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Blogres - Page 9

  • McDonald ou restaurant trois étoiles?

    Par Pierre Béguin

    Il en va toujours ainsi. C’est inévitable. Chaque période traversée par un événement spécial voit en proliférer des cohortes. 
    Je veux parler de tous ces opportunistes et ces tartufes qui se hissent sur des circonstances particulières pour atteindre une petite notoriété médiatique que leur médiocrité ne leur aurait pas permis d’acquérir en temps normaux. Avant, lesdites circonstances dépassées, de retourner à l’anonymat qu’ils n’auraient jamais dû quitter. 
    La période Covid ne fait pas exception. Et la production de livres en est la preuve.
    La première vague de ce printemps à peine terminée, le déconfinement à peine commencé, que déjà les librairies proposaient, bien en vue dans leurs rayons, les premiers livres sur la pandémie. «Mon confinement», «Mon journal de la pandémie», ou quels que fussent leurs titres – je ne m’en souviens plus – je me demande bien comment un lecteur potentiel qui sort de deux mois de confinement peut avoir envie d’y retourner aussi sec au travers des élucubrations d’un quidam qui l’a vécu dans les mêmes conditions que lui. Vice ou pathologie?
    La deuxième vague à peine commencée, un demi-confinement qui ne veut pas dire son nom et qui joue au yo-yo pour contrôler les colères, et voilà que suit immédiatement une deuxième vague de livres bien en vue sur les rayons. Au hasard: Vaincre les épidémies, ou de la prise de conscience aux gestes qui sauvent Aux origines de la catastrophe, ou pourquoi en sommes-nous arrivés là? - etc. etc.
    On le voit, les titres ont changé. On ne comprend encore rien à ce virus, mais déjà des spécialistes nous disent tout ce que personne ne sait, pas même lesdits spécialistes. 
    Et puis, il y a aussi les inévitables figures connues de la première vague auxquelles on a demandé d’écrire en urgence - ou plutôt de faire écrire par le journaliste de service - leur expérience pour surfer sur leur nom, inconnu du grand public il y a quelques mois encore. Si possible avec leur portrait en grand sur la couverture – leur visage, à force d’envahir les écrans, nous étant souvent plus familier que leur nom. A titre d’exemple: Daniel Koch, calme dans la tourmente - et je vous passe les autres.
    Et puisque la période s’y prête, saupoudrons-là d’un zeste de sagesse et de philosophie bon marché. Alors vite, adressons-nous à nos trois grands sages qui vont nous concocter un nouvel Abécédaire de la sagesse, des fois que nous serions trop cons nous-mêmes pour «trouver la voie». 
    On imagine très bien quels seront les livres qui vont accompagner la troisième vague. Viendra bientôt le temps des règlements de compte, le temps de ceux qui savaient tout dès le début, «qui nous avaient pourtant bien dit que...». On se réjouit.
    Bon! Il y a ces lecteurs ou lectrices qui veulent des livres leur permettant de macérer dans le problème, certes. Mais il y a aussi, à l'opposé, celles et ceux qui veulent des livres pour "se changer les idées". Et surtout ne pas réfléchir, «ne pas se prendre la tête», comme ils (elles) disent. Pas de problème! On a ce qu’il vous faut! Alors, bien en vue à côté des livres traitant du Covid et de ceux proposant une sagesse «prête-à-porter», on voit trôner les inévitables Guillaume Musso, au titre en forme de clin d’oeil (La vie est un roman), ou encore Marc Lévy, au titre plus énigmatique (C’est arrivé la nuit).
    Ainsi font font font les livres au temps du coronavirus.
    Je comprends les éditeurs. Je comprends les libraires. Mais je ne comprends pas les lecteurs. 
    La plus petite librairie regorge de classiques qui sont autant de chefs-d’oeuvre. A prix égal, et à moins d’être Américain(e)s, préférerions-nous aller dans un McDonald ou dans un restaurant trois étoiles? 
    Le consommateur ou la consommatrice, en matière de livres, préfère le McDonald. Et pourtant, il (elle) n’est pas Américain(e)!

    Pas encore!

  • Lucie fair ou Lucie fer?

    Par Pierre Béguin 

    Lucie d'enfer.jpgMême si Les Fleurs du Mal en sont une référence récurrente, c’est à d’autres fleurs, en l’occurrence Les Fleurs bleues, que m’a fait songer tout d’abord le dernier roman de Jean-Michel Olivier: comme celui de Raymond Queneau, Lucie d’enfer (c’est son titre) est pavé de références littéraires. Il se construit sur elles, il se développe par elles, il s’éclaire grâce à elles. A tel point que le lecteur – du moins ce fut mon expérience – croit en débusquer là même où l’auteur, peut-être, n’avait pas l’intention d’en mettre.

    Voilà pour les références implicites. Mais il y a les références explicites. Et là, c’est avant tout aux femmes de Nerval que l’auteur genevois nous renvoie, à Aurelia, à Sylvie et aux Filles du feu qui, à l’image d’une fameuse scène de Sylvie, font une véritable ronde tout au long du livre.

    Jean-Michel Olivier va-t-il nous rejouer la partition du narrateur romantique obsédé par l’image évanescente, inaccessible, chimérique de la femme mystérieuse, multiple, comme Nerval fut obsédé par le souvenir de l’actrice Jenny Colon? Qu’on se rassure, ce n’est pas le style de la maison, et c’est très bien ainsi.

    Certes, tout comme l’Adrienne de Nerval, celle d’Olivier, d’une certaine manière, entre aussi en religion. Mais ce ne sont ni le même Dieu ni les mêmes prières. En voici le portrait, assez truculent: «Depuis six mois, je vivais avec Adrienne, la directrice d’un journal féminin, très belle, très névrosée (j’aime la juxtaposition des deux adjectifs qui dit tout en deux mots: c’est aussi cela le travail d’écrivain). Pas un jour sans une nouvelle indignation, une bonne cause à défendre, une invitation à manifester. Elle se rechargeait en s’opposant. Une vraie pile colérique.» Son credo? Changer les hommes! Un travail de longue haleine: «des manifestations, des attaques répétées contre la virilité, les privilèges masculins, l’inégalité entre les genres. Aux yeux d’Adrienne, d’un bleu profond et mystérieux, il suffirait que les hommes soient des femmes, qu’ils abandonnent cette culture du phallus qui leur pèse et ne mène nulle part. Faisons la grève des utérus! lança-t-elle un jour, farouche et enjouée. Célébrons l’abstinence, la sororité, le fétichisme, la sodomie, la zoophilie et l’avortement! Ne laissons pas pénétrer dans nos vagins une seule goutte nationale catholique...»

    Le discours semble réaliste. Cependant, on le comprend, on évolue en pleine parodie. Et avec les autres femmes du narrateur itou. Ainsi d’Aurélie qui, comme l’Aurelia de Nerval, est une actrice de renom, mais qui préfère aux rôles d’oie blanche les rôles de salopes et de tueuses sans coeur. Quant au sexe, «l’égalité au lit ne la faisait pas bander. Elle préférait le fouet et les menottes. Dans l’amour, elle aimait prendre les rennes, puis les lâcher, puis les reprendre...»

    Ainsi également de Sylvie, «une étudiante en lettres qui travaillait à une thèse sur Michel Leiris intitulée La Littérature et le Mâle. Elle voulait déconstruire tous les stéréotype de la domination masculine, déjà bien mis à mal par Leiris et Bataille, et montrer que la femme – tantôt victime, tantôt martyre ou tantôt actrice d’un jeu de dupes – incarnait désormais l’unique espoir de rédemption pour une humanité à la dérive. C’était une féministe qui détestait les femmes. Elle était d’une jalousie féroce, territoriale comme un pitbull». Même si, comme chez Nerval, Sylvie et Adrienne sont en concurrence, on est bien loin de la jeune dentellière du village et de la châtelaine religieuse des Filles du feu. On évolue à rebrousse-poil, dans le politiquement incorrect. C’est jouissif, et c’est bien là que doit se positionner un écrivain digne de ce nom.

    Mais la figure dominante, obsédante, est celle de Lucie, une jeune fille rencontrée durant les années de collège, aux allures de Françoise Hardy ou de Joan Baez, et aux «yeux couleur pervenche brillants et clairs comme s’ils sortaient d’un bain de larmes». «Pendant longtemps, précise le narrateur, j’ai murmuré son prénom à mi-voix, comme une obscénité joyeuse. J’aimais cette vibration dans mes mâchoires, ces deux syllabes lumineuses et liquides entre mes dents serrées: Lu-cie.»

    Il n’est pas le seul. Tous les collégiens tournent autour «comme des guêpes». Les professeurs eux mêmes ne sont pas insensibles. Mais Lucie est farouche, libre, inaccessible. S’il en est fou amoureux, le narrateur, un nommé Simon, une sorte de double littéraire de l’auteur déjà aperçu dans Passion noire, devra se contenter, dans des scènes assez cocasses, d’ersatz dérisoires de sexe ou, au mieux, de coitus interruptus. Sauf que, selon un schéma également développé dans Passion noire, d’égérie, Lucie va peu à peu se transformer en diablotin(e) pour construire l’enfer de notre pauvre narrateur. Pour Jean-Michel Olivier, décidément, dans les relations amoureuses hommes-femmes, les victimes ne sont pas celles que le féminisme décrit, ni les bourreaux ceux que le féminisme décrie.

    Le roman se construit sur quatre chapitres, chacun correspondant à une rencontre – fortuite ou non – entre Lucie et le narrateur, à une époque – l’odyssée de Lucie se déroulant sur environ 25 ans – et à un lieu – de Genève à Montréal en passant par l’Ecosse, jusqu’à la scène finale, dans le Jura, au nom évocateur, Les Enfers.

    A chaque chapitre, à chaque époque, à chaque rencontre, on assiste, selon le schéma de la parodie, à une dégradation de la relation, et à un renversement des rôles. De soupirant éperdu, Simon devient poursuivi effrayé. Mais dans toutes les situations, c’est toujours Lucie qui mène le bal, qui impose sa volonté contre celle de Simon, comme Marie l’imposait déjà dans Passion noire. C’est là la faiblesse de l’homme.

    Et cela, même si Lucie, à chaque chapitre, perd un peu de son pouvoir d’attraction. A Montréal déjà, «Lucie a pris un peu de poids. Sa taille n’est plus aussi fine. Et ses seins sont plus lourds». Mais pour Simon, toujours amoureux, elle reste aussi désirable qu’elle l’était à l’adolescence. En Ecosse, c’est pire: «Lucie avait beaucoup changé. Ses cheveux sombres, coupés courts, étaient semés de filaments d’argents. Son visage s’était creusé; son corps très amaigri». Là, c’est elle qui se jette sur Simon qui, lui, en éprouverait plutôt de la répulsion. Aux Enfers, le changement est encore plus frappant: «Comme Lucie a changé! Ce n’est plus la madone du collège qui se donnait des airs de Françoise Hardy avec ses cheveux longs et sombres, ni celle que j’ai revue à Montréal en 2012, ni celle enfin de l’île de Skye...» Bref, Simon, c’est Frédéric Moreau revoyant Madame Arnoux dans l’épilogue de L’Education sentimentale.

    Quant au sexe, à chaque rencontre, ce sera un échec. A l’adolescence, Lucie s’étant fait mordre par une vipère, Simon doit se contenter de sucer, embrasser, lécher la plaie ouverte avec, pour seule sensation, pour unique extase, le goût du sang métallique et du venin qui se mélangent.

    A Montréal, enfin, il touche au but, si l’on peut dire: «Je guide sa main droite vers mon sexe. Elle se laisse faire docilement et sa respiration s’accélère. Je vais entrer en elle très lentement, très doucement, quand quelqu’un se glisse dans le lit. C’est Léo, son fils, qui n’arrive pas à dormir...» Et Simon, à nouveau frustré, devra se satisfaire toute la nuit du râle de contentement de l’enfant suçant le sein de sa mère. Encore raté!

    En Ecosse, c’est pire, même si, cette fois, c’est Lucie qui prend les devants: «Elle me plaqua contre le mur, colla ses lèvres contre les miennes si brutalement qu’elle me fit mal. Elle glissa son genou entre mes jambes, mais je ne bandais pas». Se faisant plus entreprenante, Lucie amorce une fellation. Simon sent enfin son désir reprendre force: «Soudain, un bruit se fit entendre. Une silhouette se dessinait, là-bas, sur les vitres sales du hangar. Dans la lumière brumeuse, un homme tenait quelque chose à la main – une fourche?» Un beau symbole phallique – ou diabolique – pour une nouvelle interruption… et un nouvel échec.

    Aux Enfers, Jean-Michel Olivier pousse l’ironie encore plus loin: dans une scène de balade à cheval qui n’est pas sans rappeler celle où Rodolphe Boulanger va enfin posséder Emma Bovary, Lucie emmène Simon dans une forêt. Mais, contrairement à Rodolphe qui atteint parfaitement son but, contrairement à Emma qui rêvasse encore toute émerveillée au bord de l’étang, pour Simon et pour Lucie, ce sera encore un échec: «Lucie se rhabilla. La magie s’était dissipée. Nous remontâmes en selle». C’est là toute l’ironie: avec Lucie, Simon n’aura connu que l’enfer sans jamais avoir goûté au paradis.

    La dernière scène est une parfaite métaphore de cette relation: sous l’injonction de Lucie, Simon creuse une fosse, soit disant pour y déterrer des nids de guêpes. Il n’y trouve d’abord qu’un vieil exemplaire des Fleurs du Mal ouvert sur un poème évocateur, les Bijoux:

    «La très chère était nue, et, connaissant mon coeur,

    Elle n’avait gardé que ses bijoux sonores,

    Dont le riche attirail lui donnait l’air vainqueur,

    Qu’ont dans leurs jours heureux les esclaves des Maures...»

    Creuse encore! lui ordonne Lucie.

    Finalement, Simon tombe sur un morceau de crâne humain. Le cadavre du dernier mari de Lucie ou, comme Hamlet, la vision de son double?

    Moi, c’est à Mallarmé que j’ai songé:

    «… et plus las sept fois du pacte dur

    De creuser par veillée une fosse nouvelle

    Dans le terrain avare et froid de ma cervelle

    Fossoyeur sans pitié pour la stérilité...»

    La quête de la femme idéale, la soumission à la muse, dût-elle se conclure par l’obéissance à la Gorgone, ne débouche que sur du vide, sur un terrain stérile, dans une fosse où l’on ne peut que contempler sa propre mort.

    De toute évidence, Jean-Michel Olivier s’est beaucoup amusé à écrire ce roman parodique qu’il définit comme un «conte noir», à la manière des Contes cruels de Villiers de l’Isle Adam. Un amusement qu’il sait faire partager. Un mot peut à lui seul résumer notre sentiment à cette lecture: jouissif!

    A ne manquer sous aucun prétexte!

     

     

     

     

     

     

  • CEVA, cherchez l'erreur! III

    Par Pierre Béguin

    Avant de conclure brièvement notre saga genevoise, une anecdote qui ne concerne pas directement le CEVA, mais qui vaut tout de même la peine d’être narrée.
    Au Bachet, il y a un bureau de réception des TPG. J’en profite pour aller renouveler l’abonnement annuel de mes filles:
    - On ne fait plus ça ici, me répond l’employé avec son uniforme frappé des lettres TPG sur la poitrine, pour le renouvellement des abonnements vous devez aller soit à Pont-Rouge, soit à Cornavin, soit à Rive.
    Zut! Pont-Rouge, j’en reviens justement. Et pour diverses raisons, je ne peux pas procéder à ce renouvellement sur internet. Mais il ne sera pas dit que je sois venu ici pour rien. Moi qui prends pourtant souvent le tram, je n’étais pas parvenu, la veille, sur le distributeur de tickets (vous savez, celui qui, depuis peu, rend enfin la monnaie), à me procurer le ticket valable une heure. Avais-je commis une erreur? Avait-on changé quelque chose sur ces distributeurs? Je hasarde la question:
    - Je n’en sais rien, me répond l’employé avec son uniforme frappé des lettres TPG sur la poitrine, je ne m’occupe pas du commercial.
    - Mais vous ne prenez jamais le tram? M’enquiers-je tout de go.
    - Non, jamais! Me répond impassible l’employé avec son uniforme frappé des lettres TPG sur la poitrine.
    J’avais oublié cette absurdité bien de chez nous! Les seules personnes qui disposent d’un parking à voitures au Bachet, ce sont les employés des TPG. Et ils ne s’en privent pas. Pour les usagers de la gare – peu nombreux il est vrai – comme pour ceux du réseau bus-tram, pas une place! Cherchez l’erreur! On vit décidément une époque formidable!
    Pour autant, je reste avec une double question lancinante qui, encore une fois, n’aura pas de réponse:
    - Mais à quoi peut donc bien servir une gare CFF si coûteuse, si immense et si vide, sans rien à l’intérieur et sans une seule place de parking à l’extérieur?
    - Mais à quoi peut donc bien servir l’office des TPG au Bachet?
    Et ce long silence des espaces transports publics m’effraie...
    Ce n’est pas fini.
    Retour donc à Pont-Rouge. Je cherche l’office des TPG. Introuvable. Je demande aux quelques rares passagers, aux commerçants alentour, aux passants… Je pense au capitaine Haddock au Pérou: No sé, no sé, no sé… (les tintinophiles comprendront). Au bout d’une vingtaine de minutes, miracle! Je tombe par hasard sur l’entrée de l’office, cachée dans une petite rue où personne ne passe:
    - Mais pourquoi ne mettez-vous pas une enseigne bien visible sur la grande artère où circulent les trams? demandai-je courroucé par tant de temps perdu.
    Réponse de l’employé avec son uniforme frappé des lettres TPG sur la poitrine:
    - Nous occupons des locaux des CFF et les CFF nous interdisent de placer une telle enseigne côté route du Grand-Lancy.
    Ne cherchez plus l’erreur: parmi ceux qui parviendraient encore à rater l’examen pour devenir cons figurent en première ligne les CFF. Seront-ils talonné par les TPG? Encore un suspense insoutenable.
    Conclusions:
    1. Qu’il fait bon vivre dans cette ville!
    2. Alors que le CEVA relie Annemasse et Cornavin, à la douane de Bardonnex, l’autoroute de contournement est toujours aussi congestionnée – voire plus selon l’avis des habitants concernés – comme toutes les artères entre Perly et Plan-les-Ouates. Ou ailleurs, d’ailleurs.
    Sur ce point, oui, cherchez l’erreur!

                                            Much Ado About Nothing

     

  • CEVA, cherchez l'erreur! II

    Par Pierre Béguin

    7 h 50, gare du Bachet.
    Une remarque liminaire tout d’abord: personnellement, j’apprécie le CEVA, c’est un moyen de transport très pratique pour me rendre à Cornavin. Sauf que je me rends à Cornavin cinq à six fois par année et que, dans l’autre sens, direction Annemasse, je dois avouer humblement que je n’ai guère de raisons de m’y rendre. Mais foin d’égoïsme! De nombreux Genevois et frontaliers doivent se réjouir quotidiennement de l’existence du CEVA. Du moins si j’en crois cette affirmation toute fraîche de M. Christian Dupessey (nouvellement élu à la tête du Genevois français) qui se félicite du succès du CEVA dont la fréquentation, précise le nouvellement élu, malgré les circonstances extrêmement difficiles, atteint le 70 % du taux d’occupation. Bigre! C’est un plébiscite!
    7 h 50, gare du Bachet donc.
    CEVA11.jpgLa première chose qui frappe, c’est que les déprédations ont suivi de peu l’inauguration. Cela promet! Quant à la gare – ces fameuses gares Jean Nouvel qu’on nous avait annoncées magnifiques, quoique très chères – ce n’est qu’une énorme boîte semi-ouverte absolument et désespérément vide: ni guichets, ni magasins, ni même toilettes (elles sont à l’extérieur près du garage à vélo, et payantes) et, bien entendu, pas âme qui vive! CEVA12.jpgMais pourquoi donc une telle construction, une telle dépense, pour recouvrir un immense espace vide… aussi lugubre? Encore une question – et avec le CEVA elles sont nombreuses – qui restera sans réponse. En revanche, pas besoin d’être Jérémie pour deviner l’odeur d’urine qui pourrait imprégner la gare Jean Nouvel du Bachet lorsque le stade de la Praille y déversera des milliers de supporters imbibés de bière. Encore que… Le stade étant aussi immensément vide que la gare, ce scénario, en l’état, paraît très improbable (serait-ce une spécialité genevoise de construire des choses grandioses en pensant que, justement parce qu’elles sont grandioses, elles vont immanquablement se remplir?).
    CEVA16.jpg7 h 55, quai 2. Le train est prévu à 8 h 04. Trois personnes attendent dans un silence de mort. A 8 h 02, annonce aux haut-parleurs: «Arrivée du train pour Coppet, quatre voitures sont fermées, prière d’attendre aux secteurs A,B,C!» Quatre voitures fermées, ça commence bien! Aucune importance, cependant: dans cette partie du wagon – comme ailleurs d’ailleurs – seuls huit sièges sur seize au total sont occupés. CEVA15.jpg
    8 h 06, gare de Pont-Rouge.
    Les Acacias, les banques, la zone artisanale, la foule! Que nenni non point! J’ai le temps de compter une vingtaine de personnes qui descendent du train, tranquillement, toujours dans un silence de mort. Il faut dire que cette gare n’a rien à envier à celle du Bachet. Reste à espérer que les gares du CEVA, à l’opposé de la Nature de Pascal, n’aient pas horreur du vide.
    8 h 08, quai 1. Ma rame de retour me file sous le nez. Je dois attendre la prochaine prévue à 8 h 23. Le quai 1 comme le CEVA14.jpgquai 2 sont absolument déserts. Le soleil vient mettre un peu de baume dans cette désolation, mais je ne peux m’empêcher d’imaginer ce même décor un matin de novembre, dans le froid et l’obscurité humide… Avant de réaliser que, de toute façon, il n’y aura pas grand monde pour vivre ce cauchemar. C’est déjà ça!
    8 h 20, annonce aux haut-parleurs; «Arrivée du train pour Annemasse. Quatre voitures sont fermées, prière d’attendre aux secteurs C,D,E». Pour Annemasse? Ah bon! Et moi qui croyais encore stupidement que le CEVA constituait au moins ce fameux maillon manquant pour relier le réseau nord-sud! Si c’est pour aller à Annemasse, le tram 12 existait déjà… Avant de me souvenir qu’une amie m’avait signalé que beaucoup de rames, dans l’autre sens, s’arrêtaient à Cornavin. Là aussi il y avait le tram! Deux milliards d’investissement pour relier Cornavin à Annemasse! Je suggère ce slogan aux CFF: «Avec le Léman Express, tu t’attends au pire, t’es encore surpris!»
    8 h 23, treize personnes (tout de même!) montent dans le train. De Pont-Rouge à Bachet, le compartiment est au trois quart vide.CEVA13.jpg
    Pour plus d’objectivité, j’ai voulu refaire la même vérification par temps couvert et une demi heure plus tôt. Soyons honnête, il y a semble-t-il deux fois plus de passagers à 7 h 30 qu’à 8 h. (une trentaine est descendue au Bachet et une vingtaine attendait le train). Les sièges étaient aux deux tiers occupés, ce qui, aux heures de pointe, reste tout de même une faible occupation – rien à voir avec le tram 12, par exemple. Répétition à l’identique à 10 h: seuls deux sièges, dans tout le wagon, sont occupés!
    Le CEVA atteint 70 % du taux d’occupation, prétend le nouvellement élu à la tête du Genevois français. Mais à quel seuil de sous occupation ont-ils fixé le 100 %?
    Je vous laisse à cette question et vous donne rendez-vous jeudi matin pour la conclusion de cette saga aussi passionnante que typiquement genevoise.

  • CEVA, cherchez l'erreur! I

    Par Pierre Béguin

    Avec tous ces délires idéologiques et sanitaires qui nous tombent dessus à répétition, on en viendrait presque à oublier le CEVA (Le Léman Express, rien à faire, je ne m’y fais pas! Ce doit être le mot «Express»).
    Heureusement, il y a Béguin!
    Moi qui avais consacré à cette «chose» de multiples billets sur Blogres depuis l’annonce de sa réalisation jusqu’à son acceptation par le peuple à la suite d’une votation que nos autorités voulaient absolument éviter et qu’elles ont tout fait ensuite pour fausser, je m’étais promis d’y revenir une fois sa mise en service effective. Dam! Quand on tient un tel os, on ne le lâche pas facilement…
    Pour mémoire – beaucoup de citoyens, hélas, l’ont très courte (la mémoire, donc!) – le CEVA, c’était ce truc qu’on nous a vendu d’abord à 900 millions, puis à 1,4 milliard (promis juré, aucun dépassement, parole de Robert Cramer) et qui aura coûté finalement près de 2 milliards, mais dont la mise en service devait mettre Genève sur les rails du XXIe siècle en résolvant une bonne partie de ses problèmes de mobilité, voire, pourquoi pas – soyons fous ! – l’ensemble de ses problèmes. Jugulés, les embouteillages à la frontière en début et fin de journée! Terminés, les routes et les villages saturés! Finis, les problèmes de congestion sur l’autoroute de contournement! Car le CEVA, c’est comme le cheval d’Attila: sur les rails où son train passe, tous les embouteillages trépassent. Vous verrez, nous promettait-on la bouche en coeur, il y aura un avant et un après CEVA (aussi sûrement qu’il y aura, dans nos comportements, un avant et un après COVID). Bref, comme le dit si bien le Chat: «Si un jour on instaurait un examen pour devenir con, je parie qu’il y en a encore qui arriveraient à le rater».
    Or donc, dans la perspective d’en remettre une bonne couche, au retour d’un de mes nombreux tours à vélo, je me postai l’automne dernier, vers 17 heures, à la sortie de Perly, sur le pont qui enjambe l’autoroute avant la douane de Bardonnex, afin de photographier cet interminable embouteillage que la mise en service imminente du CEVA allait reléguer au rang de ces catastrophes d’un temps révolu qu’on regarde désormais avec condescendance. Avec le projet, bien entendu, d’y retourner une année plus tard, même lieu, même heure, «même pomme», même photo. C'est maintenant chose faite.
    Cherchez l’erreur !
    CEVA1819.jpg

     

     

     

     

     

     

    On nous aurait menti ? On nous avait pourtant promis! Jusque dans les commentaires qui s’opposaient vertement à mes critiques blogresques sur le CEVA.
    Tenez, par exemple, Philippe Souaille, journaliste de son état: «Le CEVA va réduire les embouteillages à Bardonnex parce que si les transports publics efficaces sont organisés pour irriguer le CEVA, avec des parkings et des mesures de dissuasion, cela va marcher. Le flot s’agglutine à Bardonnex et dans les communes avoisinantes parce que c’est là que c’est le plus pratique actuellement. Mais il n’y a aucune fatalité. Et un tram vers Saint-Julien poursuivant vers les parkings d’échanges à la sortie de l’autoroute est aussi nécessaire...».
    Cher Philippe Souaille, j’ignore votre âge, mais je prends le pari que ce tram, vous ne le verrez pas de votre vivant, ni moi non plus d’ailleurs. Quant aux parkings… vous connaissez l’Arlésienne?
    Ou encore un certain Juan, qui, tout en cachant son nom, se prétendait haut et fort urbaniste: «Un habitant de Haute-Savoie travaillant à Genève pourra avec le CEVA laisser sa voiture à Machilly ou à La Roche avant de prendre le RER, Pourquoi le RER serait-il vide? A Zürich, il est plein depuis sa création». Tiens, c’est vrai, Juan, expert en urbanisme, pourquoi le CEVA serait-il vide? Faudra que j’aille vérifier – J’y suis donc aller, vérifier, dès 7 h 30 le matin direction gare du Bachet. Mais le compte-rendu de cette aventure, vous le lirez sur Blogres mardi matin. Chaque critique en son temps. Cela dit, je peux d’ores et déjà vous l’assurer, vous n’allez pas être déçu.
    Allez! Dans cette attente, juste pour la route, je ne résiste pas à vous resservir deux déclarations tonitruantes de nos politiques ou autres thuriféraires du CEVA, avant sa mise en service naturellement.
    A tout Seigneur, tout honneur, Robert Cramer: «Le budget de l’ordre du milliard de francs sera tenu (…) Je demande à être jugé sur pièces. Depuis que je suis au gouvernement, aucun projet n’a dépassé l’enveloppe qui lui a été allouée.» Cher Monsieur Robert Cramer, consolez-vous, il faut un début à tout!
    Gabriel Barrillier, député radical, co-président du comité Pro-CEVA: «Ce projet va générer du travail pour mille personnes et l’essentiel sera attribué à des entreprises suisses et genevoises» (ce Cassandre de l’économie a oublié la loi qui oblige à faire des appels d’offre dans toute l’Union européenne. Résultat? Plus de 90% du gros œuvre fut attribué à des groupes non genevois, dont 41,1% au consortium Vinci France qui ramasse le jack pot: le traitement des déchets du chantier devisé à 319 millions de francs, déchets qu’on a transportés par camion dans le sud de la France. Bonjour le bilan écologique!).
    Oui, bien sûr, je pourrai encore parler de toutes les vicissitudes qui ont accompagné la mise en service de notre perle genevoise des transports, du manque de conducteurs formés (on ne les avait pas prévus, dis-donc!), des différends franco-suisse sur les trains et leur entretien, des parkings qui n’existent pas, etc. et j’en passe. Autant de sujets que j’avais déjà abordés dans mes billets d’antan et sur lesquels il paraîtrait, aujourd’hui qu’ils sont avérés, mesquin de ma part de revenir. Je me contenterai de préciser que, pendant ce temps, le métro lausannois est bondé à la grande satisfaction des Vaudois, et les routes et autoroute genevoises sont toujours congestionnées.
    Rendez-vous donc mardi matin, 7 h 50, gare du Bachet. Les quais seront-ils encombrés? Les wagons bondés? Suspense! Vous le saurez en lisant la suite dans Blogres.

  • Assurance maladie: parlons chiffres!

    par Pierre Béguin

    Les chiffres sont ennuyeux, mais ils sont entêtés et, à l’exception de ceux des statistiques, difficilement manipulables sans une grande dose de mauvaise foi.
    Sous le contrôle d’un ex collègue du Collège Calvin, professeur de mathématiques émérite et néanmoins ami, je me suis livré à une série de calculs concernant les primes d’assurance maladie.
    La Lamal existe depuis 25 ans et – chiffre officiel – son augmentation moyenne annuelle est de 3.7 %. Ce qui signifie que, si l’on part d’une prime de frs X, elle s’élèvera l’année suivante à 1,037 fois X. Après 4 ans, elle coûtera donc X fois 1.037 fois 1.037 fois 1.037 fois 1.037, soit 1,1564 fois la prime de départ. Dans cette logique, après 25 ans d’existence, elle s’élève donc actuellement à environ 2.5 fois la prime de départ. Soit, par exemple, à frs 340,- pour une prime de départ de frs 136,-. Voilà pour la théorie générale. Car quiconque effectuerait ce calcul en se basant sur sa propre réalité constaterait très vite que l’augmentation en pourcentage de ses primes dépasse largement 3.7 %.
    Prenons un cas particulier que je connais bien, le mien. Je précise que je suis depuis toujours affilié à la même caisse d’assurance maladie et qu’elle est réputée être la moins coûteuse, faute d’être la plus généreuse. En 1995, soit une année avant l’introduction de la Lamal, ma prime de base s’élevait à frs 108,- par mois, une somme stable depuis 1992. A l’introduction de la Lamal, en 1996, elle a grimpé subitement à frs 136,- une augmentation de 25,9 % en une année, preuve que ce système ne partait déjà pas sur de très bonnes bases. L’augmentation fut d’ailleurs très importante les premières années (près de 10 % en moyenne sur les quatre premières années, soit jusqu’à l’an 2000). En 2005, dix ans après l’introduction de la Lamal, ma prime atteignait frs 307,- soit de 2.85 celle de 1995. Cette année-là, j’ai modifié le montant de ma franchise, ce qui de facto met fin à toute comparaison objective.
    En 2020, ma prime mensuelle de base s’élève à frs 645,90, soit 4.75 fois la prime de 1996, soit une augmentation moyenne de 6.7 %. Néanmoins, conservons les chiffres officiels: l’augmentation moyenne de 3.7 % se calculant sur 25 ans, on peut imaginer qu’elle ne va guère varier ces prochaines années, tout le monde ayant maintenant compris que lesdites augmentations de primes sont structurelles, c’est-à-dire sans véritables liens avec les coûts réels.
    Sur ces mêmes bases donc, en 2035, lorsque ma femme m'aura rejoint au statut de retraité, ma prime mensuelle atteindra les frs 1114,-. En additionnant celle de ma femme, un peu supérieure, nous devrions payer alors frs 2429,- de primes maladie par mois, soit le 71,45 % de nos revenus AVS. Pour peu que, l’âge s’avançant, on ne nous verse pas auparavant dans une catégorie à risque aux primes plus élevées. Et bien entendu, en s'appuyant sur un chiffre officiel qui ne correspond pas à ma réalité.
    Cherchez l’erreur!
    Allez! Un p’tit dernier pour la route! En prenant toujours 3.7 % d’augmentation – et je ne rappellerai jamais assez que ce chiffre reste théorique – en quelle année ma femme et moi, primes cumulées, devrons-nous verser à l’assurance maladie une somme équivalente au 100 % de nos revenus AVS? Je précise qu’il est inutile de chercher l’âge du capitaine. J’en vois dans le fond qui regimbent. Bon! Grand prince, je vous donne la réponse: en 2045!
    Ouf! Enfin une bonne nouvelle: si j’en crois mon espérance de vie, je serai mort avant! Du moins en regard des chiffres officiels. Car avec une augmentation effective de mes primes de 6.7 %, soit près du double du chiffre officiel, il y a fort à parier que je sois encore bien vivant au moment de cette échéance absurde qui verra mes revenus AVS et ceux de ma femme entièrement avalés par nos primes d’assurances maladie. Bonjour Docteur Knock!
    Ah! J’oubliais. Imposture supplémentaire: les primes d’assurance maladie, bien qu’obligatoires, ne sont pas prises en compte dans le calcul de l’indice du coût de la vie, alors qu’elles représentent sans doute LE principal facteur de renchérissement. Étonnant, non?

    Il est grand temps de conclure:
    Or donc, quand Monsieur Berset se montre sur les écrans, la bouche en coeur et le sourire satisfait aux coins des commissures, pour nous annoncer que les primes n’augmenteront que de 0,5 % en moyenne nationale, il se fout simplement de la gueule de millions de personnes! En a-t-il seulement conscience?
    Au vu des événements actuels, et des 11 milliards estimés de fonds de réserve, toujours aussi opaques tant par leur montant que par leur prétendue utilité, le seul bon sens, pour ne pas dire le tact élémentaire, eût commandé qu’on imposât un moratoire sur les primes d’assurances avant d’évaluer le réel impact du Covid. Mais au Palais fédéral, il semble qu’on soit encore au bois dormant. La transition climatique, oui, il y a urgence, paraît-il! Mais le système Lamal qui branle de partout au sus et aux dépens de toute une population, mais à la plus grande satisfaction des assurances, non, aucune urgence! Circulez!
    Faute d’être une décision politique, le blocus des primes ne peut être qu’une décision de la rue, à l’image du mouvement Yo no pago en Espagne. Peu probable en Suisse, me direz-vous.
    On peut toujours rêver! Même avec les poches vides et un masque sur le visage, ce n’est pas encore interdit.

  • Prime d'assurance maladie: inacceptable!

    Par Pierre Béguin

    Ainsi donc les primes d’assurance maladie obligatoire vont augmenter de 0,5 % l’année prochaine, annonce fièrement le DFI. Et son ministre, l’inénarrable Alain Berset, de se féliciter – en d’autres termes de s’autocongratuler – de hausses à son image, c’est-à-dire «très modérées», soulignant comme il se doit le fait que «les efforts de maîtrise des coûts menés ces dernières années semblent porter leurs fruits» (au pluriel, svp!).
    AH BON !
    Dans la foulée, la FMH (Fédération des médecins) en remet une couche, s’estimant elle aussi très satisfaite de la hausse des primes correspondant «à une faible croissance des coûts». Bref, si toutes les parties concernées sont contentes, le citoyen devrait l’être, non?
    NON!
    Car cette fois, plus personne ne pourra en douter: on se fout royalement de notre gueule!
    Rappelons donc ce que tout le monde sait: jamais les hôpitaux et les cabinets médicaux n’auront fonctionné si loin de leur capacité maximale qu’au temps du confinement, entre mars et avril. Quand ils ne furent pas simplement fermés, les cabinets médicaux fonctionnèrent entre 10 et 30 % de leur capacité, les cliniques, et même les hôpitaux, à guère plus de 50 %. Et ne parlons même pas de tous les autres acteurs de la santé, réduits à l’inactivité complète. Par la suite, et jusqu’au début juillet au moins, les patients encore frileux n’ont guère repris le chemin menant à leur médecin, la fréquentation stagnant autour de 50 % d’une fréquentation normale. Tous les médecins dans mon entourage – et cela en fait tout de même un certain nombre – se lamentaient de leur perte financière (même si beaucoup s’estimaient tout de même privilégiés).
    Alors expliquez-moi ce paradoxe étrange: comment une telle baisse de fréquentation des patients et une telle perte de revenus pour le corps médical, donc logiquement de telles économies effectuées par les compagnies d’assurance, peuvent-elles se traduire en finalité par une augmentation des coûts? Désolé de vous contredire, Monsieur Berset, mais tout cela sent son escroquerie à plein nez. Ou alors j’ai raté un épisode, mais dans ce cas, au lieu de vous autocongratuler pour faire passer une pilule de plus en plus amère, il s’agirait de nous expliquer.
    Et que dire de ces fameux fonds de réserve aussi obscurs qu’énormes que les assurances amassent chaque année pour faire face – dit-on – à des circonstances exceptionnelles. Si l’on pouvait jusqu’en 2020 justifier de leur nécessité par l’avènement de temps difficiles, comme ceux que nous traversons, l’expérience nous montre maintenant à l’évidence l’inutilité, pour le citoyen bien entendu, de ces milliards de fonds de réserve face au problème même par lequel on justifie leur existence. Les fonds de réserve? Non, mesdames messieurs, pas touche et silence radio!
    Cette fois, le doute n’est plus permis: notre système de santé est nu, comme celles et ceux qui essaient de le défendre et/ou qui en profitent allègrement, et l’escroquerie – ou appelez cela comme vous voulez – évidente.
    Reste à connaître la réaction des politiques, des différents partis, face à ce que nous devons considérer comme tout à fait inacceptable. Si rien ne se passe au niveau politique, nous serons amener à nous questionner sérieusement sur le rôle joué par nos élus dans ce qui menace de plus en plus de tourner un jour au scandale national.
    Et si d’aventure nous avons droit à une troisième votation sur le sujet, il faut espérer que les citoyens se souviendront de 2020, de cette inacceptable – et Xème – augmentation «modérée», qui aurait dû cette année se transformer en une baisse significative, et qu’ils feront cette fois voler en éclats dans les urnes un système qui, à petites doses annuelles, enrichit les uns en rendant exsangues les autres.

  • Cannibale lecteur : c'est ce soir à 18h30 !

    Pascal Vandenberghe, directeur de Payot, à la Compagnie des Mots

    Par Vincent Aubert

    Pourquoi parle-t-on si peu des bienfaits du confinement? A longueur d’infos, les millions défilent pour enrayer une crise économique. Ciel! Horreur! Nous ne consommons plus assez, les entreprises manquent de biens à nous fourguer! Bien entendu, à un certain niveau, l’inquiétude est réelle, je ne suis pas complètement hors circuit! Mais qu’en est-il des bienfaits? Motus! Pourquoi?

    Ces bienfaits existent, mais ils n’entrent pas dans le calcul des prêts, des pertes et des profits. Et je vais prendre pour exemple ici un bienfait qui me concerne au plus haut point: la lecture. Cannibale lecteur à mes heures, mes délicieuses heures de confinement m’ont permis d’araser la montagnes de livres bordant mon lit, montagne d’ordinaire incompressible malgré des efforts incessants. Les livres qu’il fallait lire, ceux qui m’ont procuré plaisir et imagination, et ceux également qui n’ont pas passé le cap de la trentième page!

    Et durant cette période bénie, j’ai pu également acheter tous les livres désirés. Car si bibliothèques, restaurants, cinémas, salles de concerts, et autres clubs de nuit m’étaient interdits d’accès, la plupart des libraires étaient restés bravement au front et fournissaient avec joie et inventivité tous les intoxiqués du livre.

    Evidemment certaines parutions sont tombées à l’eau, d’autres ont été repoussées à des temps qu’on imagine plus réjouissants; mais, si parmi les milliers de livres lancés sur le marché, certains ne trouvent pas de gondoles, j’avoue que j’ai malgré tout de quoi satisfaire égoïstement ma soif de lecture.

    J’ai utilisé le terme de « cannibale lecteur ». En fait c’est justement le titre d’un livre, qui donne, dans une approche joyeuse, des notes de lectures vivifiantes, actuelles, voire mordantes. L’auteur, au niveau du look, n’aurait pas dépareillé dans un film de Visconti. Sa plume est le résultat d’innombrables heures de lecture d’auteurs dont on a un peu rapidement oublié l’existence et la pertinence. Quant à ses capacités professionnelles, elles tiennent d’un capitaine qui ne laisserait pas couler le Titanic et du financier qui dompte les crises. Il s’agit de Pascal Vandenberghe, directeur de Payot Librairie.

    La Compagnie des Mots, pour rompre la monotonie ambiante et rebondir avec ses soirées « rencontres avec un auteur », invite, avec culot, Pascal Vandenberghe chez lui, dans la cafétéria de Payot Rive Gauche à Genève. De sources sûres, il sera beaucoup question du livre dans tous ces états.

    Pascal Vandenberghe par Pierre-Michel Delessert.jpeg

    Entré libre dans la mesure des places disponibles, jeudi 17 septembre à 18h30, Payot Rive Gauche.

  • Peur et culpabilité

    Par Pierre Béguin

    Il n’est pas, depuis quelques décennies, une seule idéologie qui ne se soit efforcée de s’imposer dans la conscience collective autrement que par la peur et la culpabilité. Non pas que cet état de fait soit nouveau en soi – ce sont de vieilles stratégies –, mais il l’est par son uniformité: peur et culpabilité sont devenues les deux uniques mamelles incontournables où vient se nourrir tout mouvement «idéologique» désireux de marquer de son empreinte le monde moderne, et d’influencer selon ses intérêts (le pouvoir et l’argent, bien entendu) la politique actuelle par la manipulation des masses.

    Cette stratégie, il faut bien en convenir, est diablement efficace. L’émotion, lorsqu’elle est remuée par l’aiguillon de la peur et de la culpabilité, balaie toute forme de raisonnement, d’argumentation, de bon sens. Mieux: toute argumentation visant à s’opposer aux vents fous des délires du temps devient une preuve même de culpabilité. Pourquoi argumenter si ce n’est pour se défendre? Et pourquoi se défendre si ce n’est par conscience exacerbée de sa culpabilité?

    Ainsi, la théorie des privilèges a d’ores et déjà désigné tout un pan de la population comme coupable par essence. Non pas, donc, par ce qu’elle a fait, mais simplement par ce qu’elle est. Tout le monde a compris maintenant que, au sommet de la pyramide du Mal, trône le mâle blanc hétéro de plus de cinquante ans, incarnation du capitalisme décadent et, donc, ontologiquement coupable, et que toute forme d’argumentation sortant de sa bouche sera immédiatement qualifiée de «nauséabonde», selon le terme en vigueur dans le politiquement correct. En clair, que cet ignoble mâle essaie de se défendre ou de faire entendre son point de vue, on vous dira que ce vieux «macho facho conservateur» pue de la gueule. Et on ne discute pas avec quelqu’un qui pue de la gueule. D’autant plus que la référence aux «sales odeurs buccales» sous-entend métaphoriquement une sorte de lien occulte avec de vieilles théories fascistes qu’on croyait définitivement enterrées.

    Plus récemment, les stratégies de la peur et de la culpabilité ont ajouté d’autres termes pour disqualifier leurs opposants. Puisque ces derniers ont le tort de douter, et parfois même d’argumenter, on repérera très vite dans leurs discours des signes évidents de complotisme typiques du dissident d’extrême droite, apocope de fasciste. On ne vous dira jamais vraiment pourquoi tel argument est caractéristique du discours «dissident complotiste d’extrême droite», ni même ce qu’est exactement ce complot, mais on vous laissera entendre que de nombreuses analyses scientifiques l’ont prouvé par A plus B.

    Un exemple édifiant de ce mécanisme est illustré par la venue de Robert Kennedy Jr. à la grande manifestation contre les politiques sanitaires autoritaires dans les rues de Berlin, le 29 août dernier. S’adressant à la foule, le neveu de l’un et le fils de l’autre, tous deux assassinés, convoque dans son discours Hermann Göring, citant des paroles que le nazi aurait prononcées, lors du procès de Nuremberg, en réponse à ses juges qui lui demandaient comment les Allemands avaient accepté cette horreur: «C’est une chose facile, ça n’a rien à voir avec le nazisme, cela a à voir avec la nature humaine. Vous pouvez le faire dans un régime nazi, dans un régime socialiste, dans une monarchie ou une démocratie: la seule chose dont un gouvernement a besoin pour transformer les gens en esclaves, c’est la peur». Et les détracteurs de s’en donner à coeur joie: on n’aurait retrouvé aucune trace de ces paroles lors du procès de Göring, preuve que Kennedy fils et neveu est un imposteur. Et d’ailleurs, c’est bien connu, il est un coutumier du fait! On admet certes du bout des lèvres que le dirigeant nazi aurait bien dit quelque chose d’analogue, mais à un journaliste dans sa prison, ce qui bien sûr change tout! Et d’ajouter dans la foulée que ce genre de déformation – pour ne pas dire de désinformation – est typique de la stratégie complotiste, que c’est même à cela qu’on les reconnaît, les complotistes! Voilà donc Robert kennedy Jr. disqualifié en rejoignant la cohorte ridicule des complotistes à l’imagination infantile! Voilà surtout une citation sur laquelle on aura évité de réfléchir… Peu nous chaut – comme disait André Gide (traduction: on s’en fout royalement) – que cette référence soit en partie inexacte, ou sortie de son contexte, ou même – pourquoi pas – inventée: ce qui compte, c’est sa pertinence. Mais en disqualifiant l’émetteur, on a disqualifié le message.

    Oui: qui a envie d’être taxé de dissident adepte des théories du complot, lié à l’extrême droite et nourri de propagande fasciste? Pas moi, en tout cas. Même si, en écrivant ces quelques lignes, je cours le risque qu’on m’affuble de ces qualificatifs. Et bien que je m’en estime à des centaines de lieues, tenter de le prouver en argumentant ne fera guère qu’asseoir ma culpabilité. Il ne me reste plus qu’à m’agenouiller, prêter le flanc au fouet, prier et implorer le pardon pour des fautes que je n’ai pas commises mais qu’on m’impute pour ce que je suis, un homme blanc hétéro de plus de cinquante ans qui essaie de garder raison et bon sens dans le délire ambiant, qui ne se soumet pas aveuglément à la doxa, aux théories ou décisions souvent absurdes – reconnaissons-le – qu’on veut imposer à l’ordre public. Non! Je ne suis ni complotiste, ni dissident, ni d’extrême droite, seulement un citoyen qui exerce son droit – voire son devoir – de réflexion dans les limites des libertés que lui accordent les règles démocratiques, pour peu qu’elles existent encore. Alors, dites-moi, qui est le complotiste? qui est le fasciste? Celui qui veut, par la peur et/ou la culpabilité, et bien entendu sous l’étendard de la «bonne» cause, instaurer un ordre mondial autoritaire et contraignant, ou celui qui se cramponne tant bien que mal aux quelques libertés que certaines nations n’ont pas encore totalement abolies?
    «Je veux que vous paniquiez!» (I want you to panic!), nous rabâche Greta, un slogan qui incarne la caricature même de cette peur invalidante qu’on tente de nous inoculer par tous les moyens, tout en faisant l’économie d’arguments un tant soit peu élaborés. Désolé! Moi, ce n’est pas du CO2 dont j’ai peur, mais de ceux qui ont oeuvré comme caisse de résonance, et dans leur seul intérêt, pour que cette menace parvienne aux oreilles des masses, les formatant ainsi à un comportement d’état de guerre permanent qui justifie une soumission sans réserve à l’autorité, et levant dans la foulée des hordes de prosélytes chargés de moraliser l’ordre public et culpabiliser les sceptiques. Le philosophe anglais Thomas Hobbes nous l’a enseigné il y a déjà près de 4 siècles (cf. Léviathan, 1651): au commencement était l’Effroi. Gouverner, c’est donc gouverner par la peur, grâce à la peur. On pourrait ajouter: tout comme manipuler, c’est manipuler par la culpabilité, grâce à la culpabilité...

    Voilà pourquoi l’invention la plus diabolique de ces dernières décennies, c’est sans conteste le politiquement correct auquel viennent s’alimenter maintenant toutes les «idéologies» qui vocifèrent sous l’étendard du Bien, ces nouvelles machines à criminaliser en perpétuelle croisade ou ingérence humanitaire. Pour combattre ces Tartuffe du XXIe siècle, l’argumentation, si elle est nécessaire, n’est de loin pas suffisante. Et elle cède trop souvent à la faiblesse d’entrer dans le jeu de l’adversaire alors qu’elle devrait s’en extraire. Il faut du courage et du talent dans la provocation, dans la dérision, dans l’humour, pour les ébranler. Cela laisse peu de candidats aptes à l’affrontement, hélas!

    Lorsque des comiques, des artistes, des écrivains, des journalistes oseront ouvertement le politiquement incorrect, comme on le pratiquait naturellement, sans conscience d’une transgression, dans les années 70, les politiciens suivront et l’ennemi, privé de son principal ressort, vacillera. Par les temps qui courent, cette issue – si issue il y a – paraît encore bien lointaine.

    J’ai parfois le sentiment déprimant que la partie est déjà perdue. Pour le moins, que, de mon vivant, je n’aurais pas la joie d’assister à une débâcle du politiquement correct que je souhaite cependant par tout ce qu’il reste de libre et d’intelligent en moi...

  • L'anachorète et le mondain (Emmanuel Carrère et Raphael Enthoven)

    par Jean-Michel Olivier

    images-8.jpegOn se bouscule, comme chaque année, au portillon de la rentrée littéraire. Plus de 450 titres à paraître cet automne ! Et, comme chaque année, les médias se concentrent sur une petite dizaine d'auteurs, ceux qu'ils connaissent, toujours les mêmes. À ce jeu, cette année, deux livres squattent l'attention. Ils ont en commun d'être des textes à mi-chemin entre confession et roman (le livre de Raphaël Enthoven est un faux roman et les confessions de Carrère sont de fausses confessions). Et surtout d'être des livres essentiellement égotistes — où l'ego, fantasque et démesuré, occupe toute la place…

    images-4.jpegEnthoven, tout d'abord. On aime son côté touche-à-tout, trublion, gendre idéal. C'est l'image qui circule de lui dans les médias, radio, télévision et journaux. Pourtant, cette image qui lui colle à la peau n'est pas la bonne. Il entreprend de la casser dans son premier roman, Le Temps gagné*, qui commence comme une confession (on pense à Rousseau et à Michel Leiris), mais tourne vite au règlement de comptes à Saint-Germain-des-Prés. On sort rarement d'un périmètre délimité par la rue des Saint-Pères (un nom prédestiné!), le boulevard Montparnasse et la rue Vaugirard. L'enfant Raphaël est ballotté entre son père journaliste et écrivain (qu'il voit peu) et sa mère, pianiste et journaliste à l'Obs, qui s'est remariée avec un certain Isidore, psychanalyste de son métier, beau-père honni et tortionnaire sans scrupule. 

    C'est ainsi que l'enfant-roi se venge, devenu grand, règle ses comptes œdipiens et donne de lui l'image non d'un « enfant battu », mais d'un « enfant corrigé ». Nourries de larmes et de ressentiment, ce sont les pages les plus fortes de son roman autobiographique. Enthoven a l'art du portrait incisif et cruel et il brosse dans son livre toute une galerie de personnages inoubliables. Les plus marquants sont aussi les plus féroces: on pense ici à la tribu d'Élie (BHL), sa fille (ex-épouse d'Enthoven), sa femme, son réseau d'influence. La vengeance est un plat qui se mange froid et l'auteur s'en donne à cœur joie. 

    images-3.jpegDe ce jeu de massacre, une seule femme sort indemne : une ex, encore, mais pas n'importe laquelle, Carla Bruni, avec laquelle il a fait un enfant. Celle que Justine Lévy traitait de « femme bionique » devient, sous la plume d'Enthoven, une femme idéale, romantique, créative, douée pour la vie et les relations humaines. Le livre se termine sur cette comète qui illumine, pour un temps du moins, le ciel orageux d'Enthoven. 

    images-7.jpegAvec Emmanuel Carrère, le ton est différent, même si l'ego (tourmenté) occupe  aussi le centre des débats. Son dernier livre, Yoga**, commence comme un manuel explicatif et incitatif sur le yoga (son histoire, sa pratique, ses figures de proue). C'est un sorte de reportage relatant un stage intensif de méditation dans le Morvan. Les participants s'engagent à couper tout contact avec le monde extérieur (pas de portable, pas d'internet, aucun stylo pour prendre des notes) et à méditer, dès l'aurore, près de 10 heures par jour, sur leur zafu, dans un silence de mort, comme des anachorètes. Cette partie, où Carrère reprend le projet d'écrire un petit livre « souriant et utile » sur le yoga, est longue et tortueuse, pour ne pas dire laborieuse, près de 150 pages, mais elle sert d'amorce au vrai sujet du livre qui est la dépression — et les moyens de s'en sortir.

    Carrère était parti pour une semaine d'isolement dans la campagne du Morvan. Mais comment échapper aux autres et à la société ? Impossible. En janvier 2015, les frères Kouachi assassinent à la kalachnikov toute la rédaction du journal Charlie hebdo. On alerte aussitôt Carrère, ami d'une des victimes, Bernard Maris. Et le voilà repris par l'agitation du monde.

    images-6.jpegQue se passe-t-il dans les semaines qui suivent ? On ne le sait pas. Mais Carrère plonge peu à peu dans une dépression sévère, si sévère qu'il est interné à Saint-Anne. Ces pages centrales, les plus fortes du livre, sont aussi une sorte de reportage aux confins de la folie et de la mort. Carrère est bourré d'analgésiques et subit 14 séances d'électrochocs. Comment s'en sort-il ? On ne le sait pas vraiment. De jour en jour, son état s'améliore et on le laisse sortir. C'est une résurrection.

    Pour échapper à la tentation du repli, éviter de broyer des idées noires, Carrère quitte ses amis sur une île grecque où il passe l'été pour aller donner des cours de langue sur une île voisine, où accostent chaque jour des centaines de migrants. Le livre change encore une fois de ton et de focale. On retrouve ici le narrateur de D'autres vies que la mienne***, qui porte sur les autres son regard et son souci. Son récit, ses portraits (l'américaine Frederica, les garçons à qui il enseigne les rudiments du Tai-Chi), son reportage sont saisissants de vérité et d'humanité. Il y a plusieurs manières de sortir de la dépression : la méditation, les médicaments, mais aussi l'ouverture aux autres. Dans son livre, Carrère les explore les uns après les autres, toujours en quête de cette unité, cette sérénité, cet émerveillement qui lui manquent.

    Mais les ténèbres ne sont jamais loin. En janvier 2018, l'éditeur Paul Otchakovski-Laurens (POL) meurt dans un accident de la route. C'était l'ami fidèle de Carrrère depuis trente ans, son soutien et son confident. Pour qui écrire désormais ? Et pourquoi ? Le livre, fait un peu de bric et de broc, s'achève sur cet hommage à son ami. La dépression est vaincue, mais les chiens noirs rôdent encore autour de lui. On n'est jamais à l'abri de leurs morsures — Carrère le sait mieux que personne.

    * Raphaäel Enthoven, Le Temps gagné, roman, l'Observatoire, 2020.

    ** Emmanuel Carrère, Yoga, POL, 2020.

    *** Emmanuel Carrère, D'autres vies que la mienne, Folio, 2009.