EVALUER LES PROFS (24/02/2009)

Par Antonin Moeri

 









SitStayForWeb.jpgComment améliorer les performances des profs dans l’école publique genevoise ? Plusieurs pistes sont explorées par les experts. L’une d’elles mérite de retenir notre attention : l’évaluation du salarié. On propose avec le sourire une visite régulière dans la classe et un entretien régulier avec le chef d’établissement, pour faire le point : cerner les motivations de l’employé et mesurer son engagement au sein de l’entreprise (de l’école).
Cette pratique, qui vient du monde anglo-saxon et de l’économie de marché, est courante en France depuis un certain temps et ce sont le plus souvent (détail curieux à relever) des responsables politiques de gauche qui l’introduisent dans le système. Mais qu’en est-il exactement ? Dans un petit livre au style concis, Jean-Claude Milner nous rappelle que personne ne sait exactement à quoi sert cette évaluation sinon à préparer les charrettes des prochains licenciés ou des prochains mis à la retraite anticipée. Quand on modernise, on ne définit pas des objectifs, on donne des ordres contradictoires : viser l’égalité MAIS promouvoir les meilleurs, créer un lieu de vie MAIS apprendre la discipline aux récalcitrants. Pour Milner, il n’y a qu’un seul objectif : « la domestication généralisée ».
Le problème, selon lui, c’est que cette idéologie de l’évaluation « projette d’intervenir au plus intime et au plus secret de la vie des individus ». En cherchant à brancher l’intimité du salarié sur la normalité du groupe, en faisant sauter le droit au secret dont chacun(e) devrait bénéficier dans une démocratie, on ne vise qu’une chose : contrôler les gens en faisant d’eux des  « choses évaluables », ramener l’intime à des profils et à des types. C’est-à-dire faire de l’être parlant (le prof) un objet indiscernable, substituable : un homme ou une femme de dossiers qui parle au nom de l’administration, qui a choisi de surveiller ses semblables et qui rêve d’une société où il n’y ait que « des domestiques, des valets et des serviteurs ».
N’importe qui peut accéder à la position d’évaluateur. N’importe qui « peut se trouver convoqué à évaluer ». N’importe qui « peut ainsi aller à ce point de bassesse où il se découvre le maître d’un autre ». Or, ce « régime de la domestication généralisée peut être mis en suspens ». Ce serait aux politiques, selon Milner, de combattre l’esprit de domestication. Mais l’évaluation est un mot d’ordre. Dans un monde où la « positive attitude » est prescrite, pointer du doigt quelques pratiques équivoques vous ferait passer pour un grincheux, un esprit négatif, beurk !



Jean-Claude Milner : La politique des choses, édition Navarin, 2005.

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