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Blogres - Page 13

  • Prévisions 2050

    Par Pierre Béguin

    Vu sur internet:

    Des climatologues prévoient pour l'été 2050 des températures pouvant atteindre les 50 degrés dans certaines capitales européennes. On ne sait pas sur quel modèle se base cette prévision.

    En revanche, pour ce même été 2050, on connaît déjà avec certitude trois des demi-finalistes de Wimbledon:

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  • Z'avez dit sexiste?

    Par Pierre Béguin

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    Je suis resté songeur face à cette publicité des CFF aperçue sur un quai de gare. Non pas que le sexisme affiché contre le fameux mâle blanc occidental hétérosexuel cinquantenaire ne me froisse. Ce sexisme-là s’inscrit dans l’air du temps - en certaines circonstances, il permet même aux hystéroféministes de communier dans la haine de l'oppresseur absolu. C’est d’ailleurs l'unique forme de sexisme qui ne suscite aucune réaction et pour lequel la généralisation est admise. En ce sens, je perçois parfaitement la dérision qui participe de cette publicité, et cette dérision est même de nature à me faire sourire.

    Non! Ce qui me laisse songeur, c’est que cette fameuse dérision – que les CFF feront passer comme du second degré – est totalement licite dans un sens alors qu’elle deviendrait totalement scandaleuse dans l’autre. Imaginons que la publicité des CFF soit orientée ainsi:

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    Je ne donne pas une minute à cette affiche pour déclencher son lynchage immédiat par la police de la pensée, aux CFF pour devenir la cible de tous ces tribunaux populaires que sont devenus les réseaux sociaux, aux instances juridiques pour infliger à la régie nationale une lourde amende au nom des lois anti sexistes, à la Suisse pour être montrée du doigts par tous les bien-pensants de l’univers qui se multiplient à une vitesse impressionnante dans l’immunité de leur anonymat. Invoquer la dérision, le second degré, ne serait alors d’aucun secours. Au contraire. On ne manquerait pas de démontrer la possibilité d’un dangereux continuum entre un tel slogan lourd dingue et le pire des violeurs.

    Oui, ce qui me laisse songeur, c’est bien cette logique parfaitement admise par le politiquement correct de deux poids deux mesures, de cette division binaire du monde entre victimes et bourreaux, dominés et dominants, où la perversité n’affecte qu’une moitié de l’humanité, celle du mâle blanc hétérosexuel – le cis-genre, comme la novlangue le désigne dorénavant -, justifiant ainsi des concepts aussi absurdes que la discrimination positive ou le victim blaming. Tant est devenu discriminatoire le simple constat de cette norme majoritaire.

    Je ne m’égare pas. Notre publicité, vue sous un certain angle, peut devenir exemplaire des dérives actuelles. Que l’on songe - comme je l'ai fait en la découvrant - à la chasse systématique aux comportements, aux expressions, aux publicités qui ne respectent pas l’idéologie ambiante! Je ne peux m’empêcher de citer dans cette optique un passage du dernier livre de Natasha Polony et Jean-Michel Quatrepoint Délivrez-nous du bien!, dont je recommande vivement la lecture:

    «Chaque année, l’ARPP (Autorité de régulation professionnelle de la publicité) publie une charte déontologique, listant les termes et concepts prohibés. Ainsi, il y avait une pub de Calgon montrant une femme à genoux devant sa machine à laver, visiblement peu satisfaite du résultat: Ah! si elle avait connu Calgon, clame derrière elle un homme en blouse blanche. Ce type de pub est désormais interdit. Il ne faut pas montrer une femme dans une position où le sachant lui apparaît comme lui étant supérieur (...) McDo cherche à élever le niveau de ses pubs: l’une d’entre elles met en scène une femme qui joue de la harpe dans un de ses restaurants. Protestation du CSA qui affirme sans rire qu’une joueuse de harpe est passive et que la mettre en scène revient à maltraiter l’image de la femme».

    Ainsi donc mettre en scène une femme jouant de la harpe dans un McDo est dégradant pour l’image des femmes. Mais représenter le mari comme l’imbécile de service est pure dérision innocente.

    Tout est dit!

    Même si j’aimerais bien entendre les arguments – je dis bien les arguments – de celles (et même de ceux) qui ne voient rien d’irritant ou d’anormal dans cette discrimination à sens unique. Car de deux choses l’une: soit on interdit tout uniformément, soit on tolère tout dans un certain cadre défini. Personnellement, j’ai choisi. Je ne supporte plus cette dictature de la bien-pensance prête à envoyer toute déviance dans des camps de rééducation sous le regard pétrifiant de quelques Gorgones de service. Je veux un monde où la connerie des uns ne tenterait pas à tout prix de judiciariser celle des autres, où l'on aurait le droit, à l'occasion, d’être lourd, où la publicité (puisqu’elle existe) se permettrait de brocarder les hommes comme les femmes...

    C’est cela la tolérance… et l’égalité!

     Délivrez-nous du bien!  Natasha Polony, Jean-Michel Quatrepoint, Ed. de l’Observatoire, 2018

  • Ombres et lumières de l'amour absolu (Daniel Odier)

    par Jean-Michel Olivier

    Unknown-1.jpegJ'avais (un peu) perdu la trace de Daniel Odier (né à Genève en 1945), écrivain protéiforme, romancier à succès, mais aussi spécialistes des mystiques orientales (l'amour tantrique). Il revient, pour notre grand bonheur, avec un roman singulier, Fédor & Miss Bliss*, qui est une fantaisie inspirée de L'Idiot de Dostoievski.

    Daniel Odier, rappelons-le, c'est à la fois le scénariste de Les Années-lumière (1981), peut-être le meilleur film d'Alain Tanner, et l'auteur de polars, sous le nom de Delacorda, dont le plus célèbre fut bien sûr Diva, adapté au cinéma par Jean-Jacques Beineix. Unknown-3.jpegC'est aussi l'auteur de plusieurs romans importants et d'ouvrages de référence sur les mystiques orientales et la pensée zen.

    Nous sommes à Vevey, non loin de la maison dans laquelle Dostoievski écrivit, vers 1868, quelques chapitres de L'Idiot. Ce patronage est essentiel, puisque ce roman va servir de toile de fond à Fédor & Miss Bliss. Très vite, l'héroïne, Miss Bliss (autrement dit : Mademoiselle Bonheur, ou Félicité, ou Extase) va se trouver entraînée dans un scénario directement inspiré de Dostoievski. Comme dans le roman russe, elle va tomber sous le charme de Nastassia, fascinante créature d'amour et de mort, elle-même promise à Luigi, un mafieux très épris de sa fiancée, et courtisée, comme il se doit, par Aglaia, un amoureux transi et malheureux. Le scénario dostoievskien, implacable et tortueux, va être parfaitement respecté, d'un bout à l'autre d'un roman qui mêle à merveille le réel et l'imaginaire, ou plutôt son hallucination.

    Pas trace, ici, de roman réaliste : l'imagination a définitivement pris le pouvoir ! Et c'est tant mieux.

    images-3.jpegDans cette fantaisie singulière, Odier développe les thèmes qui lui sont chers : la pureté, l'innocence (incarnées par la délicieuse Miss Bliss), la passion dévorante, la jalousie, etc. Mais au centre du livre, à la fois comme question et comme affirmation, il y a l'amour absolu. Qu'est-ce qu'aimer ? Comment aimer ? Et, bien sûr, quelles sont les conséquences de cet amour absolu ? 

    Je ne dévoilerai pas l'épilogue de ce roman où « tout est magnifié dans un espace-temps où s'expriment les pulsions les plus lumineuses et les plus sombres. » Odier nous montre que le réel n'existe pas — ou plutôt qu'il n'est qu'une hallucination de nos désirs secrets. Après avoir longtemps vécu aux États-Unis, puis à Paris, Genève, Barcelone, cet ami de William Burroughs et d'Anaïs Nin s'est installé sur la Riviera vaudoise, à Vevey, où vécurent Rousseau, Courbet et Dostoievski qui lui a inspiré un roman vif et profond. 

    Une réussite !

    * Daniel Odier, Fédor & Miss Bliss, roman, éditions de l'Aire, 2019.

  • La voix de son maître

    Par Pierre Béguin

    Tribune de Genève, vendredi 24 mai :

    Genève à la pointe de la lutte contre le dumping salarial! Un dispositif paritaire unique en Suisse qui met à mal la sous-enchère! On croit rêver! Manchettes, gros titres, première page et deux autres pages pleines, tout le toutim! En matière de communication, le Conseil d’Etat a sorti la grosse artillerie. Pourquoi ce ramdam autour d’un tel sujet, tout à coup? Fallait-il qu’il eût quelque chose à justifier pour convoquer l’arsenal médiatique? «Avec le conseiller d’Etat Mauro Poggia en maître de cérémonie de la présentation» précise le journaliste. 

    Bon! Vous me direz: c’est sûrement vrai puisque c’est le Conseil d’Etat lui-même qui l’affirme. Rien de mieux que l’autocongratulation, à plus forte raison que, ces derniers mois, nos politiciens ne peuvent pas vraiment compter sur les autres pour leur tresser des louanges. Et pour une fois que Genève ne serait pas à la traîne helvétique, autant le clamer haut et fort. Cela dit, la Suisse étant, en matière de dumping salarial, classée parmi les cancres, être le meilleur des cancres ne signifie pas qu’on ait obtenu une bonne note. (On se demande bien d'ailleurs où sont les premiers de classe dans cette histoire.)

    Je ne sais pas pour vous, mais personnellement, que Genève soit à l’avant-garde de la lutte contre le dumping salarial, je n’avais rien remarqué. Mais alors là, absolument rien! Et à voir tous les témoignages et récits prouvant le contraire qu’on m’a envoyés après mon post sur le scandale des tours des CFF (cf. Gotham City), je peux vous assurer que les principaux concernés, autant les syndicats ouvriers que patronaux, eux non plus n’ont rien remarqué.

    Ce qu’ils ont remarqué, en revanche, c’est le profond silence des instances idoines pourtant dûment interpellées à plusieurs reprises: silence de la fameuse Ocirt (Office cantonal de l’inspection et des relations du travail) dont l’efficacité est pourtant vantée dans l’article de la Julie, silence des commissions paritaires, silence des députés, silence des conseillers d’Etat eux-mêmes. Il est vrai que les milieux professionnels pourraient considérer le plaidoyer pro domo du Conseil d’Etat dans la presse comme une réponse aux doléances qui leur ont été adressées. Une sorte de réponse officielle comme les annonces au tambour d’autrefois sur la place publique, en quelque sorte. Oyez braves gens! Sauf que ce n’est pas cette réponse que les braves gens attendaient…

    Ce que je remarque, de mon côté, c’est la crainte de tous les chefs d’entreprises prétérités par le dumping salarial de s’avancer à visage découvert, autant dans les témoignages reçus après Gotham City que dans les nombreux commentaires qui ont suivi ce post. La raison en est simple: tous craignent – à tort je pense – de perdre des adjudications et de se voir exclus des mandats publics nécessaires à la bonne marche de leur entreprise. Dans tous les cas, on est loin de l’état des lieux idyllique dressé par le conseil d’Etat.

    Cela dit, n’étant personnellement ni entrepreneur ni employé – même si je reste outré en tant que citoyen que ces pratiques se passent chez moi –, je ne suis pas directement concerné et je ne vais pas en faire mon combat. Je laisserai cette mission aux personnes impliquées. Mais je ne peux m’empêcher de relever, une fois de plus, qu’en la circonstance la Tribune de Genève a parfaitement rempli son rôle de paillasson approbateur de la politique genevoise: faire passer la parole divine en utilisant tous les amplificateurs possibles et sans la moindre distance critique. Rappelons cette évidence trop souvent oubliée: que la presse doit exercer, dans une démocratie bien pensée, la fonction essentielle du troisième pouvoir pour autant qu’elle soit au service des gouvernés et non des gouvernants. En son temps, le Washington Post était cité en exemple pour avoir appliqué ce principe au risque même de son existence.

    D’accord! La Julie n’est pas exactement le Washington Post et elle ne le sera jamais. Ce vendredi, elle semblait même plus proche de La Pravda que du célèbre quotidien américain. Et quand la presse devient la voix de son maître, quand elle ne peut plus se permettre financièrement aucun travail d’investigation, quand la parole d’Etat peut se faire entendre sans la moindre distance critique, quand les principaux lésés rampent devant l’autorité, quand tout le monde s’en fout, on peut se demander où vont se terrer les principes de base d’une démocratie.

    Qu’un gouvernement s'octroie trois pages dans un quotidien pour louer les mérites de sa politique en matière de lutte contre le dumping salarial, c’est surtout utile… en vue des prochaines élections. Mais c’est l’économie locale qu’il faudrait sauver, pas nos élus! Dans cette perspective, secouer l’inertie des instances administratives chargées de ces questions semblerait plus pertinent que de vouloir dresser l’opinion publique en sa faveur. Il y a encore tant de failles dans le beau dispositif genevois unique en Suisse, etc. etc. (rhubarb! rhubarb! diraient les Anglais.)

    Pour commencer, il serait temps d’appliquer, voire de renforcer, l’article 5 de la loi fédérale sur les travailleurs[1] qui permet de faire remonter la responsabilité juridique au maître d’ouvrage ou à toute entreprise qui mandaterait une sous-traitance. Malheureusement, cette loi n’est visiblement pas appliquée, ou très peu. Et aussi longtemps que ce sera le cas, le merveilleux dispositif genevois censé mettre à mal le dumping salarial n’atteindra jamais le niveau d’efficacité souhaitable et souhaité ailleurs que dans les colonnes de la Tribune. L’affaire des tours des CFF aux Acacias racontée dans Gotham City en est une parfaite illustration: ni Implenia, ni les CFF, ni la Confédération, censés pourtant, selon l’article 5, «répondre civilement du non-respect par les sous-traitants des salaires minimaux nets et des conditions de travail», n’ont été mis en cause une seconde. Comme le faisait remarquer un commentaire: ailleurs qu'en Suisse, les CFF seraient dans un sacré pétrin!

    Les dizaines de témoignages analogues qu’on m’a fait parvenir depuis, dont les plus édifiants mériteraient de figurer prochainement dans Blogres, ne font que s’ajouter au malaise. Oyez, braves gens!

    Affaire à suivre?

    [1] Si des travaux sont exécutés dans les secteurs de la construction, du génie civil et du second-œuvre par des sous-traitants, l'entrepreneur contractant (entrepreneur total, général ou principal) répond civilement du non-respect par les sous-traitants des salaires minimaux nets et des conditions de travail.

    L'entrepreneur contractant répond solidairement de tous les sous-traitants lui succédant dans la chaîne contractuelle.

    (…)

     

  • Feria del libro, Bogota

    Los imperdibles de la FILBo 2019 según Laterales Magazine

    Felipe Sánchez Hincapié 
    29 / 04 / 2019

    Joselito carnaval, por Pierre Béguin

    Joselito1.jpgImagínese esta escena: mientras Barranquilla es un mar de color, baile, ron y frenesí por cuenta del carnaval; en la morgue de una prestante universidad se despierta un indigente rodeado de cadáveres. Su llegada fue conducida a través de engaños, e incluso sobrevive al intento de asesinato perpetrado por los guardas de seguridad, quienes pretendían traficar con sus órganos y su cadáver para estudios de anatomía. La historia, aunque espeluznante y delirante, fue real. Y si bien su protagonista se salvó de milagro, otros colegas recicladores, o “cartoneros” como los llamaban con desdén, no corrieron con la misma suerte. Tras conocerse su testimonio, empezó a revelarse una intriga que involucró a altas personalidades de la política, pero que el aparato judicial se encargó de ocultar, quedando primero relegada al escándalo momentáneo y luego al eterno olvido. El escritor suizo Pierre Béguin narra un capítulo de nuestra historia de infamias que a los ojos del presente resulta difícil de concebir, pero que no es más que la constatación de esa eterna violencia que, entre el carnaval y el martirio, nos sigue como la sombra.

    Pierre Béguin, Joselito Carnaval, Sílaba Editores, 2019

  • Des fleurs pour Michel Tournier (Serge Koster)

    par Jean-Michel Olivier

    Unknown-3.jpegSi tous les écrivains ne rêvent pas d'écrire des best-sellers, tous, en revanche, rêvent d'avoir de bons lecteurs. Michel Tournier a eu cette chance : il a non seulement rencontré le succès avec ses livres (Le Roi des Aulnes, Prix Goncourt 1970), un succès mérité, mais il a eu la chance de trouver un excellent lecteur, subtil et acharné, en la personne de Serge Koster, critique littéraire, romancier, professeur de lettres féru de figures de style. images.jpegOn ne compte plus les textes que Koster a consacrés à l'auteur de Vendredi ou les Limbes du Pacifique, dont il fut un intime : en particulier, le magistral Michel Tournier, paru en 1986 chez Henri Veyrier, et réédité plusieurs fois depuis.

    Quand Koster apprend la mort de Tournier, en janvier 2016, c'est le choc : les deux amis ne s'étaient pas revus, ni parlés depuis longtemps. Et Tournier, mort à 91 ans, ignorait tout de la maladie pernicieuse qui rongeait Koster — la même qui a touché François Nourissier et tant d'autres écrivains : la maladie de Parkinson, baptisée Miss P.

    Depuis plusieurs années, Koster n'écrit plus. Son combat contre la maladie l'épuise. Il va reprendre la plume à la mort de Tournier, à la fois pour lui rendre hommage (quelques fleurs de rhétorique en guise de couronne) et pour lui dire, aussi, peut-être, tout ce qu'il a tu pendant si longtemps, ses cauchemars, le mal qui ronge ses nuits et bientôt ses journées.

    Unknown-4.jpegCela donne un extraordinaire petit livre, Tournier parti*, un livre bifide, à deux faces, presque à deux voix : le récit d'une amitié profonde et fidèle avec l'ermite de Choisel (c'est le côté solaire) et l'avancée subreptice de la maladie, qui provoque des visions terrifiantes et des hallucinations (c'est le côté nocturne). 

    Pour évoquer ainsi le jour et la nuit, l'amitié solaire et les démons nocturnes, Koster retrouve le ton de ses romans « autofictifs ». Lui qui n'arrive qu'« à parler de lui », creuse encore la blessure qui le déchire : le silence, voire le sentiment d'abandon après une amitié de 30 ans avec l'écrivain des Météores et cette lente descente aux abîmes qu'il a l'impression de vivre chaque jour — et surtout chaque nuit — depuis qu'on lui a annoncé sa maladie, en 2011. 

    Une fois de plus, ce grand amateur de littérature (il a écrit sur Racine, sur Ponge), obsédé par le style, trouve dans l'écriture une consolation ardente aux maux qui le dévorent. « La salope lâchée par mon organisme pompe mon énergie mentale et physique, elle m'obsède au point de m'empêcher d'écrire, elle ne me permet d'écrire qu'à partir d'elle obsédante, impossible d'échapper au piège. » Pourtant, l'étau se desserre le soir, vers 11 heures, quand il se glisse entre les draps, « s'allonge contre le flanc de la reine de ses années, savoure la paix de tout son souffle, sur la vague de l'accalmie qui l'accueille, l'enveloppe, le sauve. »

    images-2.jpegS'il a, parfois, des accents d'oraison funèbre (on y croise tout un peuple de fantômes), le livre de Koster est aussi une célébration de l'amitié et de la littérature, à travers cette recherche sans fin du style (Koster apprécie Léautaud, Chateaubriand, Racine, tous les grands stylistes) — qui était un sujet de controverse entre les deux amis. Pour Koster, Tournier était sans doute une figure de l'amitié, par son goût pour la métaphore et l'allégorie, mais aussi par sa générosité et sa simplicité. 

    En grand amateur de tropes, dans son petit livre éclairant, Serge Koster lui rend admirablement justice.

    * Serge Koster, Tournier parti, éditions Pierre-Guillaume de Roux, 2019.

  • Les Carnets de Corah (Épisode 86)

    Épisode 86 : Marc JURT en rêvant : L’Observateur

    MARC JURT L'OBSERVATEUR.pngTiens ! D’où nous observes-tu, l’artiste ? De ton fantasque atelier balinais suspendu dans les airs, de ce vaisseau ivre que tu ouvres spécialement à notre regard ?

    Nous y découvrons l’intérieur de la nacelle en bambous qui se balance aux vents comme une drôle de machine à vapeur. C’est ton poste d’observation. Il produit cette nébuleuse qui n’est peut-être qu’un trompe-l’œil, un lieu commun ou un rêve hippie alliant chemise à fleurs, palmiers et invitations au voyage.

    Tu t’inscris dans la vague de brume, tu te mets dans l’abîme. Je vois mieux la pupille dilatée de tes yeux clairement dessinée à travers une paire de jumelles créant ainsi une distance entre nous, une sorte d’écran comme si tu te cachais, espiègle, derrière un masque. Espères-tu voir sans être vu ?

    Où porte ton regard ? vers un avenir qui se dessine dans la nébuleuse du temps ? C’est ici, aujourd’hui, que j’aime te retrouver. Et peut-être nos regards se sont-ils rencontrés.   

    Marc Jurt. L’Observateur, 1981. Eau-forte et aquatinte en noir et bleu ; 27,9 x 19,8. Catalogue raisonné, n93.

    Note de Marc JURT à propos de L’Observateur  : « Autour des différentes maisons dans lesquelles j’ai gravé ». Catalogue raisonné, p. 50.

  • Gotham City

    Par Pierre Béguin

    gotham.JPGQui n’aurait pas encore remarqué les trois grandes tours des CFF avec leurs énormes façades en marbre foncé qui trônent sur Lancy Pont-Rouge? Vous savez, celles qui ressemblent furieusement à Gotham City.

    C’est justement l’histoire de ces façades en marbre que nous allons vous raconter. Or donc les CFF, plus gros propriétaire immobilier de Suisse et dont les terrains de Pont-Rouge (et d’ailleurs) se voient largement valorisés par le tracé du CEVA (que les contribuables genevois connaissent bien), les CFF donc, pressés d’engranger les bénéfices, mandatent comme entreprise générale Implenia qui, elle-même, se charge de sous-traiter les travaux à diverses entreprises du bâtiment.

    Suivons plus particulièrement la piste de l’adjudication du marbre. Les conditions posées par les CFF aux entreprises genevoises (et pour cause comme nous allons le voir) étant impossibles à respecter à moins de travailler à perte, c’est l’entreprise Eckardt & Hofmann AG, dont le siège social se trouve dans le canton de Zürich, à Volketswil pour être précis, qui remporte la mise (Eckardt & Hofmann est en réalité une filiale de Hofmann Naturstein GMBH, sise à Werbach en Allemagne, qui fournit le marbre à Eckardt & Hofmann AG, c’est-dire à elle-même – car il n’y a pas de petits profits).  Mais alors, me direz-vous, comment se fait-il qu’une entreprise suisse alémanique, filiale d’une entreprise allemande, qui doit en plus déplacer ses ouvriers et son infrastructure à Genève, puisse faire une soumission à meilleur prix que nos entreprises locales? Bonne question, que nos autorités feraient bien de se poser!

    La réponse est simple: la filiale Eckardt & Hofmann AG fonde pour la circonstance une société à responsabilité limitée, en l’occurrence P.Granit Swiss Gmbh, inscrite au registre du commerce de Stans, Nidwald, le 2 août 2017.

    L’Union des marbriers genevois flaire l’arnaque. Trois inspections sont effectuées par le bureau du contrôle  des chantiers (BCC) entre le 22 novembre et le 2 décembre 2017. Une vingtaine d’ouvriers polonais sont interrogés. Avec à la clé toute la panoplie des infractions que l’on devine: salaires trop bas, temps de travail trop élevé avec heures supplémentaires non payées (10 heures effectuées pour huit rétribuées), certaines charges non payées, facturation du logement aux ouvriers entre CHF 300,- et 500,- pour un lit, la vingtaine d’ouvriers de P.Granit Sàrl étant logés dans la même maison, chemin Macherey au Grand-Saconnex (le bail indique CHF 48000,- pour l’année; faites les calculs). Tous les véhicules sur place avaient des plaques allemandes.

    Une requête en mesures superprovisionnelles est déposée à la Cour de Justice contre P.Granit Sàrl. Curieusement, la Cour rejette la requête, estimant qu’il n’y a pas d’urgence particulière à traiter le cas, précisant au passage que P.Granit n’est pas signataire de la convention nationale alors que celle-ci a force obligatoire dans toute la Suisse. Un peu comme si un policier arrêtait un conducteur en état d’ivresse, constatait le délit… et laissait repartir le chauffard. De quoi alimenter des mauvaises langues qui ne manqueront pas de dénoncer les nouveaux accords bilatéraux, et Bruxelles qu’il faut ménager. Nous ne les suivrons pas sur ce chemin, encore que…

    L’Union des marbriers genevois ne relâche pas la pression pour autant. Un nouveau contrôle est effectué en avril 2018 qui démontre que P.Granit continue allègrement de violer toutes les conditions de travail du second œuvre. Si bien que, en été 2018, P.Granit Sàrl dépose le bilan, prétextant qu’elle a terminé son travail à Pont-Rouge.

    Affaire classée? Pas du tout! En août apparaît la société Marvit Gmbh, basée à Dietikon et inscrite au registre du commerce du canton de Zürich. Et devinez quoi? Marvit emploie les mêmes ouvriers polonais, effectuant à Pont-Rouge le même travail que P.Granit, avec les mêmes infractions dûment constatées par les mêmes inspecteurs du bureau de contrôle des chantiers. Nul besoin d’être grand clerc pour comprendre qu’un deuxième tour de carrousel juridique se terminerait comme le premier,   par un dépôt de bilan de Marvit Gmbh, avant qu’une nouvelle société en Sàrl, dûment enregistrée à Zoug, ne prenne la relève, employant les mêmes ouvriers polonais, avec les mêmes infractions au code du travail, etc. etc. Et ainsi de suite…

    A moins que le Département Sécurité Emploi et Santé (DSES), soit par l’Office Cantonal de l’Inspection et des Relations de Travail (OCIRT) soit par son responsable politique, Monsieur Mauro Poggia, ne se décide enfin à sortir de son silence aussi effrayant que celui, éternel, des espaces infinis. Car c’est aux politiques et à l’administration qu’il incombe d’imposer des règles de jeu identiques pour chaque entreprise, d’ici ou d’ailleurs, et de protéger le tissu économique local contre tout ce qui le délite en violant ostensiblement les lois sur le travail, et en ne s’acquittant ni des charges ni des impôts auxquels sont soumises les entreprises genevoises. Une situation intolérable de dumping, voulue par un système d’infractions multiples connu de tous, et qui dure depuis des années en dépit de toutes les promesses politiques. Et quand on sait que, dans le cas relaté, en haut de cette pyramide de l’arnaque se trouve la Confédération elle-même (qui détient les CFF), censée, donc, faire appliquer des lois qu’elle a promulguées et qu’elle est la première à transgresser, on plonge dans un abîme de perplexité: car à tous les étages, chacun proclame sa bonne foi la bouche en cœur et se lave les mains de ce qui se passe à l’étage inférieur, à commencer par les CFF…

    Quant à vous, chers concitoyens et contribuables qui me lisez, si vous passez à Gotham City devant les tours des CFF, quand vous regarderez ces larges façades de marbre foncé, ayez une petite pensée pour mon histoire. Elle en cache des centaines d’autres identiques…

  • Les Carnets de Corah (Épisode 85)

    Épisode 85 : Marc JURT en rêvant : Daphné

    JURT-DAPHNEXX.jpegIls sont comme deux bambous aimants, côte à côte, noués par un lien plus souple qu’une alliance. Leurs vœux sont ici gravés sur une plaque puis reproduits ailleurs dans l’œuvre à la manière d’un souvenir résurgent de l’artiste ou d’une fête d’anniversaire. Le temps n’a pas de prise sur cette empreinte. Le couple tient miraculeusement debout sans ancrage, se protégeant, dans le creux l’un de l’autre, des pluies célestes. Ils sont captifs et seuls au monde.

    L’image d’Épinal est peut-être belle : ensemble pour la vie ! Mais le réel n’est pas une idée fixe, une promesse à tenir ou un lieu commun. Il a besoin de mouvement, d’absence et de liberté comme une solution de continuité. Couchant leurs désirs sur un papier de Bali sablonneux, les aimants s’écartent sans se repousser, lâchent la bride, nouent d’autres liens, élargissant le cercle. Ils choisissent un nouveau terrain de jeu couleur ocre. Mais ils sont trois à présent. Faudra-t-il tenir compte du tiers-exclu ?

    La rupture avec le réel ouvre ainsi un espace imaginaire qui, avec le temps, trouve une forme d’harmonie et de légèreté bienvenue. L’attache est toujours présente, forte et plus souple qu’une alliance.

    Marc JURT. Daphné XX, 1988. Monotype, pointe-sèche et aquatinte, avec papier Bali appliqué, réhaussés de gouache blanche. Sur papier Népal, 68 x 49 cm. Épreuve unique.

  • L'amour en plus (Antoine Jaquier)

    par Jean-Michel Olivier

     

    Unknown-1.jpegLonguement mûri, le premier roman d'Antoine Jaquier, Ils sont tous morts* (2013), a connu un succès mérité, et reçu le Prix Édouard-Rod en 2014 (voir ici). Deux autres livres ont suivi, Avec les chiens et Légère et court-vêtue, qui poursuivaient, à leur manière, l'exploration de cet envers du décor qui est la marque de fabrique de Jaquier. Aujourd'hui, délaissant les sentiers du roman réaliste, Jaquier nous propose un roman d'anticipation, Simili Love**, nourri à la fois de Yuval Harari et de Laurent Alexandre, les spécialistes de l'Intelligence Artificielle (IA). 

    Nous sommes en 2040, dans un monde fracturé et hiérarchisé en classes distinctes (les Élites, les Désignés, les Inutiles). La Grande Lumière a permis à chacun de consulter sa propre base de données et aussi celle des autres, supprimant ainsi toute intimité, dans une complète transparence. Maxime, écrivain, la cinquantaine déprimée, a perdu dans l'aventure sa femme et son fils, partis sans laisser d'adresse. Il se console avec Jane, un androïde de la dernière génération, connectée à l'ordinateur central, qui connaît tout de ses désirs et de ses peurs, et se rapproche de la femme parfaite dont il rêvait (c'est une excellente cuisinière!). Unknown-3.jpegTous les deux filent le parfait amour. Mais est-ce bien de l'amour ? Et est-il si parfait que cela ? Il vaudrait mieux parler de simili-love, d'amour postiche, de simulacre amoureux. 

    En quelques chapitres, Jaquier reconstitue, de la base au sommet, une société entièrement dirigée par des ordinateurs et régie par des algorithmes. C'est à la fois terrifiant et d'une cohérence sans faille. Dans ce meilleur des mondes (qui n'est bien sûr qu'une projection du nôtre), des puissances occultes (DEUS, la Mère) tiennent les rênes des sociétés fragmentées, à leur unique profit, en fournissant drogues de synthèse, droïdes plus qu'humains et divertissements à gogo. Le tableau — s'il cède un peu facilement à la mode apocalyptique — est saisissant. Dans ce nouveau monde, tout est contrôlé, connecté, manipulé de manière à ne laisser aucune liberté à ceux qui l'habitent. 

    Cette perfection artificielle ne dure qu'un temps. Le passé ressurgit dans la vie de Maxime qui décide de sortir des ornières de l'IA pour partir à la recherche de son fils. La seconde partie du livre, où l'on sent l'influence de Cormac McCarthy (La Route***), brosse un autre tableau : comment sortir du système, finalement agréable, qui faisait de Maxime un privilégié, dopé aux pilules de soma ? Arpentant la Bretagne, Maxime va rapidement découvrir que les marges de cette nouvelle société ne sont pas sans danger. La mort y rôde, comme l'amour. L'alternative sociale que dessine Jaquier ressemble aux utopies soixante-huitardes (vie en communauté, permaculture, décroissance, etc.) et fait la part belle (un peu trop, peut-être) aux prédictions catastrophistes. Mais cela n'enlève rien à la force de ce roman d'anticipation qui frappe à la fois par son imagination et sa cohérence.

    * Antoine Jaquier, Ils sont tous morts, roman, L'Âge d'Homme, 2013.

    ** Antoine Jaquier, Simili Love, roman, Le Diable Vauvert, 2019.