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L'enseignement de l'ignorance

Par Pierre Béguin

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Si Dieu est invisible, on peut raisonnablement penser qu’Il n’est pas très loin de la parole des apôtres. Si la vérité est invisible – on déploie assez d’efforts pour qu’elle le reste – on peut logiquement penser qu’elle n’est jamais très éloignée du cynisme le plus total. D’une certaine manière, c’est la logique de Machiavel: se placer du point de vue de l’ennemi et se demander ce qu’il est condamné à vouloir étant donné ce qu’il est. Une technique utilisée notamment par l’essayiste Susan George dans son livre Le Rapport Lugano, où l’auteur se place dans la logique des élites du monde politique, financier et industriel, réunis à Lugano pour envisager les mesures à prendre afin de viabiliser le système capitaliste. Et comme ce rapport n’est pas destiné à être lu par le peuple souverain, tenu éloigné comme il se doit de la vérité, les responsables peuvent s’exprimer avec un cynisme stupéfiant.

C’est aussi à cette technique que recourt Jean-Claude Michéa dans son excellent petit essai intitulé L’Enseignement de l’ignorance et ses conditions modernes, paru en 1999 et réédité en 2006 aux éditions Climats. La thèse? L’auteur montre comment le pouvoir politico-économique reconfigure l’appareil éducatif selon les seuls intérêts financiers du capital, comment l’éducation de masse, sous prétexte de démocratisation, a fini par abrutir les privilégiés eux-mêmes, pourquoi la propagation de l’ignorance, voire la «bêtification» des masses par le vecteur télévisuel, n’est pas le fruit des dysfonctionnements de la société mais une condition nécessaire de sa propre expansion, pourquoi le déclin de l’école n’est pas la conséquence, mais l’objectif même des incessantes réformes qu’on lui impose, et comment les puissants se servent des naïfs doctrinaires de gauche pour asseoir cet objectif dont la finalité est de faire de la consommation un mode de vie à part entière. Et c’est précisément sur cette ignorance qui délite les capacités de résistance aux manipulations médiatiques et au conditionnement publicitaire avec une efficacité remarquable que «les grands prédateurs de l’industrie, des médias et de la finance, avec la complicité de leurs institutions internationales (Banque mondiale, FMI. OCDE, G7 puis G8, GATT puis OMC, etc.) et celle, plus ou moins enthousiaste, de toutes les classes politiques occidentales, pourraient entreprendre d’édifier, en toute tranquillité intellectuelle, une cybersociété de synthèse, dont l’unique commandement serait le très vieille devise de l’intendant Gournay (1712-1759): Laissez faire, laissez passer.»

Oh! Je vois venir les commentaires allumés de quelques insatiables blogueurs: tout cela sent décidément un peu trop l’altermondialiste, voire Le Monde diplomatique. C’est vrai et le parti pris peut déranger, je le concède. Mais avant de condamner ce petit essai dérangeant, prenez le temps de le parcourir, même s’il n’y a pas d’images à colorier…

 

 

Commentaires

  • "...l’essayiste Susan George dans son livre Le Rapport Lugano, où l’auteur se place dans la logique des élites du monde politique, financier et industriel, réunis à Lugano pour envisager les mesures à prendre afin de viabiliser le système capitaliste. Et comme ce rapport n’est pas destiné à être lu par le peuple souverain, tenu éloigné comme il se doit de la vérité, les responsables peuvent s’exprimer avec un cynisme stupéfiant."

    La version XXIe siècle des "Protocoles des Sages de Sion", en somme...

  • "Mais avant de condamner ce petit essai dérangeant, prenez le temps de le parcourir, même s’il n’y a pas d’images à colorier…"
    J'aurais pu accorder encore plus de crédit à ce que vous dies si vous n'aviez pas terminé sur la citation de cette réplique (peut-être reprise de quelqu'un d'autre déjà à l'époque) de Jacques Chirac à un journaliste qui osait le contredire.
    Entre essayer de convaincre les lecteurs et prendre son pied à les insulter, il faut choisir. Et puisque vous parlez d'éducation, il n'est pas tout à fait hors de propos de rappeler que le président de la Société pédagogique genevoise avait traité de "dindes" les citoyens qui avaient voté contre ses idées.
    Cela dit, je vous ai quand même lu et je partage une assez grande partie de la thèse dont vous vous faites l'écho, sinon forcément en ce qui concerne les intentions, au moins dans les faits.
    Alors, en conclusion, soyez plus respectueux, cela fait partie de l'éducation.
    Bien à vous.

  • MDR!

    Comme si ici sur ces blogs les gens prenaient la peine de lire! Qui a lu le dernier livre de Ziegler (où il n'y a pas d'images à colorier) ou le livre de Shlomo Sand (où il n'y a pas d'images à colorier) ou les analyses sur le WTC7 (où il n'y a pas d'images à colorier)... Personne. Même John se permet de juger sans avoir lu, par pur préjugé idéologique, par haine d'un auteur qui dit certaines vérités.

    Si vous étiez moins naïve, vous auriez compris depuis longtemps qu'il n'y a personne à convaincre ici. Et pour le respect... MDR! Il suffit de lire Scipion et son commentaire fasciste.


    "cela fait partie de l'éducation."

    En tout cas pas de l'éducation de la droite. Maintenant libre à vous de tendre l'autre joue, bien entendu.

  • "de faire de la consommation un mode de vie à part entière."

    Grâce notamment à la télévision. LE grand instrument d'abrutissement des individus.

    Et merci pour les références. Food for thought.

  • Références:

    http://www.broguiere.com/culture/ignorance.htm

    http://www.alternatives.ca/article529.html

  • @ Johann C'est parce que, naïf/naïve ou non, je n'aime pas tendre la joue du tout, en tout cas pas pour me faire gifler. Ni pour me faire insulter par quiconque m'invite à lire son texte. Car j'imagine que nous sommes au moins invités à lire ce qui est écrit ici. Quant à Chiraq, il est effectivement de droite, j'attends donc mieux de ceux qui critiquent celle-ci, surtout quand ils ont raison.
    Mais je n'attache pas une importance démesurée à tout cela, rassurez-vous, car chacun a son style et ses humeurs.
    P.S. Si nous savons qu'il n'y a personne à convaincre, nous ne pouvons apparemment nous empêcher d'écrire comme si c'était le cas, même vous.

  • "Ni pour me faire insulter par quiconque m'invite à lire son texte."

    Wow! Quelle susceptibilité! Ca vous arrive parfois de prendre un peu de distance et de relativiser?


    "car chacun a son style et ses humeurs."

    Et son humour... ou son absence.


    "P.S. Si nous savons qu'il n'y a personne à convaincre, nous ne pouvons apparemment nous empêcher d'écrire comme si c'était le cas, même vous."

    Nenni. Je n'ai même pas cette illusion.
    Mais il y a des tas de choses marrantes à relever.

    Et c'est toujours intéressant de prendre connaissance de ce que pensent les autres, dans un sens comme dans l'autre. Et utile d'apporter des informations ou des idées aux copains, comme d'en recevoir d'eux. Comme aujourd'hui.

    PS: à propos de respect, il ne me semble pas me souvenir que vous ayez manifesté si véhémentement une objection quand Ziegler s'est fait agonir d'insultes sur certains de ces blogs... un manque d'éducation à double détente?

  • @Johann C'est la première fois que j'ai un petit échange avec vous et je vois que votre réputation n'est pas usurpée: féroce mais intéressant et intelligent.
    A propos de Ziegler, il m'est arrivé de le défendre (façon de parler) lorsque j'écrivais sur les blogs du Matin (sous un autre pseudonyme). C'est un bonhomme que je trouve attachant et irritant à la fois. Attachant par une forme de sincérité très directe et naïve (j'utilise aussi le mot parfois) qui me rappelle mon origine suisse-allemande. Et puis j'avais un copain (autre fils de pasteur) dont le père m'avait baptisé outre Sarine et qui avait un peu la même manière d'être. De plus j'ai longtemps partagé entièrement son orientation politique qui correspond à mes origines familiales, du moins aussi longtemps que la gauche avait encore un enracinement dans la classe ouvrière, ce qui ne me semble guère plus le cas aujourd'hui. Ayant un peu changé d'environnement social par ma formation et ma profession (mais pas ma famille), j'y ai surtout rencontré des petits bourgeois de gauche ou des révolutionnaires de salon (notamment admirateurs béats du Sentier lumineux et probablement de Pol Pot), d'un idéalisme souvent incroyablement naïf (bis), alliés à des verts dont je partage plus les convictions en biologie qu'en politique. Par ailleurs les expériences faites sous les divers régimes dit marxiste ou marxiste-léninistes qui ont pu prendre le pouvoir ne m'ont pas toutes convaincues, loin de là, ni le résultat de quarante ans de guérilla en Colombie, et j'ai donc pris de la distance par rapport à des convictions politiques extrêmes quelconques.
    Je ne vois donc de Ziegler que le personnage qui parle et que l'on fait parler en public, celui qui porte systématiquement aux nues des dictateurs imbécile ou criminels pourvu qu'ils se disent anti-capitalistes et haïssent les Etats-Unis. Et celui-ci ne me plaît guère, encore moins lorsqu'il se dit croyant en dieu (mais ennemi de toutes les Eglises et qu'il cite dans Le Matin Bleu de ce début de semaine (qui l'a invité comme rédacteur d'un jour) Sartre, à qui il fait dire en l'approuvant (je cite de mémoire) "Toute mort est un assassinat, car il met fin à une pensée". J'ai rarement entendu quelque chose d'aussi nombriliste et débile et si Sarte l'a dit sous cette forme, tant pis pour lui, il a de toute manière déjà perdu pas mal de plumes ces dernières décennies, mais si Ziegler cite une pareille connerie ou en fabrique une pareille, alors je ne regrette pas de n'avoir pas lu son dernier bouquin. Si je fais erreur, je présenterai mes excuses ci-dessous, étant persuadé que contrairement à moi, ceux que j'aurais blessé ne sont pas aussi chatouilleux que moi et ont plus d'humour.

  • @Johann "PS: à propos de respect, il ne me semble pas me souvenir que vous ayez manifesté si véhémentement une objection quand Ziegler s'est fait agonir d'insultes sur certains de ces blogs... un manque d'éducation à double détente?"
    Les archives peuvent attester que je suis intervenu d'innombrables fois pour inviter les blogueurs au respect formel, ne serait-ce que parce que cela raccourcit et enrichit les débats. Je ne le fais plus que lorsque je suis frappé par une contradiction entre la qualité des arguments et les égards dus à ceux qui sont invités à les lire, ou lorsque l'on s'adresse directement à moi. Cela ne m'oblige nullement à me faire le défenseurs de toutes les personnes malmenées à tort ou à raison, quoique j'en pense. Je ne suis pas le modérateur de la Tribune de Genève, qui d'ailleurs ne se gêne pas pour manquer de respect envers ceux qui signent d'un pseudonyme, ce que je ne ferais évidemment pas.

  • Ce n'est pas le parti pris qui dérange, mais l'apparente vacuité du propos.
    La société française de la deuxième moitié du XXème siècle a cru possible d'amener au bac 80% d'une classe d'âge. Comme c'était un peu compliqué à réaliser et qu'en même temps l'injection de télévision en doses massives détournait les jeunes de la lecture, première source de connaissances théoriques, on a baissé le niveau.
    La gauche en est au moins aussi responsable que la droite, effectivement. Mais de là à y voir le fruit d'un complot, c'est de la fiction sans aucun fondement objectif, à peine digne d'un roman-photo. Un Doux Noeuds pour midinettes post pubères revenant de leur premier meeting d'Attac. Questions coloriages, Suzan George est à l'essai socio-politique ce que Blek le Rock est à la bande dessinée: un comik book pour ados mal dégauchis.

  • Pardonnez-moi, Mère, si je vous ai offensée. Telle n’était pas mon intention, assurément. La controverse – dont je prends connaissance à l’instant non sans une pointe d’étonnement – suscitée par cette petite phrase conclusive lancée avec une pointe d’humeur somme toute assez innocente, mais avec une légèreté peut-être coupable, je vous le concède, a au moins le mérite de souligner la qualité des lecteurs de blogres et d’alimenter des commentaires qui n’eussent pas éclos sans stimulation. Puissiez-vous donc, Mère, me faire l’honneur de continuer à me lire. Ou que cet acte de contrition, pour le moins, vous incite à la clémence…
    Quant à l’existence si ce n’est d’un complot du moins d’une concertation – et malgré de curieuses similitudes dans la volonté d’appliquer partout en occident les mêmes réformes en dépit des preuves évidentes de leur inanité – j’admets qu’elle peut paraître trop séduisante pour être crédible. Je serais toutefois plus nuancé, ayant pu constater par le passé que des midinettes post pubères, contre toute évidence, avaient déjà passé par la dégauchisseuse…

  • @Pierre Béguin N'en faisons pas tout un plat. je vous remercie de vos aimables paroles, qui me paraissent très bien correspondre à la sympathique "bouille" de la photo. Je dois dire que jai surtout réagi au souvenir que m'a laissé l'épisode de Jacques Chirac que j'ai évoqué. Je ne pense pas qu'il soit un de vos maîtres à penser et en comportement d'ailleurs et votre reprise de sa sortie, bien innocente, je vous fais confiance, a fait surgir en moi un souvenir avec la dégoût qui y était associé à l'époque. Je n'ai jamais supporté que l'on humilie qui que ce soit, et cela même s'il mérite d'être puni de la manière la plus impitoyable. En l'occurrence c'était de sa part ce que les Grecs appelaient de l'hubris, un triomphe excessif et choquant et qui plus est de quelqu'un qui ne pouvait pas répliquer de par sa situation.

  • Alors pour parler sérieusement, permettez moi de souligner la rencontre entre une volonté républicaine à priori louable d'égalitarisme et d'égalité des chances et le désir naturel de tous les parents d'assurer l'avenir de leurs enfants.
    Le fait qu'il y en ait de moins scolaires que d'autres, que la télévision et les jeux vidéos soient un énorme business (ces derniers font aujourd'hui plus de chiffres d'affaires que toute la production audio-visuelle !) expliquent la très relative universalité du phénomène "enseignement de l'ignorance".
    Très relative parce qu'en fait assez strictement circonscrite au monde occidental.
    En Chine et même en Inde, le travail scolaire reste une valeur sûre. Ailleurs en Asie ou en Amérique Latine, on développe lentement mais sûrement l'éducation pour tous et en Afrique on essaie.
    Je crois que bien plus que le fruit d'un complot, "l'enseignement de l'ignorance" est plutôt le reflet d'une société repue et décadente qui n'a plus de véritable frontière ou d'objectif à conquérir. Il est d'ailleurs frappant de constater que depuis plus d'une dizaine d'années, les éléments les plus brillants s'engouffraient dans des carrières financières, sans débouché créatif autre que comptable...

  • @Philippe Souialle. Oui, je peux vous rejoindre dans cette perspective, et particulièrement pour le côté "fin de race" des sociétés occidentales. Pour avoir passablement bourlingué dans ma jeunesse, j'ai constaté très tôt que d'autres continents offrent à l'énergie vitale un terrain bien plus fertile et des promesses de riches moissons pour qui sait prendre des risques.
    @Mère. Si "la sympathique bouille" à laquelle vous faite référence renvoie à celle illustrant l'article "L'enseignement de l'ignorance", je vous signale que ce n'est pas la mienne mais celle de Jean-Claude Michéa. Toutefois, j'ose espérer que la mienne n'est pas pour autant antipathique...

  • Pour ce qui concerne le cynisme des "élites" qui nous gouvernent avec l'efficacité qu'on peut aujourd'hui admirer, je vous propose ces quelques lignes extraites d'un memo célèbre de Mr. Lawrence Summers, à l'époque où il était "Chief economist" de la Banque Mondiale:
    "Entre vous et moi, la Banque Mondiale ne devrait-elle pas encourager la délocalisation des industries polluantes dans les pays les moins développés?… Il y a une logique imparable dans le fait d'entreposer les déchets les plus toxiques dans les pays où le coût de la main d'œuvre est le plus bas, et nous devrions accepter cette réalité… Certains pays sous-peuplés d'Afrique sont ainsi largement sous pollués; la qualité de l'air y est grandement sous employée en comparaison avec des villes comme Los Angeles ou Mexico…L'inquiétude provoquée par un élément qui, dans un cas sur un million, peut provoquer un cancer de la prostate est évidemment bien plus grande dans un pays où les habitants vivent assez longtemps pour être atteints par ce cancer que dans un pays où la mortalité avant cinq ans est de 200 pour mille".

    C'est ce charmant personnage qui dirige aujourd'hui le National Economic Council dans le gouvernement de Mr. Obama.

    L'épisode récent (2006) du Probo Koala montre que la mise en pratique subreptice de cette "mesure" suit son petit bonhomme de chemin...


    J'ajouterai que je trouve assez croquignolet, de la part de ce grand humaniste qu'est Mr. Souaille, de déplorer la décadence occidentale et de vanter les mérites de l'éducation à la chinoise.

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