Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Blogres - Page 6

  • Colonialisme écologique

    par Pierre Béguin

    A une époque où toute une génération «woke» est prompte à manifester son indignation face à des figures historiques accusées d’être de très méchants colonialistes, je m’étonne que l’expression «colonialisme écologique», que j’ai déjà utilisée dans un précédent billet, n’ait pas encore fait son chemin. Personnellement, je ne l’ai à ce jour ni lue ni entendue nulle part. Et pourtant…

    Récemment encore, une émission – Dossier tabou – sur M6 décrivait précisément, sans la nommer, cette nouvelle forme de colonialisme. Le Ghana, pour ne prendre qu’un exemple, est devenu la première déchetterie mondiale d’articles électroniques en fin de vie. De gigantesques terrains servent de décharges à ciel ouvert où s’entassent des milliers de tonnes de déchets électroniques, vendus «officiellement» comme des produits de seconde main, dont une partie croissante est issue des énergies renouvelables, ou dites «vertes». Une partie qui, une fois brûlée, noircie, sur d’immenses terrains vagues répandant dans l’atmosphère une fumée aussi noire que toxique – ou dans la mer une eau qui ressemble à un affreux bouillon brunâtre –, n’a plus grand-chose de «verte», et dont on imagine aisément qu’elle ne fera qu’augmenter exponentiellement dans les années à venir. Dans tous les cas, l’Afrique semble destinée à devenir le dépotoir de la transition écologique, lorsque nos batteries électriques et nos panneaux solaires, devenus caducs, devront être remplacés. Voilà pour la situation en aval.

    En amont, elle ne semble guère plus réjouissante. Pour produire cette énergie «vertueusement verte», tout le monde sait qu’il faut beaucoup de minerais, en particulier des Terres rares et du Silicium. A titre d’exemple, pour extraire un kilo de Silicium, une usine a besoin de 280 kilos de produits chimiques, chlore, acide nitrique, ammoniaque, etc. Malgré son abondance, le Silicium est donc impossible à extraire "écologiquement", de même les Terres rares qu'il faut préalablement séparer et isoler du reste. Le 80 % du marché des métaux précieux est détenu par la Chine qui les produit à bas prix, dans d’effroyables conditions qui ne respectent rien, ni principes écologiques ni droits de l’homme élémentaires. Quant à la «déesse nature», elle est éventrée à coups de bulldozers pour extraire le silicium, matière première indispensable au fonctionnement des panneaux solaires, dans des carrières bondées d’ouvrières payées une dizaine d’euros pour trier les pierres selon leur «pureté» apparente; des ouvrières – et leurs familles – qui ignorent que les eaux polluées de la mine s’écoulent dans les rivières de la région, et qui doivent encore endurer les fumées toxiques rejetées dans l’atmosphère. Dans certaines villes – et pas seulement en Chine, en Afrique ou au nord du Chili par exemple – la pollution est telle qu’on n’y voit plus le soleil et que des populations traînent toutes sortes de maladies fatales à court ou moyen terme. Bien entendu, aucune analyse de l’air et de l’eau n’y est plus effectuée. Pas de chiffres officiels non plus sur les maladies respiratoires, cancers, ou symptômes liés à cette pollution. Tout cela au nom de la transition écologique et des énergies vertes prônées par l’Occident et son pitoyable – pour ne pas dire criminel – désir de pureté.

    Un Occident qui, toujours au nom du vertueusement vert, n’est lui-même guère plus respectueux avec Dame Nature. Une prolifération d’éoliennes et de panneaux photovoltaïques entraîne une industrialisation des campagnes, des montagnes, des mers. 8000 éoliennes sont actuellement implantées sur territoire français. Nos voisins en attendent 20000 pour 2028. Paris subventionne fortement la production d’électricité éolienne, ce qui permet aux promoteurs, agissant au nom de grands trusts souvent mafieux sur les bords (et même au centre), de payer des sommes mirobolantes (jusqu’à 1000 euros par mois et par éolienne) à des paysans, que Bruxelles a préalablement asphyxiés financièrement, pour implanter des éoliennes sur leurs terrains. 121 milliards seront versés d’ici 2046 aux filières des énergies intermittentes, un surcoût énorme puisé dans la facture mensuelle des citoyens dont la taxe a déjà augmenté de 650 % depuis sa création, – mais le libellé de cette ponction est aussi discret et alambiqué que le rendement des hélices.

    L’implantation d’une éolienne nécessite 1500 tonnes de béton1, pour une production qui n’atteint que 25 % de son temps et une durée de vie qui ne dépasse pas 25 ans. Sa pollution n’est pas seulement visuelle, mais aussi sonore. Qu’importe! En France, on a modifié sans autre, tout spécialement pour les éoliennes, la loi sur les limites sonores. Une éolienne peut maintenant en toute légalité émettre jusqu’à 35 dBA, même si certaines sont mesurées à 40 dBA. Pour leur implantation en mer, dans la baie de Saint-Brieuc par exemple, pourtant estampillée parc naturel, la très pure et vertueuse Ségolène Royale, alors ministre de l’environnement, n’a pas hésité à sacrifier contractuellement des dizaines d’espèces protégées, à tel point que même une ONG écologiquement aussi militante que Sea Sheperd se bat aux côtés des pêcheurs pour entraver la réalisation d’un tel projet.

    Si le 80 % des éoliennes en fin de vie sont recyclables, ses pales ne le sont pas. On ne peut ni les brûler, ni les découper, ni les broyer, et leur évacuation coûte une fortune. En France, on peut voir des pales abandonnées au pied de leurs anciens mâts. Aux États-Unis, on les enterre «vivantes» par milliers dans de gigantesques cimetières. Mais quand on ne dispose pas des vastes territoires du Wyoming, on est en droit de se demander ce qui nous attend dans 20 ans, quand sonnera l’heure de remplacer des dizaines de milliers de pales hors d’usage...

    Quant aux immenses champs de panneaux photovoltaïques, la situation n’est guère plus «verte». Pour lutter contre le CO2, on abat des centaines d’hectares de forêts susceptibles de capter du CO2, afin d’y implanter des dizaines de milliers de panneaux solaires qui émettent d’énormes quantités de CO2 pour leur construction. Peu importe! On déforeste les campagnes, mais on reverdit les villes. Si le gain écologique paraît douteux, on voit en revanche très bien ce que certains pans de l’économie y gagnent.

    Cette fameuse révolution verte, faite à marche forcée, soutenue régulièrement par les bilans alarmistes du GIEC, implantée dans la conscience collective par la peur du réchauffement climatique – devenu indifféremment, pour les besoins de la cause, «urgence», «crise» et enfin «dérèglement» – , et financée par les fonds publics (89 trillions de dollars annoncés par la Banque mondiale entre 2015 et 2030), cette fameuse révolution verte, disais-je, pourrait bien se révéler le plus monstrueux racket de toute l’histoire de l’humanité. Et le «plan climat» lancé à Genève par Hodgers & Cie, fixé à 650 millions par année, s’inscrit en droite ligne dans cette logique. Allez les verts!

    Dans tous les cas, la transition écologique, vue sous l’angle de sa production et de son «recyclage», n’est plus qu’une gigantesque hypocrisie, un tour de passe-passe par lequel les grands trusts des pays riches, après avoir épuisé les fonds publics avec la bénédiction des États, se débarrassent sur l’hémisphère sud des déchets issus des vertueuses énergies «vertes».

    Et si notre jeunesse, souvent toute dégoulinante de «verdeurs vertueuses», se sent climato-anxieuse, elle ne devrait pas oublier pour autant que son désir de pureté verte, érigé en religion, cache en réalité un genre de colonialisme qui n’a rien à envier en laideur à celui qu’elle reproche «vertement» à ses aînés et à leurs affreux aïeux. En ce sens, les statues qu’elle déboulonne ne sont peut-être pas les cibles idéales.

    Oui, je crois que l’expression «colonialisme écologique» ne tardera pas à envahir le champ des consciences, avant que la bien-pensance ne la récupère comme un slogan. Je m’étonne d’ailleurs que la gauche ne l’ait pas encore fait. Il est vrai que la gauche a épousé la bien-pensance en communauté de biens et pour le pire, et que ladite bien-pensance est aujourd’hui résolument estampillée énergies (soit disant) vertes, éoliennes et photovoltaïques en bannières.

    Du temps que ses yeux se dessillent, notre monde pourrait bien ressembler à celui de Mad Ma(r)x...

    1Le béton est responsable de 52% des émissions de gaz à effet de serre du secteur de la construction, lui-même responsable de 19% des émission : https://www.build-green.fr/beton-et-co2-un-desastre-ecologique/

  • Amiel et ses femmes (Corinne Chaponnière)

    par Jean-Michel Olivier

    « J'ai depuis longtemps pris le chemin qui ne mène à rien. » 29 septembre 1860.

    images.jpegSans doute Henri-Frédéric Amiel, le diariste le plus célèbre du monde, a-t-il réalisé, trois ans après la publication de Madame Bovary, le vœu secret de Gustave Flaubert : « Ce qui me semble beau, ce que je voudrais faire, c'est un livre sur rien, un livre sans attache extérieure, qui se tiendrait de lui-même par la force interne de son style, comme la terre sans être soutenue se tient en l'air, un livre qui n'aurait presque pas de sujet ou du moins où le sujet serait presque invisible... » Ce parfait contemporain de Flaubert, mais aussi de Baudelaire, de Dostoïevski et de Melville (tous nés en 1821) nous a donné le journal intime le plus riche et le plus fascinant de la littérature (près de 17'000 pages, publiés en 12 volumes par les éditions de L'Âge d'Homme).

    images-5.jpegQuand Amiel commence à écrire son journal, c'est pour noter quelques faits saillants de sa vie, parfois infimes : une sorte de journal de bord qui tient lieu d'aide-mémoire et de vademecum à un jeune homme qui cherche son chemin. Mais très vite ce journal grossit, s'approfondit, devient un fleuve aux remous effrayants qui emporte le diariste dans une forêt de réflexions personnelles et de questionnements incessants. Au point que ce journal, qui devait servir d'aide-mémoire à sa vie, devient une œuvre à part entière. Amiel n'écrit plus pour rendre compte de sa vie (assez pauvre et banale, disons-le), mais il vit pour écrire son journal : c'est désormais un rendez-vous essentiel de ses journées. À peine rentré chez lui, au retour d'une visite à l'une de ses nombreuses amies, il lui faut coucher par écrit non seulement le déroulement de cette visite, mais encore les questions qu'il se pose, morales, amoureuses, philosophiques, etc. Autrement dit, Amiel se fait l'arpenteur de l’intime autant qu’un infatigable promeneur de nos campagnes genevoises ou vaudoises (comme Rousseau, la pensée lui vient en marchant), avec quelques détours par Berlin et l’Allemagne ou la France des philosophes et des poètes, mais guère plus.

    Les grands écrivains ne s'y sont pas trompés : c'est Tolstoi, le premier, qui a exhumé ce gigantesque journal intime, puis Gide, Edmond Jaloux, Julien Green, et encore Roland Jaccard. Grâce à eux, la postérité d'Amiel — simple professeur d'Université à Genève, célibataire endurci, pour ne pas dire vieux garçon, poète médiocre, mais ami fidèle — est assurée. Bien qu'il ait écrit de nombreux ouvrages, Amiel n'a laissé aucune œuvre marquante en littérature — sinon son Journal, qui est devenu l'œuvre de sa vie. Une sorte de pierre tombale.

    Un des aspects les plus intéressants de ce monumental journal intime concerne les relations d'Amiel avec les femmes. Cela méritait sinon un roman, du moins une étude approfondie et percutante. images-1 18.53.33.jpegC'est chose faite désormais avec le pétillant livre de Corinne Chaponnière, Seule une valse (les souffrances du jeune Amiel*), paru chez Slatkine. Relisant, avec le scalpel de l'analyse, les innombrables passages dans lesquels le diariste genevois parle de ses conquêtes, elle met à nu la stratégie amoureuse de l'auteur : interminables tergiversations, impuissance à « conclure », peur de s'engager, procrastination constante, etc. Pourtant, dans la première partie de sa vie (de 1845 à 1860) Amiel est en quête perpétuelle d'une femme à épouser, non seulement pour obéir aux conventions de l'époque (un homme doit se marier et fonder une famille), mais aussi parce qu'il recherche sans cesse la femme idéale, la rose bleue qui fera son bonheur. Cela nous vaut quelques portraits inoubliables de « prétendantes », toutes plus ou moins amoureuses, fraîches, jolies, intelligentes et libres, que notre éternel vieux garçon s'ingéniera à repousser (on pense ici aux rapports que Flaubert entretenait avec Louise Collet, la poétesse éprise du romancier), à refroidir aussi (comme si l'amour remettait en question sa propre indépendance et sa personnalité),  en disséquant longuement leurs qualités et leurs défauts dans son Journal. Cela nous vaut également des palmarès, des listes et des classements où chaque femme est notée précisément à l'aune des principes de cet impitoyable juge. 

    Corinne Chaponnière déconstruit parfaitement cette stratégie de séduction qui est aussi une manœuvre d'évitement. Si toutes ces femmes sont inaccessibles, et si donc son Journal ne mène à rien, c'est qu'au bout de la conquête, il y aura toujours la sœur interdite. « Amiel a bien raison de regretter la sœur qu'il a eue. Sans elle, il serait un homme marié ; avec une autre sœur qu'elle, il serait un célibataire comblé. N'étant aucun des deux, le voici condamné à poursuivre sans fin des relations fraternelles, des affections sans engagement et des attachements chastes en passant d'une sœur de substitution à une autre, sous la bonne garde d'une duègne intraitable : l'interdit de l'inceste. »

    Mais comment connaître parfaitement une femme, condition sine qua non du mariage selon Amiel ? « Une seule valse me tirerait d'incertitude. La main est maintenant pour moi un meilleur instrument de connaissance que l'œil. » A l'instar de Rousseau, son compatriote intime, Amiel vit à travers le regard : celui des autres, bien sûr, toujours important (que va-t-on penser de moi ?), mais aussi le sien propre qui se nourrit de fantasmes et d'illusions idéalistes, surtout lorsqu'il part en quête de l'âme-sœur.

    Amiel était protestant dans une ville protestante. Et la religion joue son rôle dans son rapport au monde. Son Journal n'est-il pas l'expression de cet « examen de conscience » auquel tout bon croyant doit se livrer, le plus souvent possible, et qui remplace la confession chère aux catholiques ? De tous les diaristes, Amiel est celui qui pousse le plus loin cet examen de conscience minutieux, obsessionnel, tyrannique. Et cela le mène tout naturellement vers l'indécision et l'impuissance (à agir, en tout cas). Beaucoup de Genevois (et d'écrivains français) se sont reconnus dans cette attitude passive face aux décisions importantes qu'il faut prendre dans sa vie. Là encore, Amiel est un grand défricheur de chemin. Son Journal est une exploration minutieuse des méandres psychologiques des relations humaines, mais aussi une plongée fascinante dans l'inconscient (terme qu'Amiel fut le premier à utiliser en français). C'est encore lui, également, qui introduisit dans ses cours académiques la philosophie de Schopenhauer, inconnu du public français à son époque.


    images-3.jpegOn n'en a jamais fini avec Amiel. La preuve, parmi cent ouvrages qui lui sont consacrés, on retiendra également l'excellent livre de Luc Weibel, Les petits frères d'Amiel**, qui situe bien la postérité du diariste genevois. images-4.jpeg
    J'aimerais citer encore le beau livre de Jean Vuilleumier, Le Complexe d'Amiel*** qui montre la filiation romande du diariste genevois, de Jean-Pierre Monnier à Yves Velan, de Jacques Chessex à Monique Laederach.

    Un dernier mot sur deux livres importants qui célèbrent la mémoire d'Amiel (né il y a tout juste deux cents ans). images-2.jpegLe premier imagine les derniers jours de Henri-Frédéric (dit Fritz) restitués par la plume brillante et acérée de Roland Jaccard, fan de la première heure (Les derniers jours d'Amiel****). Le second est un numéro spécial de la revue Les moments littéraires***** sous la direction de l'excellent Jean-François Duval qui en signe la préface lumineuse. On y retrouve  des écrivains romands de talent comme Anne Brécart, Corinne Desarzens, Gustave Roud, Jean-Bernard Vuillème et Luc Weibel, entre autres.

    Les amateurs de journaux intimes ont encore du pain sur la planche !

    * Corinne Chaponnière, Seule une valse (les souffrances du jeune Amiel), Slatkine, 2021).

    ** Luc Weibel, Les petits frères d'Amiel, Zoé, 1997.

    *** Jean Vuilleumier, Le Complexe d'Amiel, essai, l'Âge d'Homme, 1985.

    **** Roland Jaccard, Les Derniers jours de Henri-Frédéric Amiel, édition Serge Safran, 2018.

    ***** Amiel et Compagnie, Les Moments littéraires, 2020.

  • Complotiste, l'archevêque?

    Tout arrive!

    Si l’on m’avait dit un jour – à l’exclusion de ce qui me semble des outrances religieuses, une réduction du monde à une lutte Dieu diable – qu’une profession de foi d’une haute autorité du Vatican, en l’occurrence l’archevêque de Turin, trouverait une place sur Blogres, j’aurais cru à un canular. Et pourtant…

    Voici donc une traduction de la traduction (en anglais) du message vidéo de Carlo Maria Viganò adressée aux Turinois lors de la manifestation pour «la journée sans peur» du 15 octobre 2021. L’archevêque serait-il un dangereux complotiste?

     

    "Vous vous êtes rassemblés en si grand nombre, sur cette piazza de Turin, alors que des centaines de milliers de personnes dans le monde entier manifestent leur opposition à l'instauration d'une tyrannie mondiale. Depuis des mois maintenant, malgré le silence assourdissant des médias, des millions de citoyens de toutes les nations ont crié leur "NON" ! Non à la folie pandémique, Non aux lockdowns, aux couvre-feux, à l'imposition de vaccins, aux passeports sanitaires, aux chantages du pouvoir totalitaire asservi à l'élite. Un pouvoir qui se révèle intrinsèquement mauvais, animé par une idéologie infernale et mû par des desseins criminels. Un pouvoir qui déclare aujourd'hui avoir rompu le contrat social et nous considère non pas comme des citoyens mais comme les esclaves d'une dictature qui est aujourd'hui sanitaire et qui sera demain écologique (...)

    Ces courtisans du pouvoir, que personne n'a élus et qui doivent leur nomination à l'élite mondialiste qui les utilise comme des exécutants cyniques de leurs ordres, ont depuis 2017 déclaré sans ambages la société qu'ils veulent réaliser. Dans les documents sur l'Agenda 2030 que l'on trouve sur le site du Forum économique mondial, on peut lire : "Je ne possède rien, je n'ai pas de vie privée, et la vie n'a jamais été aussi belle". La propriété privée, dans le plan des mondialistes promus par Klaus Schwaab Rothschild (& Co), devra être abolie et remplacée par un revenu universel qui permettra aux gens de louer une maison, de survivre et d'acheter ce que l'élite a décidé de leur vendre, peut-être même la lumière du soleil et l'air qu'ils respirent.

    Il ne s'agit pas d'un cauchemar dystopique: c'est exactement ce qu'ils se préparent à faire, et ce n'est pas une coïncidence si, ces semaines-ci, nous entendons parler de la révision des estimations du cadastre et des incitations à la restructuration des biens immobiliers. D'abord, ils nous font nous endetter avec le mirage de restaurer notre maison, puis les banques la saisissent et nous la louent. Il en va de même pour le travail : aujourd'hui, on nous dit que nous pouvons travailler si nous avons le "passeport vert", une aberration juridique qui utilise la psycho-pandémie pour nous contrôler, tracer tous nos mouvements et décider si, où et quand nous pouvons sortir et rentrer à la maison. L'Agenda 2030 comprend aussi la monnaie électronique, évidemment, avec l'obligation d'acheter et de vendre avec une carte liée au "pass vert" et au crédit social. Car l'urgence sanitaire et l'urgence écologique désormais imminente légitiment effectivement les détenteurs du pouvoir à créer un système d'évaluation de nos comportements, tel qu'il est déjà en vigueur en Chine et en Australie. Chacun d'entre nous aura un certain score, et si quelqu'un n'est pas vacciné, s'il mange trop de viande, s'il n'utilise pas de voitures électriques, il verra ses points réduits, et il ne pourra pas utiliser certains services, voyager en avion ou en TGV, ou il devra payer ses propres soins médicaux ou se résigner à manger des cafards et des vers de terre pour regagner les points qui lui permettront de vivre. Je le répète: il ne s'agit pas d'une hypothèse de quelque "théoricien du complot", mais de faits qui se produisent déjà, tandis que les médias du régime vantent l'utilité d'une puce sous-cutanée qui simplifie tout, en combinant le laissez-passer vert, la carte d'identité, la carte de crédit et le dossier fiscal.

    Mais si, aujourd'hui, il est possible de nous empêcher de travailler simplement parce que nous ne nous soumettons pas à une règle illégitime, discriminatoire et oppressive, qu'est-ce qui empêchera ces tyrans de décider qu'un jour nous ne pourrons plus aller au restaurant ou au travail si nous avons participé à une manifestation non autorisée, ou si nous avons écrit un post sur les médias sociaux en faveur des remèdes maison, contre la dictature, ou en faveur de ceux qui protestent contre la violation de leurs droits ? Qu'est-ce qui les empêchera d'appuyer sur un bouton et de nous empêcher d'utiliser notre argent, uniquement parce que nous ne sommes pas inscrits dans un certain parti politique ou parce que nous n'avons pas vénéré la Terre Mère, la nouvelle idole "verte" vénérée même par Bergoglio.

    Ils veulent nous priver de nos moyens de subsistance, nous forcer à être ce que nous ne voulons pas être, à vivre comme nous ne voulons pas vivre, et à croire en des choses que nous considérons comme une hérésie.

    "Vous devez être inclusifs", nous disent-ils ; mais ils se jettent sur nous, nous discriminant parce que nous voulons rester sains d'esprit, parce que nous considérons comme normal que la famille soit composée d'un homme et d'une femme, parce que nous voulons préserver l'innocence de nos enfants, parce que nous ne voulons pas tuer les enfants dans le ventre de leur mère ou les personnes âgées et malades dans leur lit d'hôpital (...)

    Le mensonge règne, et il n'y a pas de citoyenneté pour la vérité. Vous en avez fait l'expérience ces derniers mois, en voyant avec quelle effronterie le mainstream a livré sa propagande en faveur du récit de la pandémie, en censurant toute voix discordante ; et aujourd'hui, ceux qui ne sont pas d'accord avec le Système sont non seulement tournés en dérision et discrédités, mais sont même criminalisés, désignés comme des ennemis publics, et passés pour des fous à qui il faudrait imposer un traitement sanitaire obligatoire. Ce sont les moyens que tous les régimes totalitaires ont utilisés pour traiter les adversaires politiques et religieux. Tout se répète, sous nos yeux, mais de manière beaucoup plus subtile et gluante. À l'inverse, ceux qui s'inclinent devant la tyrannie et lui offrent leur fidélité sont publiquement loués, vus sur tous les programmes télévisés, et pointés comme une référence faisant autorité.

    Notre protestation contre le passeport vert ne doit pas s'arrêter à la considération de cet événement spécifique, aussi illégitime et discriminatoire soit-il, mais doit s'étendre à l'ensemble du tableau, en sachant identifier les objectifs de l'idéologie mondialiste, les complices et les alliés possibles. Si nous ne comprenons pas la menace qui pèse sur nous tous, en nous limitant à protester contre un seul détail - même s'il est flagrant - de l'ensemble du projet, nous ne serons pas en mesure d'opposer une résistance forte et courageuse. Une résistance qui devrait se fonder non pas sur la simple demande de liberté - aussi légitime et partageable soit-elle - mais plutôt sur la fière revendication du respect de notre identité, de notre culture, de notre civilisation qui a fait la grandeur de l'Italie et qui a animé toutes les expressions de la vie de nos pères, des plus humbles aux plus exaltés (...)

    Nous n'avons pas les milliards de George Soros et de Bill Gates; nous n'avons pas de fondations philanthropiques, et nous ne soudoyons pas les politiciens pour en faire des alliés ; nous n'avons pas de chaînes de télévision ou de médias sociaux avec lesquels partager nos idées ; nous ne sommes pas organisés comme les partisans de la Grande Réinitialisation, et nous n'avons pas émis d'hypothèses de pandémie ou de scénarios économiques. Mais (...) pour que ce jour où vous manifestez publiquement et courageusement votre opposition à la tyrannie imminente ne reste pas stérile et privé de lumière surnaturelle, je vous invite tous à vous joindre à moi pour réciter les paroles que le Seigneur nous a enseignées..."

    Carlo Maria Viganò, archevêque de Turin

  • Maman quand j'serai grand...

    Par Pierre Béguin

    Des chiffres que je tiens d’un pharmacien qui préfère garder l’anonymat:

    Avant qu’il ne devînt payant, le test Covid coûtait 47 francs, prix imposé par la Confédération. Au prix de revient, il coûte 7 francs. Ce qui laisse 40 francs de bénéfice par test. Mon pharmacien en fait entre 100 et 120 par jour, soit (prenons 100 comme base) 4000 francs de bénéfice, soit encore (la pharmacie étant ouverte 6 jours par semaine) près de 100000,- francs par mois.

    Maman quand j’serai grand, j’voudrais bien être pharmacien…

    Certes, depuis que le test est payant, des pharmaciens ont baissé son prix. On en trouve maintenant entre 39 francs et 20 francs. Il en est même un, paraît-il, qui le facture 11 francs, ce qui lui laisse tout de même, malgré son honnêteté méritoire, près de 10000 francs de bénéfice sur les seuls tests. Y’a pas à dire: le Covid, c’est une affaire qui marche!

    Mais ce qui m’attriste et me révolte en même temps, c’est que, si l’on en croit un dernier sondage, 67 % des Suisses soutiennent le passeport sanitaire. Soyons précis: je suis vacciné, et plutôt deux fois qu’une; une décision que je n’ai pas prise en connaissance de cause (personne ne peut le prétendre) mais que j’assume, et que j’assumerai même en cas d’effets indésirables (je n’aurai, le cas échéant, pas d’autres choix, les big pharmas s’étant courageusement exemptés de toute responsabilité). Mais de là à soutenir l’obligation du vaccin, et sachant que ce dernier n’empêche nullement la contamination, il y a un pas qu’il me semble tout simplement scandaleux de franchir. Que plus de deux tiers de mes concitoyens se soient transformés en autant de petits Néron de l’Altruisme, prêts à enclencher cette abjecte machine à criminaliser qui fait du totalitarisme un devoir d’ingérence, me semble effrayant. Comment peut-on décemment obliger quelqu'un à commettre un acte dont il devra seul assumer la responsabilité?

    Que sommes-nous devenus? Des millions de robots décérébralisés accueillant avec ravissement une dose supplémentaire de servitude?

    Maman quand j’serai grand, j’voudrais bien être pharisien…

    A la fin de sa vie, Georges Bernanos se souvenait qu’au temps de sa jeunesse «la formalité du passeport semblait abolie à jamais». Ensuite, doucement mais sûrement, puis de plus en plus rapidement, l’étau s’est resserré et, dès 1945, il a assisté, écrit-il, à l’émergence d’«une humanité docile, de plus en plus docile à mesure que l’organisation économique, les concurrences et les guerres exigent une réglementation plus minutieuse...» Avant de s’écrier, épouvanté: «Ce que vos ancêtres appelaient des libertés, vous l’appelez déjà des désordres».

    Maman quand j’serai grand, j’voudrais bien être écrivain...

     

     

  • La bêtise des intelligents

    Par Pierre Béguin

    Les plus de soixante ans s’en souviennent-ils?

    En 1971, une communiste italienne, une certaine Maria-Antonietta Macciocchi, en rédigeant le journal de son voyage en Chine, publie le best seller de l’année qui va bouleverser, en occident, la perception politique des plus grands intellectuels de la décennie. C’est ce que nous rappelle Pierre Bayard dans un merveilleux petit essai paru aux éditions de Minuit: Comment parler des faits qui ne se sont pas produits?

    De la Chine - Maria-Antonietta Macciocchi - 2958761 eBay.pngA cette époque, la Chine est un pays complètement fermé. Macciocchi, par son appartenance au parti communiste, fut l’une des premières à y obtenir un visa pour un séjour de plusieurs semaines. Dans son livre De la Chine, elle révèle l’existence d’un monde extraordinaire où la révolution industrielle et la modernisation font des miracles. La production a centuplé, sans que les ouvriers ne soient soumis aux cadences infernales de l’occident. Toutes les femmes sont naturellement belles et ont retrouvé leur place à part entière dans la société, bien loin de la femme objet telle que le capitalisme l’a conçu. Comme Jésus, Mao fait des miracles: «Quand j’avais deux ans, j’étais sourde et muette (…) Mao a envoyé les soldats de l’armée populaire de libération pour guérir la surdité et le mutisme. Après un an de traitement, je puis entendre et je peux crier: Vive le Président Mao!» (témoignage d’une jeune chinoise). Le système de répartition des tâches entre travailleurs manuels et intellectuels fait lui aussi des miracles. Des professeurs expliquent «le grand bouleversement intérieur», la cure de jouvence et l’incommensurable bonheur que leur a apporté la fatigue physique du travail dans les rizières. Et si on ne trouve aucun témoignage d’un travailleur manuel s’extasiant sur les bienfaits que lui auraient procuré la fréquentation des grands penseurs et le monde abscons de l’astrophysique, il n’en reste pas moins que cette union de la théorie et de la pratique, au cœur de la pensée maoïste, semble résoudre comme par enchantement, à en croire Macciocchi, tous les problèmes sociaux et économiques, même ceux du quotidien, en ce qu’elle permet de lutter contre toute forme de hiérarchisation et d’établir un égalitarisme absolu. Le grand rêve de la gauche enfin exaucé! Même dans l’armée chinoise, les grades ont disparu, ce qui n’empêche pas cette armée d’être l’une des plus disciplinée au monde. Et le plus incroyable: toute cette révolution s’est opérée sans violence.

    La vraie question ici n’est pas de savoir comment notre communiste italienne a gobé, sans aucun recul critique, la propagande maoïste orchestrée pour leurrer l’idiote utile qu’elle fut en la circonstance. Il est vrai qu’elle n’a jamais travaillé dans les rizières chinoises et que son témoignage constituait alors une avancée non négligeable pour sa carrière. Mais ceci n’explique pas tout. Les sciences cognitives ont depuis longtemps développé la notion de biais de confirmation, à savoir la propension de l’être humain à sélectionner a priori, dans sa perception du réel, tous les éléments allant dans le sens de la représentation initiale qu’il s’en était faite, et bien entendu à évacuer en toute bonne conscience tous ceux qui pourraient la contredire et qui lui rendraient alors le monde trop complexe, voire illisible ou incohérent.

    Non. La vraie question consiste à comprendre comment une telle fable a pu trouver un terrain aussi fertile à sa propagation chez les plus grands penseurs et intellectuels occidentaux (– ce que j’appelle «la bêtise des intelligents» est un des phénomènes qui a depuis longtemps monopolisé en moi la plus grande charge d’étonnement). Tant on peine à imaginer l’engouement qu’a suscité alors le livre de Macciocchi. Ainsi Philippe Sollers, qui a fait publier ce texte au Seuil et qu’on n’imagine pourtant très mal travailler dans les rizières, de s’enthousiasmer dans un jargon très marqué «intello seventies»: «De la Chine représente aujourd’hui non seulement un admirable témoignage sur la Chine révolutionnaire, mais encore une source d’analyses théoriques qu’il serait illusoire de croire refoulées. De la Chine, c’est la puissance et la vérité du «nouveau» lui-même, c’est l’un des très rares livres d’aujourd’hui, de demain. Le travail de Maria-Antonietta Macciocchi a devant lui toute l’histoire.» Quel exceptionnel visionnaire, ce Sollers, n’est-il pas! Imaginez l’étendue de ses lumières si, en plus, il avait pu profiter des bienfaits du maoïsme en travaillant dans les rizières!

    Mais il n’est pas seul, loin s’en faut. Tous les membres du groupe d’avant garde Tel Quel décident in corpore de rompre avec le parti communiste français pour se rallier à la doctrine maoïste, les philosophes – rappelons-le – ayant cette propension, qu’ils partagent avec les mages et les enfants, pour les systèmes déconnectés de la réalité. C’est ainsi qu’une délégation d’intellectuels composée des inévitables Philippe Sollers, Julia Kristeva, Roland Barthes, Marcelin Pleynet, et j’en passe et des pires, se rendent en Chine pour un mois. A leur retour, aucun ne semble avoir pris conscience d’avoir visité un pays totalitaire. Au contraire, le concert de louanges est tel que le maoïsme devient l’idéologie à la mode, transformant le collectivisme chinois en une utopie romanesque. Une idéologie d’autant plus consistante qu’elle est bientôt soutenue par des milliers de personnes qui se confortent mutuellement dans leur croyance pour construire ce qu’il faut bien appeler un délire collectif. Toujours prompte à l’emballement, et jamais avare de sottises prétentieuses, une bonne partie de la jeunesse estudiantine se convertit à la nouvelle religion, des affiches Vive Mao fleurissent aussitôt sur les murs des chambres d’adolescents dont la révolte a trouvé son Dieu. La première moitié des seventies, avant que la vague disco, entre autres, ne balaie cette hérésie (qu’ABBA soit béni!), est maoïste ou n’est pas.

    On me rétorquera que nous vivons dans une civilisation où des millions de personnes admettent encore sans sourcilier, et sans même convoquer une explication symbolique, qu’une femme mariée et vierge puisse enfanter un fils par immaculée conception, que ledit fils fasse des miracles à la pelle, et qu’après avoir été crucifié et dûment authentifié comme mort, il ressuscite, «ôte la pierre» de son tombeau et rejoigne son véritable père au ciel. A côté d’une telle croyance, l’idéalisation de la Chine dans les années 70 semble une fiction finalement assez banale, et les intellectuels qui y adhérèrent des esprits touchés par la grâce des Lumières. Certes...

    Pour que de tels aveuglements généralisés puissent se produire, il faut admettre comme incontournable chez l’être humain une disposition psychique si puissante qu’elle peut balayer comme fétu de paille toute forme de bon sens. Ce «besoin de croire» est d’autant plus fort qu’il place le sujet au plus profond de lui-même par le biais du mécanisme inconscient de l’idéalisation. Nous devons croire, et croire dans la possibilité d’une œuvre parfaite, qu’elle émane de Dieu, de Michel Angelo, de Lionel Messi, du collectivisme chinois ou d’un monde purifié par la transition écologique. L’«objet» de ce besoin de croire étant finalement aléatoire, volatile, un autre objet peut aisément lui être substitué si l’idéalisation s’étiole. Et elle finit toujours par s’étioler. A ce propos, il n’est pas anodin de préciser que Macciocchi, après s’être éloignée du communisme, est tombée en fascination pour la figure de Jean-Paul II, auquel elle a consacré un livre aussi élogieux pour le pape et le Vatican que De la Chine l’était pour le régime de Mao. Dans le même ordre d’idée, un chantre de mai 68, qui avait rejoint un autre Jean-Paul sanctifié (Sartre) devant les usines Renault, est devenu plus tard PDG de ces mêmes usines Renault. Si le besoin de croire est inamovible, l’objet idéalisé de ce besoin est parfaitement interchangeable, et ne craint pas les pires contradictions.

    Puisqu’il faut admettre comme intangible cette double pulsion de croyance et d’idéalisation, à titre personnel (mais ceci est anecdotique), je rejoins Montaigne dans son pragmatisme et je fais mien le pari de Pascal. Tout en précisant que, par naissance et par éducation, je penche vers une église chrétienne, jusqu’à nouvel avis moins dangereuse pour les petits enfants que celle dont Macciocchi, qui avait un talent pour se tromper proportionnel à son besoin de croire, a fait l’éloge via sa plus haute autorité spirituelle.

    Quand se produit un affaiblissement, pour ne pas dire un effondrement, de l’adhésion populaire à la croyance officielle et à ses valeurs, en l’occurrence le christianisme pour l’occident, la masse se retrouve sans véritable modèle de référence et saute alors sur toute proposition de substitution, politique ou autres, aussi délirantes soient-elles, ne serait-ce que pour éviter d’affronter ce moment de dépression inhérent à la perte des illusions. Des modèles qui filtrent et fleurissent à souhait d’autant plus que la digue «officielle» se fissure de partout. C’est ainsi que le XXIe siècle, pourtant si jeune, se voit proposer, ou plutôt imposer à coups d’anathèmes, des fictions ou des processus d’idéalisation qui sont autant de croyances douteuses se cachant, pour mieux ancrer leur fragile légitimité, sous un jargon pseudo scientifique et culpabilisant. Mais quand ce processus s’installe dans les esprits, il est quasiment impossible de le déprendre de l’objet investi, car cette opération impliquerait, pour un sujet converti qui s’est projeté dans l’objet de sa croyance, de s’attaquer lui-même. D’où l’extrême difficulté de cesser de croire à ses idéaux, le cas échéant de reconnaître que l’on s’est trompé, l’enjeu étant ici non pas intellectuel mais psychologique. Ainsi, faire débattre un climato-sceptique avec un réchauffiste urgentiste serait aussi vain que de mettre en confrontation un agnostique avec un témoin de Jéhovah. Ainsi, contester à un adepte de la gauche sociétale, convaincu d’appartenir à l’Empire du Bien et de propager la bonne parole progressiste, le bien-fondé de la philosophie genre, dont il n’a le plus souvent aucune idée des fondements philosophiques très discutables, relève d’une entreprise périlleuse, voire suicidaire, si cette personne compte parmi vos amis.

    Maîtriser la dangerosité potentielle d’une croyance à laquelle on adhérerait, c’est d’abord admettre qu’il ne s’agit, ni plus ni moins, que d’une croyance, pour nécessaire qu’elle soit à notre psychisme. Le problème avec les grandes vagues sociétales, politiques ou idéologiques qui, actuellement, agitent et déconstruisent méthodiquement l’occident (car le régime chinois, lui, si idéalisé par nos grands intellectuels de gauche des 70’s, non seulement s’en contrefiche mais s’en frotte les mains), c’est qu’elles ne se reconnaissent pas pour ce qu’elles sont fondamentalement – des croyances – en se donnant, avec la foi du charbonnier, un soi-disant fondement scientifique, sérieusement colporté par une multitude de Homais.

    Mutatis mutandi, le mécanisme qui a produit le délire collectif d’une vision idéale de la Chine et alimenté la propagande maoïste en occident dans les années 70 est symptomatique des mêmes délires qui, de nos jours, submergent et menacent d’engloutir le peu de valeurs sur lesquelles repose notre désormais fragile civilisation.

    Tout comme je m’interroge en ce moment sur les raisons qui ont vu des intellectuels, des philosophes, des milliers de gens «intelligents», disserter sérieusement pendant des années sur une Chine imaginaire et totalement fantasmée, il est certain que, dans 30 ou 40 ans, on s’interrogera sur les délires collectifs de gens très sérieux qui s’affolent à la perspective d’une fin du monde programmée au pire en 2030, au mieux à la fin du siècle (alors que c’est plus vraisemblablement notre civilisation occidentale qui s’effondre, logiquement, tant on ne cesse d’en déconstruire tous les fondements); ou encore sur les raisons qui ont poussé des intellectuel(le)s, soutenu(e)s avec opportunisme par nombre de politicien(ne)s, à croire sérieusement qu’hommes et femmes - pardon, «personnes avec vagin» - sont non seulement des notions variables dans le temps et l’espace, mais aussi des notions arbitraires, conventionnelles dont on peut se passer, et des militant(e)s fanatiques à proclamer que le «genre» n’a pas à se laisser dicter sa loi par la nature, niant ainsi toute limite biologique à la liberté humaine au motif que toute réalité est strictement intra-langagière.

    Et tout comme nous faisons maintenant le procès des débordements sexuels d’alors, on fera celui des délires actuels. Quelle réflexion portera-t-on en l’an de grâce 2050 sur une idéologie visant à destituer l’hétéronormativité pour lui substituer une société dans laquelle tout est légitime (du moins en ce qui concerne le choix identitaire, car pour le reste...)? Comment jugera-t-on l’action politique laissant des enfants, parfois dès l’école primaire, choisir librement leur identité sexuelle en fonction d’un ressenti, certes fluctuant, mais érigé en norme absolue? Des personnes (avec ou sans vagin) auront-elles à payer le prix de leurs actes, comme on demande maintenant des comptes à celles qui, il y a 40 ans, ont transgressé des limites qu’on voulait ignorer alors?

    Pour autant qu’il reste quelque chose de notre civilisation, et qu’un tel constat jouisse encore de conditions propices à sa réalisation, je souhaite bonne chance à cette personne, tant sa tâche paraît plus ardue que la mienne: à côté des délires collectifs d’une insondable bêtise qui nous submergent actuellement, le délire qui fantasmait avec un sérieux grotesque une Chine idéale ne semble plus que de la simple roupille de sansonnet…

     

    Pierre Bayard, Comment parler des faits qui ne se sont pas produits? Les éditions de Minuit, 2020

    Maria-Antonietta Macciocchi, De la Chine, Seuil, 1971

  • Mousse Boulanger ou l'élixir de jeunesse

    par Pierre Béguin

    image_0932MousseBoulanger.jpgLa tradition littéraire anglo-saxonne consiste à produire des biographies qui tendent vers l’objectif, l’exhaustif, le factuel. Ce qui peut engendrer de gros pavés à la lecture parfois un peu fastidieuse pour le profane.
    Rien de tout cela dans la biographie que Corine Renevey consacre à Mousse Boulanger, dont le nom, je n’en doute pas, résonne encore familièrement aux oreilles des jeunes de 47 à 77 ans. Avec Mousse Boulanger, Femme poésie: une biographie,  l’auteure va bien au-delà du factuel, s’efforçant, avec succès, et pour notre plus grand plaisir, de nous faire vivre son sujet  de l’intérieur, de peindre son personnage dans sa spécificité de «femme poésie», en la représentant telle qu’en elle-même tout au long de ce parcours unique dans sa diversité et sa richesse. 
    L’écriture, teintée de poésie, reste toujours très vivante, pour mieux coller à l’image de ce qu’a été – je devrais dire – de ce qu’est encore malgré ses 94 ans, Mousse Boulanger, une femme portée par une énergie hors du commun, habitée au plus profond de son être par l’amour de la poésie et par l’envie de la transmettre.
    Mais le portrait de Mousse Boulanger n’est qu’une strate dans le livre, une strate qui donne accès à d’autres dimensions de lecture: suivre ce destin exceptionnel, c’est aussi ouvrir des portes sur l’histoire du théâtre et de la littérature française et suisse, c’est croiser au fil des pages Paul Eluard, Pierre Seghers, Gérard Philippe, et de grands auteurs suisses comme Maurice Chappaz, Gustave Roud, Jacques Chessex, et j’en passe.
    C’est encore revivre toute une époque de l’après-guerre, des années 50 aux années 70, une époque dont on peut à peine s’imaginer maintenant certaines caractéristiques, même pour celles et ceux qui l’ont vécue: songez, pour prendre un exemple qui peut sembler anecdotique, mais tout de même très révélateur, que Mousse Boulanger, et son mari Pierre, durant vingt trois ans d’antenne à la radio, ont animé 420 émissions consacrées à la poésie. Quand on fait le constat navrant de la part accordée à la littérature dans les médias actuelles, on se dit que ces temps avaient tout de même du bon...
    C’est avant tout cette époque dorée, où tout semblait encore possible, que nous rappelle le livre de Corine Renevey. Alors si vous voulez vous offrir un savoureux voyage dans le temps, peut-être celui de votre enfance ou de votre adolescence, lisez sans tarder Mousse Boulanger, Femme poésie: une biographie, paru cet été aux éditions de l’Aire. Vous en ressortirez rajeuni-e.

  • Corine Renevey, dans le Grand Soir, jeudi 30 septembre, sur La Première

     

    320.pngCorine Renevey sera l'invitée de Mélanie Croubalian et Eric Grosjean dans l'émission Le Grand Soir, sur RTS La Première, jeudi 30 septembre, à partir de 19 heures, pour son livre Mousse Boulanger, femme poésie* (éditions de l'Aire).

    À cette occasion, je me permets de reprendre l'excellent article que Vittorio Frigerio, Professeur à Dalhousie University (Canada) a consacré au livre de Corine Renevey, à paraître dans la revue Dalhousie French Studies / Revue d'études littéraires du Canada atlantique.

     

    Un parcours de vie unique

    par Vittorio Frigerio

    206009674_10159388805128987_2324239970369505454_n.jpgLa biographie est un exercice périlleux. Faire rentrer une vie entière en quelques pages, et avec elle des lieux, des époques, tracer des frontières et marquer des chemins pour faire ressortir un parcours d’une masse de faits, de souvenirs, de documents, choisir ceci et pas cela, n’est jamais une entreprise de tout repos. Et cela peut-être d’autant moins lorsque le sujet sur lequel on se penche n’a pas encore eu la gentillesse de vider les lieux, pour laisser les coudées franches à celle qui a eu la prétention de vouloir parcourir son existence, le crayon gras à la main, prête à souligner des passages qui acquerront dès lors une importance que les jours qui coulent ne savent pas toujours tout de suite reconnaître. Mais ce qui pourrait paraître un obstacle à ceux qui conçoivent la biographie comme un métier proche de la taxidermie, devient un avantage notable lorsque la complicité s’en mêle. Complicité accompagnée de sensibilité, d’ouverture, de curiosité amicale et aussi de ce zeste d’imagination qui ne doit pas manquer pour que la réalité apparaisse sous ses vraies couleurs. Tel est ce volume que Corine Renevey consacre à un personnage important de la scène littéraire suisse-romande – que le grand public a appris à connaître surtout par sa présence, durable et remarquée, dans les médias, au service de la diffusion de la poésie – elle-même poétesse de grand talent : cette Berthe Neuenschwander, née en 1926, qui, sous le nom de Mousse Boulanger, crée pour la Radio Suisse Romande la célèbre émission « Marchands d’images ».

    Dans un volume soigneusement documenté, basé sur des recherches d’archives multiples et minutieuses ainsi que sur de longs entretiens avec Mousse Boulanger elle-même, Corine Renevey reconstruit un parcours de vie unique avec des traits précis et une écriture sensible. On suit l’autrice de son enfance jurassienne – avec l’influence des maîtres d’école, dont un professeur de français qui lit à ses élèves les poèmes de Jehan Rictus – jusqu’à un séjour londonien formateur, au milieu d’anciens volontaires républicains de la guerre civile espagnole qui l’aident à se construire une conscience politique et où elle fait pour la première fois l’expérience du théâtre, qui la marque profondément, jusqu’à son retour en Suisse, où elle s’installe à Plainpalais, le quartier ouvrier de Genève. C’est là qu’elle fait la connaissance de Pierre Boulanger, comédien, acteur, mime, élève du grand Étienne Decroux, à la mémoire et à la présence scénique extraordinaires. Et c’est le début d’une histoire d’amour qui sera également celle de la passion que les deux ressentent pour la poésie. Mousse épouse Pierre, à la condition expresse qu’il ne fasse pas son service militaire, exigence indépassable pour cette gauchiste, pacifiste, féministe convaincue, qui s’était donné, dès ses débuts, le but d’œuvrer pour « faire la lumière sur ces vies que l’histoire écarte comme si elles étaient trop petites pour mériter une inscription dans la mémoire collective » et qui « sera toujours du côté des faibles, des oubliés, des pauvres qu’on exploite » (34). Et en 1955 a lieu leur entrée à la radio, à Lausanne, où sur la fausse ligne des expériences de Paul Éluard à Paris ils créent les « Marchands d’images » et réalisent au fil des ans environ 420 émissions : une « utopie politique » (94) qui est en même temps une utopie poétique, la lecture sur les ondes comme « possibilité de vivre en commun et d’éliminer la violence » (97). Animés d’une éthique professionnelle sévère et exigeante (car « le talent, c’est du travail » [66]) et d’une curiosité insatiable qui les porte à tisser des liens avec des poètes des quatre coins du monde, Mousse et Pierre, l’une « l’intellectuelle du couple », l’autre « l’artiste interprète » (88) arrivent à travers leurs activités – y compris nombre de déplacements et de tournées à l’étranger, notamment dans des festivals tel que celui d’Avignon – et grâce à « une réelle volonté de transmission » (117), à faire découvrir le monde de la poésie à un public souvent « composé de vignerons, de paysans et d’ouvriers » (128). Toutes leurs activités, à l’enseigne de l’ouverture, de la curiosité et de la passion poétique, prouvent à l’envi que la beauté et la sensibilité ne sont pas affaire de classe – conclusion n’allant guère de soi dans la Suisse de l’époque, ni d’autre part ailleurs non plus. Cette collaboration extraordinaire dure jusqu’en 1978, année où Pierre Boulanger meurt soudainement d’une maladie contractée lors d’un voyage au Sénégal, qui est aussi l’année où Mousse est élue à la présidence de la Société suisse des écrivains. Et alors cette biographie devient également l’occasion de reconstituer les rivalités, les conflits et les jalousies de ce milieu littéraire très particulier, éternellement en formation, à la géographie incertaine, et les figures de plusieurs des personnages qui l’animent : Gustave Roud, Corinna Bille, Maurice Chappaz, Jacques Chessex, Philippe Jaccottet et bien d’autres encore. Là aussi, Mousse Boulanger a encore l’occasion de se distinguer et de revendiquer son indépendance de pensée lors d’une dispute entourant la publication de la correspondance entre Gustave Roud et la poétesse Vio Martin, qui entame sérieusement l’image de poète maudit, éternellement déprimé et secrètement homosexuel de Roud. Le mécontentement des grands prêtres de la littérature nationale, et notamment du Centre de recherches sur les lettres romandes de l’Université de Lausanne, portera à la démission des membres du comité fondateur de l’Association des écrivains, dont la mémoire sera officiellement rayée de l’histoire du groupement, et la dispute se poursuivra pendant des décennies. Petitesses d’un petit milieu littéraire, mesquineries entourant une polémique inepte et inutile, où Mousse Boulanger, esprit indépendant, reste fidèle à sa position et ne dévie pas, malgré les conséquences, de la ligne qu’elle s’est donnée.

    Plusieurs annexes et appendices viennent compléter ce volume, offrant la retranscription de documents ayant trait à la Société suisse des écrivains, une chronologie de la vie de l’écrivaine et de ses activités, jusqu’à la publication de son dernier recueil poétique en 2018, une bibliographie incluant non seulement ses écrits, que ce soit dans des revues ou en volumes, mais également les enregistrements radiophoniques ou sur disque, et pour terminer un choix d’articles critiques. Un dossier iconographique d’une quinzaine de pages propose des photographies de Mousse Boulanger, de ses proches et de ses collègues, tout au long de son existence.

    Ce livre, écrit en un style fort agréable et qui se lit d’un trait, est un bel hommage à une figure dont la vaste popularité auprès du grand public ne se traduisit pas toujours dans une reconnaissance de même niveau dans les milieux officiels de la culture helvétique. En tant que tel, dans le même esprit de l’œuvre de son sujet, il représente aussi un travail de correction bienvenu d’une mémoire collective parfois trop lacunaire.

    Vittorio Frigerio Dalhousie University

    * Renevey, Corine. Mousse Boulanger. Femme poésie : une biographie. Vevey : L’Aire, 2021. 239 p.

  • So long, Roland ?

    par Jean-Michel Olivier

    IMG_4228.jpgEncore une nuit blanche. Comme toi, mon cher Roland, et comme Cioran, ton maître et ami, sorcier de l'insomnie. Pourtant, ces nuits ne sont jamais parfaitement blanches : elles sont pleines de fantômes. La mienne était peuplée de souvenirs — souvenirs de lectures et souvenirs des belles soirées passées chez Yushi, ta cantine coréenne (ou japonaise ?) à Paris. On y mangeait une fois par mois, et jamais avec les mêmes invités. Autour de toi, tu rassemblais avec malice des gens qui ne se connaissaient pas et qui pourtant s'entendaient à merveille. Steven Sampson, Robert Kopp, Marie Céhère, et tant d'autres dont j'ai perdu le nom. Tu versais du whisky dans ton bol de thé vert et nous trinquions à l'amitié et à la littérature. Nous n'avions pas besoin de masques ou de passeports sanitaires (choses que tu haïssais) pour rire et célébrer notre rencontre.

    Tes nuits, depuis longtemps, étaient peuplées de fantômes familiers. Il serait fastidieux de les citer tous — et d'ailleurs toi seul les connaissais intimement. Mais il y avait souvent Louise Brooks, Emile Cioran, ta mère viennoise et ton père lausannois (élève de Henri Roorda), Benjamin Constant (tu vénérais Adolphe) et bien sûr le diariste le plus connu au monde, et le moins lu : Henri-Frédéric Amiel — à qui tu portais une admiration sans limite.

    Tes nuits n'étaient pas blanches, mais déjà elles t'appelaient : et ces fantômes te tendaient les bras, comme pour t'inviter à traverser le Styx, un livre à la main, car les livres (quelle fécondité pour un homme paresseux comme toi !) étaient les pierres de ta maison.

    Comme Ulysse, tu es revenu au pays : Lausanne était ton Ithaque — seule manquait Pénélope.

    C'est là, dans les salons feutrés du Palace, que tu as écrit deux de tes plus beaux livres, publiés à Vevey, par un grand éditeur suisse, Michel Moret : Dis-moi la vérité sur l'amour* et On ne se remet jamais d'une enfance heureuse**. Je lis et relis ces textes cristallins où je retrouve ton désespoir et ton humour, ta finesse et ton goût du sarcasme, ton imagination et ton sens inouï de la synthèse. 

    « Je m'en vais. Prends le relais. » écrivais-tu, à l'aube de ce lundi funeste, à quelques amis proches.

    Tu es parti en laissant tes amis désemparés, mais tu as retrouvé tes fantômes, bien vivants, qui t'entourent et sont heureux de retrouver un complice fidèle. Tu as mené ta barque comme tu l'entendais, en homme libre, à travers les remous et les faux calmes plats, tirant ta révérence au moment où tu le désirais : tu as tenu parole une dernière fois.

    So long, Roland !

    * Roland Jaccard, Dis-moi la vérité sur l'amour, éditions de l'Aire, 2020.

    ** Roland Jaccard, On ne se remet jamais d'une enfance heureuse, éditions de l'Aire, 2021.

  • Science, croyance et bon sens

    par Pierre Béguin

    "La science est la croyance en l'ignorance des experts"  (Richard Feymann, Nobel de physique)

     

    Dans Histoire des Oracles (1686), le philosophe Fontenelle, précurseur des Lumières, s’attache à montrer que la crédulité et la paresse nous font accepter naturellement des événements extraordinaires sans la moindre velléité de vérification. L’un des passages les plus célèbres s’intitule La Dent d’or. Que raconte-t-il?

    L’anecdote se situe en Silésie en 1593. Le bruit court (au début est la rumeur) qu’un enfant de sept ans, qui vient de perdre ses dents, a vu tout à coup pousser à la place une dent en or. Intriguée, une cohorte de savants, dignes émules de Diafoirus – Fontenelle insiste sur les titres et les noms, tous à consonances latines, – se penche «scientifiquement» sur le cas et multiplie les hypothèses pour tenter de comprendre ce phénomène: «Horstius, professeur en médecine dans l’université de Helmstadt, écrivit l’histoire de cette dent (…) En cette même année, Rullandus en écrit encore l’histoire. Deux ans après, Ingolsteterus, autre savant, écrit contre le sentiment que Rullandus avait de la dent d’or, et Rullandus fait aussitôt une belle et docte réplique. Un autre grand homme, nommé Libavius, ramasse tout ce qui avait été dit de la dent et y ajoute son sentiment particulier.»

    Toutes ces réactions dans un laps de temps réduit suggèrent une grande activité intellectuelle, aussitôt ridiculisée lorsque Fontenelle précise avec une ironie mordante qu’«il ne manquait autre chose à tant de beaux ouvrages, sinon qu’il fût vrai que la dent était d’or

    Car entre-temps, un simple technicien – «un orfèvre» – avait pris soin d’examiner l’enfant – ce que n’avaient bien entendu pas fait les doctes savants, engoncés dans leur vanité, leurs théories et leurs controverses – et découvert que l’objet des débats était en réalité une feuille en or appliquée avec adresse sur une dent normale. Et Fontenelle d’ironiser sur cette précipitation grotesque des scientifiques: «Mais on commença par faire des livres et puis on consulta l’orfèvre.»

    La leçon est limpide et préfigure la méthode des Lumières: en toute chose, il faut commencer par vérifier les faits dont nous parlons avant de leur chercher des explications, voire des solutions. Fontenelle donne alors une définition originale de l’ignorance: être ignorant, ce n’est pas ignorer la cause de ce qui est, c’est trouver la cause de ce qui n’est pas («Je ne suis pas si convaincu de notre ignorance par les choses qui sont, et dont la raison nous est inconnue, que par celles qui ne sont point, et dont nous trouvons la raison. Cela veut dire que, non seulement nous n’avons pas les principes qui mènent au vrai, mais que nous en avons d’autres qui s’accommodent très bien avec le faux»). En clair, notre capacité à rendre compte de problématiques inexistantes est encore plus révélatrice de notre ignorance que notre difficulté à expliquer les faits réels.

    Si l’on appliquait vraiment cette leçon à notre époque engoncée dans ses certitudes, nous aurions une vision édifiante de notre ignorance. Les doxas pullulent, s’imposent avec autorité sans la plus petite vérification ou preuve, et ne supportent plus la moindre remise en question. Ne parlons pas du Covid, ce serait trop facile. Mais au moment où, alimenté encore par le dernier rapport alarmiste du GIEC, et relayé par la presse et l’instruction publique, le changement climatique provoque des effets désastreux, plus particulièrement sur la santé mentale de la jeunesse qui perd toute foi dans l’avenir, au moment où l’on parle d’éco-anxiété comme d’une nouvelle maladie qui génère un sentiment d’impuissance conduisant au repli sur soi (ou sur son portable), qui, parmi toute cette population paniquée, ou parmi les politiciens qui prennent des décisions aussi absurdes que dommageables, détient le plus petit embryon de preuve que le CO2 est réellement l’ennemi public No 1 et que ce réchauffement est vraiment de nature anthropique? Qui sait si les températures atteindront les sommets vertigineux qu’on nous promet sous peu (alors que leur augmentation est estimée à 1 degré depuis 1870)? Qui connaît la formule permettant de prédire le climat de notre planète dans cinquante ans? Qui a pris la peine, (comme je l’ai fait dans un précédent billet) de calculer l’ineptie des milliers de milliards publics investis pour combattre ce réchauffement anthropique dont personne ne sait s’il est vraiment fondé, à fin d’éradiquer ce terrifiant CO2 dont on n’est pas certain qu’il soit notre principal ennemi? Qui, parmi tous ces gens anxieux, et convaincus qu’ils le sont à raison, sait même ce qu’est ce GIEC qui alimente leur anxiété? Qui connaît son histoire, sa genèse, comment et par qui il s’est constitué? (Je vous incite à le faire, c’est édifiant… si c’est vrai; en lisant par exemple La Religion écologiste de Christian Gerondeau, mais il est d’autres sources pour de nécessaires recoupements).

    En réalité, personne ne sait rien sur rien: nous sommes la proie de croyances prenant l’apparence de vérités scientifiques qui, comme toute croyance, ne tolèrent aucune contradiction. C’est même à cela qu’on reconnaît les croyances, et à la capacité d’inclure le débat (l’épistémologie) qu’on reconnaît la science.

    Mais laissons la conclusion à Fontenelle.

    Notre philosophe n’est pas dupe, il sait que la méthode qui consiste à vérifier d’abord le bien fondé de chaque fait se heurte à un obstacle de taille: elle demande du temps, énormément de temps, beaucoup trop de temps en regard de celui dont nous disposons. Sa lenteur est non seulement inadaptée à la précipitation naturelle de l’homme, pour ne pas dire à sa paresse ou à son confort intellectuel («il est vrai que cette méthode est bien lente pour la plupart des gens qui courent naturellement à la cause, et passent par-dessus la vérité du fait»), mais surtout au tourbillon de sollicitations qu’impose à chacun de nous la vie moderne. A l’image des événements historiques que nous évoquons dans nos conversations, il en va du flot d’informations quotidiennes qui nous inonde comme des multiples événements de la sphère privée que nous commentons: faute d’avoir pu en être les témoins directs, nous devons nous appuyer sur des informations non vérifiées ou nous rapporter à des témoignages de seconde main. Il suffit d’écouter n’importe quel échange, sur n’importe quel sujet, pour constater qu’y sont commentés des faits dont les interlocuteurs seraient bien incapables de garantir l’authenticité, et pour lesquels ils sont contraints de se fier à d’autres personnes, ou de faire confiance à d’autres sources. Ainsi en va-t-il, à l’exception – et encore! – des rares domaines où nous nous sommes spécialisés, de l’ensemble de nos connaissances auxquelles, pour ne pas les discréditer en les qualifiant de croyances, nous attribuons généreusement le label «scientifique». Les médias, comme les politiques, sont tout particulièrement exposés à cette tendance, ce qui constitue un danger certain pour nos sociétés démocratiques, ou ce qu’il en reste («nous vivons en démocratie» est aussi une de ces doxas qu’il est malvenu d’interroger).

    La position de Fontenelle, concevable à la fin du XVIIe siècle et inattaquable sur le papier, relève au XXIe siècle du vœu pieux. Et c’est peut-être là le nœud du problème, à notre époque: cette insurmontable dichotomie entre l’abondance d’informations et l’absence de temps permettant de les traiter, terrain idéal pour la prolifération des croyances, des délires, de la propagande, de la manipulation, terrains où s’épanouissent à loisir les Greta ou les Diafoirus de Fontenelle.

    Entre croyance et science, il devrait nous rester le bon sens. Hélas! C’est bel et bien à une crise du bon sens que nous assistons actuellement à tous les niveaux, et avant tout dans la sphère politique. Une crise qui résulte logiquement d’un matraquage incessant ciblant nos peurs et nos culpabilités. Rien que d’y penser, je deviens politico-anxieux, une maladie qui devrait bientôt figurer dans le catalogue nosologique à côté de l’éco-anxiété.

    Pour me soigner, j’ai décidé de refuser systématiquement tout argument, idéologie ou théorie visant mes peurs ou ma culpabilité. Pour l’instant du moins, je n’ai rien trouvé de mieux. Mais ça semble fonctionner...

     

    1.jpg

    2.jpg