape.
    O.C. – Peut-on parler d'expérience ? Je sais que tu trouves ce terme réducteur...
    P.N. – C'est une expérience pour toi, dans le sens où tu découvres cet outil, mais à un niveau plus global, la génération automatique de texte représente bien plus qu'une expérience.
    O.C. – Où finit l'expérience et où commence la littérature ?
    P.N. – Sans littérature, pas d'expérience.
    O.C. – Heu… admettons. Mais si l'écriture c'est l'art de trouver le mot juste pour formuler sa pensée, ici c'est tout le contraire. Les mots sont interchangeables, le sens relève du hasard, l'auteur ne peut pas développer un point de vue.
    P.N. – Travailler avec un instrument comme celui-ci, c'est déjà développer un point de vue. S'ouvrir au potentiel de la langue, c'est aussi une façon de créer, au théâtre comme ailleurs.
    O.C. – Tu crois qu'on pourrait en tirer un spectacle ?
    P.N. – J'ai déjà présenté des spectacles avec un ordinateur, un projecteur et des comédiens...
    O.C. – Il faudrait retravailler la scène dans ce sens-là, garantir une progression dramatique pour sortir de l'exercice de style.
    P.N. – Sans doute.
    O.C. – Et les comédiens ? Comment faire pour qu'ils interprètent les versions successives tout en les découvrant en direct ?
    P.N. – Des écrans géants, des oreillettes... les moyens ne manquent pas.
    O.C. – Les perspectives non plus ! Mais tout ça c'est de la musique d'avenir, pour l'instant, laissons l'internaute juger par lui-même. Qu'en dis-tu ?
    P.N. – C'est écrit pour ça !

  • Histoires des voyages de Scarmentado, par Voltaire

    Par Alain Bagnoud

    Les héros voltairiens bourlinguent beaucoup, un peu malgré eux. Zadig. Candide. Et Scarmentado, dans ce conte qui parle de ses voyages. Des déplacements qui permettent de moissonner différents aspects du monde et de confronter ensuite ses états.

    On peut ainsi établir des répertoires, dresser des tableaux comparatifs, récolter des exemples. Ce qui se passe ici, ce qui arrive là. Avec toujours quelque part une coquette intéressée par l'argent et jouant de l'amour, la très sainte Inquisition, le commerce voleur... Et le fanatisme, les disputes religieuses, l'intolérance, l'oppression...

    Puis le héros rentre chez lui, instruit par ces spectacles, apaisé, ayant appris quelque chose. Car ça se termine par une leçon de sagesse à méditer.

    Que le monde est fou mais qu'il est bien doux d'être chez soi avec de l'occupation, quelques amis, de la conversation et une bonne bouteille de fendant à se partager.

    Non, ça ce n'est pas dans Scarmentado, il me semble...

    (Publié aussi dans Le blog d'Alain Bagnoud)

  • Testez vos connaissances en vocabulaire et orthographe

    Voici un test portant sur quelques cas particuliers d’orthographe d’usage. Les réponses demandées ne sont pas exhaustives et excluent les dérivés des mots qui formeront votre réponse. Les mots marqués d’un *, parce que plus rares ou difficiles, comptent triple. Accordez-vous 15 minutes maximum, le temps d’une pause. Bien entendu, l’usage du dictionnaire est interdit. A vous de jouer :
     
    Tous les mots commençant par : 


     

    AB               s’écrivent comme ABEILLE         sauf : *…      (1 réponse)
    AG               s’écrivent comme AGRAFE         sauf :  …      (2 réponses)
    BAL             s’écrivent comme BALADE          sauf :  …     (4 réponses)
    CAR             s’écrivent comme CARAMEL       sauf :  …      (4 réponses)
    CAT             s’écrivent comme CATALOGUE   sauf : *…      (1 réponse)
    DER             s’écrivent comme DERAPER        sauf :  …      (2 réponses)
    EC               s’écrivent comme ECORCE         sauf :  …      (2 réponses)
    IMM             s’écrivent comme IMMEUBLE      sauf :  …     (2 réponses)
    MAL             s’écrivent comme MALICE         sauf :  …      (2 réponses)
    PAL             s’écrivent comme PALABRER      sauf :  …      (2 réponses)
    PAR             s’écrivent comme PARALLELE     sauf :  …      (2 réponses)
    SOUFF         s’écrivent comme SOUFFRANCE  sauf : *…      (1 réponse)
    TAL              s’écrivent comme TALENT         sauf : *…     (1 réponse)
     

    (Les réponses ici)

    Total 34 points
    Excellent              : 34 – 28
    Bon                     : 27 - 21       
    Moyen                 : 20 – 14
    Médiocre             : 13 – 7
    Mauvais               :  6 - 0
  • Traduttore, traditore !

     

    Par Olivier Chiacchiari

     

    Une traductrice bernoise travaille actuellement sur la version allemande de ma pièce La Mère et l'enfant se portent bien. Tout se présentait pour le mieux avant qu'elle n'attire mon attention sur le titre. Quoi, le titre ? Il s'agit d'une satire sociale qui traite de l'incapacité d'un homme à assumer sa paternité. Plus la mère et l'enfant s'épanouissent, plus le père se sent exclu. L'expression consacrée paraît donc idéale dans la mesure où elle fait retentir l'absence du père avec ironie...
    En allemand, l'expression consacrée ne l'est plus tout à fait, me dit-on. Die mutter und das kind wohl auf, c'est plat, sans éclat, me dit-on. Impossible d'en juger par moi-même, je suis bilingue français-italien, pas allemand, bon sang ! Pourquoi ai-je négligé le Wir sprechen deutsch de ma scolarité, pourquoi ai-je préféré le lancé de gomme à la langue de Goethe, scheisse ! Oh, pardon… flûte !
    Il ne suffit pas de traduire littéralement, il faut penser, repenser dans la langue d'accueil, quitte à prendre des chemins de traverse pour redonner une cohérence à l'ensemble. Car au-delà du sens, la langue véhicule l'histoire, les symboles, les moeurs du peuple qui la pratique. Les mêmes mots n'évoquent pas les mêmes choses partout, toutes les expressions ne passent pas les frontières, il faut se montrer curieux, audacieux, inventif. Un travail d'écriture, en somme.
    Que faire ? Changer de traductrice ? Ça ne ferait que repousser le problème. Changer de titre ? Un intitulé passe-partout, genre Baby Blues ? Ça ne ferait que simplifier le problème. Le titre est sans doute annonciateur d'autres casse-têtes à venir. Alors quoi ? Oublier l'original, changer de langue, réécrire le tout ? Mais oui, voilà la solution ! Je me replonge dans le Wir sprechen deutsch et je réécris la pièce en allemand ! C'est le seul moyen d'éviter la trahison...

     

     

  • Terrains vagues, de Jérôme Meizoz

    Par Alain Bagnoud

    Magnifique et poignant, le dernier livre de Jérome Meizoz. De courts textes, des poèmes, des proses poétiques autour de terrains vagues et de personnages. Rimbaud à vélomoteur, qui ouvre le recueil, est l’évocation d’un poète qui « n’avait en tête que le Livre, la grande Phrase qui rachète tout », paysan, marginal, parcourant le pays en tout sens, buveur et habitué de la diatribe, méprisé par ses concitoyens, poursuivant obstinément sa quête jusqu’au soir où il s’est installé sur la voie ferrée pour attendre le train qui allait le tuer.
    Suivent dans le recueil d’autres individus poignants. Une femme « soûle du Saint Esprit » qui cherche obstinément à contredire le malheur et à consoler. Un pêcheur. Paulo, le beau Paulo détruit par l’amour.
    Toute une galerie de personnages se constitue ainsi. Des êtres qui sont un peu à part, touchés dans la grande fraternité des êtres. Des gens fragiles qui luttent, se relèvent, sont vaincus parfois,  près de qui Meizoz se tient avec une grande tendresse.
    Ce sont des portraits inspirés parfois par le réel. Dans le premier texte dont j’ai parlé, par exemple, qui traite de la question du suicide des écrivains et de l’incompréhension sociale qui les accueille, on reconnaît Vital Bender, de Fully, là d’où venait aussi Adrien Pasquali, qui s’est également donné la mort..
    Il y a d’autres choses encore dans ce livre. Des paysages, vallée venteuse, pierres, mer, caps, pics en novembre, en hiver. L’altitude, les rocs, le ruissellement, l’érosion.  Des lieux d’attente ou de départ. Des hangars, parkings, halls de gare, une bibliothèque où se réfugier. Un univers cohérent, évocateur, rude et présent, qui est dit dans une écriture juste, évocatrice, forte.
     
    Jérôme Meizoz, Terrains vagues, Editions de L’Aire
    (Publié aussi dans Le blog d’Alain Bagnoud)
     

  • Sur le silence des écrivains face à l'UDC (suite)

     

    Pour prolonger la réflexion entamée il y a quelques semaines et qui avait déchaîné quelques passions en ligne (à lire ici) , nous présentons aujourd'hui un article de Michel Moret - en charge des éditions de l'Aire - à paraître ces jours dans 24 Heures. En définitive, tout ce silence commence à faire du bruit...
    Les blogres


    La chute de Christoph Blocher était inscrite dans le ciel

     

    Par Michel Moret

    Tout le monde le savait, Blocher tribun zurichois, pensionné AVS ne représentait pas l’avenir pour son parti politique et encore moins pour son pays. En fait, il est victime de l’esprit suisse qui consiste à couper tout ce qui dépasse – esprit qu’il cultiva avec ardeur et qui se retourna contre lui. Comment ne pas penser au bourgmestre de Zurich : H. Waldmann qui au 15e siècle fut condamné à mort par le peuple qui ne lui pardonnait pas certaines mesures autoritaires notamment celle d’avoir interdit les danses publiques. On pense aussi aux grandes tragédies et aux paraboles bibliques où l’on constate qu’un homme ne parvient jamais à satisfaire tous ses désirs. Blocher a connu la fortune, le pouvoir et il voulait parfumer sa gloire avec le titre de Président de la confédération. Ce rêve lui échappera. Heureusement. On imagine mal les députés de son parti qui lui obéissent aveuglément lui dire : « Christoph, ton ticket n’est plus valable. » Et pourtant, un jour, il faut tourner la page. Cette éviction va faire un tri intéressant parmi cette députation d’extrême droite où l’on compte plus que l’on ne pense. Espérons que les délégués de cette famille exprimeront leur propre pensée et ne limiteront pas leur activité à lancer sempiternellement des initiatives xénophobes.
    Par ailleurs, quelque chose d’inconscient et d’oedipien a surgi parmi les parlementaires. Quelque chose d’animal aussi. Le besoin de changement de génération m’a fait songer à un troupeau de bouquetins qui éprouve à un certain moment la nécessité d’écarter l’ancêtre. La répétition des mots d’ordre et des discours unilatéraux finit par créer la lassitude. Reconnaissons néanmoins que Blocher, même s’il n’a pas confiance en l’homme, a marqué profondément sa génération. Pourtant, sa vie politique se termine par un double échec : sa non réélection au Conseil fédéral et sa non résolution du problème migratoire malgré l’étendue de ses pouvoirs. Dans sa biographie, ses échecs seront plus importants que ses victoires. Cela fait partie des mystères du destin.

  • Le Père Noël n'est pas une ordure

    Par Pierre Béguin 

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    Un atout dont je pouvais me prévaloir à 18 ans face à mes copains, c’était une petite voiture de sport que mon père, pourtant pur produit d’un protestantisme rigide, austère et peu enclin aux cadeaux, m’avait offert. Cette voiture m’a permis de décrocher le job le plus intéressant parmi tous ceux, divers et multiples, que j’ai effectués dans ma jeunesse: Père Noël. Voilà pourquoi, les 24 et 25 décembre 1972, de 17 à 24 heures, le Père Noël – un vrai avec un véritable déguisement, maquillage et tout le tintouin – sillonnait la ville et le canton de Genève en voiture de sport, en suivant un planning strict, organisé, précis: à 17 heures chez les Machin à Vésenaz, à 17.30 heures chez les Chose à Hermance…

    A chaque adresse, je sais où sont entreposés les cadeaux et la lettre m’indiquant la nature des remarques destinées aux enfants. Je dispose de 2 ou 3 minutes pour en apprendre le détail. Puis je sonne et, derrière la porte, c’est l’explosion de cris de joie, de surprise, d’émerveillement. Le rituel est immuable. Sauf une fois…
    Entrer dans les familles à Noël, voir comment elles fêtent l’événement – et même y participer directement – constitue probablement une des études sociologiques les plus passionnantes. Mais qui peut générer des situations délicates – telles celles où des parents, désireux de prolonger la magie de Noël au-delà du raisonnable, m’exposaient au scepticisme d’enfants cherchant à tirer ma fausse barbe pour vérifier mon authenticité –, voire des scènes particulièrement déprimantes…
    Il est encore tôt lorsque je gare ma voiture près d’un immeuble cossu des Glacis-de-Rive (en ce temps-là, c’était possible). Derrière la porte, comme convenu, les cadeaux et la lettre. Seulement, là, en guise de cadeaux, se dressent un martinet et une verge (mais non, voyons!  Je parle de cet instrument de punition corporelle formé d’une poignée de brindilles liées dont on menaçait les enfants turbulents – mais ce devait rester une menace – qu’il fût l’unique présent du Père Noël). Un martinet et une verge. Rien d’autres! La lettre des parents trace le portrait des pires voyous de la République, pour le moins des futurs ennemis publics numéros un et deux. Tant pis, il faut y aller, c’est l’heure! Je sonne. Une explosion de cris de joie, comme d’habitude, et les bruits de pas juvéniles qui se précipitent vers la porte. Près du seuil, un peu en retrait, avec de larges yeux brillants où se lit un émerveillement teinté d’une nuance de crainte, deux enfants de 4 et 5 ans, bien habillés, me contemplent de la tête aux pieds, soudainement muets. Je dois prendre une voix grave et sévère. On me l’a précisé. Puis m’avancer un brandissant dans un geste de menace – mais seulement de menace! – la verge et le martinet. On me l’a souligné. Et commencer l’énumération de leurs fautes impardonnables, de leurs indisciplines répétées, de leurs manquements indignes aux convenances les plus élémentaires…
    Les enfants, un instant incrédules, puis franchement apeurés, regardent leurs parents et se mettent à pleurer, à hurler de concert. Le père intervient. Pas de fêtes de Noël! Le Père Noël l’a bien dit: vous ne les méritez pas! Au lit, immédiatement et sans discussion! Il me remercie. J’étais crédible, précise-t-il, pour commenter ma performance tout en me remettant les 25 francs convenus.
    Ce soir-là, aux Glacis-de-Rive à Genève, le Père Noël était vraiment une ordure… 

    André Gide prétendait que, en matière d’éducation, «les plus lamentables victimes sont celles de l’adulation». Encore une affirmation de vieux protestant! Non! Les pires victimes de l’éducation sont celles privées de la plus belle grâce accessible spontanément aux enfants et que les adultes regrettent toute leur vie d’avoir perdue: le merveilleux! Pendant un jour, laissons-les être des enfants rois, des rois uniques! Fût-il l’émanation d’une multinationale, le Père Noël ne devrait jamais être une ordure…