Des Anges mineurs, par Antoine Volodine
Par Alain Bagnoud
Elli Kronauer, Manuela Draeger, ou Lutz Bassmann qui a un site ici et un blog là (entre aures) sont les principaux écrivains du genre qui s'appelle le post-exotisme. Un genre nouveau dont je n'ai lu pour l'instant que Des anges mineurs, d'Antoine Volodine.
Ce dernier nom vous semble peut-être plus familier que les précédents. En fait, tous sont des hétéronymes d'un seul homme né en 1949 ou 1950 à Lyon ou à Chalon-sur-Saone, qui a commencé par publier dans une collection de science-fiction, chez Denoël, avant d'émigrer vers les prestigieuses maisons Minuit, Gallimard et Seuil.
Les mystères autour de cet écrivain font partie d'une stratégie littéraire globale. Volodine veut justement miner la notion d'auteur, et construit pour cela une œuvre très cohérente.
Le post-exotisme est, selon lui, « une littérature étrangère écrite en français », « une littérature de l’ailleurs qui va vers l’ailleurs ».
Des anges mineurs contient 49 petits récits, appelés des narrats, qui peuvent se lire dans l'ordre ou en miroir, le premier correspondant avec le 49, le 2 avec le 48, etc. On comprend peu à peu qu'ils sont racontés par un personnage, Will Scheidmann, mais finalement, celui-ci a peut-être été rêvé par une Maria Clémenti, nous révèle le narrat 43. Bref: pas plus de narrateur que d'auteur.
Des personnages par contre, mais mal définis, dont les noms reviennent au fil des pages, parfois au premier plan, d'autres fois en arrière-plan, dans une mini comédie humaine balzacienne. Les décors sont ceux d'une sorte d'Asie des steppes. Ça se passe dans une époque post-apocalyptique. Ça va vers la disparition, la destruction, l'extinction.
Des gens errent ou campent dans des ruines, l'Histoire est finie, les génocides et les catastrophes ont eu lieu, il n'y a plus d'espoir. La seule ouverture est un humour noir dévastateur.
Une écriture radicale, un univers onirique, sombre, habité par le chamanisme, l'hallucination: dire que ça change de ce qu'on lit habituellement est un euphémisme.
Antoine Volodine, Des anges mineurs, Points Seuil
Publié aussi dans Le blog d'Alain Bagnoud

Par Alain Bagnoud

ristiques étonnantes, les rives du lac Léman sont un haut lieu historique des rapports tendus entre le pouvoir politique et les écrivains. Quelques dizaines d’années et quelques dizaines de kilomètres séparent le patriarche de Ferney de la matriarche de Coppet. Tous deux exilés, tous deux frénétiquement actifs, tous deux diablement efficaces, tous deux «aubergistes de l’Europe», Voltaire et Germaine de Staël ont fait trembler le pouvoir parisien du bout de leur plume, narguant par les mots l’Ancien régime et l’Empire. Voltaire trouve un renouveau de vie, une seconde jeunesse, dans sa joie à combattre, avec une incroyable fureur ce qu’il nomme l’infâme – la superstition et le fanatisme. Bien sûr, le vieux patriarche n’a rien du redresseur de torts, l’impératif moral reste chez lui secondaire. Son engagement est en réalité toujours dirigé contre l’adversaire obsédant sur lequel il multiplie les coups. En ce sens, il choisit soigneusement ses combats. Que ce soit, par exemple, dans l’affaire Calas ou celle du chevalier de la Barre, il saisit l’occasion où la cause de la justice se conjugue étroitement avec sa haine de l’Eglise. Il n’en reste pas moins que la capitale du monde intellectuel devait pour un temps coïncider avec la région où vivait l’être le plus prompt à réagir et le plus habile dans l’escrime du langage. Quant à Mme de Staël, qui polarisait à Coppet les espoirs déçus des royalistes et des républicains, son activisme fit dire à Napoléon: «Sa demeure à Coppet était devenue un véritable arsenal contre moi; on venait s’y faire armer chevalier.» Tous les Genevois devraient faire le pèlerinage dans ses deux châteaux dont l’intérêt est aussi immense que fut leur rayonnement vers la fin du 18e et le début du 19e siècle.