Marie Coquelicot à Saint-Gervais
Par Alain Bagnoud
Notre ami Pascal Rebetez a un talent pour donner des mots à ceux qui n'ont pas l'habitude de parler. Les amateurs de théâtre se rappellent probablement sa pièce fulgurante et aérolithique montée par le Poche en 2005: Les mots savent pas dire, dans une mise en scène de Philippe Sireuil. Une histoire inspirée par un fait divers.
Quand sa mère meurt, dans une ferme des Pyrénées, Jeannot refuse qu'on l'emmène au cimetière et il l'inhume sous l'escalier de la cuisine avec une pelote de laine, des aiguilles à tricoter et une bouteille de vin. Pendant cinq mois, cloitré dans la maison avec sa sœur, il grave sur le plancher de sa chambre un texte déstructuré et paranoïaque puis il meurt d'inanition. Ce n'est qu'après le décès de sa sœur vingt ans plus tard qu'on découvrira Le plancher de Jeannot, une œuvre d'art brut étonnante.
Il y avait eu avant ça une autre pièce inspirée du réel. Le meilleur du Monde, imaginée d'après la trajectoire de Willi Favre, né aux Diablerets et médaillé d’argent en slalom géant aux Jeux olympiques de Grenoble en 1968. Une montée vers la gloire puis une plongée vers les enfers.
Et encore avant, en 1987, Marie Coquelicot, créé au Festival de la Bâtie.
C'est ce texte qu'on peut réentendre au Théâtre Saint-Gervais jusqu'au 8 mars, dans la bouche d'Isabelle Maurice, qui a voulu faire revivre ce monologue d'une femme simple. Elle s'est pour ça entourée de Muriel Décaillet dont la scénographie évoque l'enchevêtrement, « enchevêtrement des fils, des rituels, des tourbillons, des errances, des emballages et déballages de tout un chemin de vie chaotique », dit le texte de présentation, et de Pierre Miserez qui signe une mise en scène peut-être un peu éclatée.
Marie Coquelicot est elle aussi inspirée d'un personnage qui a existé. Sa famille était voisine de celle de Pascal Rebetez qui était servant de messe à l'enterrement du fils handicapé et se souvient encore du père se jetant sur le cercueil. Il a imaginé la trajectoire de la sœur, forcément sordide. Inceste, coups, placement en Suisse allemande dans une ferme, mariage malheureux, coucheries, déceptions multiples...
Mais il ne s'agit pas que d'une suite de malheurs. Le personnage de Marie Coquelicot ne se résigne pas, elle affronte, et les péripéties qu'elle raconte se teintent parfois d'humour dans la bouche d'Isabelle Maurice qui en fait une résistante.
Marie Coquelicot, Théâtre St-Gervais Genève, rue du Temple 8, jusqu'au 8 mars, représentations à 20h30 sauf le dimanche à 18h et le 8 mars à 15h30. Relâche le 23 février et le 2 mars.
(Publié aussi dans Le Blog d'Alain Bagnoud.)