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Blogres - Page 10

  • Branlette ou levrette?

    Par Pierre Béguin

    Il y a quelques mois encore, j’aurais opté pour la blague. Aujourd’hui – et c’est bien cela le plus grave – l’information me semble crédible tant elle s’inscrit parfaitement dans le délire du temps: il paraît qu’on vient de franchir un nouveau pas dans l’escalade des «gestes barrières» – comme on les appelle – au temps du Covid-19. Bon! C’est au Canada, me direz-vous! Mais à considérer toutes les sottises qui franchissent allègrement l’Atlantique, on peut légitimement s’inquiéter.
    Or donc, la responsable de la santé publique du Canada, une certaine Dr Theresa Tam, suggère qu’en temps de pandémie, les couples devraient éviter de s’embrasser et faire en sorte que leurs «visages ne se touchent pas ou ne soient pas près l’un de l’autre en cas de rapports sexuels». Dans la foulée, elle recommande même aux couples de porter un masque durant l’«acte»:
    «Les relations sexuelles peuvent être compliquées pendant la pandémie de Covid-19» indique-t-elle dans un communiqué, avant d’ajouter sans rire: «Les activités sexuelles les moins risquées pendant que sévit la Covid-19 sont celles où vous êtes seul».
    Bref, vous l’avez compris: pour les Canadien-ne-s, l’alternative c’est branlette ou levrette. Des millions de pratiquant-e-s en position «modus animalis», renommée pour la circonstance position Covid-19. Quel bel alignement! C’est notre bon Docteur Knock qui va être content.
    Je ne sais pas pour vous, mais moi, dorénavant, je crois que plus jamais je ne regarderai un Canadien – et surtout une Canadienne – avec les yeux d’antan. Et puisque là-bas, le sport national est le hockey, je suggère à cette bonne doctoresse Theresa Tam de recommander pour exécuter l’«acte», tout en conservant préservatif et masque bien entendu, l’utilisation systématique de la canne de hockey, au maniement de laquelle les Canadiens sont reconnus comme des experts, et qui permettrait aux visages non seulement de ne point se toucher mais surtout aux corps de maintenir la fameuse distance de 1,50 mètre imposée bientôt dans tous les manuels de sexologie outre-Atlantique.
    En de telles circonstances, pour de telles pratiques, je me demande si, en Suisse, nos autorités ne seraient pas bien avisées de recommander «incessamment sous peu» l’usage du cor des alpes. Songez que c’est tout un pan de l’économie suisse qu’on pourrait ainsi redresser, si je puis dire!
    En v’là une bonne idée! Merci qui?

  • Angoisse et tremblements (Serge Bimpage)

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    par Jean-Michel Olivier

    Cinq ans après La peau des grenouilles vertes*, un polar inspiré par l'affaire de l'enlèvement de Joséphine Dard, Serge Bimpage, ancien journaliste au Journal de Genève, à l'Hebdo et à la Tribune de Genève, nous donne Déflagration**, son livre le plus abouti. Brassant une multitude de thèmes d'actualité (le réchauffement climatique, le mouvement #MeToo, le confinement, la collapsologie), il construit un roman riche et fort qui tient le lecteur en haleine d'un bout à l'autre de ses 500 pages.

    Impossible de raconter les détails de cette déflagration sans risquer de jouer les spoilers! Il faut laisser au lecteur le plaisir de se faire mener en bateau, si j'ose dire, par une écriture alerte et surprenante qui vole de péripéties en rebondissements, multiplie les personnages et les intrigues, passe au scanner nos peurs et nos fragiles émotions.

    images-3.jpegSolidement construit en trois parties (avant, pendant, après), le roman suit les méandres et les doutes de Julius Corderey, professeur d'Histoire à l'Université de Genève et auteur d'un livre qui a fait date, autrefois, Une île au milieu de l'Europe (livre, par ailleurs, dont on ne saura rien). Mais la gloire est lointaine et fugace. Il ronge aujourd'hui son frein entre une épouse, la riche Inès, dont il passe son temps à se séparer, une assistante slave qui lui réservera quelques surprises, des étudiants médiocres et une mère, Amélie, qu'il a reléguée dans un EMS de luxe. Sa vie est une fragile construction qui menace à chaque instant de s'écrouler.

    Et, bien sûr, c'est ce qui se passe!

    Mais pas de la manière attendue. La première partie, menée tambour battant, repose sur un constat d'échec (sentimental et professionnel). C'est aussi un coup de semonce. Une sorte d'avertissement qui permet à notre professeur, « un peu réac et passéiste » de se réveiller et de trouver la force de se reconstruire, comme on dit aujourd'hui.

    C'est alors que la catastrophe survient, parfaitement imprévisible (et à vrai dire quelque peu improbable). Le terre se réveille brusquement et se révolte. Le Petit-Pays, bâti sur une ancienne et profonde faille géologique est pris de soubresauts. Et des torrents de lave se déversent sur le plateau, formant une sorte de bouchon sur le lac de Constance et menaçant d'inonder les grandes villes du pays.images-4.jpeg L'hypothèse est séduisante (même si elle est fragile) et parfaitement d'actualité. Car cette menace conduit les autorités, pour protéger la population, à imposer un confinement qui ressemble beaucoup à ce que nous avons vécu (le roman de Bimpage, commencé il y a plusieurs années, a été rédigé avant la saga du Covid-19 et montre qu'une fois de plus les écrivains sont en avance sur leur temps !). Cette deuxième partie, qui ramènera Corderey dans le village de son enfance, Marmottence, au cœur du pays d'En-Haut, creuse à la fois l'angoisse de la catastrophe imminente et le besoin de retrouver des racines et un socle solide à sa vie (il est « confiné » dans le chalet d'Amélie et retrouve les gestes et les émotions d'autrefois). En plus d'une réflexion sur les changements climatiques, Bimpage aborde le thème des réfugiés, étrangers au petit village, qui viennent chercher refuge à Marmottence. 

    Quelle conclusion apporter à ce roman touffu et très hégélien (thèse, antithèse, synthèse) ? Après tant de bouleversements, comment ce brave professeur Corderey va-t-il réagir ?

    Il a beaucoup changé, comme tous les habitants du Petit-Pays. Il a tenté de faire de l'ordre dans sa vie en se débarrassant du superflu ou du superficiel. L'après va-t-il ressembler à l'avant ? Ce serait dramatique. On sent Bimpage partagé entre son désir de changement (tout recommencer à zéro) et son aspiration à revenir à la vie d'avant (une vie somme toute routinière et bourgeoise). Il y a bien quelques lignes de fuite, en particulier du côté des collapsologues qui se réunissent en secret à Marmottence pour préparer la fin du monde. Mais on sent que l'auteur n'y croit pas. Pas plus qu'il ne croit au retour au status quo ante. Cette conclusion laisse le lecteur dans l'expectative et le renvoie à ses propres interrogations. 

    C'est un livre important que ce Déflagration de Serge Bimpage — un livre qui ne laisse pas le lecteur indemne et fait trembler en lui des peurs très anciennes et irraisonnées. L'auteur y a mis beaucoup d lui-même et il ne triche pas. Ses personnages nous accompagnent encore bien après que l'on a refermé le roman. 

    Une réussite.

    * Serge Bimpage, La Peau des grenouilles vertes, roman, éditions de l'Aire, 2015.

    ** Serge Bimpage, Déflagration, roman, éditions de l'Aire, 2020.

  • Catastrophisme, désinformation et manipulation

    Par Pierre Béguin

    Je viens d’entendre à la radio qu’Emmanuel Macron rencontrait la Chancelière Angela Merkel pour (selon le journaliste) «parler de la deuxième vague de Covid qui se répand en Europe et dont la réalité ne fait maintenant plus aucun doute».
    Ah, bon !
    Il faudra bien un jour que la presse dite «officielle» rende des comptes. Ses choix éditorialistes qui donnent systématiquement, et sans aucun recul ni aucune analyse, un écho démesuré à toute forme de catastrophisme, non seulement la placent à des années lumières de sa fonction essentielle d’information, mais la rendent responsable de nouvelles maladies psychiques qui se répandent parmi la population plus certainement que le virus dont elle fait ses gros titres et ses choux gras.
    Tout journaliste suisse qui voudrait faire correctement son travail d’information devrait pour le moins préciser ceci (tous les chiffres qui suivent sont tirés des statistiques de l’OFS) :
    «Sur les 100 derniers jours, soit depuis le 10 mai 2020, nous avons enregistré officiellement 74 morts du (ou avec le?) coronavirus, soit 1641 au 10 mai contre 1715 au 20 août (précisons que le 70 % de ces décès correspond au taux moyen de mortalité, soit plus de 80 ans). Ce qui fait, selon le pire des scénarios, 0,74 décès par jour. Sachant que la moyenne quotidienne du taux de mortalité en Suisse en 2019 était de 185 morts (chiffre arrondi), par comparaison avec l’année précédente, le taux de mortalité dû au Covid, au pire, est de 0,4 % sur ces 100 derniers jours.»
    Ce travail évident étant fait (j’y ai consacré une quinzaine de minutes), quel journaliste honnête pourrait encore annoncer une deuxième vague de pandémie sans que son nez ne s’allongeât ? Une deuxième vague qui nécessiterait le retour de mesures strictes proches du confinement mais qui n’excède pas 0,4 % du taux de mortalité ? Allons donc ! Les journalistes font-ils encore leur travail on se contentent-ils de recopier les dépêches ? Optent-ils systématiquement pour le catastrophisme dans le but de booster des ventes ou des audiences, et, donc, des revenus publicitaires qui ont fondu comme peau de chagrin ? Sont-ils à la solde de… ? Un peu de tout ça et d’autres ingrédients encore. Peu importe. La presse dite «officielle» est en train de perdre toute crédibilité et je crois qu’elle ne s’en remettra pas.
    Un épisode édifiant de ce parti pris «catastrophiste» peut être vu sur le lien suivant :


    https://www.youtube.com/watch?v=EFa9JHMFO9s&feature=youtu.be

    Une telenoticias espagnole fait sa une du titre «A Madrid, les cas de Covid se sont mulitpliés en 24 h». Pour accréditer l’affirmation que beaucoup de personnes ont été admises aux soins intensifs, la journaliste, en liaison directe avec l’hôpital d’El Escorial à Madrid, questionne le Dr Luis de Benito dont elle souligne d’entrée les compétences. Sauf que ledit docteur commence par réfuter les allégations alarmistes de la journaliste (dont toutes les questions, bien entendu, ont été formulées dans le sens du catastrophisme). L’hôpital en totale saturation ? Non, répond le médecin, «la semaine dernière nous n’avions personne ; depuis seuls trois cas ont été admis». Avant d’anticiper les questions et d’affirmer : «on provoque la confusion en annonçant que les cas de Covid augmentent, mais ce n’est pas vrai ; il y a simplement beaucoup plus de tests, et être testé positif ne veut pas dire qu’on est malade. Nous sommes en état d’alerte mais pas en état d’urgence». Et sur la question du vaccin : «Il est toujours très rentable de parler du vaccin, surtout après avoir inoculé la peur pour faire croire qu’il est nécessaire parce qu’il faudra bien le vendre. La question est de savoir, non seulement s’il est sans danger, s’il est efficace, mais aussi s’il est vraiment nécessaire».
    A ce stade de l’interview, le malaise devient évident. La journaliste, désarçonnée, commence à bafouiller ses questions. Le médecin en remet une couche : «La première chose à faire est de se vacciner contre la peur, parce que toute la panique sociale que l’on provoque nous laisse, nous médecins, perplexes». Et Luis de Benito, qu’on ne reverra plus de sitôt sur les écrans espagnols, de s’emballer : «Les quelques trois cents médecins avec lesquels je suis en contact dans le territoire espagnol l’ont bien compris : il s’est mis en place une manœuvre pour confiner tout le monde en septembre en faisant croire aux gens qu’ils se sont comportés comme des irresponsables pendant l’été. C’est une stratégie intéressante parce que c’est plus rentable que personne ne soit reçu par des médecins dans les centres de soins primaires qu’on ferme...»
    La journaliste est comme crucifiée. Son collègue, s’avisant qu’ils ont perdu le contrôle de la situation, prend le relai. Le ton va monter jusqu’à ce que l’interview soit pratiquement interrompu…
    Visionnez cette interview. Elle dit tout, mieux que des mots ne sauraient le faire.
    Le fait demeure, entêté malgré ce qu’en disent les médias: aucun des événements qui annonçait une deuxième vague ne s’est vérifié jusqu’à maintenant; la courbe des décès reste plate depuis juin dans tous les pays européens, même en Suède (ce qui n’est évidemment pas le cas en Amérique du Sud, par exemple); mieux : en Angleterre, les scientifiques viennent de retirer des statistiques 5000 décès, estimant que ces derniers ont été comptabilisés indûment (sur 45000 décès, cela fait tout de même plus de 10%). Il ne serait pas étonnant que d’autres pays européens lui emboîtent le pas, tant on ne voit pas pourquoi l’Angleterre devrait faire exception en la matière.
    Il demeure donc évident que la presse confond sciemment – à l'image de notre téléjournal madrilène – l’augmentation des cas positifs (en relation logique avec l’augmentation des tests) et l’augmentation de patients malades, voire hospitalisés, alors qu’il s’agit pour l’essentiel de forme de sujets jeunes, asymptomatiques, tout cela dans le but d’instrumentaliser ou de politiser les statistiques, de formater des comportements déterminés en imposant d’autres schémas de pensée.
    Avec la soi-disant deuxième vague de Covid, nous sommes, bien loin de la prévention, en pleine manipulation. Avec la complicité de la presse qui croit y trouver son compte...

     

  • La Vie suprême

    Par Pierre Béguin

    C’est un récit aux fortes intonations ramuziennes auquel nous invite Alain Bagnoud dans son dernier livre La Vie suprême. Même ancrage dans la chronique locale, en l’occurrence valaisanne, dans les coutumes claniques, dans le rejet de la différence ; même impossibilité de communiquer dans un cadre qui ne valorise que le poids des traditions et des habitudes ancestrales ; même univers fermé, comme une sorte de clôture naturelle que la montagne sépare de l’extérieur ; même jeu dialectique dans les comparaisons dont la fonction essentielle est de souligner cette hantise de l’abstrait chez des personnages qui s’efforcent de conjurer l’angoisse de l’inconnu, de tout ce qui les dépasse, à grands renforts de comparés familiers, concrets, accessibles à l’entendement ; même ressort narratif, enfin, qui consiste à faire basculer un microcosme pris dans la gangue d’un immobilisme séculaire par l’intrusion d’un élément extérieur susceptible de bouleverser son équilibre, pour le moins de le menacer.

    Dans l’excellent roman d’Alain Bagnoud, cet élément extérieur est un personnage mythique du Valais auquel l’auteur avait déjà consacré un livre: le célèbre Joseph-Samuel Farinet, dont Bagnoud (une fois de plus) va égratigner la légende, au grand dam (une fois de plus) des thuriféraires du fameux faux-monnayeur qui ne manqueront pas de s’en indigner. Pourtant, Farinet n’est pas le personnage principal de ce roman, quand bien même, par son opportunisme, son égoïsme, sa vanité, son art de la manipulation, il tisse le drame qui se déroule sous nos yeux.
    En réalité, il y a deux personnages principaux: tout d’abord Besse, amputé de son prénom comme un signe de rejet par une société qui méprise l’enfant «né tout en bas», presque sans terre, avec une seule vache et un potager. Et Laurence («la fille Puenzier»), réduite, elle, à son seule prénom pour avoir «été avec un garçon»; Laurence, honte de la famille, méprisée par le village, contrainte de se cacher, de raser les murs ou de marcher tête baissée quelques mètres derrière ses parents pour aller s’agenouiller à l’église sur la marche qui mène à l’abside.
    La Vie suprême, c’est l’histoire de ces deux jeunes rejetés, destinés à se rencontrer et à s’unir pour se frayer, parmi les ostracismes et les humiliations dont ils sont victimes, un chemin vers une existence susceptible d’accueillir un avenir animé de rêves légitimes.
    L’intonation très ramuzienne de ce petit roman n'est pas, et de loin, son unique qualité.A découvrir.

    Une réussite.


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  • Tous au lit!

    Par Pierre Béguin

    En France, la Convention citoyenne pour le climat a dévoilé récemment ses 150 propositions pour répondre à l'urgence climatique. Logement, consommation, institutions, agriculture, numérique, les 150 membres de la Convention proposent des changements radicaux à tous les niveaux.

    Attention! Tous au lit! comme dirait le bon Docteur Knock. Parce que là, c’est du sérieux. Surtout lorsqu’on constate que la majorité de ces propositions commencent par des verbes ou expressions comme «contraindre» «obliger» «interdire» «réformer» «changer en profondeur» «prendre des mesures coercitives» «adopter des mesures fortes» «renforcer les contrôles» «utiliser les leviers de...» «inciter à limiter» (ah! Tiens! une expression acceptable), etc. Et le bon peuple, je le crains, s’apprête à accueillir ces mesures sans distance critique, comme une bénédiction salvatrice incontournable.

    L’Empire du Bien, comme l’appelait Philippe Muray, est en passe d’obtenir ce qu’aucun pouvoir, aucune armée, aucun terrorisme n’a jamais obtenu: l’adhésion spontanée des masses à "l’intérêt général" jusqu’au sacrifice des intérêts particuliers et des libertés démocratiques, la soumission volontaire de tant d’esclaves accueillant avec ravissement une dose supplémentaire de servitude. La langue française disposait d’un mot tombé en désuétude pour désigner ce phénomène: le pharisaïsme (un pharisien est une personne si convaincue de son état de grâce qu’elle s’en trouve justifiée d’intervenir à répétition dans la vie des autres).

    «Quand nous serons devenus moraux tout à fait au sens où nos civilisations l’entendent et le désirent et bientôt l’exigeront, je crois que nous finirons par éclater tout à fait aussi de méchanceté. On nous aura laissé pour nous distraire que l’instinct de destruction», prétendait Céline il y a déjà près d’un siècle. Céline connaissait son Pascal. Qui veut faire l’ange fait la bête, le Bien devenu impérialiste réveille les pulsions primaires et produit toujours les pires désastres, c’est là sa fatalité.

    En attendant grimpe dans le TGV de la répression toute une litanie de bons sentiments. Une cohorte de mièvreries niaises dégoulinent dans les médias et sur les pavés des villes du monde entier. L’ignoble concept américain du Politically Correct, ce pharisaïsme moderne, entraîne avec lui, en même temps qu’il les justifie, la délation publique, l’ostracisme, l’uniformisation des modes de pensée, le dressage obscène des masses, le révisionnisme, la haine du passé, l’instauration d’un ordre mondial dictatorial, l’adoration béate de la jeunesse, l’effacement de l’esprit critique, la toute-puissance de l’émotion sublimée par la communion des foules dans le meilleur des mondes abominablement gentils...

    Et pourtant! Ce n’est pas faute d’avoir été prévenus. Relisons quelques classiques avant que la bienpensance en ait fait des autodafés au nom du Bien avec l’impunité souveraine que procure le bouclier des bonnes causes (oui, ça a déjà commencé…). Par exemple:

    «Le personnage d’homme de bien est le meilleur des personnages qu’on puisse jouer aujourd’hui» (Molière, Dom Juan)

    «La bienfaisance est plutôt un vice de l’orgueil qu’une véritable vertu de l’âme.» (le Marquis de Sade)

    Eh oui! Ce n’est pas parce que le cancer du poumon est un danger réel que l’on a pourchassé les fumeurs avec tant de férocité. Ce qui motive d’abord la répression, c’est le plaisir de réprimer, indissociable de la jouissance que procure l’exercice du pouvoir. Un plaisir nourri d’autant plus d’allégresse qu’il s’avance derrière le bouclier d’une cause indiscutable. Tant de délires démiurgiques, pourtant facilement identifiables, qui se cachent derrière tous ces étendards dressés au nom du Bien!

    Allez! Tout le monde au lit! aurait dit Knock. Relisons pour conclure cette fameuse tirade de l’Acte III, scène 6, où se révèlent les rêves de pouvoir de celui qui se prétendait, il y a un siècle, le démiurge de la modernité, du progressisme, avec tous les échos dont notre actualité fait vibrer ses mots:

    «Vous me donnez un canton peuplé de quelques milliers d’individus neutres, indéterminés. Mon rôle, c’est de les déterminer, de les amener à l’existence médicale. Je les mets au lit, et je regarde ce qui va pouvoir en sortir: un tuberculeux, un névropathe, un artério-scléreux, ce qu’on voudra, mais quelqu’un, bon Dieu! Quelqu’un! (… Il remonte vers le fond de la scène et s’approche d’une fenêtre) Regardez un peu ici (…) c’est un paysage rude, à peine humain, que vous contempliez. Aujourd’hui, je vous le donne tout imprégné de médecine, animé et parcouru par le feu souterrain de notre art. La première fois que je me suis planté ici, je n’étais pas trop fier; je sentais que ma présence ne pesait pas lourd. Ce vaste terroir se passait insolemment de moi. Mais maintenant, j’ai autant d’aise à me trouver ici qu’à son clavier l’organiste des grandes orgues. Dans deux cent cinquante de ces maisons, il y a deux cent cinquante chambres où quelqu’un confesse la médecine, deux cent cinquante lits où un corps étendu témoigne que la vie à un sens, et grâce à moi un sens médical. La nuit, c’est encore plus beau (…) Le canton fait place à une sorte de firmament dont je suis le créateur continuel. Et je ne vous parle pas des cloches. Songez que, pour tout ce monde, leur premier office est de rappeler mes prescriptions; qu’elles sont la voix de mes ordonnances. Songez que, dans quelques instants, il va sonner dix heures, que pour tous mes malades, dix heures, c’est la deuxième prise de température rectale, et que, dans quelques instants, deux cent cinquante thermomètres vont pénétrer à la fois...»

    Oui! Songeons-y, avant de nous enfiler toutes et tous, sans vaseline ni distance critique, en toute naïveté – et au nom même d’une bonne cause devenue subitement si urgente qu’elle justifierait, pour ses prosélytes, une dictature mondiale –, le thermomètre de cent cinquante propositions coercitives là où ce n’est pas forcément agréable...

  • Pandémie: parlons chiffres

    Par Pierre Béguin

    ...En l’occurrence ceux de l’Office fédéral de la statistique dont on peut supposer qu’ils sont fiables.

    L’OFS a recensé les décès survenus en Suisse jusqu’à la 19e semaine de l’année 2020, soit jusqu’au dimanche 10 mai. On en comptabilise à cette date 26590, contre 26190 pour la même période en 2019, soit 400 décès de plus. Précisons qu’en 2019, on recensait 67307 personnes décédées en Suisse, toutes causes confondues.

    En général, la courbe des décès en 2020 est inférieure à celle de 2019 jusqu’à la 11e semaine, soit jusqu’au 14 mars. Ensuite, et ce n’est pas une surprise, elle devient systématiquement supérieure jusqu’à la 17e semaine, soit jusqu’au 25 avril, avec une différence de 1531 décès. Ensuite, elle retombe, et même de manière assez nette durant la 19e semaine avec 183 décès en moins dans cette seule période du 4 au 10 mai.

    Toujours à cette même date du 10 mai, on recensait officiellement 1631 personnes décédées du covid en Suisse, soit 6,13% des décès, contre 27900 guérisons. Il faut préciser que, sur ces 1631 cas, le 70% concerne des personnes âgées de plus de 80 ans, soit une tranche de vie qui correspond à l’espérance de vie moyenne de la population. Ce qui veut dire que 543 personnes âgées de moins de 80 ans sont décédées du virus, soit 2,04% des décès (a-t-on par ailleurs déterminé si elles étaient mortes du – ou avec le – virus?).

    Cela dit, la raison d’être des statistiques, c’est justement de vous donner raison. Chacun trouvera donc dans ces chiffres de quoi conforter son opinion. Certains y verront la preuve de l’utilité d’un confinement qui a considérablement limité «la casse». D’autres, la preuve de l’aberration de mesures qui ont mis à mal des pans entiers de l’économie et précarisé des dizaines de milliers de personnes pour lutter contre une pandémie finalement pas si dévastatrice si l’on s’en tient aux chiffres, et qui, pour l’essentiel, ne concernait que des retraités. Quand bien même un mort, un seul s’il vous est proche, c’est déjà la terre entière… et ça n’a pas de prix!

    «Les statistiques sont vraies quant à la maladie, et fausses quant au malade; elles sont vraies quant aux populations, et fausses quant à l’individu», disait judicieusement Léon Schwartzenberg. Le vivant échappera toujours aux mathématiques, contrairement à ce qu’essaient de nous faire croire des modalisations alarmistes qui jouent sur la peur. Et les chiffres ne parlent pas la même langue selon l’angle par lequel on les interroge. Qu’on s’en souvienne quand, inévitablement, sonnera l’heure des comptes!

    En attendant – et c’est la seule opinion que j’émettrai dans ces lignes -, un peu de modestie ferait le plus grand bien à tous ces gourous de la science qui, opportunément ou habilement, - et quelle que soit leur religion – nous assènent leurs vérités contradictoires avec l’assurance d’une parole divine. Cette étrange période a élu ses idoles du prêchi-prêcha. Puissent-elles retourner dans l’oubli en même temps que la pandémie!

    Ah oui ! Puisqu’on parle opportunisme et chiffres, mais d’une toute autre nature, ceux-là, il me faut encore mentionner ce fait: sans surprise, on déplore dans le canton de Vaud les premières arnaques aux crédits coronavirus accordés aux entreprises. J’avais déjà entendu un type affirmer qu’il empocherait les 200.000,- francs accordés en prêt sans intérêt à son entreprise, qu’il mènerait grand train pendant une année ou deux avant de se mettre en faillite… et de repartir le cas échéant sous une autre raison sociale. Ce scénario va se généraliser dans toute la Suisse, c'est écoeurant mais c'est une certitude. A ce niveau, j’ai toujours trouvé nos autorités d’une consternante naïveté, malgré l’urgence. La garantie d’Etat, en l’occurrence, ce sera le contribuable…

     

     

  • Paradoxe... ou les Compagnies d'assurance maladie au temps du coronavirus

    Par Pierre Béguin

    «Le paradoxe est le moyen le plus tranchant et le plus efficace de transmettre une vérité aux endormis et aux distraits», affirmait un écrivain espagnol du siècle dernier (Miguel de Unamuno).

    Supposons qu’il ait raison. Et développons ce billet sur la base d’un paradoxe qu’il nous est facile d’observer: jamais au paroxysme de cette pandémie qui nous occupe à plein temps depuis deux mois les cabinets médicaux et les hôpitaux n’auront fonctionné si loin de leur capacité maximale; et, donc, jamais au pire temps de la maladie et du confinement que nous venons de traverser les assurances maladies n’auront fait autant d’économies.

    Quand ils ne furent pas simplement fermés, les cabinets médicaux fonctionnèrent entre 10 et 30% de leur capacité, les cliniques, et même les hôpitaux, à guère plus de 50%. Depuis deux semaines que les médecins ont reçu l’autorisation de pratiquer à temps plein, tous celles et ceux que j’ai interrogés – et cela fait un certain nombre – me disent la même chose: les patients potentiels sont encore frileux et les cabinets tournent à environ 50%. Et il faudra du temps pour qu’ils fonctionnent à 100%.

    D’autres constats sont encore plus surprenants. Ainsi a-t-on remarqué que les décès dus à des causes cardiaques ont diminué de moitié durant cette période (aurait-on, en partie du moins, imputé au virus la différence?). Et on pourrait allonger la liste de nos exemples. Le fait est que jamais la santé du citoyen suisse, en apparence et si l’on s’en tient aux seuls chiffres des consultations, n’a été aussi bonne qu’au temps du coronavirus.

    Ce paradoxe amène à nous questionner sur deux problématiques essentielles qu’il nous faudra bien empoigner avec l’énergie de la révolte, si nos politiques ne le font pas:

    1. Les économies vertigineuses effectuées par les compagnies d’assurance maladie, économies qui se prolongeront encore quelques mois, devraient logiquement aboutir, en fin d’année, à une baisse tout aussi vertigineuse de nos primes d’assurance, pour le moins à une ristourne significative. Dans le cas contraire, il y aurait à l’évidence escroquerie, qui plus est escroquerie couverte par la sphère politique.
    2. Les sommes hallucinantes qui constituent les fameux fonds de réserve plus ou moins occultes des assurances – et dont j’ai toujours prétendu qu’ils finiront par exploser dans un énorme scandale – devraient être, cette fois, sérieusement remises en question. On pouvait jusqu’alors justifier de leur importance par l’avènement de temps difficiles comme ceux que nous traversons en ce début d’année. Mais si l’expérience nous montre clairement l’inutilité de ces milliards de réserve face au problème même par lequel on justifie leur existence – car, j’en fais le pari, on ne prélèvera pas un rouge liard sur ces fonds de réserve, même pour éponger des primes que beaucoup de citoyens ne peuvent plus payer – lesdits citoyens devront logiquement se questionner sur la légitimité de ces fonds de réserve. Et sur le rôle joué par bon nombre d’élus dans ce qui menace de plus en plus de tourner un jour au scandale national.

    Et puisque j’ai commencé ce billet par une citation sur le paradoxe, je conclurai de même en citant cette fois Diderot: «Ce qui est aujourd’hui un paradoxe pour nous sera pour la postérité une vérité démontrée». A cette nuance près qu’il ne s’agira pas ici de «postérité». C’est aux citoyens suisses actuels, dans leur ensemble, y compris «les endormis et les distraits», qu’il faudra donner rendez-vous en fin d’année. Et cette fois, ce ne sera pas pour applaudir le corps médical, mais pour s’accorder un très sérieux droit d’inventaire…

  • L'information volatile

    par Jean-Michel Olivier

    Comment survivre dans l'océan d'informations qui nous submergent, chaque jour davantage, depuis le début de ce confinement qui tient tout à la fois de la prise d'otage (par l'État), de la séquestration et de la réclusion (en famille) ? Nous voilà assignés à résidence, pour une durée indéterminée, pour des motifs obscurs et contradictoires. Quel crime avons-nous donc commis ?

    images.jpegJ'aurais tant aimé croire à la fable chinoise du pangolin et de la chauve-souris, digne de La Fontaine, dont les amours coupables seraient à l'origine du satané virus qui nous oblige à restés confinés ! Hélas, en même temps que la fable  chinoise, une contre-fable a surgi, dans les états majors des grandes puissances (USA, France, Angleterre), pour  couper court à la première affabulation : selon le Pr Luc Montagnier, Prix Nobel de médecine en 2008 pour sa participation à la découverte du virus du Sida (quand même!), au départ de la pandémie il y aurait eu « une manipulation sur ce virus initialement présent chez la chauve-souris, mais auquel on a ajouté par dessus des séquences du VIH. Ce n’est pas naturel, images-1.jpegc’est un travail de professionnel, de biologiste moléculaire, d’horloger des séquences. Dans quel but ? Je ne sais pas (…). Une de mes hypothèses est qu’ils ont voulu faire un vaccin contre le Sida. » 

    Mince alors ! L'histoire du marché aux poissons de Wuhan est une belle légende, mais elle est fausse…

    Rassurez-vous, l'histoire n'est pas finie (avec le déluge d'informations qui est notre quotidien aujourd'hui, elle n'est jamais finie!).

    À peine le professeur Montagnier avait-il quitté son estrade qu'une multitude de contradicteurs, armés de scuds surpuissants, l'ont abattu en plein vol !

    Exemple : « La conclusion de ces recherches n’a pas de sens » déclare à l’AFP le virologue Etienne Simon-Lorière de l’Institut Pasteur à Paris. Pour lui, ces séquences « sont de tout petits éléments que l’on retrouve dans d’autres virus de la même famille, d’autres coronavirus dans la nature. Ce sont des morceaux du génome qui ressemblent en fait à plein de séquences dans le matériel génétique de bactéries, de virus et de plantes. »

    Et il ajoute, pour les poètes et les littérateurs, cette phrase qui donne à réfléchir : « Si on prend un mot dans un livre et que ce mot ressemble à celui d’un autre livre, peut-on dire que l’un a copié sur l’autre ? »

    Pour ma part, je n'ai jamais douté que les écrivains — sans distinction de genre, d'âge, de couleur ou d'origine — se soient toujours copiés les uns les autres, ne serait-ce qu'en se servant de la langue commune !

    Une pluie de scuds a déferlé sur le pauvre Luc Montagnier, accusé de tous les maux (incompétence, sottise, démence sénile, etc.).

    Quelle est la conclusion de cette plaisante et triste affaire ?

    1) Que la « communauté scientifique », si elle existe, ne parle jamais d'une seule et même voix. En sciences comme ailleurs, la vérité est fragile, complexe, contradictoire. Et donne toujours matière à polémique. Ce qui permet de mettre en doute, ne serait-ce qu'un instant, le discours des « experts » que l'on voit défiler sur les plateaux de télévision et qui n'expriment, en définitive, qu'une voix parmi d'autres. 

    2) L'information — la vraie comme le fausse, car dans cette nouvelle dynamique, pour le meilleur comme pour le pire, l'une ne vaut pas mieux que l'autre — est devenue volatile : elle ne dure qu'un instant. C'est une fleur éphémère qui ne fleurit qu'un jour. Il est donc difficile, sinon impossible, de bâtir quelque chose sur cette vérité volatile, puisqu'elle est aussitôt contredite et annulée par la vérité qui vient de sortir.

    Une fois encore, c'est au lecteur de faire son choix — ou son marché. Et, comme disait Lautréamont, on espère que le lecteur est sagace et bien réveillé ! 

    Ce sera tout pour aujourd'hui. Pour vivre cachés, vivons heureux ! Je retourne aux lilas et aux genêts de mon jardin dont je ne veux pas manquer l'extraordinaire floraison.

  • Le virus malin de l'information

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    par Jean-Michel Olivier

    S'il met à mal l'économie mondiale, ce maudit #coronavirus est une bénédiction pour les chaînes d'information publique, qui n'ont jamais connu une telle audience. La radio, comme la télévision, peuvent donner le maximum de leurs forces (qui sont immenses) dans la journaux télévisés et les émissions spéciales. À ce propos, on ne remerciera jamais assez les journalistes qui vont sur le terrain prennent des risques et surmontent des montagnes d'obstacles pour remplir leur devoir d'informer. 

    En revanche, on le sait, la presse écrite vit des jours difficiles. Certains journaux — surtout régionaux et associatifs — sont près de déposer leur bilan (les salaires ne seront plus assurés en avril). Pourtant, comme les radios et télévisions de Service public, ils font de l'excellent travail. Alors pourquoi ?

    images.jpegCe satané virus a mis à mal des pans entiers de l'économie. Certains s'en réjouissent : cela marque une pause dans notre désir de croissance effrénée et permet à la nature (et à l'homme) de reprendre ses droits. D'autres s'en inquiètent, car ils en voient les conséquences.

    Le problème, c'est que dans une société de plus en plus interconnectée, sans règle, ni frontières, tout le monde est aussi interdépendant.

    rendez-vous-majeur-qui.jpgPrenons un exemple simple : l'annulation du Salon de l'auto. Les écolos ont applaudi des deux mains, comme les ennemis jurés de la voiture. Or, ce Salon génère, bon an, mal an, près de 250 millions de retombées économiques. Le Salon de l'auto apporte une manne publicitaire indispensable aux journaux de la place (le mois de mars est habituellement le meilleur mois de l'année pour la publicité). Or, cette année, rien, pas un placard, pas une annonce. Perte sèche abyssale. Les cafetiers, hôteliers, taxis, etc. connaissent la même pénurie, comme beaucoup d'indépendants.

    Dans le domaine culturel aussi, l'arrêt brutal de toute activité (théâtre, opéra, danse, concerts, expositions) entraîne logiquement l'annulation de toute publicité. Et donc, à moyen ou long terme, la mort des journaux papiers.

    Une fois passée l'angoisse virale, nous pourrons réfléchir aux moyens d'aider cette presse qui se bat pour nous informer et qui est devenue aussi précieuse que notre pain quotidien. Voulons-nous encore des journaux de qualité ? En avons-nous vraiment besoin ? Les questions sont nombreuses. Mais il ne faudra pas attendre trop longtemps pour se les poser.

  • Josette Bauer, femme fatale en cavale (Pierre Béguin)

    par Jean-Michel Olivier

    Unknown-2.jpegPierre Béguin aime les affaires au carrefour du droit, du fait divers et de la littérature. Il s'était déjà penché sur l'affaire Jaccoud, qui défraya la chronique judiciaire dans les années 50, et en avait tiré un très bon roman, Condamné au bénéfice du doute*, couronné par le Prix Édouard-Rod en 2016. Ensuite, il s'était inspiré d'un fait divers colombien, mêlant trafic d'organes et guerre des gangs, pour nous donner un roman baroque, Et le mort se mit à parler**. Aujourd'hui, il réinvente, à la suite d'une enquête minutieuse, la fameuse « affaire Josette Bauer », dont certains Genevois se souviennent encore.

    Le résultat ? La Scandaleuse Madame B.***, un roman sulfureux et détonant, très au-dessus de ce qui se publie d'ordinaire en Suisse romande.

    detective-n-740-du-02-09-1960-josette-bauer-rehabilitation-de-pierrre-jaccoud-1007653656_ML.jpgRappelons les faits : en 1957, Josette Bauer, une jeune femme genevoise qui aime les fêtes et la belle vie, se voit accuser de complicité dans le meurtre, assez atroce, de son père. Ce n'est pas elle qui l'a tué, mais son mari, Richard Bauer, un homme très faible, mais amoureux, pris à la gorge par ses soucis financiers. A l'heure du meurtre, Josette se trouve dans une boite de nuit de Rolle en train de faire la bamboula avec son amant. Josette n'a pas tué, mais très vite elle va devenir, aux yeux des jurés et des journalistes, l'instigatrice du meurtre, celle qui a incité son mari à tuer son père. Après une longue enquête, dont Béguin reconstitue minutieusement chaque détail, le couple est arrêté. Le mari passe aux aveux. Déjà condamnée par la vox populi, Josette écope de plusieurs années de prison. Elle sera emprisonnée en Suisse alémanique et purgera, en détenue modèle, la presque totalité de sa peine. Pourquoi « presque » ? Eh bien, à quelques mois de sa libération, Josette s'évade !

    La plus grande erreur de sa vie, avoue-t-elle. Mais aussi le début d'une fantastique épopée…

    Pendant plusieurs années, on perd la trace de la « scandaleuse Madame B. ». Josette vit en cavale, se fait refaire le visage (l'opération de chirurgie esthétique, réalisée clandestinement à Paris, tourne à la boucherie), vit d'expédients. Béguin suit cette femme ordinaire au destin extraordinaire à la trace, comme s'il vivait dans son ombre. L'Algérie, puis l'Espagne : autant d'étapes d'une cavale douloureuse. A chaque fois, dirait-on, l'histoire se répète : alors qu'elle tâche de refaire sa vie dans le milieu de l'équitation (elle a toujours eu la passion des chevaux), Josette est obligée de fuir, en perdant tout à chaque fois, comme si un destin funeste s'acharnait sur elle.

    On retrouve sa trace aux États-Unis, en Floride plus précisément, dans les années 60, où l'audacieuse Genevoise est arrêtée, avec son complice, alors qu'elle transporte, cachés dans son corset, deux kilos d'héroïne. Nouveau procès (expéditif). Nouvelle condamnation. Unknown-3.jpegJosette — qui entretemps a changé d'identité et s'appelle maintenant Jean Baker ! — conclut un marché avec la police américaine à qui elle livre les noms de plusieurs trafiquants de drogue européens — des gros bonnets qui forment le fameux réseau de la French Connection (rien que ça!). Une fois encore, Josette s'évade pour recommencer sa vie ailleurs, dans l'anonymat et la clandestinité. L'histoire n'est pas finie. Elle connaîtra encore bien des rebondissements. Mais j'en ai déjà trop dit…

    Le roman de Béguin est écrit à deux voix. Deux styles. Deux rythmes différents. La voix du narrateur, factuelle et sûre d'elle-même. Et la voix suraiguë, un peu flûtée,  très vite reconnaissable, de l'écrivain américain Truman Capote qui se passionne pour cette affaire. Deux styles, donc, deux voix et deux rythmes. Tandis que le narrateur fonce et enchaîne les faits sur un rythme soutenu, la voix de Truman Capote marque une pause, un temps de réflexion, une méditation sur le destin de Josette et l'œuvre à venir (car Capote rêve d'écrire LE grand livre sur l'affaire Bauer, un livre qui établira définitivement son génie d'écrivain). images.jpegC'est le tour de force de ce livre que de faire alterner ces deux voix si différentes, chacune allant sa propre allure. Le narrateur décrit les faits, comme un policier ou un historien, et Capote les éclaire, les interroge, les passe au scanner de son propre regard. Réussite absolue. Pour nous faire entendre la voix de Capote, Béguin nous livre une partie (inventée) de sa correspondance. Capote écrit à ses amis, nous fait part de ses soucis de santé et tient au vitriol la chronique de ses sorties mondaines. C'est un délice que de le suivre à travers le monde (Capote voyage beaucoup) et de croiser au fil des pages Jackie Kennedy, les Rolling Stones, la famille Agnelli et quelques autres people

    __multimedia__Article__Image__2020__9782226444974-j.jpgAvec La scandaleuse Madame B., Pierre Béguin nous donne sans doute son meilleur livre, le plus abouti, le plus inventif et le plus ambitieux. Il place la barre très haut et relève brillamment le défi de raconter le destin extraordinaire d'une « petite » Genevoise, insouciante et délurée, dont la vie est une perpétuelle fuite en avant — une tentative désespérée de se sauver. Car au cœur du roman de Béguin, il y a la question du crime et de la rédemption. Peut-on se racheter d'un crime que l'on n'a pas commis ? (Josette a toujours nié est coupable du meurtre de son père) ? Comment refaire sa vie ? A-t-on droit à une seconde chance ? Et au droit à l'oubli ?

    Pierre Béguin brasse toutes ces questions et laisse le lecteur décider par lui-même du verdict de cette scandaleuse affaire.

    * Pierre Béguin, Condamné au bénéfice du doute, roman, Bernard Campiche éditeur, 2016.

    ** Pierre Béguin Et le mort se mit à parler, roman, Bernard Campiche 2017.

    *** Pierre Béguin, La scandaleuse Madame B., roman, Albin Michel 2020.