PARLONS D'AMOUR (10/02/2009)

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Par Antonin Moeri

 

Dans ses nouvelles, Carver ne célèbre pas l’amour heureux. Ce n’est pas un univers joyeux qu’il nous propose. On y croise des personnages qui oscillent entre le repli sur soi et la folie meutrière (le geste irréparable). L’alcool y joue un rôle décisif.
Dans la nouvelle “Si on en parlait sérieusement”, un homme rend visite à sa femme et à ses deux enfants, le soir de Noël. Il a le droit de rester une heure dans sa maison, car le nouvel amant de sa femme va débarquer avec ses propres enfants pour dîner. Les ampoules clignotent sur le sapin et on déballe les cadeaux. L’homme voudrait parler à sa femme et, n’y parvenant pas, réagit comme un polisson. Il jette dans le feu les bûchettes réservées pour la soirée en compagnie du nouvel amant. Il fait disparaître les tartes préparées pour le dessert.
Le lendemain, il revient à la charge, aperçoit la carcasse d’une dinde trônant sur un plat, inspecte le gros cendrier où se mélangent les mégots de sa femme et ceux d’un inconnu. Quand sa femme parle au téléphone (dans une autre pièce) avec un inconnu, il saisit le couteau qui a servi à découper la dinde, le nettoie et scie les fils du téléphone. Folle de rage, sa femme le fout à la porte après avoir menacé de lui supprimer le droit de visite et d’aller chez les voisins pour appeler la police s’il ne disparaît pas illico. L’homme (Burt) s’empare d’un gros cendrier (vidé et lavé entretemps) et fait mine de le lui balancer à la figure. Il emmènera cet objet qu’ils avaient acheté au marché.
Le récit commence au moment où Burt revient à la charge, au lendemain de Noël et se termine quand il pose le cendrier à côté de lui, dans la voiture. Il était venu pour s’excuser et n’a fait qu’aggraver les choses. Le lecteur se demande si Burt ne va pas éternellement recréer le même scénario, s’il n’éprouve pas une intense jouissance à se retrouver dans le même cul-de-sac. Au terme de cette lecture, je me suis posé la question: Pour quelle raison je préfère de loin ces histoires-là aux évocations enjouées de l’amour épanoui?
Loin de toute complaisance pour les bitures, les putes impitoyables, les aubes blafardes, les flaques de pisse, la cendre froide, les toxicos hébétés et les chiens pelés, loin de toute jubilation dans la célébration du bonheur d’avoir rencontré celle ou celui qui dort à vos côtés, Carver construit des histoires elliptiques où le délire court sous la surface des mots, des êtres et des choses, délire dont on entend la rumeur dans les situations tendues qu’il imaginait.

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