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L’héritage africain

par Pascal Rebetez

 

Je suis de souche modeste, de tronc solide, de branches en santé mais à l’usufruit inexistant. Pas de dot à venir ni héritage, aucune vieille tante par l’odeur alléchée, rien. Ceux d’avant m’ont fait. Point. Ils m’ont, à la naissance, délivré du poids de tout legs matériel. Soit. On peut en vivre. On peut même en vivre mieux, sans toutes les attentes malsaines de celui qui espère, suivies souvent de disputes fratricides, de déchirements, de vexations, et j’en passe… Que serait le roman du XIXème siècle sans la notion désirante et délirante de l’héritage ?

Or, depuis quelques mois, de plus lointains cousins s’offrent à faire de moi le bénéficiaire de fortunes incroyables. C’est par millions de dollars qu’Eugène Baba, Aurélienne Mafti ou encore André Touré tentent de m’amadouer. Tous sont jeunes, beaux, riches mais orphelins dans une Afrique sanglante. Ils espèrent que, frappé de cette noble commisération occidentale qu’est la pitié (l’avatar spirituel de la colonisation), je saisisse l’opportunité de faire le bien en même temps que de m’enrichir, moi l’occidental avachi, ridé, pauvre et en bonne santé : il suffit pour cela que je transfère mon numéro de compte en banque et je toucherai… 20% propose André ; d’autres m’offrent 100'000 dollars cash.

Ça change du 0,5% d’intérêt en compte épargne de l’UBS.

Qu’attendent nos banquiers pour s’insurger contre cette concurrence déloyale ? que je devienne brusquement millionnaire ? J’hésite encore… la richesse, surtout quand elle est soudaine et surtout soudanaise, peut provoquer quelque désagrément existentiel. Et puis, j’aspire au détachement, je rêve de me désencombrer. Alors, toute cette bonne fortune ne serait qu’aliénation supplémentaire, possession possessive…

Et ensuite, quel malheur ! Riche à millions, je forcerais mes propres enfants à entrer dans la dure chaîne des héritiers, ceux qu’on marque aux fers, les esclaves de l’attente et de l’envie. Non, cousins africains, je vous rends votre obole. J’ai de vous quelques gènes de cueilleur, une inclinaison à la maraude et au nomadisme, ça me suffit. Eugène Baba, Aurélienne et cher André Touré, je vous joins en annexe les comptes de quelques-uns de nos meilleurs banquiers : ce sont désormais les plus pauvres d’entre nous. Ayez pitié de leur finance et pillez pour leurs âmes.

Commentaires

  • Fort bien dit... et excellemment écrit !

  • Je suis d'accord avec Souaille. J'adore ce type de posture et l'écriture est étincelante.
    L'ironie se fait de plus en plus rare. On imagine Jérôme K.Jérôme évoquant les spéculations triomphales d'Eugène Baba.

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