Dans les geôles de Poutine
Par ANTONIN MOERI

Édouard Limonov n’a rien d’un fonctionnaire de la littérature. Jugez plutôt. Après une jeunesse délinquante à Kharkov, il vit dans les bas-fonds de New York, puis fait une carrière d’écrivain sulfureux à Paris. On le voit ensuite poser fièrement aux côtés de Karadzic avant qu’il ne fondât le Parti national-bolchévique dans la Russie du rusé Elstine. Accusé de trafic d’armes, il est arrêté en 2001 et jeté dans une des nombreuses prisons russes, où croupissent près d’un million de détenus. Ce sont les trois ans passés dans les geôles de Vladimir Poutine que Limonov raconte avec une précision d’entomologiste, la distance salutaire d’un “salaud lumineux” et une attention toute particulière pour les voyous, voleurs, violeurs ou assassins qu’il côtoie.
Quand Limonov est transféré d’une prison de Moscou à la centrale de Saratov, les jeunes recrues aux muscles saillants qui encadrent les convois apparaissent comme “des visiteurs débarqués d’autres galaxies dans Star Wars”. Les foules en combinaison de travail noires qui évoluent dans la cour de la centrale rappellent celles qui évoluent sur le plateau du film 1984. Ambiance cinématographique pour mieux mettre en scène les traitements dégradants (sévices et torture) infligés au “terroriste” Limonov et à ses compagnons qui lui ont demandé d’écrire leur histoire. Histoire que l’auteur offre à son lecteur “mon frère bien vivant, trouillard paresseux”. Quand “Ben Laden” écrit le livre, la prière “écris notre histoire” retentit encore à ses oreilles. Et c’est d’abord pour eux qu’il écrit “pour vous, les gars, vous les hôtes des oubliettes”.
Que ce soit un mafioso d’une extrême brutalité, que ce soit un retardé mental violeur et étrangleur de fillette, que ce soit un Bouriate as de la gâchette ou un parricide aux dents en or, Limonov entretient avec eux un rapport qu’on pourrait dire d’amitié. Il les décrit avec tendresse, leur pose des questions, écoute leurs histoires et prend scrupuleusement note du récit que lui fait un détenu de son long séjour dans une “maison de correction”. Ces hommes le fascinent, il aimerait comprendre pour quelles raisons, dans le fond, certains se retrouvent là. En tout cas, il ne les juge pas.
Il compare leurs crimes (parfois dérisoires eu égard aux très lourdes peines à purger) à ceux commis par l’État russe. Comme par exemple la mise à mort cauchemardesque mais délibérée, commandée par de hauts fonctionnaires, le 26 octobre 2002, de cent trente-neuf personnes retenues en otages par des nationalistes tchétchènes au Théâtre de la Doubrovska. Limonov détricote cette “affaire” pour démontrer l’entière responsabilité d’un état fasciste dans cette extermination au gaz (un gaz employé pour la première fois et que les services secrets devaient tester). “Par comparaison..., nos forfaits à nous, détenus du troisième quartier de la centrale de Saratov, pâlissaient considérablement”.
“Mes prisons” tient du chant, du réquisitoire, de l’étude anthropologique et de l’autobiographie (la rockeuse toxico avec laquelle L. a vécu). C’est un livre de révolte, à la fois clair, cinglant et beau. Il est à ranger sur le rayon des grands récits de prison (Dostoïevski, Tchékhov, Jean Genet, Soljénitsyne et John Cheever). Une prison que Céline connaissait et qu’il disait être un lieu distingué, contrairement à la foire de Neuilly, où l’homme s’amuse et qui est par conséquent”une chose horripilante de vulgarité”.
Ce qu’on pourrait cependant relever, sur le plan éditorial et médiatique, c’est qu’en se présentant comme un opposant au méchant Poutine, l’affreux Limonov redevient tout à coup fréquentable aux yeux de l’opinion dite éclairée. Le passage d’une place de persécuteur infâme (ami des Serbes non démocrates, des Abkhazes et des Ossètes sécessionnistes, des nationalistes russes) à celle de malheureux (persécuté par la police de Poutine), ce passage est habilement orchestré par un écrivain de talent qui n’a pas fini de nous surprendre. Ceux qui s’indignaient de voir Limonov parader aux côtés du monstre Karadzic porteront-ils aux nues “Mes prisons”?
Édouard Limonov: Mes prisons, éditions Actes Sud 2009
Mehmet Myftiu est albanais. Héros de guerre, né en 1930, il rejoint à 12 ans la Résistance albanaise, est pris, enfermé dans le camp de concentration de Prishtina par les nazis, échappe de peu à une exécution, et lutte pour l'avènement du communisme, auquel il croit fermement. Enfin, la guerre finit, le régime qu'il appelait de tout son cœur arrive et dans l'Albanie libérée, il devient journaliste.
Une de mes amies enseigne dans un cycle d’orientation genevois. Elle m’a raconté une histoire déconcertante. Elle venait de faire entrer ses élèves dans la classe lorsqu’une inconnue, échevelée, se présenta sur le seuil hurlant comme une démente: Elliot! Elliot! Voulant donner son cours, la prof intima l’ordre à l’échevelée de quitter les lieux et de rejoindre son groupe. La fâcheuse refusant d’obéir, la prof lui saisit fermement le bras pour l’éloigner.
Une longue nouvelle de l’écrivain mexicain Enrique Serna a merveilleusement bercé ma dernière insomnie:
Un nouveau prix littéraire est né. Le Romand des romands. Parrainé par d'éminentes personnalités culturelles et politiques, travaillant en lien avec les Départements de l'Instruction publique des cantons, il a été conçu et porté sur les fronts baptismaux par Fabienne Althaus, qui y a mis une énergie et un savoir-faire remarquables. Ce n'est pas si évident d'organiser quelque chose qui touche à plusieurs administrations, dans un pays si fédéraliste, et qui intègre des acteurs du milieu littéraire, des écrivains, des libraires, des enseignants...
Dans le village que j’aime, j’ai quelques amis. Ainsi, vendredi soir, lorsque j’ai débarqué dans la salle du Major Davel, étaient-ils là, autour d’une longue table. Il y avait Marc-Edouard, le vigneron propriétaire de dix hectares de vignes, amateur de jazz et de belles filles, Guillaume le pêcheur qui vit en compagnie d’une Tutsi rescapée des massacres, Horst le restaurateur qui prépare les rognons à la moutarde les plus fameux du monde, Clément l’organisateur d’événements et sa copine qui travaille dans les services d’Anne-Catherine Lyon, Mireille l’assistante médicale et son époux Jacques-André, l’oenologue cantonal.
J'ai de la chance: j'appartiens à deux cantons qui s'arrangent pour être alternativement la risée de la Suisse. Pas besoin d'aller chercher bien loin des sujets de conversation, il suffit de citer leur nom pour qu'aussitôt, vos interlocuteurs se pâment et s'épanouissent comme des citrouilles.