Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Blogres - Page 115

  • Noir c'est noir

    Par Antonin Moeri

     

    NEGRE.jpg




    Evelyne n’a pas été soumise dans son jeune âge à une autorité écrasante. Elle me l’a souvent dit. Son père ne lui a pas imposé des valeurs rigides qu’elle aurait dû intérioriser sans examen critique. Bonne élève, elle comprenait aussitôt ce que la prof attendait d’elle. Douée pour défendre un point de vue et développer une idée hardie, elle obtint ses certificats et ses diplômes avec une renversante facilité. En discutant avec elle l’autre soir (célébration du quarantième anniversaire de son mari, un homme qu’elle a rencontré au Mamco), je fus surpris par son attitude. Elle travaille actuellement dans un cabinet d’avocats réputés. Son père est propriétaire d’un restaurant gastronomique dans la région de Sierre. Pour célébrer le quarantième anniversaire de son beau-fils que sa fille aime, il avait préparé des canapés au foie gras flambé.
    Evelyne ne supporte pas l’homme que sa soeur a épousé. En présence de cet homme, elle baisse les yeux, s’en tient aux formules d’usage. Elle ne s’intéresse pas à sa vie, ni à ce qu’il aime, ni aux études qu’il a entreprises. Son regard glisse doucement vers les reproductions de Roublev, vers les figurines en cuir que les gamins vendent aux touristes égarés dans le souk de Marrakech. Evelyne n’est pas une femme bornée. De son séjour récent à Calcutta, où elle est tombée dans une bouche d’égout, elle m’a parlé en riant aux larmes. Elle a relu plusieurs fois Le ravissement de Lol.V.Stein. Elle adore la peinture de Baselitz, les installations de Krähenbuhl et les quatuors de Janacek. Mais avec Alpha, le courant ne passe pas. Je lui ai demandé pourquoi elle avait construit une représentation négative du Noir. Elle m’a longuement regardé au fond des yeux. Je sais pas, pas envie de me prendre la tête pour ça.
    Un peu plus loin, Alpha et Brigitte dansaient, étroitement enlacés. En quoi la construction imaginaire d’Evelyne pouvait-elle refléter le réel? pensai-je. Dans la pénombre, Brigitte et Alpha bougeaient harmonieusement. Quand Alpha posa ses lèvres sur celles de Brigitte, Evelyne s’est brusquement levée: “Je reviens, je vais aux chiottes”.

  • Magouille blues

    Par Pierre Béguin

     

    Si la démocratie suisse est l’une des plus anciennes et des plus représentatives au monde, elle repose tout de même sur cet étonnant paradoxe: elle est sûrement la seule démocratie dirigée, à ses différents étages, par des politiciens qui n’ont pas été élus par le peuple. Au niveau fédéral, le peuple n’élit pas les Conseillers fédéraux, c’est constitutionnel. Au niveau cantonal, le peuple n’a pas le choix de ne pas élire les Conseillers d’Etat, c’est implicite et finalement assez vicieux, ledit peuple, sous le couvert d’un acte électoral citoyen, ne faisant en réalité qu’entériner le choix des partis.

    Mon bulletin de vote est là, sous mes yeux. Désolé, mais quel liberté me laisse-t-on à part le bouffon de la République dont on comprend l’aigreur mais pas le sens d’un engagement en fin de compte ni comique ni parodique, ou le prophète dont on ne comprend rien? Seul David Hiler s’impose vraiment (et j’ai peur qu’à force d’être plébiscité de partout il n’attrape la grosse tête et n’évolue plus qu’entre mépris et condescendance – c’est un mal qui peut contaminer nos Conseillers dès leur deuxième mandat). Si je n’en vois qu’un qui s’impose, j’en vois surtout beaucoup qui ne s’imposent pas mais que les partis, et leurs petites magouilles pré électorales, vont nous imposer de toute façon. En fait – je vous en fais le pari – ces arrangements – le choix limité des candidats sur les listes de partis – sont tels que si le sadique de Romont lui-même figurait sur la liste de l’entente, il aurait toutes les chances d’être élu. Donc les partis choisissent les candidats, les font élire et réélire, et si ces mêmes partis n’avaient pas fixé une limite à leurs mandats, il est également à parier que tous mourraient grabataires en face des canons ou au café Papon. Ainsi, Laurent Moutinot, dont tout le monde s’accorde à dire qu’il n’a strictement rien fait, a pu passer 12 ans tranquille dans la vieille ville avant que son parti ne l’envoie ailleurs jouir de sa confortable retraite. Comme le chantait Renaud: «‒Maman quand j’serai grand / J’voudrais pas être étudiant / ‒Alors tu s’ras politicien / ‒Ah oui ça j’veux bien!» Il est vrai que les partis peuvent aussi décider de mettre fin prématurément au mandat de leurs représentants si ces derniers échouent à imposer les objectifs qui leur ont été fixés. Un exemple? Philippe Joye. Rapidement placé sur la rampe médiatique, traînant des casseroles telles qu’il reste pieds et poings liés à l’objectif unique pour lequel l’entente l’a fait élire, il a pour mission, en pleine crise qui rend exsangues des entreprises genevoises, d’ouvrir les vannes immobilières que Grobet s’entêtait jusque là à contrôler, plus particulièrmeent de faire passer la traversée de la Rade en votation. Problème: le peuple refuse la traversée. De rage, il est liquidé par ses propres troupes: quelques mois avant les élections – ô coïncidence! – une desdites casseroles sort dans les journaux. Et son parti, et l’entente d’entente, la bouche en cœur, de jouer aux vierges effarouchées trompées «à l’insu de leur plein gré»: «On ne savait pas! On nous aurait menti?» Messieurs, un peu de sérieux! Moi, simple citoyen à l’écart de l’arène politique, je le savais dès le début (les avocats, ça parle!); alors vous qui l’avez choisi!

    On me rétorquera que les choix du peuple ne sont pas forcément meilleurs que ceux des partis. C’est exact. Si éliminer par les urnes un candidat proposé par les partis traditionnels constitue déjà en soi un exploit, les Genevois ont fait mieux dans l’histoire des votations cantonales: ils ont réussi à évincer un des meilleurs candidats de ces dernières décennies – Bernard Ziegler – pour le remplacer par un des pires – Gérard Ramseyer – avec des conséquences si désastreuses sur le Département de Justice et Police que le canton en paie encore le prix actuellement. Chapeau bas! Il fallait le faire. Mais la démocratie est ainsi faite que seul le peuple a le droit légitime de se tromper. Et, en l’occurrence, il fut bien aidé par l’entente qui avait sottement décidé de briguer le monopole de l’exécutif… Une magouille historique de connerie!

    Il reviendrait donc à la presse de faire contrepoids au pouvoir des partis. Mais quand on croise le soir, au resto, un journaliste – parfois une jeune journaliste toute émoustillée – dînant en tête à tête avec un Conseiller d’Etat comme un couple d’amoureux, on se dit que, pour la distance critique, il faudra attendre. En fait, à Genève, la presse c’est La Tribune. Et notre Julie reste indéfectiblement fidèle à son rôle de paillasson approbateur de la politique genevoise. Voyez les pages Portrait Election par lesquelles le quotidien nous présente les candidats. J’ai sous les yeux celle du 29 octobre avec Charles Beer. Déjà la photo prête à rire. Pose hugolienne, regard tonique vaguement hollywoodien, à la fois conquérant et rassurant, genre père de la patrie, avec, en arrière-fond, le Cycle de Cayla fraîchement rénové. Ne lui manque plus que la truelle, à notre candidat. Et puis le titre! Charles Beer consulte jusqu’à plus soif (ça sent le recyclé après le départ de Cramer). Mais le clou, c’est le texte! On nous dit par exemple que Charles Beer écoute beaucoup… mais on ne nous dit pas qu’il entend peu. Et que nous apprend au fond ce portrait? Que notre chef du DIP affirme avoir obtenu la paix scolaire. Preuve qu’il entend peu. Pour le reste, qu’il aime la brasserie La Chênoise et le Mamco, et qu’il possède «des origines allemandes, des ancêtres artistes, d’autres industriels» en plus «d’un arrière grand-père arménien – figure de l’indépendance – et un grand-père hongrois, juif et laïque». Y a pas à dire, avec un tel pedigree, il ratisse large, notre candidat. Espérons qu’il ne s’aliène pas les votes des Genevois d’origine turc ou de confession musulmane. Surtout, avec des questions pareilles, le candidat a le beau rôle. Franchement Monsieur le journaliste – à moins qu’on ne vous récompense par un poste de secrétaire de département, comme cela s’est vu par le passé (j’ai les noms! j’ai les noms!) – ne pensez-vous pas qu’il y aurait d’autres questions plus pointues à poser sur le bilan de Charles Beer à la tête du DIP? Qu’est-ce qu’on en a à f… d’apprendre qu’un candidat a pour aïeul le vieil homme du Toggenburg ou un guerrier massaï! En quoi cela nous aide-t-il à voter? Pour la promotion des futurs élus, les partis s’en chargent par des tout ménages; inutile de les dupliquer dans la presse! La manipulation médiatique s’accompagne aussi d’une grossière partialité. Je ne souhaite pas – mais alors pas du tout – l’élection d’Eric Stauffer, ce genre de personnage étant d’ailleurs aussi dangereux au pouvoir qu’il peut être utile dans l’opposition. Mais, sincèrement, consacrer presque 4 pages pleines, comme ce fut le cas dans La Tribune du 5 novembre, à fustiger les mensonges du candidat MCG, n’est-ce pas exagéré? S’il fallait consacrer 4 pages à chaque mensonge de politiciens, dont la plupart mente autant qu’Eric Stauffer, nous aurions déboisé l’Amazonie depuis belle lurette. Et si La Tribune devait maintenir le même équilibre pour les mensonges de tous les candidats à l’exécutif, elle atteindrait l’épaisseur d’un annuaire téléphonique.

    Que sont nos démocraties devenues? En Suisse, les forces vives qui devraient l’alimenter en ont confisqué l’esprit pour le détourner dans le sens unique de leurs intérêts: le peuple n’élit pas vraiment ses dirigeants, la presse quotidienne ne joue pas son rôle, les lobbies phagocytent le Parlement pour faire passer des lois uniquement favorables au milieu économique, les banques, les assurances ou autres multinationales pharmaceutiques dirigent le pays en sous main, et j’en passe. Ah si pourtant! Je peux m’exprimer librement, écrire ces mots sans risque. Et, pour avoir vécu quelque temps en Colombie où l’acte de parole est loin d’être anodin, je dois admettre que c’est déjà énorme. N’empêche, on pourrait faire mieux à bon compte. Il suffirait, par exemple, que le parti socialiste me donne le choix entre Manuel Tornare et Charles Beer au lieu de faire lui-même ce tri. J’aurais ainsi l’impression d’une certaine liberté de vote, pour relative qu’elle soit. Car il ne fait aucun doute que Charles Beer sera réélu, comme tous ses compères qui rempilent à l’exécutif, même si – et je suis bien placé pour le savoir – rarement un chef du DIP n’aura autant fait l’unanimité contre lui, dans le secondaire du moins (à part peut-être Martine, mais elle, elle était spécialement élue par ceux qui n’enseignaient pas pour emm... ceux qui enseignaient; et il faut bien admettre que ce fut une exceptionnelle réussite).

    Evidemment, le risque de cette magouille pré électorale, c’est que le peuple se rebiffe dans les urnes comme il l’a fait pour les législatives. Et opte donc, pour exprimer sa liberté de choix, pour des candidats ne figurant pas sur les listes des partis traditionnels. Qui, eux, n’ont toujours pas compris que, s’ils donnaient vraiment le choix au peuple, ce dernier serait beaucoup plus discipliné au jour J des votations. Pour tout vous dire, moi, au fond, je me demande parfois si je ne souhaiterais pas une surprise le 15 novembre, même si je redoute qu’elle soit mauvaise. Souhait déçu d’avance: le peuple est moins téméraire pour l’exécutif qu’il ne l’est pour le législatif…

    Allez! Pour relativiser mes propos et parce qu’on se trouve sur un blog censé parler avant tout littérature, je laisse le mot de la fin, que je m’adresse en priorité, à La Rochefoucault: «Il est plus facile de paraître digne des emplois qu’on n’a pas que de ceux que l’on exerce».

     

     

  • Minarets: oh oui!

    Par Alain Bagnoud

    swisstxt20091015_11359802_5.jpgLe 29 novembre, donc, on votera en Suisse. Je rappelle que des représentants de l'extrême-droite, l'UDC et l'Union démocratique fédérale (UDF), ont lancé une initiative, qui a abouti, pour introduire dans la Constitution une interdiction de construire des minarets.

    Je voulais faire un papier là-dessus. Un texte objectif qui confronte les arguments pour et contre. Une vraie petite dissertation. Mais quelle difficulté! Il a fallu insister, c'était un exercice de style complexe. Car si les motifs pour refuser l'initiative abondent, il faut se battre les flancs pour en trouver de favorables. Mais enfin, j'ai réussi: et voici quatre raisons pour voter oui à l'initiative.

    1: Nous porterons des coups très durs à la religion. L'islam pour commencer, mais les autres suivront. La suite obligée étant bien sûr de détruire les clochers, bulbes, coupoles, etc. Aucune tolérance. La religion évidemment est le mal, Voltaire le disait déjà. Interdire les minarets est un premier pas intéressant. Nous nous occuperons des différents clergés ensuite.

    2: Nous empêcherons une prolifération incontrôlée, favorisée déjà par le laxisme actuel. N'oublions pas qu'il y a déjà quatre, oui, j'ai bien dit quatre, minarets dans l'ensemble de la Suisse. Mais que fait la police des constructions? Que le Conducteur et futur Gouverneur de Genève, de la Suisse, du Monde: Eric Stauffer, l'homme des chiffres (voir ici), mette un peu d'ordre dans tout ça! Car il a toutes les solutions, il éradique les dealers, il annihile les mendiants, il construit des logements, il donne du travail à tout le monde, il console les veuves et les affligés, il guérit les écrouelles, il soulève les montagnes, suffit de lui demander.

    3: Nous soutiendrons grâce à notre vote Oskar Freisinger, le grand poète d'extrême-droite, qui a été l'un des premiers à éructer contre les minarets. Voir ici. Nous remettrons dans les médias cet homme en perte de vitesse, considéré comme un guignol par l'UDC lui-même, son propre parti, qui lui préfère désormais les bien sérieux Yvan Perrin, policier neuchâtelois, et Yves Nidegger, ancien mooniste.

    4: Il y aura ensuite plein d'attentats de fanatiques islamistes contre la Suisse, et nous pourrons enfin montrer notre capacité de résistance et de lutte. Nous ferons la preuve de notre caractère intransigeant et guerrier, ce qui ne s'est plus vu depuis 1515, date de la bataille de Marignan, dernière à laquelle la Suisse a participé. Que nous avons perdue. Mais n'oublions pas que nous n'avons plus rien perdu depuis.

    Mes arguments vous ont convaincu? Je peux vous assurer que moi, en tout cas, au moment de voter, je n'aurai pas la moindre hésitation.

    Publié aussi dans Le blog d'Alain Bagnoud

     

  • E la nave va

    Par ANTONIN MOERI

     

    dewarrat.jpg









    Lisant le dernier livre de Marie-Claire Dewarrat, “Chroniques d’altitude”, je me demandais ce qui faisait la marque d’un écrivain. Est-ce la colère, l’empathie, la lyrisme, la nuance, le style? C’est peut-être dans les comparaisons (qui sont des images) que l’on reconnaît une patte. Les larmes me sont venues lorsque je suis tombé sur celle-ci, à propos d’une patiente avançant avec des béquilles dans une clinique valaisanne de réhabilitation: “Elle tangue un peu, de-ci, de-là, comme ces petites barques maladroites que leurs rames maintiennent à peine dans le roulis mais qui avancent, vaille que vaille, avec constance”.
    Et puis, il y a le traitement des stéréotypes, la distance ironique privilégiée par l’auteur: “la limite des neiges que la littérature romanesque et celle des offices du tourisme qualifient systématiquement d’éternelles”. Il y a le sens aigu de l’observation: le tablier noir à rayures blanches que portent les serveuses de la salle à manger des curistes de première classe. L’ado privé de parole et de coordination musculaire qui, juché sur le cheval Liberté, éprouve les joies de l’hippothérapie.
    Il y a aussi un monde à critiquer. Le nôtre. Ce paradis incolore, inodore, hygiénisé, mémorisé, archivé, numérisé où le sujet acronymisé attend, “assis dans sa merde, sa pisse et sa nostalgie que quelqu’un puisse s’échapper d’un colloque pour venir le changer”. Ce paradis feutré où les psychologues souriantes, bardées de diplômes internationaux, vous conseillent de lâcher prise alors qu’à côté survit avec des tuyaux dans les orifices l’homme que vous avez aimé, cet éden où les employées hyper-compétentes, belles, sûres d’elles, affables, élégantes, préparent les programmes de thérapies du lendemain, quand le patient au bout de ses forces devra “crapahuter d’un étage à l’autre au gré des changements de dernière minute”. Cet éden où l’on ne fait pas appel à la dignité de l’être humain mais à la catégorie dans laquelle on l’enferme pour pouvoir s’occuper de choses plus urgentes.
    Et il y a les énumérations à la Novarina, le rythme, la cantilène, les mille baisers de la grand-mère, le vol des choucas dans le ciel embrasé, les mots enfin trouvés pour chanter la beauté de la nuit, évoquer “la puérile magie des signes”, cette “traînée d’or qui se déployait de là-haut, en s’élargissant, vers la Terre”. Les mots enfin trouvés (même créés) pour faire de cette clinique high-tech juchée sur les sommets helvètes un paquebot rutilant qui vogue imperturbablement sur les flots d’un océan poussif.
    A ces “Chroniques d’altitude”, j’ai donné mon adhésion sans réticence. Parmi les livres publiés et lus cet automne, je trouve que c’est un des plus beaux.

     

    Marie-Claire Dewarrat: Chroniques d'altitude, Edition de l'Hèbe, 2009

  • Qui a peur du grand méchant DIP?

    Par Pierre Béguin

     

    loup2[1].jpgUne anecdote représentative des dérives «pédagogistes» actuelles – disons plutôt de l’opportunisme politique, exacerbé en ces temps d’élections, conjugué à la peur aussi pathologique que pathétique du DIP devant les exigences des parents – commençait à circuler dans les salles des maîtres des collèges. Une anecdote qui versait dans la caricature et dans le comique, au-delà de ce qu’elle désignait d’une manière de délabrement que subit peu à peu l’Institution. Au point que je m’en emparai aussitôt pour en faire un billet à publier dans «blogres». Il aurait dû être celui du 18 octobre. Il aurait dû… Car, par prudence et respect pour la «source» de cette anecdote, je lui ai soumis le texte au préalable, un texte d’où noms, références et détails avaient été évidemment caviardés, et qui ne comportait au fond rien de bien méchant (il a été publié dans ce même blog des billets bien plus pointus et polémiques sur le sujet). A ma grande surprise, l’enseignant refusa net, terrorisé par les possibles mesures de rétorsions qu’on pourrait lui faire subir.

    D’une anecdote l’autre… Ce refus est lui aussi symptomatique d’un certain climat qui s’est peu à peu instauré depuis l’ère Brunschwig Graf dans les collèges. On donne la parole à tous les «acteurs» de l’enseignement, des parents aux élèves – qui ne se font pas faute d’en abuser parfois – mais on la retire soigneusement aux enseignants… qui eux-mêmes n’osent pas la prendre, tétanisés par un pseudo devoir de réserve dont les contours sont aussi flous que pernicieux. De deux choses l’une: soit les différents organes de direction du DIP sont des monstres staliniens prêts à purger les écoles de toutes velléités contestatrices, soit les enseignants – une partie d’entre eux du moins – sont des conformistes par prudence ou des pleutres tremblants derrière leur fiche de paie malgré leur garantie d’emploi. Et au risque de me faire beaucoup d’ennemis, je pense qu’il y a plus de la seconde hypothèse que de la première. Toutefois, si nous nous arrêtons un instant sur la première de ces hypothèses, nous nous  souviendrons alors que, dès le premier article publié ici dans «blogres» et qui égratignait quelque peu l’image du DIP, une sonnerie en provenance de la direction générale retentit aussitôt dans le bureau du directeur du Collège Calvin, et une voix dans le combiné exprima le ferme souhait que ce ledit directeur sache mieux à l’avenir «retenir ses troupes» (notons la métaphore militaire). Dans le même sens, il semblerait (je souligne le conditionnel, qu’on confirme ou infirme ces lignes) que nos autorités aient exigé de La Tribune qu’elle muselle certains propos tenus dans ses blogs et jugés trop outranciers. Cette paranoïa du pouvoir contre les écrits, consubstantielle à toute forme de pouvoir à toutes les époques, m’a toujours paru surprenante, à plus forte raison dans le cadre démocratique où la liberté que revendiquent les blogs devrait être au contraire un signe de bonne santé du système. Car enfin, que peut craindre l’autorité étatique de quelques articles critiques? Que peut-elle redouter de quelques blogueurs qui trouvent enfin un espace pour s’exprimer librement, même vertement? A plus forte raison, dans d’autres contextes plus policés où l’acte critique devient affaire vraiment sérieuse, que peut craindre le pouvoir contre des êtres, certes courageux, mais faibles et désarmés, lorsqu’on dispose d’une police, d’une armée, d’une justice corrompue et d’une grande quantité de prisons? Même Napoléon redoutait Mme de Staël! Quel que soit le contexte, cette paranoïa semble souligner a priori la peur aussi ridicule qu’absurde d’«un géant qui craindrait les chatouilles», selon l’expression de Michel Tournier. Mais ce serait oublier que le pouvoir – toutes les formes de pouvoir – repose avant tout sur un ensemble d’artifices psychologiques destinés à emporter le consentement moral du citoyen et dont l’appareil médiatique doit se faire le porte parole ou la caisse de résonnance. Cette dimension est aussi forte dans nos démocraties que dans un régime tyrannique. Or c’est précisément ce consentement plus ou moins extorqué (lisez par exemple les portraits de nos futurs élus dans La Tribune et vous comprendrez ce que je veux dire) et les artifices qui entretiennent cette manipulation du citoyen par les partis et la presse que des blogs – difficilement contrôlables – viennent ébranler, au risque d’enrayer la belle mécanique politique. Même s’il peut toujours compter sur le sommeil servile d’une bonne partie de la population, le géant est d’autant plus furieux qu’il ne peut frapper.

    Puisqu’on parle de sommeil servile, revenons maintenant à l’apparente pusillanimité d’une partie du corps enseignant. Le phénomène mériterait d’être étudié au-delà de ce que j’en écrivais l’année dernière ici même sous le titre Du blog comme exutoire. En ce sens, j’ai toujours trouvé rassurant, voire revigorant – et malgré les réserves que je nourris encore en regard de la radicalité de certaines positions – que des enseignant(e)s se soient dressé(e)s vigoureusement (sic), que ce soit par ARLE ou REEL notamment, contre les volontés de leur hiérarchie, contre la main mise de la FAPSE sur l’enseignement ou contre certaines caricatures de commissaires du peuple qui errent encore dans les salles de classe. Enfin, on entendait une autre voix. Cette variété d’opinions avait quelque chose de rassurant, de salutaire, là où l’uniformité ne cessait d’inquiéter. Elle a pour le moins permis le débat. Et maintenant que l’une de ces voix a gagné la tribune politique, espérons qu’elle saura se faire entendre, ne serait-ce que pour secouer la léthargie pusillanime de certains enseignants qui ne cessent de geindre en aparté dans les salles des maîtres tout en tremblant devant l’autorité. Qu’elle les décomplexe, qu’elle leur permette en fin de compte de s’exprimer, toutes tendances confondues, après trop d’années de mutisme. C’est peut-être la priorité absolue dans ce département qui a besoin de retrouver du sens par la parole rendue à celui ou celle qui reste, en dépit de l’opportunisme politique ou de la mode constructiviste, l’acteur principal de l’acte pédagogique...

     

  • Eric Masserey, Une si belle ignorance (généalogies) et autres histoires

    Par Alain Bagnoud

    une_si_belle_ingnorance_poche_grand.jpgLes rentrées littéraires ont ceci de plaisant qu'elles nous offrent toutes sortes de productions d'amis dont il est agréable de parler. Vous vous en êtes aperçu, d'ailleurs, si vous lisez régulièrement ce blog.

    Aujourd'hui, Eric Masserey. Bernard Campiche, qui sait faire bien les choses, republie en édition de poche un de ses livres paru primitivement aux Edition d'Autre Part, à quoi il adjoint des récits de voyage dont certains, si je ne m'abuse, avaient été pris par la revue Ecriture.

    Le premier récit, Une si belle ignorance (généalogies), est tout ce qu'il y a de bouleversant. Adressé à un fils qui n'a pas survécu, il fait le lien entre les morts d'une famille, unit les générations dans cette mémoire qui reste d'eux. Dense, lacunaire, juste, riche, le court texte vaut une autobiographie complète et pose l'auteur au bord de l'indicible, comme sur un cap avancé, apaisé face aux ténèbres et à la tempête.

    Les autres textes sont le résultat de vingt ans d'écriture, de voyages et d'expériences. Là aussi, écriture très maîtrisée, sensibilité à fleur de peau... Médecin (on l'entend beaucoup ces temps-ci dans la presse à propos du virus H1N1: il est le porte-parole du canton de Vaud sur le sujet), Eric Masserey a été chargé de mandats pour des organisations internationales. Il était par hasard à Beyrouth en guerre, à Mogadiscio, en Asie centrale, à Madagascar. Il a recueilli des documents familiaux sur l'immigration en Amérique du Sud. Et d'ailleurs, une bouteille de vin le fait autant voyager qu'un Boeing 747...

    Qu'on ne s'attende pas à des reportages. Le livre est fait d'éclats. Ces moments où la sensibilité se ramasse autour d'une scène, d'un spectacle, d'une vue. Ces instants où le passé se noue avec le présent et donne le vertige.

    Je vous vois venir. Vous pensez peut-être, à lire tous ces compliments, que j'enjolive, que l'amitié m'emporte? Mais attendez un peu: je publierai ici un de cet textes. Vous verrez, alors, si j'exagère.

    Eric Masserey, Une si belle ignorance (généalogies) et autres histoires, Campoche

    Publié aussi dans Le blog d'Alain Bagnoud

  • Les extrêmes

     

    par Pascal RebetezGeneveSiegRolexBroRou.jpg

     

     

    J’aime marcher dans la ville pour aller à mon travail. Ce matin, je passe sur le trottoir au milieu de la Cour des Miracles devant le Service des tutelles. Il y a là une faune interlope de gens attendant leur pension quotidienne ou hebdomadaire, je ne sais pas trop, je n’ose pas vraiment leur demander ; chacun de ces requérants semblant enfermé dans son propre monde, emballé par sa misère et sa précarité. Même entre eux, ils ne parlent pas. Alors je passe. Au retour du travail, sur le trottoir d’en face, je verrai les jeunes banquiers et autres traders arroser leurs bénéfices dans ces nouveaux « lounges » et bars à vin dans lesquels je n’entre pas davantage, les riches protégeant leur bonne fortune par des prix prohibitifs et des attitudes rédhibitoires pour le simple pékin.

    Mais ce matin, une dame n’ayant pas pu toucher son pactole, me demande 2 ou 3 francs pour des cigarettes. Je ne fume plus, je peux bien lui payer un paquet. Nuage de fumée de la compassion. Je tousse un peu. Ça tombe bien, je passe par la rue de l’Ecole-de-Médecine. Stupeur ! Il y a une autre perspective : les arbres au bord de l’Arve ont été coupés et laissent voir tout au fond de la rue… l’immeuble Rolex, dont la fondation offre à la Ville l’opulence architecturale d’une nouvelle passerelle en construction. En échange, vue du siège en verre depuis la plaine de Plainpalais !

    Je regarde ma montre à 200 francs et accélère pour couper court à d’autres rêveries. Je suis un homme de la classe moyenne dans une Ville qui déroule les extrêmes. Qui s’ignorent et ainsi se tolèrent.

  • Le guide

    Par Antonin Moeri

    TITIEN.jpg




    Elle est curieusement coiffée. On pourrait dire “à la diable”. Ce qui serait inexact, car cette coiffure, travaillée, offre l’apparence du désordre. Elle n’est pas coiffée n’importe comment. Mais le client a le sentiment qu’elle sort du lit. Dans sa démarche, ses gestes, ses paroles à la fois précises et lyriques, il y a je ne sais quoi de relâché, de négligé. Les mèches, longues devant, tombent le long des joues. A l’arrière du crâne, ce ne sont pas des mèches, mais des cheveux coupés court. Cette impression de laisser-aller se retrouve dans la tenue apparemment débraillée. Mais attention, à y regarder de plus près, on voit que la mise est étudiée. Les trous dans le jean, c’est voulu. On m’a dit que ce genre de pantalon valait une fortune dans les boutiques du centre-ville. Elle y a mis une partie de son salaire, cette vendeuse que j’aimerais appeler Corinne. Je me verrais bien skier avec elle dans les Alpes, quelque part là-haut, quand il y a beaucoup de neige et que le soleil vous lèche les joues. Mais pour quelle raison allais-tu dans ce commerce, joyeux drôle? Ah oui! J’oubliais! Je venais là pour acheter un guide. Un guide de Florence plus précisément. Corinne m’en a présenté une vingtaine, du meilleur marché au plus cher, du plus succinct au plus complet. Elle vantait les mérites de tel ou tel. Tout dépend de ce que vous cherchez. Pour les restaurants, je vous conseille celui-ci. Pour le shopping celui-ci. Pour la vie nocturne et les hôtels celui-là. Si vous voulez approfondir le sujet, y rester plus longtemps, n’hésitez pas une seconde, c’est celui-ci qu’il vous faut, on le garde ensuite dans sa bibliothèque, regardez comme il est classe. Les bras m’en tombaient. Qu’allais-je faire exactement à Florence? J’ai opté pour le guide des restaurants, car j’aime la cuisine italienne. Il contient une mise en garde. Le touriste n’est pas à l’abri des pickpockets, y compris dans les cafés et les restaurants. Après quoi sont vantés: la soupe de haricots, la panade à la tomate, les paupiettes en cocotte et les tripes à la toscane. Il est conseillé de consulter la liste des prix avant de commander.

  • La Mort du prince bleu, de Reynald Freudiger

    Par Alain Bagnoud

    image_miniUn premier roman. Reynald Freudiger, La mort du prince bleu.

    Reynald Freudiger, jeune auteur né en 1979, je l'ai rencontré. C'est lui qui animait le débat sur les journaux intimes (voyez ici et ici), au Palais de Rumine (une Aire de liberté). Comme il a bien géré l'affaire et qu'on sentait dans la présentation et ses questions un homme sérieux, littéraire, avec cette étoffe riche que donne un rapport indispensable aux textes, j'ai lu son livre.

    Il est en trois parties. La première est dense, intéressante. On se trouve dans une petite ville d'Urugay, plus précisément dans un quartier de prostitution. Le héros, appelé Le Gringo parce que né d'un Européen totalement inconnu par ailleurs, et pourvu de cheveux blonds grâce à son ascendance paternelle, noue une histoire d'amour avec une photographe de bonne famille qui shoote les graffitis. Elle s'installe avec lui. Dans ce quartier, ce n'est pas facile: la bourgeoise ne maîtrise pas les codes et passe pour la voleuse du jeune Esteban, chouchou des putains, sur qui une d'entre elles mettrait bien le grappin.

    Deuxième partie: on se retrouve en Suisse. La narration change. Il s'agit ici de lettres, mails. De nouveaux personnages apparaissent. La réceptionniste du journal. Une journaliste qui se ballade en Amérique du Sud et publie des chroniques dont un jeune homme devient avide.

    Autant le dire tout de suite: j'ai moins aimé cette partie. Il y a là-dedans un côté un peu exercice de style, et l'intrigue se fait filandreuse.

    Mais tout se renoue par la suite. Troisième partie. De nouveau un bon moment. Les personnages se rencontrent, il y a une surprise finale, Reynald Freudiger attache ses pousses comme une gerbe et se paie le luxe d'unifier sa narration dans un effet final. Impeccable construction. Bravo.

    Vous découvrirez tout ça. Car je vous conseille le roman. La mort du prince bleu. N'hésitez pas. Il est toujours passionnant de lire un jeune auteur qui promet.

     

    Reynald Freudiger, La mort du prince bleu, L'Aire

    Publié aussi dans Le blog d'Alain Bagnoud

  • Trois journaux

    Par Alain Bagnoud

    Les trois journaux publiés par les Editions de L'Aire cet automne, il est d'usage de les traiter ensemble, si on en croit la presse, ou l'intéressant débat qui a été mené par Reynald Feudiger le jeudi 8 octobre au Palais de Rumine, à l'occasion du vernissage de l'exposition Une Aire de liberté (voir ici).
    Qui sommes-nous pour déroger à un usage désormais si établi? Donc, obéissons à la coutume. Petit répertoire.
    Des trois, celui de Raphaël Aubert a été le plus violemment attaqué, notamment dans une pseudo émission culturelle donc l'incurie n'a pas fini de faire du bruit (voir par exemple ici, ici et ici - particulièrement les volées de bois vert assénés à son animateur dans les commentaires).
    Peut-être parce que Chronique des treize lunes est ce qui se rapproche le plus du journal traditionnel. Il y a une entrée pour chaque jour, dans un travail constant de discipline et d'expression. « Je voulais savoir où passe la vie », a dit AubePierre Aubert, bois gravért dans le débat dont je parlais ci-dessus.
    Cette démarche quotidienne produit toutes sortes de textes dont la variété ou l'abondance laissent bien sûr des latitudes à la critique. Il est possible par exemple de dire de l'auteur ce que disait Léon Bloy de Huysmans: « Il ne se hait point. » On peut avec la plus mauvaise foi du monde recenser quelques maniérismes dans le projet. Je citerai cette manie de décrire chaque jour le temps qu'il fait. (Raphaël Aubert s'en est d'ailleurs expliqué: il s'agit d'une référence personnelle au journal de son père, qui faisait de même sur un agenda.)
    Mais il serait tout à fait injuste de réduire son livre à quelques aspects finalement mineurs. Chronique des treize lunes n'est d'abord pas un journal psychologique. Raphaël Aubert y décrit plus son emploi du temps et ses réflexions qu'il n'analyse son moi.
    Outre le compte-rendu des événements politiques de l'année 2008, qui nous semble déjà, à la lecture, étonnement lointaine (c'est l'année d'investitude américaine, les luttes entre Hillary Clinton et Obama, la désignation par MacCain de sa colistière Sarah Palin...), une grande part de ce journal est consacrée à l'art.
    Raphaël Aubert est le fils de l'artiste Pierre Aubert (1910 – 1987), dont on voit un bois gravé en illustration de cet article.
    Ses réflexions sur la peinture, l'art contemporain, la création sont tout à fait intéressantes. Il défend avec ardeur ses admirations littéraires (BHL, Houellebecq...) Son journal a en plus une singularité: il est le miroir du très bon roman publié en même temps que lui: La Terrasse des éléphants, dont on reparlera bientôt ici. Aubert y consigne l'avancée de son travail et ses inflexions. De la matière, donc, à se mettre sous la dent...
    Quant au reproche de nombrilisme... Bien évidemment, quand on laisse publier un journal intime, on court le risque d'en être accusé. Le genre veut qu'on parle de soi. On s'affiche en public et il faut évidemment s'attendre à des réactions. Une telle publication affirme en effet l'importance que l'auteur prête à sa vie (que celui qui n'a jamais péché lui jette la pierre). Il prétend que celle-ci peut intéresser, à cause de la singularité des actes ou des, pensées ou de la sensibilité, ou à cause de l'importance de l'œuvre. C'est le cas des journaux d'écrivains, que l'usage est en général de rendre public quelques années après la mort de l'auteur.
    Si on n'aime pas ce genre, il vaut mieux éviter l'irritation qu'un tel étalage de moi peut provoquer. Personnellement, je suis amateur, et je me rappelle avec le plaisir d'un gastronome qui évoque un repas savoureux aux plats variés les journaux des Goncourt, de Benjamin Constant, Jules Renard, Gide, Léautaud, Ramuz, Kafka...
    Le Journal de Michel Moret, lui, évite les écueils dont nous parlions.
    Danser dans l'air et la lumière est plus précisément une suite. En 2006, Moret avait publié Beau comme un vol de canards, ou cent jours dans la vie d'un éditeur à un moment charnière, quand il se demandait s'il allait poursuivre son activité professionnelle. Le succès de ce premier opus (édition rapidement épuisée, nombreuses lettres de lecteur...) l'a encouragé à reprendre la plume et c'est tant mieux.
    Journal en grande partie professionnel, Danser dans l'air et la lumière tourne autour de l'édition et fourmille de notes passionnantes sur la réalité du métier d'éditeur. Ce n'est pas son seul intérêt. On y découvre un homme serein face à l'avancée de l'âge et de la mort qui approche, irénique, généreux, doué d'un grand appétit de la vie, passionné par le livre, l'édition. Un être recommandable en tous points et un écrivain juste et ensoleillé.
    Quant au dernier journal dont on va parler ici, il s'agit d'un ouvrage de Gérard Delaloye, Le Voyageur (presque) immobile. Ce livre contient les notes de lectures prises entre 1998 et 2008. Et c'est passionnant! Impossible de lâcher le bouquin avant de l'avoir terminé.
    Intéressé par les journaux intimes qu'il lit à grand flux, Gérard Delaloye montre à quel point ils peuvent dire une situation historique, l'éclairer de l'intérieur (la condition des juifs en Allemagne pendant la guerre, des Roumains sous Ceaucescu...) mieux que les études historiques. Intéressé surtout par les diaristes  Gérard Delaloye Image © Sabine Papilloud liés aux événements de la vie publique, Delaloye y trouve un terreau pour l'historien qu'il est. Il nous parle de ses auteurs fondamentaux, Ernest Jünger, Günter Grass, André Malraux, Robert Walser surtout, avec un goût et une saveur qui nous donnent précisément envie de nous ruer sur leurs œuvres. Tout ceci servi par une grande culture historique et littéraire, des mises en relation avec les époques... Palpitant, on vous dit.

    Raphaël Aubert, Chronique des treizes lunes, L'Aire, 2009
    Michel Moret, Danser dans l'air et la lumière, Journal d'un éditeur romand, L'Aire 2009
    Gérard Delaloye, Le Voyageur (presque) immobile, L'Aire 2009